La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 15 : La fin des Lunes d'Argent

10986 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/11/2024 10:06

Chapitre 15: La fin des Lunes d’Argent




Pendant deux jours, alors que Warda regroupait les victuailles et les affaires essentielles pour le voyage des chamanes, le soleil touchait l’horizon. Jaron et Mélane vinrent à sa rencontre.

_ Voilà, dit le grand loup gris. Nous avons des fourrures pour les femmes et assez de viandes pour tenir jusqu’à la colline de Tërn. En rationnant la nourriture et en marchant cinquante kilomètres par jour, nous devrions pouvoir traverser la frontière de Sintraë et nous serons enfin à l’abri.

_Espérons qu’ils ne nous rattraperont pas, répondit l’elfe noir en enfonçant un manteau de fourrure dans son sac. 

Warda sentait l’importance de son rôle dans l’exode de la tribu. Mais il ne pouvait s’empêcher de vouloir sauver également Carnassus, Rassoun et tous ceux qui allaient combattre. Seulement, il le savait, ils n’y avaient pas d’autres choix. Ces croisés, pourquoi s’acharnaient-ils sur lui depuis sa naissance ? N’auraient-ils jamais la paix ? Il installa ses affaires sur le dos du grand loup juste avant qu’une chamane arrive.

_ Carnassus te demande guerrier sombre. Il t’attend sur le rocher là-bas.

_ Merci.

L’elfe noir alla jusqu’au vieil homme qui fumait encore. Son regard tombait sur le soleil d’or qui s’enfonçait davantage dans la terre jusqu’à quasiment disparaître.

_ Warddan, j’ai quelque chose d’important à te dire.

Il détacha une plume bleu aux reflets émeraude de sa lance et la donna à Warda.

_Je veux que tu prennes ceci. C’était la plume d’un oiseau que j’avais tué juste avant de partir à la Guerre des Flammes. J’ai réussi à la conserver pendant toutes ces années, et sans elle, j’aurais oublié maintes choses. Je voudrais que tu la garde, pour que tu ne m’oublie pas. Et si je meurs ce soir, je voudrais que tu conduises Rassoun en sécurité. 

_Ne voulait-elle pas se battre à tes côtés ?

Le vieillard sourit en soufflant un nuage de tabac. Tout en s’appuyant sur son bâton pour se relever, il tapa sur l’épaule de l’elfe.

_Je sais que c’est égoïste de ma part mais je voudrais qu’elle vive. Si je venais à mourir, je sais qu’elle ne tardera pas elle non plus à périr, mais je voudrais qu’elle profite encore un petit peu de la vie. 

Warda baissa les yeux, il sentais la chaleur du vieux noir, il aurait aimé qu’il n’ait jamais à lui demander ça.

_Je suis désolé Warddan, mais promet moi que tu la protégeras.

_Je le jure, je la protégerai.

Les derniers rayons disparurent, les nuages rosis jusqu’ici devinrent sombres, invisibles dans un ciel noir. Les chamanes et les loups descendaient vers les pieds de la montagne, et le sage saisit son arme. Les yeux rivés sur la plaine, il cherchait les ennemis. Warda s’apprêta à rejoindre le groupe quand soudain, un jeune fille tomba en hurlant. Là où le soleil était mort quelques instants plus tôt était apparu la lune, blanche et morte. L’elfe noir accouru jusqu’à la jeune femme, qui avait une flèche plantée dans le tibias. Il eut juste le temps d’ordonner de se coucher aux chamanes qu’une pluie d’invisibles épines tomba. Certaines d’entre-elles évitèrent de justesse, d’autres furent touchées sans avoir eu le temps de réagir. Les loups encaissèrent le plus gros des tirs, et tout en plongeant dans le gouffre de la mort, ils hurlèrent un ultime coup. Jaron qui s’était mit en bouclier vivant pour protéger Mélane reçut trois flèches dans le flanc. Carnassus sauta et ordonna d’une voix forte:

_ Courez ! Courez ! C’est votre seule chance !

Cinq chamanes et leurs loups vinrent à ses côtés, et Rassoun prit sur son dos le vieillard qui brandissait sa lance.

_ Fuyez ! Le combat a commencé, et vous n’avez aucune chance ! Fuyez !

Warda aida tant bien que mal la femme à la cheville blessée à se relever. Il accouru jusqu’à un rocher où il l’abrita. Il dégaina Algazalm et rejoignis la tête du groupe. Mélane qui soutenait une vieille chamane leva sa tête vers l’elfe noir. 

_ Ils sont arrivés trop vite ! Nous allons mourir !

_Non Mélane ! Répondit Warda. Je ne laisserai pas nous tuer !

Il entendit une voix crier un ordre en bas, et des hommes en armure d’or sortirent des ténèbres pour charger, les épées étincelantes à la lumière lunaire. Carnassus chargea avec la mère Louve et empala un soldat de l’Ordre avec sa lance. Deux autres levèrent leur piques vers la louve. Une chamanes aux cheveux rouges et aux tatouages de flammes leva sa main et une vague éblouissante emporta les croisés dans une fournaise ardente d’où émanait des cris torturés. Un soldat qui était tombé au sol se fit broyer la tête entre les crocs d’un loup géant. Une femme aux allures de guerrière aux tatouages en forme de corbeaux frappa un homme avec une lance qui le traversa. Carnassus fit tournoyer son bâton et fracassa le crâne à un autre adversaire. Pendant la terrible bataille qui se déroulait en aval, Warda et les autres chamanes prenaient la tangente. Une nouvelle volée leur tomba dessus, le guerrier sombre leva son épée qui fit rebondir deux flèches sur ses flancs. Les autres moins protégées moururent, les plus habiles réussirent à éviter ou à se cacher. Tout en aidant Mélane à se relever, le guerrier sombre l’emmena en courant, terrifié de la mort qui les entourait. Un peu plus loin, des arbres pourraient les protéger en partie des flèches, et à l’abri il pourrait réfléchir à un moyen de s’échapper de ce piège mortel. Une chamane au milieu de la bataille hurla à Warda:

_ Attention, derrière toi !

Deux croisés armés d'arbalètes tirèrent, et un loup mourut avec un carreau planté entre les yeux. Ses compagnons hurlèrent de peur et de colère. Trois hommes armés d’épées sortirent des buissons et chargèrent le guerrier sombre. Warda esquiva une attaque et en para une autre. Le troisième se fit écraser par Granland qui lui arracha un bras. Après avoir reculé d’un pas pour éviter la lame d’un croisé, Warda empoigna son arme à deux main et coupa la tête de son assaillant au niveau des yeux. La cervelle dégoulinait sur Algazalm avant qu’elle ne goutte aux tripes du guerrier en or qui hoqueta avant de mourir. Un croisé de grande carrure tira vers Jaron mais le carreau ne fit qu’érafler la peau de l’animal. Le grand loup noir plongea sur celui qui avait voulu faire du mal à son frère et lui arracha le bras droit. L’homme suppliait et hurlait comme un enfant, mais n’éprouvant aucune pitié, Granland lui dévora les boyaux. Un vieux soldat leva son arbalète, apeuré. Son hésitation lui coûta la vie car Jaron lui engloutit la tête. Deux freluquets apparurent armés de lance, l’un d’eux s’élança vers Jaron, mais une épée aux dimensions disproportionnées décapita l’un des jumeaux et le second fut aveuglé par le sang. Lorsqu’il s’essuya les yeux, il les écarquillait en bégayant:

_Un dédé... Un dédé... Un démon !

Warda se dressait devant lui, le visage recouvert d’un liquide chaud et rouge, Algazalm avait prit une teinte pourpre au rayons de la lune. Son regard empli de haine brillait d’une flamme malveillante, l’impulsion meurtrière lui parcourait toutes les veines de son corps. D’un coup puissant, il lui trancha la cage thoracique en déchiquetant tous les organes sur le passage. Des éclats d’os volèrent en tout sens, mêlés au sang et aux morceaux de cœur et de poumons. La victime lâcha un ultime soupir étouffé et rejoignit son jumeau dans l’au-delà. Un soldat en armure d’or tenta de les venger en empalant l’elfe noir, qui se décala légèrement sur la gauche avant de frapper du pied au niveau du bassin. Le guerrier de l’ordre recula quelque peu et dressa son bouclier pour parer l’épée géante qui le fracassa. Le croisé désespéré leva son glaive mais l’arme de Warda le trancha sans rencontrer de résistance. 


La chaire délivra le sang retenu prisonnier dans ses veines, et le regard vide du cadavre frais fixait le ciel. Les trois derniers croisés de l’Ordre virent le massacre et préférèrent prendre la fuite. Les chamanes et les loups réussir à pénétrer les bois, à couvert des archers en contrebas. Caché derrière un arbre, l’elfe noir regardait la bataille entre la Croisade de l’Ordre contre Carnassus.


Galro voyait que tout allait au plus mal. Contrairement à ce qu’il avait prévu, les femmes leurs résistaient avec les loups, et déjà trop d’entre-elles furent tuées. Les forces guidées par Tilbar devaient lutter contre cinq femmes et leur montures géantes, et un vieil homme noir. Sur un loup encore plus grand que tous les autres, il déchaînait la fureur de sa lance sur les soldats de l’Ordre. Et le plus gros de la meute s’était mis à l’abri de ses archers. Il fallait qu’il les déniche de force. Il ordonna à un escadron de charger les bois. L’homme sans nom rejoignit le groupe des archers qui prendraient par revers l’ennemi. Il envoya également quelques renforts à Tilbar pour l’aider à affronter l'homme noir. Un monstre géant en fourrure sauta à la gorge d’un croisé, puis lui brisa la nuque avant d’arracher la tête définitivement. Tilbar et ses hommes l’encerclèrent avec des armes d’hasts, l’immobilisant. La bête tenta une sortie, mais trois hommes lui plantèrent les pointes d’acier dans la cage thoracique. Le loup tomba de tout son poids sur le flanc, et la femme dégringola. Sans perdre un instant, Tilbar sorti sa hache et la planta dans le cervelet. Un soldat plaqua la femme au sol. Une autre créature voulut broyer un soldat de la lumière, mais deux flèches se plantèrent dans sa gueule qui se mit à saigner abondamment. Un croisé de l’Ordre lui monta sur la croupe et lui planta sa lame dans la nuque. La monstruosité fut secouée un bref instant par un spasme puis s’effondra. Formant une barrière infranchissable avec leurs lances, les hommes de Galro repoussaient les féroces créatures pour permettre aux épéistes de les atteindre pour leur donner le coup de grâce. Un guerrier recouvert de sang et la peur imprimée sur le visage vint à la rencontre de Galro, puis il se mit à donner son rapport.

_Tous les hommes de notre poste sont morts ! Plusieurs de nos camarades sont tombés sous la lame d’un démon !

_Un démon ?! S’écria Galro qui craignait le pire. 

_ Oui, je l’ai vu de mes propres yeux ! Il portait une épée gigantesque et son armure sombre était recouvert du sang de nos hommes !

Lorsque le chevalier de l’Ordre entendit la description, il se revit son père dans son cercueil. Il sentit la haine monter en lui, mais en même temps il ressentait la terreur. Si le monstre qui avait tué son père auparavant était parmi ces loups, ils n’avaient aucune chance. Il saisit son épée et dit d’une voix solennel:

_ Hommes de la cinquième escouade, suivez moi !

Une trentaine d’hommes escortèrent le paladin qui gravissait la pente. Tandis qu’il montait, il ne pensait qu’au meurtrier qui envahissait ses cauchemars. Soudains, un homme au teint noir lui barra la route, sur son destrier aux dents acérées. 

_ Renonce ! Ordonna le vieillard.

_ Abattez cet homme ! Fit Tilbar.

Une volée de carreaux sifflèrent vers l’homme noir qui se reçu trois dans le torse et un dans la gorge. Le loup transpercé de toute part chancela mais retrouva rapidement son équilibre. Alors que Galro s’attendait à voir l’homme noir tomber, il arracha en grognant chacun des carreaux et les plaies disparaissaient une à une. Il se tourna vers le chevalier à l’armure blanche et dit:

_Les esprits me protègent, vous ne pouvez me tuer avec vos armes !

Le loup noir ouvrit la gueule et une gerbe de flammes avalèrent les arbalétriers qui se mirent à courir en tout sens. Les tatouages du vieux noir se mirent à briller et il récita une brève incantation. « Une invocation ! » pensa Galro en voyant des hommes en pierre blanche apparaître en sortant du sol. Leur allure grotesque les rendait d’autant plus effrayants, et la lenteur de leurs pas donnaient l’impression d’être irréels. Un soldat de l’ordre transperça de part et d’autre un nouvel adversaire, mais celui-ci ne réagit pas. Il attrapa le bras de son agresseur et lui arracha avec un moindre effort. Tilbar frappa la tête d’un homme de calcaire de toutes ses forces, et la tête roula par terre. Sur ce qui ressemblait à un visage, se dessina un rictus de colère et le corps décapité renversa le général puis se mit à lui écraser la jambe. 

_Tilbar ! 

Galro vint à son secours en tranchant la cuisse du monstre blanc qui chancela avant de tomber. Il tendit sa main et une boule de feu bleu se forma dans sa main.

_Trëndal !*

Des doigts du paladin fusa des éclairs blancs qui frappèrent le golem qui fut réduit en poussière. Lorsque le chevalier de l’Église se retourna, il para le coup de poing d’un autre adversaire blanc. Il recula de deux pas et frappa au niveau de l’épaule gauche, mais sa lame ne se planta qu’à peine. Il leva de nouveau son épée, feinta et frappa de nouveau. Bloquant avec sa main, l’homme de pierre saisit l’acier et tenta de désarmer le paladin. Une hache ornée d’un phénix doré sectionna le bras. Ne semblant pas comprendre ce qui s’était passé, la créature diabolique se retourna vers Tilbar qui planta son arme dans le visage. 

_Tu vas crever saloperie ! Hurla-t-il tout en dégageant sa hache.

Il le poussa avec son pied et il lui entama sévèrement le second bras. Le golem saisit Tilbar à la gorge, et de toutes ses forces, Galro frappa l’avant bras de celui-ci avec le membre qui fut sectionné plus tôt. Les gros doigts blancs s’écartèrent et Tilbar reprit son souffle. Le golem regarda de ses yeux absents le paladin avec un air indifférent lorsqu’il se reçu un coup d’épée dans le thorax qui lui fit perdre l’équilibre et il tomba dans un petit ravin derrière lui. Galro entendit son corps exploser sur les rochers en contrebas. Le vieillard monta sur la colline tout en menaçant les croisés en brandissant sa lance en l’air. Son loup hurla et une aura de magilith se forma autour de lui. Il s’apprêtait à lancer un sort.

_ Dégagez ! Ordonna Galro à ses hommes.

Soudain, l’aura disparu et une violente bourrasque frappa de plein fouet trois soldats qui furent expulsés dans les airs. Lorsqu’ils retombèrent leurs os se fracassèrent et ils moururent instantanément. Lorsque le paladin se releva, ils avaient disparu. Le chef a dû monter jusqu’aux cavernes. Trois êtres de pierres marchaient encore, criblés de flèches. Peu importait les projectiles qu’ils se recevaient, ils avançaient encore et encore vers les archers menacés. 

_ Démembrez les ! Ordonna Tilbar. C’est le seul moyen de s’en débarrasser !

Il courut jusqu’au monstre le plus proche et lui sectionna une jambe. Le démon blanc se renversa et se mit à ramper avec ses bras. Trois hommes armés d’hasts l’encerclèrent et l’empalèrent. Immobilisé, le golem ne représentait plus un danger. Galro trancha le poignet d’un autre homme en pierre. Le monstre le frappa dans le ventre avec son poing restant. Le paladin eut l’impression qu’un bélier de guerre lui avait écrasé l’estomac. Son ennemi l’attrapa, le souleva au-dessus de sa tête puis le jeta sur un soldat. La créature marcha vers le paladin, puis, soudainement, un rocher dégringola en amont et l’écrasa. Lorsque Galro regarda au-dessus de lui, il vit le chasseur encapuchonné. Il avait un rictus sur le visage et disparu dans la nuit.


Alors que le Golem se relevait, Galro ramassa une arbalète abandonnée et tira entre les yeux. L’homme blanc grimaça et ramassa une pierre qu’il envoya sur la paladin. Il esquiva en se jetant sur le côté, mais un autre homme posté derrière lui se fit perforer le cœur puis il se mit à vomir son sang. Tilbar et un autre soldat lui envoyèrent des javelots dans les genoux ce qui le déséquilibra et l’affreuse créature de calcaire dévala toute la montagne en se réduisant en petit morceaux. Quand Galro se retourna, il vit les hommes s’acharner sur le dernier golem qui tomba à son tour en miettes. Tilbar saisi Galro encore en état de choc par l’épaule et lui dit:

_ Il nous reste un dernier salopard là-haut. M’aiderais-tu à le trucider ?

Le paladin encore tout tremblant d’adrénaline se releva, essuyant ses larmes de terreur et répondit finalement.

_ D’accord, allons trucider ce salopard !


Warda regardait attentivement les alentours. Le combat semblait s’être calmé. Est-ce que Carnassus se serait replié dans les hauteurs pour détourner l’attention des croisés de l’Ordre ? Un groupe suivait le chevalier blanc et un homme armé d’une hache d’arme. Mais la majorité des croisés encerclaient le bois dans lequel ils s’étaient abrités. Les arbres étaient petits, regroupés et le feuillage était un bon camouflage. Mais s' ils restaient ici, les soldats les captureraient ou les massacreraient de toute manière. Le guerrier sombre ignorait le nombre de survivants qui l’avaient suivi, mais il savait qu’ils ne feraient pas le poids. D’une manière ou d’une autre, ils devaient organiser une sortie. À une dizaine de mètres de lui, Mélane retirait les flèches à son compagnon qui gémissait de douleur. Il voyait également deux autres chamanes et trois loups. Il lança à Mélane:

_ Combien sommes-nous ?

_ Environs une douzaine, répondit-elle.

_Tous les autres n’ont pas réussi à nous suivre, rajouta Jaron. Beaucoup sont morts et les survivants sont trop gravement blessés pour s’échapper. 

« Bon sang ! » S’écria intérieurement Warda. Il n’avait pas su les protéger. Et s' ils devaient de nouveau se battre, il ignorait encore combien de chamanes ou de loups seraient tués. Il pouvait peut-être faire une diversion pendant que les autres s’échapperaient, mais il savait qu’il ne tiendrait pas assez longtemps. Peut-être pouvaient-ils compter sur la carrure imposante des loups pour faire un passage en force. Mais dans ce cas là, la plupart mouraient et une minorité pourrait espérer distancer les croisés. Soit il faudrait un miracle. 


Le Maître était en danger, ces maudits humains lui voulaient du mal. Tandis que son Maître risquait sa vie pour protéger ces loups, Lui, restait recroquevillé dans son coin, terrifié par les épées qui s’entrechoquaient et le sang qui coulait à flots. Il était le Serviteur, c’était son devoir de protéger le Maître, Il l’avait promis. Pendant trop longtemps Il était resté en retrait, inutile, incapable d’agir. Il priait pour que les hommes se lassent de son Maître et repartent d’où ils étaient venus. Mais Il savait que les choses ne se passeraient pas ainsi. Les humains sont têtus, haineux et capricieux. Jamais ils ne renonceraient. La lune n'était pas complète, elle avait presque atteint son zénith. Il avait généralement besoin qu'elle soit entière généralement, mais Sa peur pouvait être aussi un élément déclencheur. Il serait sous l’Emprise. Ses marques commençaient à scintiller d’une lumière rouge, bientôt Il ne se contrôlerait plus et tuerait, tuerait et tuerait encore et encore jusqu’à être inondé de sang. Soudains, dans sa tête restée trop longtemps inactive, une idée lui vint. Mais oui ! Puisse qu’en état normal Il était incapable d’aider le Maître, pourquoi ne l’aiderait-il pas sous l’Emprise ? Il fallait faire vite, Il sentait son sang bouillonner de rage. Il saisit son cimeterre rouillé et alla accomplir son devoir envers le Maître.


Un hurlement sauvage retentit, comme une plainte remplie de souffrance et de colère. En aval, une bataille nouvelle venait d’éclater. Warda regardait et dans l’obscurité, il vit au loin une silhouette à peine habillée recouvert de signes brillant d’un rouge ardent. Elle rugissait et trucidait comme un véritable démon sorti d’un cauchemar. Nouvelle menace ou allié ? Warda ne saurait le dire, mais il fallait profiter de l’occasion. 

_ Suivez-moi ! 

La horde sortit des bois et descendit la montagne aussi vite que leurs jambes ou leurs pattes le permettaient. Sur leurs flancs commencèrent à voler flèches et carreaux. L’elfe noir entendait le sifflement suraigu des projectiles qui le frôlaient. Ne voyant que la prochaine butée où se cacher, il évitait les obstacles et les reflets d’argents qui couraient devant et derrière lui. Il n’entendit pas les deux loups mourir sous les tirs, ni la chamane hurlait quand sa jambe fut touchée. Seul résonnait un profond tambour douloureux dans ses tympans. Il repoussa deux carreaux avec son épée, mais ne vit pas la flèche qui le toucha à l’épaule. Il chancela et tomba, puis il entendit deux flèches siffler au-dessus de sa tête. Il se releva maladroitement tout en se tenant la blessure. Les cris terrifiants ne cessaient pas, le monstre noir qui massacrait les croisés semblait être le seul à jouir de ce carnage. Warda dû s’arrêter pour éviter une flèche, mais un carreau le toucha à la jambe gauche. Il tomba à genoux, et derrière un rocher, il vit une arbalète dirigée vers sa tête. Le projectile parti brusquement et vola vers le guerrier sombre. Puis, un manteau de lumière bloqua les tirs mortels. Warda leva les yeux et vit Mélane et ses tatouages luminescents. 

_ Fuis !

Elle formait une bulle protectrice autour des loups et des chamanes. 

_ Mélane !

Des perles de sueur coulaient sur son visage et tout son corps. Elle utilisait toutes ses réserves. De ses mains sortait une vive lumière d’argent, qui dispersait et solidifiait les rayons de la lune. Ses cheveux bouclés étaient soulevés par une force surnaturelle. Les marques de griffes sur ses hanches brillaient d’un éclat pourpre. Ses yeux se métamorphosèrent en celui d’un loup. Des crocs dépassaient de sa mâchoire. Ses ongles devenaient griffes et une horrible grimace se dessinait sur son visage. Jaron hurlait:

_ Mélane ! Arrête ! Tu vas te tuer !

_ Courez ! Je ne tiendrais pas longtemps !

Un liquide argenté commençait par couler de son nez, mélangé à du sang. Le groupe de fugitifs reprirent la poudre d’escampette. Sautant par dessus les rochers et les végétations, Warda était en tête avec Jaron. Le paysage semblait passer si vite, seul le pied de la montagne avait de l’importance dans les yeux de l’elfe noir. Quand ils furent hors de portée, Warda se retourna. Mélane atteignait ses ultimes limites. Le liquide sortait maintenant par ses yeux, ses oreilles et sa bouche. Puis, elle commença à se cristalliser, et la jeune femme fini par tomber, un rictus de douleur sur son visage. Les rayons lunaires furent libérés, un éclat bleuté sorti du corps de Mélane et son avatar regardait Jaron. Le grand loup écarquilla les yeux et hurla.

_ Mélane ! Non ! Je t’en supplie ! Non !

L’aura était d’une beauté incroyable, et une seule phrase sortait de ses lèvres.

_ Je t’aime.

Puis, la création éphémère disparut et l’obscurité régna de nouveau. Les hommes se mirent de nouveau à beugler des ordres, ils sortirent de leurs cachettes et accoururent vers les dernières chamanes. Le guerrier noir prit Jaron qui était encore sous le choc par la croupe et lui dit:

_ Dépêchons-nous, que son sacrifice ne soit pas vain. 

Jaron gémit et incita Warda à lui monter sur le dos. Bien qu’il fut blessé, il courait plus vite que Warda qui titubait. Les soldats qui les coursaient furent stoppés par une grande masse noire, et l’elfe le reconnu.

_ Granland !

_ Fuis demi-portion !

Il claqua des mâchoire et déchiqueta un croisé sans état d’âme. Jaron repris sa course effrénée pendant que son frère affrontait seul les hommes du Phénix vengeur. 


Galro et ses hommes atteignirent enfin les cavernes où l’homme noir se cachait. Ils explorèrent diverses grottes où ils trouvèrent des peintures rupestres, des fourrures entassées et des os d’animaux dévorés. Tout en restant sur leurs gardes, ils fouillaient le moindre recoin pour trouver un passage secret comme une ouverture derrière une peau tannée ou une trappe improvisée. Ces femmes vivaient comme des sauvages, le Grand Prophète avait raison de vouloir les ramener sur la voie de la religion. Après des recherches infructueuses, Tilbar vint voir le paladin et donna son rapport.

_ Tous ces trous sont vides, il ne reste plus qu’une tanière. C’est le seul endroit où il peut être !

_ Alors rappel nos hommes. Il ne faut pas lui laisser la moindre chance.

_ À vos ordres paladin Galro. Soldats, regroupement ! 

Les croisés de l’Ordre se mirent au garde à vous, en ligne, et attendaient les prochaines instructions. Le chevalier blanc les regardait droit dans les yeux. Les armures autrefois dorées étaient devenues sales, couvertes de sang et de terre. 

_ Suivez moi, ordonna t-il. Massacrons ce vieillard, vengez nos frères d’armes !

Tous les hommes brandirent leurs armes en hurlant. Le paladin prit la tête, suivi par le général et les guerriers de l’Église. La dernière antre était plongée dans l’obscurité, mais c’était un endroit idéal pour se cacher. Des crânes de chèvres étaient postés à l’entrée, ornés de plumes de rapaces et de touffes de poils. Tilbar saisit un de ces trophées et l’écrasa avec son pied. Les morceaux s’éparpillèrent et le squelette fut méconnaissable. 

_En avant, beugla t-il à ses hommes.

Lorsqu’ils entrèrent dans la grotte, durant quelques instants ils furent plongés dans l’obscurité totale. Puis, au bout d’une minute, une torche s’alluma au fond. À côté se tenait le vieillard, il allumait une deuxième puis une troisième. Il les jeta de part et d’autre de sa caverne. Derrière lui, des bâtons  ornés de gris-gris et de plumes bleues se dressaient. Il caressa l’un d’entre eux et médita quelques secondes. Tilbar l’interrompit en dressant sa hache et en demandant:

_ Où est ton cabot ?

_Ma compagne est partie pour aider le jeune elfe noir. Elle ne pouvait pas m’aider dans un endroit aussi étroit. Mais dites-moi, je croyais que dans votre culture vous deviez traiter vos aînés avec respect. Vous n’allez pas vous en prendre à un vieil homme comme moi ?

Lorsqu’il finit sa phrase, un grand sourire se dessina sur ses lèvres. Dans l’âtre du feu, ses cheveux grisonnants prenaient une teinte dorée. Galro brandit son épée et récita cette phrase maintes fois répétée lorsqu’il était en formation sous l’aile du paladin. 

_Au nom de la loi d’Etale, vous qui aviez causé tord à notre foi envers le Grand Phénix et le Tout-puissant, par ordre de sa sainteté le Grand Prophète, vous êtes en état d’arrestation. Si vous résistez, vous serez exécuté ici même, et aucune funéraille ne vous sera offertes.

Le vieux noir se mit à rire en entendant le discours grandiloquent du chevalier blanc. Il se leva en saisissant sa lance et répondit sur le même ton que quelques instants plus tôt.

_ Vous n’aviez pas l’intention de m’arrêter je suppose. 

_ Comment pouviez-vous en être sûr, l’Église accepterait votre rédemption si vous acceptiez votre châtiment.

_Cela se lit dans vos yeux, guerrier blanc. Vous me haïssez, vous vouliez me tuer.

Les tatouages sur sa peau se mirent à briller et le vieil homme récita son invocation. Trois hommes de calcaire apparurent à ses côtés. Leurs visages sans forme fixaient le paladin. Le noir fit tourner sa lance au-dessus de lui et la brandit en prenant une posture de combat inhabituelle. D’un air menaçant, mais à la fois calme, il dit lentement.

_ Malheureusement pour vous, je ne suis pas assez fou pour me laisser tuer par des gringalets de votre carrure. Je me suis battu contre des dragons durant La Guerre des Flammes. Ce n’est pas une bande de brigands qui me fera défaut.

Galro donna l’ordre d’attaque. Une dizaine d’hommes affrontèrent les golems pendant que Tilbar et le paladin firent face à l’homme noir. Avec une agilité extraordinaire, il esquivait la hache du général et déviait la lame du chevalier de l’Ordre. Après un coup de hampe dans le ventre de Tilbar, il prit appuie sur l’homme plié en deux pour porter un coup de pied dans le front de Galro. Quand le paladin tomba sur le dos, l’ancien atterrit sur la pointe de son pied droit, se retourna et fila un coup derrière les genoux du général, puis le renversa. Il brandit la pointe de sa lance comme pour donner le coup de grâce. Galro parvint à se relever et il frappa vers l’homme noir. Celui-ci se baissa avec une souplesse et une rapidité déconcertante, il frappa avec le bout du manche de son arme dans le ventre du chevalier de l’Église, roula sur son dos, l’attrapa avec ses jambes au niveau de la gorge, et le fit basculer en arrière. Galro sentit une douleur aigu au niveau du crâne avant de comprendre qu’il était la tête en bas. Le vieillard se releva, évita une lance d’un soldat, planta la pointe en os dans son ventre, la ressortit pour mieux frapper un second croisé. S’appuyant sur sa lance, il frappa du pied son adversaire, tourna sur lui-même, renversa trois guerriers au passage, et acheva un homme à terre en lui transperçant le cœur. Tilbar décapita un serviteur blanc puis trancha ses deux jambes. Galro repartit à l’assaut sur le chef noir en imitant les mouvements qu’on lui avait enseigné. Attaque horizontale, verticale, revers de la lame, feinte et transpercer. Tout son enchaînement échoua, car la vivacité de l’homme noir et son agilité eurent raison de son maniement de l’épée. Le vieillard tenta de le frapper au niveau de la tête, mais Galro le para et profita de l’ouverture pour l’empaler. La lame blanche ressortit par son dos empourprée de sang et de morceaux d’intestins. Les yeux de son ennemi exprimaient la surprise et la douleur. Un liquide noir sortait de sa bouche. Tout en retirant son épée du ventre du vaincu, Galro dit:

_ Justice est rendu Ô Tout puissant. 

Le vieillard tomba, la face dans la poussière, et finalement tous les muscles de son corps se relâchèrent. Les statues vivantes s’effritèrent et devinrent miettes. Galro se retourna, mais une voix se mit à parler dans son dos.

_Tu es habile, je dois le reconnaître. 

Lorsqu’il se retourna, il constata avec horreur que celui qu’il venait de tuer quelques instants plus tôt été de nouveau debout, avec qu’une trace de sang là où il avait une plaie béante. L’homme noir s’essuya le ventre et dit:

_ Mais pour me vaincre, il te faudra plus que ça.

Il repartit à l’assaut et l’assenant de coups rapides et puissants. Galro parvint à en éviter et parer quelques-uns, mais à trois reprises la pointe d’os le toucha et le bâton lui fracassa les côtes de nombreuses fois. Le paladin riposta par une attaque frontale qui fut esquivée, mais il profita du déséquilibre de son adversaire pour exécuter un revers de lame. Il lui sectionna la cage thoracique d’où le sang coula tel une rivière, puis la blessure se referma en un éclair. Le vieil homme cogna son pied dans le nez de Galro qui tomba à terre, ses yeux recouverts d’un épais liquide chaud. Le chevalier blanc s’essuya avec le revers de la main pour voir que son ennemi aller lui asséner le coup de grâce. 

_ C’est fini ! Hurla-t-il en brandissant son arme.

Une hache ornée d’un phénix se planta dans son thorax, puis Tilbar apparut dans son champ de vision, qui ressortit son arme de la chaire pour mieux charcuter le vieillard. Le pauvre homme tomba sur le dos, les organes à l’air. Mais le général continua de s’acharner sur sa victime.

_ Crève ordure ! Crève ! Crève !

Il brandit sa hache de nouveau, et lorsqu’il voulut la rabattre, une main blanche le retenait. Quand Tilbar leva la tête, un monstre de pierre se dressait devant lui. Il porta le général au-dessus de sa tête sans difficulté et le jeta sur un groupe de soldats. Le vieil homme se leva pendant que ses plaies disparaissaient une à une. Galro saisit son épée et le frappa au niveau du ventre. Son adversaire recula de quelques pas, puis se vengea en fouettant la joue de Galro qui sentit le choc et le goût du sang dans sa bouche. Il tomba au milieu d’un tas de bâtons décorés. Il s’appuya sur l’un d’entre eux pour se relever, mais en le touchant, un frisson électrique lui parcourut la peau. Il savait ce que ça signifiait, plus que de simples bouts de bois, ils avaient des propriétés magiques. Voilà d’où cet homme tirait son immortalité. Il esquiva une attaque surprise de son ennemi, enfin les choses étaient claires. Leur ennemi cherchait depuis le début à protéger ces artefacts, donc s’ils les détruisaient, ils pourraient enfin le vaincre. Le paladin obligea son adversaire à reculer en feintant une attaque. Il se retourna vers ses hommes et hurla:

_ Détruisez les reliques ! Là ! Maintenant !

Une dizaine d’hommes avancèrent jusqu’aux bâtons, mais le vieillard aidé de statues vivantes les repoussa. Jusqu’ici, le vieux noir semblait un peu se moquer des croisés, mais maintenant, la peur se lisait dans ses yeux. Galro avait touché un point sensible. Le paladin taillada un golem pendant que Tilbar et deux des croisés réduisaient en morceaux un autre. Galro esquiva le poing de granit et se décalant sur le côté, empala deux ennemis, plaça sa main sur la poitrine et se concentra sur la magilith qui brûlait au bout de ses doigts.

_Rayëltal* !

Un rayon blanc ardent traversa les deux hommes de pierres qui tombèrent en poussière. Galro commençait à sentir la fatigue physique et mental le gagnait peu à peu. Exécuter un sort efficace lui demandait un effort colossal. Il ne pouvait plus qu’en utiliser un seul de faible niveau et après il dépasserait ses limites. S' il venait à utiliser le mana, ce serait la mort assurée, car la magilith contenue dans le sang se solidifierait. Il devait se montrer vigilant dans le choix de son prochain sort et de sa cible. Il ne restait plus que deux golems et l’homme noir. Galro tenta de transpercer l’un des artefacts, mais le vieillard lui barra la route et se fit empaler. Il leva la tête vers le chevalier puis lui cracha du sang au visage.

_ Jamais tu ne toucheras à nos vœux !

Le vieillard commença à étrangler Galro qui se débattit et fini par le retirer de sa lame. Tilbar qui venait de décapiter un monstre de pierre vint prêter main forte au paladin. À eux deux ils parvinrent à le repousser dans ses derniers retranchements, mais l’ennemi n’avait pas encore dit son dernier mot. D’un coup de lance il les fit reculer et menaça Galro avec la pointe en os. 

_Je vous écraserai tous si je le dois ! Hurla t-il en tentant d’empaler le chevalier de l’Église.

La lame d’une longue dague effilée sorti de son torse, le sang sortait abondamment. Lorsque les yeux du vieil homme se tournèrent vers son agresseur, il ne vit qu’une cagoule mouchetée avec un sourire mauvais au bas de son visage à peine visible.

_ Je crains malheureusement pour toi que tu ne puisses plus. 

Les derniers hommes blancs tendirent leurs bras vers leur chef, mais les hallebardiers les empalèrent puis les plaquèrent contre les parois de la grotte. Les pupilles se rétractèrent dans les yeux sombres de l’homme noir quand un croisé commença à fracasser les « totems ». Le paladin sentit une vague désagréable de fourmillement électrique lui passer à travers le corps. Tilbar se releva et se mit à aider les hommes à détruire tous les artefacts. Et lorsqu’il n’en resta plus qu’un, Tilbar leva sa puissante hache et trancha jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un tas de petit bois. À chaque coup, chaque fois que l’acier rencontrait le chêne, le vieil homme tremblait de mille frissons. Au lieu que sa blessure ne se rétracte pour disparaître, celle-ci libéra un plus grand flot de sang. Le liquide rouge de la vie coula de sa bouche, de son torse, de son cœur. Ses yeux si vifs prirent une teinte blanche et s’immobilisèrent. Le tueur le retourna face à lui et lui planta un second coup de poignard. L’homme noir vomit le sang qui se noircissait de seconde en seconde. Les rides qu’il portait sur son corps s’amplifièrent, jusqu’à devenir des fentes qui lui ondulaient dessus. Ses côtes apparurent comme une cage trop grosse pour une telle maigreur. Des cheveux blanc spectraux lui poussèrent sur la tête. Ses doigts squelettiques se levèrent vers le lointain et ses dernières paroles furent:

_ Pardonne moi... Rassoun... N’oublie pas... Warda...

Ses muscles se contractèrent, ses yeux d’aveugles sombrèrent, ses membres se tétanisèrent, le sang cessa de couler. Lorsque le chasseur inconnu le relâcha, il tomba sur le dos, tout signe de vie l’avait quitté. Les statues vivantes virèrent au noir, puis s’effritèrent jusque-là ne plus n’être qu’un nuage de mort. C’était le dernier combat de Carnassus, car c’était ainsi qu’il finit, au combat, au sacrifice, loin de tout ce qu’il aimait, seul face à la mort. Un hurlement sinistre d’un loup retentit au loin, mêlé de rage et de chagrin. 


Warda et le reste du groupe de survivants entendirent les sinistres pleures de la mère louve. Jaron s’arrêta, son corps tremblait, son souffle était court. L’elfe noir le sentit aussi, quelque chose venait d’être brisé, et la mort planait au-dessus de leur tête. Entre les dents du loup, il entendit:

_ Ils viennent de les briser, et Carnassus est mort...

Le cœur de Warda ne fit qu’un tour. Ça y est, c’était fini. Le grand chaman Carnassus était aussi tombé. Ce qu’il craignait le plus venait de se réaliser. Pourquoi lui aussi ? Il n’y était pour rien, ils n’y étaient pour rien ! Pourquoi les chamanes, pourquoi les Lunes d’Argent. Il serra du poing et hurla à plein poumons. L’image du chevalier blanc qu’il avait tué des années plus tôt lui revint en tête. Cette sinistre armure de fantôme brandissant un fouet d’argent. Son visage s’était effacé de sa mémoire, mais jamais il n’oublierait la douleur. Lorsqu’il se retourna pour voir la montagne, une silhouette apparut devant une lune argentée virant au rouge. Pendant un bref instant il crut que c’était un cauchemar, mais malheureusement, il comprit vite que c’était réel. Un chevalier en armure blanche était sur le sommet de cette colline. Un spectre revenu des limbes ou... Revenu du passé. Son sang battait dans ses oreilles, tel un tambour de guerre. Bien qu’il fut loin, bien qu’ils étaient dans l’obscurité, Warda le voyait, aucun doute, c’était le même homme qu’il avait tué des années auparavant. Ce même visage sinistre, empli de colère, ces yeux haineux. Le guerrier sombre descendit du grand loup. Il sortit Algazalm des lanières de cuirs et la pointa vers le paladin comme pour le défier. Le chevalier d’argent sortit une épée à la garde en forme d’oiseau et fit de même. Deux ennemis mortels venaient de se rencontrer, car les souvenirs de peine alimentaient dans les deux âmes un désir de vengeance. Le guerrier ténébreux cria de toutes ses forces, car il voulait qu’il entende, ce chevalier blanc.

_Je suis Warda ! Le guerrier sombre ! N’oublie jamais ce nom, car lorsque l’on se retrouvera, ce sera celui qui t’arrachera la vie !

_Je suis Galro ! Serviteur de Dieu et du Phénix ! Ne l’oublie jamais, car ce jour là, c’est moi qui vengerai l’honneur de mon père !

Les deux guerriers se regardèrent longuement, puis finalement, Warda rangea le premier son épée. Le paladin fit de même. L’elfe noir monta sur Jaron et dit:

_ Partons le plus loin possible, nous n’avons pas de temps à perdre. 

_ Nous n’avons plus rien à faire ici, car plus rien ne nous retient à cette terre.

Ils se tournèrent vers la mère louve qui venait d’apparaître derrière un buisson. Elle était couverte de plaies, de sang et son pelage était devenu d’un gris sombre. C’était comme si le temps la rattrapait. Elle semblait si fragile maintenant. Elle regarda une dernière fois la montagne, et hurla longuement. Lorsqu’elle finit de pleurer la mort de son compagnon, Jaron s’approcha d’elle.

_ Partons, c’est fini de notre clan.

Ainsi, les survivants du massacre partirent vers de nouveaux horizons, abandonnant derrière eux leur passé, leurs joies et leurs peines, leur histoire réduite en cendres par les Croisés de l’Ordre. 


Alors que les hommes de Tilbar rassemblaient les femmes survivantes et les cadavres des loups, Galro les rejoignit. Les médecins recousaient certains hommes ou amputaient d’autres trop gravement blessés. Des brancards improvisés zigzaguaient entre les hommes. Certains soldats priaient pour que leurs camarades puissent rejoindre le paradis éternel. Le paladin marcha par dessus un tas de cadavres où étaient réunis croisés et femmes tués pendant la bataille. Le corps du vieillard était posé négligemment au milieu, ses yeux exorbités vers le ciel. Tilbar prit le paladin par l’épaule et lui dit:

_ Nous avions réussi.

_Non Tilbar, notre objectif était de ramener ces femmes vivantes. Même pas la moitié a été épargnée. J’ai compté combien nous avions sorti des griffes des loups, seulement six d’entre-elles reviendront à la civilisation. 

Le général le regarda droit dans ses yeux. Il lui tapa trois fois sur l’épaule et finit par répondre:

_ Je pensais que nous en ramènerions moins. Tu manques d’expérience, mais sache que là où il y a la guerre, toujours les hommes souffrent plus que ce qu’ils ne l’imaginaient au départ. 

Au-dessus de leur tête, la lune jusqu’ici blanche avait pris une teinte rouge. Les yeux du paladin se rivèrent sur une silhouette à l’écart, un homme en capuchon qui essuyait inlassablement une longue dague ornée de perles de rubis fraîchement déposées. C’était le mercenaire sans nom, le chasseur. C’était lui qui avait porté le coup de grâce au vieil homme noir. Ses dents luisaient dans un sourire malsain presque invisible sous cette capuche. Cette dague longue, courbée et gravée d’un rosier était connue, c’était celle d’un tueur redouté pour son efficacité sans précédent. Il n’y avait aucun doute, Galro avait fait une immense erreur en l’engageant. Il devait réparer cette erreur maintenant. Il quitta Tilbar qui retourna auprès des soldats qui préparaient des brancards pour les morts. Lorsque le chevalier se posa devant l’assassin, celui-ci continuait d’astiquer son couteau. L’homme leva à peine la tête, mais un rayon de lune lui démasqua une longue cicatrice qui partait de l'œil gauche et rejoignait la lèvre inférieure. 

_ C’est pour ma paye ? Demanda t-il d’un ton froid.

_ Détrompez-vous, lui répondit sur le même ton Galro. Vous m’aviez menti, et c’est impardonnable.

Le tueur à gage baissa sa tête en admirant son couteau dont il tâtait le tranchant brillant.

_Je ne vois de quoi vous parler. Je vous ai dit la vérité; « je chasse au contrat. ». 

_Tout à l’heure, lorsque vous aviez poignardé l’homme noir, votre dextérité n’était pas celle d’un trappeur...

L’homme encapuchonné grogna, du sang coulait sur la lame étincelante et son pouce s’était sectionné sur toute sa longueur. Il se lécha sa plaie tel un félin qui se lécherait son pelage. 

_ C’était celle d’un professionnel, continua Galro qui voyait qu’il touchait juste. Vous n’aviez même pas oscillé quand vous l’avez tué. Très peu d’hommes sont capables d’un tel sang froid.

_ Et je serais l’un de ces hommes ? 

_ Oui, je pense sincèrement que vous en faites partie.

Le mystérieux mercenaire fit valser son couteau entre ses doigts comme un jongleur à la cour du roi. Puis il le rangea dans son fourreau en un éclair. Était-ce un signe d’avertissement ? Ou un simple moyen pour impressionner le paladin et le dissuader de le déranger. Galro savait que l’individu qui se tenait devant lui était un dangereux criminel, tuer un chevalier de l’Église ne l’empêcherait sans doute pas de dormir. Le paladin se rapprocha de son interlocuteur et lui murmura lentement dans l’oreille.

_ Ne croyez pas que ce numéro de bouffon m’amuse. Je sais beaucoup de choses sur vous, et vous ne faites pas le poids face à un serviteur du Phénix. Mayirr Long-couteau, c’est cela votre nom déjà ?

Mayirr grimaça en entendant. Il murmura un juron sous son manteau moucheté, il avait enfin perdu son sang-froid légendaire. Le paladin l’invita vivement à se lever et à s’éloigner des soldats. Il voulait un tête à tête, car rien de ce qu’il allait dire devait se divulguer. Lorsque les deux hommes atteignirent l’antre où ils avaient abattu le dernier ennemi, le paladin prit son épée, plaqua Long-couteau contre la paroi et plaça la froide lame sous la gorge. Cet homme avait sûrement l’habitude d’être menacé, car il ne broncha point lorsqu’un filet de sang coulait sur l’acier de l’arme sacrée. 

_ Vous êtes un tueur à gages recherché par les autorités étalens, commença Galro. Et je me demande ce qui me retient de vous livrer à mes supérieurs.

_ Pourtant la réponse est simple paladin, répondit l’autre. Si vous me livrez à l’autorité de l’Etale, vous devrez donner des explications, et certaines seraient très gênantes. 

_La ferme !

Il appuya légèrement sur la lame pour qu’elle pénètre un peu plus la chair. Il réussit à tirer une grimace de douleur à l’assassin. Parfait, cela le réjouissait. Il plaça la pointe de son épée juste entre le menton et la gorge qui se serrait de plus en plus. 

_Je suis un serviteur de notre Seigneur, mon but est de lutter contre le Mal, et de purger les hommes. 

_ Purger les hommes... Intéressant...

Le chevalier blanc attrapa la mâchoire de Mayirr et la plaqua contre la paroi rocheuse. Les lèvres de Galro effleurèrent les oreilles du tueur.

_ Il n’existe qu’une manière de purger un criminel de ses actes, le bûcher, car selon l’Église, seul le feu peut détruire le mal en nous...

_ Mais dans mon cas, il existe une seconde option, n’est-ce pas ?

Galro le retourna violemment et plaça la lame sur le coeur. 

_Je suis un paladin, j’ai de nombreuses relations. Je peux faire arracher les affiches portant votre nom sur chaque mur du pays. 

_ Vous feriez ça pour moi par pure générosité ?

Galro serra les dents, il allait enfin parler des choses sérieuses, et cela ne lui plaisait guère. Il allait faire un choix qu’il pouvait amèrement regretter. Mais il devait le faire. Cette nuit même, un elfe noir en armure portant une épée gigantesque l’avait nargué en bas de la montagne. Le monstre de ses cauchemars existait bel et bien, et il voulait s’en débarrasser au plus vite. Cette créature avait sali l’honneur de son père impunément pendant trop longtemps. Malheureusement, il devait rendre son rapport de mission à l’Église, et si le Warda venait à sortir des frontières, il ne pourrait plus le pourchasser. C’était sa seule option, ne pouvant le tuer de ses propres mains, il devait salir celles d’un expert du meurtre. 

_ Vous pourrez accéder à une rédemption qu’à une seule condition...

_ Tiens donc, dit le scélérat. J’ai servi des enfants qui voulaient tuer leurs parents pour hériter, j’ai assassiné des beaux-pères qui refusaient la main de leurs filles, j’ai même poignardé des courtisans à la cours pour que des nobles s’élèvent, mais jamais un homme de l’Église ne m’avait proposé ce genre de travail. Je croyais que les paladins étaient trop fiers pour côtoyer les voyous de notre rang. Et voilà que je tombe sur un qui me demande de travailler pour lui. Très intéressant...

_ Ravale ta salive de serpent ! Et écoute ce que j’ai à te dire.

Le paladin sentit un regard mauvais se poser sur le sien. Il voyait les yeux du mercenaire. Ils étaient d’un vert éclatant presque lumineux. Mais une haine incommensurable s’en dégageait, une telle soif de sang qu’il se sentit peu à peu consumé. Les dents brillantes dans le noir apparurent comme celle d’un animal féroce prêt à bondir sur sa proie.

_Je suis tout ouïe, dit il calmement. 

Il était maintenant trop tard pour reculer. Galro avala sa salive et finit par s’expliquer.

_ Je voudrais que quelqu’un meurt.

_ D’après ce regard déterminé que vous me lancez, je devine que ce n’est pas un contrat habituel. Serait-ce un héritage ? Un meurtre de haut rang politique ? Ou bien...

D’un geste vif, il écarta la lame de sa gorge avec le bout de ses doigts et s’approcha si près et si vite du visage du paladin qu’il ne put réagir. Les crocs d’un prédateur ricanaient derrière ses lèvres, son haleine sentait la viande décomposée.

_Ou serait-ce une vengeance personnelle ? Oh non, rien de tout cela messire le paladin. C’est une question d’honneur. Ai-je raison ?

Le chevalier blanc tenta de retirer son épée des doigts de Mayirr, mais une main lui attrapa le poignet et l’autre se saisi avec agilité de la dague courbée à la marque de rosier qui se plaça sous sa gorge. Un tambour résonnait dans le crâne du paladin, il était paniqué. La pointe effilée dansa sur sa gorge très lentement, comme pour lui faire prendre conscience de l’épée de Damoclès qui frôlait sa tête. 

_ Voilà les situations inversées, s’écria fièrement l’assassin. Mais contrairement à vos dires, je ne suis pas une crapule de bas étage. 

L’assassin jeta sa dague par terre qui se planta à la verticale. Le tueur à gages marcha en singeant les grands nobles et s’assit sur un tas de fourrures comme sur un trône. Il sortit de sous son manteau une bouteille de Graïnbar et but un grand goulot. Il la jeta à Galro qui la rattrapa au vol, puis il saisi le goulot et imita l’expert du meurtre. 

_Je n’ai aucun intérêt à tuer mes employeurs, dit Mayirr en récupérant la bouteille renvoyé par Galro. Il n’existe pas de meilleur moyen de perdre toute sa clientèle. Et sans elle, je ne suis plus rien. 

_Je voudrais vous croire, dit Galro anxieux. Alors, pouvons-nous enfin parler affaire ?

_ Voilà une remarque tombée à point, répondit Long-couteau. Quelle est la cible ?

_Un elfe noir.

Un souffle de vent entra dans la grotte, les flammes qui consumaient les débris des totems vacillèrent. Les ombres qui se dessinaient sur son visage à moitié caché lui donnaient des airs de vampire. Mayirr reprit une gorgée d’alcool au champignon. 

_Un elfe noir ? Ce ne sera pas facile. Description ?

Galro se revoyait parfaitement la scène vécue plus tôt dans la nuit. Il était en bas, dans l’ombre, et Galro en haut, dans la lumière. Ce fut un instant qu’il ne pouvait pas oublier.

_ Il est grand, il porte une armure composée d’un plastron, de deux épaulières et deux gants de grande taille. Il a également deux bottes métalliques. Mais surtout, il est armé d’une épée aussi grande que lui, aux formes inhabituelles. 

Long-couteau semblait méditer sur l’étrange description. Il fit la moue puis caressa la tête d’un rongeur mort. 

_ Cela me semble très étrange. La plupart des membres de cette espèce sont comme des animaux sauvages, livrés à eux-mêmes. Ils sont peu nombreux à posséder une once d’intelligence. Quel genre d’elfe noir peut-il être pour savoir manier une épée ? Et encore plus mystérieux, pour savoir s’habiller ? 

Il but une autre rasade, il ne tenait presque plus. L’ivresse n’allait sûrement pas l’aider à réfléchir. Surtout quant il s’agit du redoutable Graïnbar. Il rota sans se retenir et s’essuya la barbe.

_J’ai entendu une rumeur qui circulerait au nord du royaume. Certains disent que chez les elfes un démon noir massacrerait les inconscients qui s’aventureraient trop loin des villes. Il semblerait très intelligent, rapide, invisible, et ses victimes seraient tuées par une épée. Peut-être est-ce le même. Dans ce cas là, je refuse de m’y frotter. Ce serait un trop gros gabarit pour moi. 

_ Laissez moi vous rassurer, répondit le paladin. Ce monstre qui terrorisait les forêts est mort il y a longtemps, et ce n’était qu’un animal sanguinaire dénudé de raison, tout ce qu’il y a de plus ordinaire. 

Il revoyait son premier vrai combat, lorsqu’il était encore enfant, face à un elfe noir. Ce jour-là, il avait brisé le glaive de Tilbar, mais ce sacrifice lui sauva la vie. L’assassin au long poignard but une dernière gorgée et toussa violemment. Il leva la bouteille et dit:

_ Décidément, cette diablerie naine est coriace. Donc vous dites que l’elfe noir qui sévissait les forêts du nord est mort il y a longtemps. Soit, j’accepte votre contrat, mais à une condition. Je voudrais un petit supplément.

À ce moment-là, Galro venait de commettre sa seconde erreur, faisant confiance à la fausse honnêteté de l’individu. Le tueur de profession se leva et arracha la dague du sol. Il la fit tourner trois fois dans sa main et dessina un cercle avec la pointe de la lame tranchante. 

_Je veux que non seulement toutes autorités cessent de me rechercher, et pouvoir exercer ma profession en toute liberté à tous les niveaux.

Galro se rendit compte de la gravité d’une telle demande de la part de Mayirr Long-couteau. Si il acceptait, alors cette crapule pourra exécuter les pires assassinats sans que jamais on puisse le traquer. Galro pouvait également mentir pour mieux pouvoir l’arrêter ensuite, mais son honneur de paladin serait à jamais sali si on apprenait sa petite affaire. Peut-être même que le Grand Prophète le renverrait de l’Église et de l’ordre des paladins. Peut être que le mieux était de le mettre en état d’arrestation maintenant, car la parole d’un chevalier de l’Église vaut bien plus que celle d’un criminel. Mais... S' il l’enfermait, qui pourrait l’aider à abattre ce monstre ? Le meurtrier de son père était presque à portée de bras, seul un assassin qui n’a de compte à rendre à personne pouvait s’en occuper. Voilà qui était tout à fait ironique. Galro était devenu paladin pour venger son père, pourtant c’était ce même poste trop encombré de responsabilités qui l’en empêchait, et il devait faire appel aux services d’un hors la loi pour accomplir sa vengeance. Le paladin rengaina son épée et tendit la main.

_ Marché conclus.

L’homme au capuchon le rejeta d’un geste désapprobateur.

_Ai-je dis que c’était fini ? Non, vous ne croyez tout de même pas vous en tirer à assez bon compte ? Je n’ai pas encore énoncé toutes mes exigences. Je n’allais pas travailler sans demander mon sous quand même. Huit milles Densas d’or.

Le cœur du paladin se resserra. Une telle fortune représentait à peu près les taxes récoltés sur un fief pendant des années. Pour pouvoir accéder à sa demande, il devrait sortir une énorme somme d’argent de ses coffres et cette idée lui déplaisait, bien qu’il était très riche. Et au sein de l’Église, que penseraient les autres serviteurs du Phénix ? Ils le soupçonneraient de quelque chose, et aucun achat de luxe ne pourrait couvrir une telle dépense. Peut-être arriverait-il à faire croire qu’il envoie cet argent à son cousin qui est le chevalier d’un fief en difficulté financière. Mais pourtant, la somme douloureuse était trop lourde.

_ Deux milles Densas d’or, répondit Galro. 

_ Vous marchandez ? À votre place, j’éviterai ce genre de fantaisie. Je suis réputé pour toujours faire accepter le prix de mes services à mes clients, jamais l’inverse. Huit milles, à prendre ou à laisser. 

_ Est-ce vos tarifs habituels, ou c’est un prix exorbitant que vous me demandez ?

_Nous dirons que la chasse à l’elfe noir est une nouveauté pour moi, et c’est une cible qui se défendait d’après vos dires. En prenant compte que je risque ma vie pour votre satisfaction, je suis en droit de vous demander une telle somme. Alors ?

Le paladin grimaça. Il s’était fait avoir jusqu’au bout. Il ne pouvait plus reculer, mais avancer était risqué. La vision de son père dans son cercueil lui donna finalement le courage de prendre une décision. 

_Je vous paierai votre prime sur les loups ce soir, et le reste dans mes départements, au temple du Phénix. 

_ Bien, enfin vous êtes raisonnable.

Long-couteau tendit sa main vers le paladin. Il sentait qu’il venait de commettre une faute impardonnable, qui allait lui coûter cher aussi bien au sein de l’Ordre qu’au niveau financier. Galro se pencha et serra celle de l’assassin. Le tueur à gages profita de l’occasion pour ranger son outil de travail dans son fourreau. Il se tourna vers la lune et demanda:

_ Quelle mort souhaitez-vous ? Lente ou rapide ?

Un sourire mauvais se dessina sur les lèvres de Galro. Le souvenir de son père décapité le hantait. Ce monstre, ce démon, il devait le payer.

_Je veux sa tête, c’est tout ce qui compte. 

L’assassin se retourna et ses dents luisaient sous sa capuche. 

_ Très bon choix messire paladin. Je le traquerai jusqu’au bout du monde s' il le faut, et vous serez satisfait comme tous les gens qui ont eu besoin de moi.

Tilbar apparut derrière un rocher et avança jusqu’au paladin. 

_ Nous avons un problème, viens voir.

Galro commença à suivre Tilbar, mais la sinistre voix retentit derrière lui.

_ Ma paye ! Je vous prie.

Le paladin regarda dans son dos le mercenaire qui ouvrait la main. Le chevalier décrocha une bourse de sa ceinture et lui envoya. 

_ Voilà pour chaque bêtes que vous aviez abattues. Maintenant hors de ma vue !

Mayirr sortit de la grotte et disparut dans l’obscurité. Tilbar le suivit du regard et se retourna vers Galro.

_C’est le mercenaire que t’avais engagé ? Qu’est-ce qu’il voulait ?

_ Juste sa prime.

_ Il a accompli son travail, mais nous avons encore beaucoup à faire. 

Les deux hommes rejoignirent les croisés qui entassaient les corps dans les brancards improvisés. Une dizaine de cadavres étaient alignés pendant qu’un médecin auscultait les blessures mortelles.

_ Pourquoi ces dix hommes là sont séparés des autres ? Demanda Galro.

_ Leurs blessures ne sont pas ordinaires, dit le médecin qui était recouvert de sang. Ceux-là ne sont ni marqués par des crocs, ni par des lances...

_ Mais par une épée, coupa Tilbar. Certains rescapés disent que c’était un démon noir aux cheveux blancs recouvert de symboles ardents qui les aurait attaqué par surprise.

Les paupières du paladin s’écartèrent au maximum. Un elfe noir ? Serait-ce celui qu’il a vu en contrebas qui aurait fait ce carnage ? Les corps étaient mutilés, certains visages étaient méconnaissables, certains morts ressemblaient plus à une entrecôte mal découpée qu’à un être humain.

_ Quant est-ce arrivé ? Demanda Galro.

_ Juste avant que les derniers loups sortent du petit bois. 

Ça ne correspondait pas. Certains disent avoir vu l’elfe noir rejoindre les loups dans les bois et en sortir en même temps qu’eux. 

Alors, deux elfes noirs auraient participé au carnage. Combien de morts pouvait faire ne serait-ce que l’un d’eux. Galro comprit que peut-être Mayirr n’avait pas demandé assez pour les risques qu’il encourait. Le guerrier ténébreux « Warda » n’était pas seul, il avait un allié redoutable. Mais dans ce cas-là, qui serait-ce ? Tilbar sortit le paladin de sa méditation.

_ Que faisons-nous ? 

_ Les hommes sont-ils prêts ?

_ Oui, répondit un sergent au garde à vous.

_ Alors rentrons, conclut le paladin. Nous devons rendre notre rapport.





Trëndal: Trën : éclair. Dal: (diminutif de Dalien) sacré.


Rayëltal: Rayen: lumière (Rayël au pluriel) Tal: (diminutif de Taler) destruction.

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