Crisis Core: les mots du rêve
Note de l'auteure: Les mots du rêve est une adaptation littéraire du jeux vidéo Final Fantasy VII: Crisis Core, développé par Square Enix sur Playstation Portable (2007), et dont le scénario prend place sept ans avant Final Fantasy VII (Playstation 1 – 1997).
L’objectif de cette fanfiction est de romancer le jeu avec fidélité, en suivant son scénario et son cheminement, bien que je me permette quelques libertés pour approfondir certaines relations entre les personnages
Bonne lecture
Prologue
Énergie Mako : résultat de la transformation de l’Énergie Spirituelle (le « sang » de la Planète) en une source exploitable dans le quotidien - notamment l’électricité - par la Shinra Electric Power Compagny. Déjà tout gamin j’admirais la Shinra, des myriades d’étoiles dans les yeux, non seulement pour le confort qu’elle nous apportait grâce à l’Énergie Mako, mais aussi et surtout pour son unité militaire d’élite : le SOLDAT, dont la puissance physique et mentale de ses membres est aujourd’hui reconnue et admirée dans le monde entier. Mais, en devenant moi-même SOLDAT, je ne pensais pas que préserver mon honneur et réaliser mes rêves nécessiterait autant de sacrifices, que je n’étais pas prêt à accepter…
* * *
Sous l’épais océan nébuleux grisâtre - troupeau de nuages acides surplombant les chaînes montagneuses d’immeubles de fer et de béton - les rues de Midgar, labyrinthe indéfinissable, paraissaient étrangement délaissées de ses habitants. Les travaux avancés, complices de nombreux échafaudages et grues, bâtissaient depuis des mois la circonférence métallique à cinquante mètre au-dessus du sol, en la reliant à la terre ferme par des kilomètres d’autoroutes et de voies de chemin de fer. Au centre de cette plaque circulaire silencieuse, illuminé par les puissants projecteurs, l’immense bâtiment de la Shinra Inc. était survolé par un de ses hélicoptères, dont le vrombissement des hélices déchirait le silence. L’engin lancé à pleine puissance poursuivait un train à la vitesse outrancière, qui percuta de plein fouet les barrières de sécurité chargées de le stopper, sans succès.
- Des unités du Wutai ont détourné le Shinra Express MK93 II, signala la voix militaire à travers les enceintes de l’appareil. Le train se dirige vers le secteur 1 de Midgar. Un membre du SOLDAT va être envoyé pour régler la situation.
La Shinra Inc. s’était implantée de force comme le plus gros fournisseur d’énergie au monde. En tant que dictateur aux méthodes musclées, la liste de ses ennemis s’agrandissait chaque jour et l’humanité se divisait en deux camps : ceux qui vouaient un culte à la Shinra et ceux qui la méprisaient, voire, la combattaient. La compagnie n’avait pas tardé à renforcer son service militaire et son groupe d’élite : le SOLDAT - composé d’individus qu’on disait d’avantage proches des Dieux que des Hommes et qui se chargeaient régulièrement des interventions les plus dangereuses, en se hissant aux yeux de la population mondiale comme des héros – faisait régulièrement le ménage dans les groupes d’opposants.
Zack Fair, SOLDAT 2e classe, sentait son sang bouillir et son épiderme se tendre tel du cuir. Cette étrange sensation incohérente, osmose d’excitation et de tension, le grisait, et il dut redoubler de concentration pour ne pas esquisser un sourire à l’écoute du décompte dans les haut-parleurs de l’hélicoptère.
- Nous devons agir comme prévu. Début de la mission dans 3… 2…1, Go ! (Zack s’élança et fit coulisser la porte de l’hélico, faisant s’infiltrer le vent glacé du soir - qui souleva ses cheveux noirs coiffés en pics - dans l’appareil) Début de la mission ! Notre homme est en position.
Le SOLDAT observa le train, chenille nerveuse filant sur les rails, sans qu’à aucun moment ses traits ne reflètent la moindre anxiété parasite. L’idée que le convoi percute à cette vitesse les quais du secteur 1 en entraînant des dégâts matériels, voire humains, considérables, ne l’inquiétait pas car il savait pertinemment que cela n’arriverait pas.
- Le train est envahi par des unités du Wutai, expliqua son mentor, dont la voix mûre et posée indiquait son sérieux et son expérience. Neutralise-les et reprends le contrôle du train.
- Ça marche ! approuva Zack en saluant son supérieur de sa main gantée, le geste trahissant sa faculté à prendre ses missions trop à la légère.
- Un peu de sérieux ! fut-il réprimandé tandis qu’il s’élançait tête la première vers le train dans un plongeon maîtrisé.
Sans son entraînement et ses capacités athlétiques hors du commun qui le firent se réceptionner gracieusement sur le toit métallique, il se serait tué sur le coup. Suite à cette prouesse digne d’un membre du SOLDAT 1ère classe, dont il espérait rejoindre rapidement les troupes, ses lèvres s’incurvèrent dans un sourire élégant, voire vantard, avant qu’il ne se redresse en ayant l’impression de contrôler le monde.
- Zack ! l’interpella Angeal dont la voix froide prévoyait des reproches. (L’intéressé se retourna et aperçut la silhouette imposante de son mentor se réceptionner à son tour sur le train). Zack, concentre-toi ! le sermonna-t-il encore, plus sévèrement.
Angeal Hewley imposait le respect non seulement par sa carrure - une masse de muscles marbrés, gonflés sous son uniforme de Soldat 1ère classe – mais aussi par ses yeux azurés teintés de vert, toujours brillant de dignité et d’un sens de l’honneur conforme à son statut. Ils illuminaient son visage encadré de cheveux bruns et taillé d’un bouc, en adoucissant légèrement ses traits rigides. Par la Déesse ! Bon nombre savaient oh ! combien Zack admirait et tenait Angeal en respect et le considérait comme son modèle, mais, lorsqu’il le dévisageait ainsi, tel un parent qui rappelle son enfant à l’ordre, sa jeune recrue, immanquablement vexée, ne pouvait s’empêcher de prendre la mouche. Il le toisa, se mesurant à son regard impénétrable, contrarié qu’il le prenne ainsi pour un débutant, un gosse inexpérimenté qui s’amusait avec une épée en plastique dans une cour de récréation.
- Il n’y a pas de troupe de la Shinra à bord de ce train, précisa Angeal. Compris ?
Zack n’envisageait pas d’affronter des membres de sa propre compagnie, mais il devait s’y résoudre au risque qu’un moment de doute ne lui coute la vie. Si un ennemi - même revêtu d’un uniforme de milicien - se présentait devant lui, il n’hésiterait pas à le trancher d’un coup d’épée bien placé. Cette pensée lui fit détourner les yeux vers l’énorme arme en acier fixée dans le dos de son mentor, épée aussi longue que large, dont il peinait à imaginer le poids et la force musculaire nécessaire à son maniement.
- C’est bien compris, Zack ? insista Angeal.
Le SOLDAT approuva d’un hochement de tête, ne pouvant manquer de respect à son supérieur, et virevolta. Aussitôt, le masque cireux aux traits tendus et sérieux qui moulait son visage en une expression conforme à ce qu’Angeal voulait voir, tomba pour un sourire impatient et joueur. Zack s’élança, bondissant sur le toit du train en sautant de wagons en wagons ses longues foulées et sa cadence couvrant un maximum de terrain en peu de temps et cela sans que la vitesse et les rafales de vent ne le gênent. Mais, aussi rapide qu’il était, le bruit de sa course alerta rapidement les ennemis qui criblèrent la toiture de balles, en espérant toucher leur cible immédiatement immobilisée. Zack piétina sur place, chanceux d’esquiver de peu les tirs répétés dont les balles traçaient des fils dorés dans l’air. Il tomba à plat ventre, manquant une effusion de sang, tandis qu’une intense odeur de métal chauffé montait du toit métallique percé.
- Sympa, l’accueil, plaisanta-t-il en se redressant.
La reprise de sa course précéda de nouveaux tirs qui ne lui laissèrent aucun moment de répit. Mais Zack s’en amusait, conscient de ses capacités qui le rendait intouchable. Il se rapprocha rapidement de l’avant du train en sautant par-dessus les obstacles, un éternel sourire étirant ses lèvres.
Énervés qu’un seul homme remette en cause leur stratégie militaire, les ennemis - comme prévu vêtus des uniformes bleu marine et des casques de la Shinra qui dissimulaient la moitié supérieure de leur visage – grimpèrent sur le toit pour lui bloquer la route. Combien pouvait-il en avoir ? Dix ? Quinze ? attroupés comme des bêtes sur l’espace exigu du toit, fusils pointés vers leur cible en mouvement.
- Ça va chauffer ! s’excita Zack en dégainant son épée fixée dans son dos.
Heureusement qu’Angeal ne l’entendait pas déblatérer de telles répliques. Cela lui aurait encore valu des sermons sur son attitude « indigne d’un membre SOLDAT ».
En joue.
Feu !
Le capharnaüm des tirs – concert de centaines de machines à écrire en action – explosa aux oreilles de Zack comme si on lui perçait les tympans, et les flashs l’aveuglèrent un instant, réduisant sa vision. Ses repères sensoriels, troublés sur le moment, l’obligèrent à se référer à son instinct pour se défendre, un instinct amplement suffisant pour repousser les balles qui ricochèrent sur l’épée en une myriade d’étincelles. Zack exécuta un simple demi-tour sur lui-même - tactique efficace, aussi bien offensive que défensive - et repoussa la première ligne d’ennemis qui fut éjectée du train.
Un bond.
Slash ! Le coup d’épée se chargea du reste en balayant cinq miliciens d’un geste, dessinant un rictus sur le visage du SOLDAT qui prenait un plaisir fou à exposer sa puissance dévastatrice. Peu importait combien d’ennemis se dressaient devant lui, leurs tirs maladroits ne touchant guère leur cible, Zack les terrassait agilement, semblant danser à travers les balles, et les adversaires basculaient tour à tour du train, leurs cris s’élevant au-delà du charivari des combats. Nul doute que rien ne pouvait immobiliser cet engin de chantier qui repoussait tout ce qui avait l’audace de bloquer sa route. Rien, pas même des explosifs. Les traits de Zack se crispèrent un instant en repérant les lance-roquettes menaçant pointés vers lui à une dizaine de mètres. Décidément, ses miliciens s’avéraient bien barbares et tenaces.
Les roquettes fendirent l’air, laissant une fumée évanescente dans leur sillage, et le SOLDAT n’attendit pas pour s’élever dans les airs, propulsé à la seule force de ses jambes. Il décolla dans les échafaudages, poussé par le souffle des explosions, sous les regards – invisibles, mais qu’il imagina consternés – de ses ennemis qui suivirent sa silhouette planant au-dessus des flammes. Dans les airs, il vrilla afin de se redresser, son épée menaçante s’apprêtant à frapper avec force.
- 2e classe du SOLDAT, Zack, en action ! se présenta-t-il victorieux.
L’épée trancha l’attelage et sépara les trois premiers wagons – délaissés d’ennemis – du reste du train. Les miliciens tranchèrent Zack du regard, observant le SOLDAT rengainer son arme dans une posture triomphante.
- Le train MK93 II est redirigé vers la station du secteur 1, près du réacteur Mako 1, précisa-t-on dans l’hélico. Entamez la deuxième phase de la mission et modifiez le niveau de surveillance.
Dans un crissement provoqué par l’action des freins, le train ralentit jusqu’à s’immobiliser naturellement en gare. Zack bondit sur le quai dans une pose aussi athlétique qu’esthétique, sa silhouette apparaissant dans la lumière blanche des projecteurs, et avança sans que son éternel sourire satisfait ne quitte ses lèvres. « Trop facile ! pensait-il. Angeal, j’espère que tu m’as bien regardé. ».
La lueur nocturne des lampadaires - complice d’une odeur de fer acide dégagée par le train qui semblait transpirer - éclairait les bâtiments d’une lueur jaunâtre, plongeant la gare vide d’ennemi dans une ambiance plutôt sinistre. Les traits de Zack se crispèrent quand le SOLDAT perçut les cris lointains de la population affolée, mêlés à des hurlements bestiaux qui ne pouvait venir que d’un imposant monstre caverneux. Il ne put s’imaginer la bête qui prenait actuellement les rues de Midgar pour son terrain de chasse que son téléphone portable sonna, le sortant de ses songes.
- Zack à l’appareil, décrocha-t-il.
- Ça avance, Zack ? le questionna son mentor.
- Qu’est-ce qui se passe, Angeal ? Pourquoi est-ce qu’on affronte des hommes de la Shinra ?
- Ce sont des guerriers du Wutai, habillés en recrues du SOLDAT.
Le Wutai, région aux croyances et aux principes archaïques, s’opposait depuis des années à la Shinra et à la construction de réacteur Mako sur son territoire. L’entêtement des Wutaïens encourageait la guerre qui s’éternisait depuis trop longtemps aux yeux du Président, lassé de ces hostilités néfastes pour l’image de la compagnie. Ainsi, c’étaient des guerriers du Wutai, vêtus des uniformes de la Shinra que Zack combattait : cela suffit à chasser ses doutes du revers de la main. Plus question d’hésiter une seconde pour rappeler à ses bougres qui était le plus fort.
- Bon, reprit Angeal, dirige-toi vers le secteur du dessus.
- Le secteur 8 ?
- Oui. Mais d’abord, tu vas devoir te frayer un chemin. Sois prudent.
Le jeune SOLDAT comprit à la vue des hordes de Wutaïens qui le chargeaient du bout du quai, à quoi Angeal faisait allusion. Décidément, ces entêtés se multipliaient comme des parasites.
- Je peux foncer dans le tas ? demanda-t-il, amusé.
- N’en fais pas trop quand même.
« Je vais me gêner » sourit-il en raccrochant.
L’excentrisme restait sa spécialité - au grand désarroi de son mentor qui le lui reprochait assez souvent pour l’agacer - et il ne put s’empêcher de le rappeler en exterminant les miliciens comme une tornade qui s’amuse dans un camping. Les préceptes du Wutai interdisaient à leur population l’usage d’arme à feu, ce qui expliquait le minable maniement des fusils de la part des guerriers. Ils n’arrivaient pas à viser et encore moins à toucher le SOLDAT 2e classe. Zack les terrassa de plusieurs coups d’épée agiles sans prendre conscience de la pluie de douilles qui mitraillait ses épaules. Il se redressa au milieu des corps assommés et blessés qui gisaient à ses pieds, et prit un malin plaisir à recontacter Angeal en méprisant leur souffrance.
- Pas mal, le félicita son mentor, un brin sarcastique.
- Fastoche, ouais ! Je serai 1ère classe en moins de deux ! (Angeal ne releva pas et lui ordonna de poursuivre la mission en empruntant les escaliers au bout du quai.) Ça marche, acquiesça Zack.
Le SOLDAT, guidé par les hurlements stridents qui lui glacèrent le sang, gravit les escaliers trois par trois. Il rejoignit le secteur 8 qui ressemblait à une fourmilière affolée par la pluie, car les habitants fuyaient en tous sens en se bousculant, déphasés par la terreur qui moulait leurs visages en masques cireux. Le cœur de Zack manqua une pulsation quand ses yeux croisèrent les gerbes et empreintes carmin qui tachaient la rue, jeu de piste sordide le menant à des corps grièvement blessés, voire sans vie, au milieu de bâtiments partiellement détruits. Les lampadaires, brisés en deux comme des roseaux malmenés par le vent, jonchaient le pavé tandis que des fissures énormes lacéraient les flancs des immeubles aux fenêtres brisées. Le secteur 8 ne ressemblait plus qu’à une tranchée meurtrie par le passage de l’énorme bête, invisible mais détectable par l’odeur bestiale et les dépouilles laissées dans son sillage. Zack étouffa un juron devant tant de barbarie, submergé par la colère qui décuplait sa force et sa vitesse. Peiné de ne pouvoir aider le nombre incalculable de blessés, il arpenta le secteur en suivant l’odeur âcre de plus en plus intense, jusqu’à s’immobiliser au-dessus de la Place de la Fontaine. Pour la première fois depuis le début de la mission, ses yeux brillèrent d’une étrange lueur, reflet de ce que le commun des mortels nommait la « peur ». La gigantesque bête l’accueillit par un cri animal plus puissant qu’un coup de tonnerre, complice d’une haleine aigre qui rappelait celle du sang et de la viande pourrie. Ses yeux dorés dénués de prunelles reflétaient une profonde rage, commune à tous ces grands chasseurs. Et le Béhémot en était un : un grand chasseur. Si l’apprentissage de la faune dangereuse via des ouvrages ennuyeux s’était résumé pour Zack à la lecture en diagonale de quelques pages ouvertes au hasard, la chance avait justement fait qu’une de ces pages abordait le sujet du Béhémot. « L’un des plus grands et puissants carnivores existant au monde » avait lu le SOLDAT avec un sourire nerveux. Il reconnut le corps aux muscles surdimensionnés, gonflés sous un cuir turquin couvert de poils courts. Bien d’aplomb sur ses quatre membres, le monstre retroussait ses babines d’où dégouttait une salive rougeâtre gluante, en dévoilant sa puissante mâchoire aux dents acérées, entre lesquelles pendaient des morceaux de chair. Un seul faible coup de cette mâchoire broierait un homme, mais c’était sans oublier les énormes griffes rétractiles qui lacéraient le pavé, la longue queue dont l’extrémité parsemée de pointes balayait des arbres, voire des immeubles, et les deux cornes noires de part et d’autre de la tête du monstre, dont les crins tangerine aux reflets dorés paraissaient en feu. Chaque partie du corps de cette bête existait pour tuer en un coup, sans compter que certains Béhémot à l’intelligence supérieure utilisaient la magie et des sorts puissants capables d’attaquer à distance. « Je pouvais pas mieux tomber… » ironisa Zack. Le monstre se dressa sur ses postérieurs, s’élevant à plus de quatre mètres au-dessus du sol, avant de se laisser retomber lourdement en faisant vibrer la terre. Profitant du déséquilibre de sa proie qui manqua une chute, il chargea, cornes en avant, propulsé dans une foulée de dix mètres à la seule force de ses membres arrière. Zack esquiva l’attaque d’une roulade latérale et s’immobilisa entre les pattes de la bête, nez à nez avec les griffes aussi épaisses que ses propres bras.
Il dégaina.
L’épée trancha verticalement la chair dans une effusion de sang pourpre, arrachant un cri sauvage au Béhémot qui cambra ses reins sous la douleur. La bête virevolta, sa queue terrassant le pavé dans une gerbe de béton, et Zack s’éloigna dans un enchainement de sauts arrière salutaires. Plus enragé que jamais, le monstre le toisa, ses yeux lumineux n’inspirant que la haine. Sans réfléchir, poussé par la colère, il bondit à nouveau sur sa proie avec pour seul et unique but de la déchiqueter d’un coup de patte. Mais sa blessure réduisait ses mouvements et l’articulation brisée ne put soutenir le poids évident de la bête. Déséquilibré par la douleur, le Béhémot s’effondra sur le flanc, un soupir agonique s’échappant entre ses dents. Une telle opportunité n’échappa pas au SOLDAT qui n’eut aucun scrupule à s’acharner sur l’animal à terre. Le Béhémot hoqueta, incapable de se relever, jusqu’à ce que ses lourdes paupières se referment comme des rideaux, voilant ses yeux dorés maintenant éteints. Zack, dont les jambes lourdes ankylosées semblaient prêtes à lâcher, recula de quelques pas pour contempler le corps gisant de l’énorme bête morte. Cette vision lui arracha un sourire, puis un rire. Il venait de terrasser en un temps record et quelques coups d’épée un Béhémot, et ce en transpirant à peine.
- Et je suis maintenu au rang de 2e classe, dit-il à haute voix en prenant une pose triomphante. Laissez-moi rire.
Un halo de lumière.
Une fine lame fendit l’air et menaça son visage, stoppant son monologue et tranchant sa fierté.
- Tourner le dos à l’ennemi… ricana une voix placide. Ta suffisance te perdra.
« Merde ! jura silencieusement le SOLDAT en levant les mains en signe de soumission. Il sort d’où, celui-là ? Qu’est-ce que j’ai foutu ? »
Etre ainsi attaqué par derrière après une victoire si magistrale était bien la pire chose qui pouvait lui arriver à ce stade de la mission. Résigné, un soupir lassé filant entre ses lèvres, Zack se retourna face à l’ennemi.
Un choc !
« Hein ? »
Ses yeux exorbités suivirent la longue lame parcourue par un halo éblouissant jusqu’à la main gantée de son manieur. Ils remontèrent vers le torse, deux plaques à la peau de porcelaine, serrées par deux lanières de cuir croisées et balayées par de longs cheveux argentés, avant de s’immobiliser dans les yeux émeraude fendus de prunelles félines.
Sephiroth.
Le Grand Sephiroth.
Le héros du SOLDAT qui ne trouvait encore nul égal et dont les médias vantaient sans arrêt les prouesses militaires. Il se tenait là, devant lui, ses lèvres incurvées dans un rictus et sa Masamune prête à l’égorger après une légère rotation du poignet.
Un frisson secoua l’échine de Zack qui ne put détacher ses yeux de ceux du SOLDAT 1ère classe. L’expression de Sephiroth reflétait un calme sage et une froide élégance, comme ces pierres précieuses qui ne peuvent ternir face à la violence des intempéries. La perfection de l’argenté s’étendait jusqu’au physique, déclenchant chez Zack une vague d’admiration ponctuée de jalousie.
- Qu’est-ce qui se passe ? questionna Zack qui ne saisissait pas l’acrimonie de son collègue.
Il pensait à une mise en garde, ou simplement une manière déstabilisante de surligner son erreur et son manque de vigilance, mais Sephiroth ne plaisantait pas. Il l’attaqua, sa Masamune ricochant sur sa propre épée pour le forcer à dégainer. S’en suivirent cinq coups puissants d’une vélocité sans pareille, que Zack eut tout le mal du monde à contrer. Les épées se percutèrent en une myriade d’étincelles, arrachant à chaque choc un cri au SOLDAT 2e classe qui sentait son corps vibrer, secoué par la force des coups dont la puissance déferlait jusqu’à ses os. Il n’eut aucune opportunité de riposte, si tant est qu’on puisse riposter face à un tel assaut. La Masamune mesurait près de trois mètres et tout manieur d’épée qui se respectait savait que, plus une lame était longue, plus cela laissait d’ouverture à l’ennemi pour attaquer. Mais encore fallait-il que Sephiroth laisse une telle chose possible. Malgré la longueur de sa lame, il maniait celle-ci avec une telle maîtrise et une telle vitesse que Zack - trop préoccupé à bloquer ses propres ouvertures - ne put à aucun moment repérer une opportunité de contre-attaque. Il bloqua l’épée de Sephiroth à quelques centimètres de son visage et résista de toutes ses forces pour ne pas céder, les deux lames vibrants l’une contre l’autre tels deux corps qui s’étreignent.
- Merde ! jura Zack pour étouffer un cri de douleur. T’es pas le seul héros, tu sais !
Même à deux mains il avait toutes les peines du monde à résister à la puissance de Sephiroth, qui n’usait sans doute que de vingt pourcent de ses capacités, au point qu’il pourrait le repousser d’une pichenette si l’envie lui disait. « Alors c’est ça… admira Zack, la force d’un SOLDAT 1ère classe ? Non… la force d’un héros ? »
- C’est fini, déclara Sephiroth en accentuant la pression.
Zack gémit tandis qu’une sueur glacée coulait sur sa nuque. Il ne tiendrait pas plus longtemps et l’argenté en profita.
Slash !
D’une simple rotation du poignet, la Masamune brisa l’épée adverse et propulsa Zack en arrière. Le jeune homme s’effondra sur le dos dans un cri, les morceaux de sa lame ricochant sur le pavé pour s’immobiliser loin de lui. A cet instant, réduit à l’état de bête blessée incapable de se relever, il se maudit d’avoir été si naïf et prétentieux. Il hoqueta tandis que ses yeux, voilés par un brouillard soudain, peinaient à distinguer distinctement la silhouette de Sephiroth qui le regardait de haut. La pointe de la Masamune, espiègle et sadique, s’amusa à effleurer son visage en glissant sous les mèches noires, avant de descendre vers le buste. Elle suivit les courbes de la poitrine qui gonflait et s’affaissait douloureusement au rythme d’une respiration saccadée, et s’immobilisa au-dessus du nombril. Même déphasé comme il l’était, Zack savait que si la lame pénétrait sa chair à cet endroit, elle percerait son estomac en réduisant ses chances de survie à zéro. Mais Sephiroth était-il une brute au point de l’achever ainsi à terre, sans scrupule ? Zack ne le pensait pas, ou du moins, il s’en persuadait jusqu’à ce que la lame recule pour prendre de l’élan. Il hurla. Un simple réflexe de surprise et de terreur à l’idée de mourir ici, comme ça, pour une simple bêtise. Il s’apprêta à sentir la Masamune pénétrer en lui pour déchiqueter sa chair et ses organes, et il s’imagina l’ignoble souffrance que ce baiser sanglant procurerait. Un baiser vif et acide, symbole de la l’impitoyable grâce dont Sephiroth faisait preuve au combat, au point que mourir de ses mains devenait honorifique. Mais, étrangement, il n’en fit rien. Zack rouvrit les yeux, ce simple geste lui arrachant un gémissement, et observa la Masamune bloquée à un mètre de son corps. Sa vue s’éclaircit lentement, dévoilant Angeal et ses traits contrariés. Accroupi au-dessus de son disciple, le SOLDAT 1ère classe retenait la Masamune à l’aide du morceau d’épée promptement ramassé. Il dévisageait Zack avec une telle animosité dans ses yeux verts, que le jeune SOLDAT ne put distinguer la légère inquiétude nichée au fond de ses prunelles. Angeal repoussa lentement la Masamune qui se retira, Sephiroth ne tentant étrangement rien à l’encontre son collègue.
- Merci, Angeal, le remercia Zack en se redressant légèrement, la présence de son mentor suffisant à le faire sourire de nouveau.
Angeal se releva et dévisagea Sephiroth qui, aussi droit et immobile qu’une poupée, fixait le vide, toute lueur combative ayant quitté son regard. D’un geste agacé, voire déçu, il saisit son téléphone portable et pressa quelques touches jusqu’à valider certaines options. Aussitôt, l’ensemble du secteur 8 se désagrégea en une nuée de pixels et Sephiroth lui-même disparut, réduit à une pyramide de petits cubes qui s’effondre. Au centre de la salle vide - délimitée par des murs et un plafond métallique - ayant pour rare source d’éclairage les plaques lumineuse au sol, Angeal soupira.
- L’entrainement est terminé, annonça-t-il froidement à Zack.
L’intéressé, exacerbé face à une telle déclaration, bondit sur ses pieds.
- Mais pourquoi ? (Son casque de réalité virtuelle afficha « Mission Abort » tandis qu’Angeal le menaçait de son épée brisée en signe d’explication.) T’es sérieux ?
Il se débarrassa nerveusement du casque de simulation et le jeta par terre, Angeal faisant immédiatement une moue outrée devant un tel traitement.
- C’était juste l’échauffement, se défendit Zack.
L’entêtement de son disciple amusa Angeal qui, pour la première fois depuis le début de l’entraînement, sourit. Il lui présenta son épée et Zack s’en saisit pour juger lui-même de son état. Réalité virtuelle ou pas, la lame était foutue, finement tranchée en deux, et maintenant inutilisable. Le jeune homme soupira, déçu et honteux : cet entrainement était un échec sur toute la ligne. « Mince ! J’ai merdé à mort et Angeal m’en veut » s’admonesta-t-il, silencieux.
- Zack, l’interpella Angeal en s’apprêtant à quitter la salle, vis tes rêves.
Zack, dubitatif, ne comprenait pas où son mentor voulait en venir. Angeal faisait toujours preuve d’un certain mystère dans ses propos, propre à son caractère distant et réservé.
- Hein ?
- Si tu veux devenir un héros, reprit Angeal, tu dois avoir des rêves… et le sens de l’honneur !
Sur ces mots, il franchit les portes coulissantes qui s’ouvrirent automatiquement à son avancée. Zack l’observa s’en aller, les yeux rivés sur la gigantesque épée attachée à son dos, ce dos qui, à ce moment-là, lui fit comprendre à quel point, le sien était encore petit.