Un personnage, une histoire

« Droite ! Hurle l’entraineur du bout du terrain

-Droite ! Nous crions tous

-Gauche !

-Gauche !

-Centre !

-Centre !

-Relever !

-Relever ! »

Droite. Gauche. Centre. Relever.

A force d’entendre ses mots dans le terrain d’entrainement, je les répète dans ma tête sans plus les entendre.

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Le centre d’entrainement est bondé. Des centaines de guerrières et guerriers sont au centre de ce terrain en terre battue, s’entrainant à la lance. Chaque mouvement est coordonné, c’est extrêmement impressionnant.

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Il ne faut surtout pas toucher le mannequin, sinon il n’en restera plus. En ce moment, dans le royaume, les tensions sont à leurs combles, les moyens fondent comme glace au soleil...

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Le capitaine est près de nous, nous observant de loin. Tous les jours, du matin au coucher du soleil, sans pauses, nous devons nous tenir prêt de nous battre. Au moindre problème, nous partirons sur le champ de bataille.

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Quand sera notre prochaine bataille ? Quand est ce que des Sans Visages seront repéré aux frontières ? Nohr est de plus en plus virulent, profitant de la faiblesse de la reine pour attaquer.

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Pauvre, pauvre reine Mikoto... Elle a perdu son mari, sa fille... Et même l’enlèvement d’un enfant de Garon est inutile. Elle peut à peine maintenir la barrière protectrice autour du royaume. Certains humains (peu nombreux tout de même) arrivent à passer...

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Il faut s’entrainer. Être prêts à toutes situations. Alors tous les jours dès l’aube, tous les soldats s’entrainent, s’échauffent...

Alors c’est la vingtième fois en cinq minutes que je répète mes mouvements d’échauffement.

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Dans une heure, ou moins, cela dépend, il faudra passer aux duels. Pour l’instant, il faut juste supporter un échauffement interminable...

Droite. Gauche. Centre. Relever.

En plus, je dois manier un naginata... En tant que chevalier pégase, comprenez ? Les chevaliers pégases ont des naginatas.

Ah oui, c’est vrai ! Je ne me suis même pas encore présentée ! Je m’appelle Reina, jeune membre des chevaliers pégases depuis quelques mois.

... Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire sur moi... Je n’ai pas la vie la plus passionnante qui soit, aussi...

Bon. Je dois me reconcentrer.

Droite. Gauche. Centre. Relever.

Le naginata... Long, fin, précis... Je n’aime pas cette arme. Pour me faire rentrer dans l’armée, il a fallu que je teste toutes les armes. Et les recruteurs pensaient que je me débrouillais bien avec une arme si rapide, à chevaucher sur un cheval ailé...

Mais moi, j’ai toujours préféré l’arc. C’est tellement plus gracieux, et jouissif... J’ai bien plus de plaisir à voir un bras percé d’une flèche qu’une simple coupure.

Hehe... Vivement la prochaine bataille contre des Sans Visages !

...

Oh non, c’est égoïste, vraiment... Pardonnez-moi, ma...

-ALERTE !!! UNE ATTAQUE A LE FRONTIERE !!! On entend

Je me redresse rapidement, mon capitaine, mon entraineuse nous fait d’immenses gestes pour nous forcer à nous dépêcher. Ce n’est pas elle qui crie.

Je ne regarde même pas qui hurle ce message, et je me dirige immédiatement vers les écuries à pégase. Chevauchant le mien. Un mâle immaculé dont j’ignore le nom...

En fait, j’ai deux pégases pour l’instant. Aucun n’a réellement voulu se lier avec moi. Et aucun ne m’a vraiment charmé non plus... Et j’ai vu le premier être déjà scellé par une autre jeune recrue. Je me retrouve alors avec la roue de secours...

Oui, on dirait vraiment que je ne suis pas faite pour les pégases...

J’en chevauche un immédiatement, et m’envole, accompagnée de plusieurs dizaines de chevaliers pégases. Naginata en argent à la main, comme tous mes compagnons.

Nous suivons tous notre entraineuse. Une femme noble et juste, mais que je connais à peine. Cependant, ce n’est pas trop grave...

Personne ne parle. En même temps, personne ne se connait assez bien, et avec toutes les tensions...

Je suis prête à parier que la moitié des chevaliers ici ont perdu leurs proches dans des batailles. Forcément, ils ne sont pas d’ambiance à parler.

On arrive vers la frontière. Les pégases sont très rapides. Ils seront suivis des chevaliers kinshis, et chevaliers faucons. L’infanterie n’arrivera que très tard, en renfort.

Je vois au sol des Sans Visages arriver par centaines, suivit de plusieurs mages.

-A L’ATTAQUE !!! Hurle l’entraineuse

A ces simples mots, l’équipe entière des chevaliers pégases fond en une masse d’albâtre vers les sombres ennemis.

Le champ de bataille devient de plus en plus confus. Des chaines et des plumes volent dans tous les sens. Moi, je peine à me repérer dans ce chaos...

Mais je vois au loin les mages invoquer de nouveaux Sans Visages. Mon sang ne fait qu’un tour. Je fonce à leur rencontre.

Je souris.

Du bout de mon naginata, j’ai l’impression de tous les tuer.

Ça me fait rire. J’aime faire ressentir la douleur à mes ennemis. Voir leur sang tacher le bout de ma lame. C’est tellement...

Je ne sais même pas comment décrire l’euphorie qui me prend. Qu’ils souffrent, comme ils font souffrir notre royaume ! Qu’ils meurent, leur sang rendra peut être la terre plus généreuse, ici !

-HA HA HA HA HA HA HA !!!! Je ris

Je ris aux larmes, tuant de plus en plus de mages. Je n’en vois plus. Je les ai tous vaincus ? Vraiment ?

Non, j’en vois déjà plus loin. Très bien ! Alors c’est pa...

Mais d’un coup, je sens mon pégase flancher. Il hennit de douleur, et s’écroule au sol. Je tombe avec lui, me coupant au passage avec un reste de dague de mage.

Je gémis un peu de douleur, et me tourne immédiatement vers le pégase. Je jure. Une unique flèche transperce son torse, maintenant rougeoyant.

C’est pas vrai, mon pégase est mort... Mais soudain, je sens une douleur au visage, et j’ignore ce que c’est... Je mets ma main dessus par reflexe...

Elle est rouge. Chaude. Mince, c’est mon sang...

Et le voir, ça me fait immédiatement réagir. J’ai mal. Très, très mal au visage. Enormément de sang coule. Je vais être parfaitement honnête... Je ne vois plus rien. J’ai l’impression que la blessure est en forme de croix, dont la moitié est au-dessus de mes yeux, et l’autre moitié juste en dessous, sur mes joues.

Alors forcément, l’énorme quantité de sang coule sur mes yeux, me bouchant complètement la vue. J’essaie d’en enlever, forcément, mais je n’y arrive pas du tout. C’est une horreur.

Finalement, de moins en moins de sang coule. Allez... Vite... Il faut absolument que...

Sans prévenir, je sens quelque chose me happer par le dos. Soulevée du sol, je ne peux pas réagir, je me laisse juste faire. Et mon instinct me hurle que ce n’est pas un point positif.

Je sens à nouveau le sol sous moi. Enfin... Le sol ? On dirait plutôt une... Selle...

-Tiens, essuies toi ! J’entends

Je sens quelqu’un me balancer quelque chose. En touchant cette chose, je sens que c’est une sorte de serviette. Je n’attends pas, et essuie le sang avec.

Je peux enfin voir devant moi, je peux enfin ouvrir les yeux.

Je sursaute presque en voyant une membre des chevaliers kinshis devant moi. Leur couronne autour de la tête se reconnaitrait entre mille.

Mais je me ravise en voyant que... JE SUIS sur un kinshi ! Un de ses oiseaux légendaires, seulement chevauché par l’élite ! Un oiseau si beau, si fort, que sa présence masque toutes les autres beautés du ciel !

-Ah ! Je m’écris

-Calme toi, je t’ai rattrapée, tu as de la chance ! Affirme la guerrière

Je me tourne vers la guerrière. Elle est plus âgée que moi, mais semble tout de même assez jeune. Elle porte un magnifique naginata ordonné.

-T’es encore en état de te battre ? Elle demande

-O... Ouais... Je souffle

-Alors prend ça, et vise les Sans Visages !

Elle me tend rapidement un yumi argenté. Je le prends sans attendre. Je vois son carquois sur son dos. Ça tombe bien, elle est juste devant moi.

Je saisi une flèche, la bande sur l’arc, et tire. Je vise des Sans Visages. La guerrière devant moi est assez près du sol, pour pouvoir attaquer au naginata, et j’arrive à couvrir nos arrières avec le yumi.

J’aime tellement le yumi ! C’est si précis, et fin, et... Et...

Et à la fois, voler a quelque chose d’incroyable... Et ce kinshi est tellement maniable, majestueux, résistant...

Là ou un pégase doit porter une armure pour être plus résistant, un kinshi à une peau très dure de nature. Ils sont faibles aux flèches, évidemment, mais il en faudra plusieurs pour le vaincre.

Je continue de décocher des flèches. Par dizaines. Le carquois se vide à vue d’œil. Bon sang, que c’est jouissif...

Je retrouve mon rire en tirant mes flèches. Les Sans Visages tombent comme des mouches.

J’ignore quelle est la réaction de la guerrière devant moi. J’ignore même son nom. Mais sur l’instant, je m’en fiche. Je ris beaucoup trop.

Je me mets debout sur l’oiseau, pour abattre encore plus de monstres. Et des mages, et même des archers ! Je jubile, le yumi est clairement mon arme de prédilection !

Je regarde un quart de seconde le kinshi. C’est vrai que ceux qui chevauchent les kinshis sont réputés pour leurs talents au yumi... Alors ils doivent utiliser le yumi... Hum...

Je souris, au sommet de ma puissance. Je sais maintenant quoi manier ! Je sais comment me battre ! Je sais quoi devenir !

Je m’entrainerais encore plus dure, pour montrer à mon entrainer que je suis capable de manier un yumi encore mieux qu’un naginata...

Et je deviendrais un chevalier kinshi ! Volant au-dessus des champs de batailles, visant les monstres au loin, pour défendre mes alliés !

Et oui, chers parents ! Non, vous n’avez pas cru en moi, vous refusiez de me voir devenir une membre de l’armée Hoshidienne...

Vous m’avez offert un tablier, pour que je devienne un simple domestique, une servante...

Mais non, je refuse. Vous qui n’avez pas cru en moi, vous me verrez m’envoler à dos d’oiseau légendaire.

Je me battrais de toute mon âme pour mon pays.

Je me battrais en jubilais de chaque goutte de sang versée du bout de mes flèches.

Je me battrais jusqu’à devenir un chevalier kinshi.

Et personne ne pourra m’en empêcher.