Opération Serenaris : la plage qui recelait un dieu

Chapitre 2 : Scission

3390 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/09/2024 09:20

Les heures passent sous un soleil de plus en plus étouffant. Il y a peu, Valeria pensait qu’elle ne pourrait voir plus bel endroit que cette plage en plein jour. C’était avant d’avoir pu assister à un coucher de soleil. Les rayons de lumière se réverbèrent partout dans cet océan infini. L’eau, auparavant d’un bleu pur, s’habille maintenant de couleurs chaudes, oscillant entre teinte orange et or.

    Complexe de rester concentré face à ce spectacle, même pour elle dont la discipline est un fait connue et incontestée de tout OGEEP Industries. Et pourtant, il lui faut bien continuer de superviser l’opération, le plus épuisant étant peut-être de devoir gérer ses équipiers en plus de devoir empêcher son propre cerveau de divaguer. Elle jette un coup d’œil aux explorateurs. Ils travaillent depuis des heures, sans avoir autant progressé que Valeria aurait voulu.

« Ce sera tout pour aujourd’hui. Retour au vaisseau pour la nuit ! » dit-elle à contrecœur.

    Rassuré de pouvoir enfin arrêter de trier des galets et des grains de sable, la bande d’explorateurs part bruyamment en direction du vaisseau – à part Caleb, toujours occupé, qui refuse de se stopper avant d’avoir fini ce qu’il a à faire.

    Valeria met plusieurs minutes de marche pour atteindre le vaisseau. Construit dans une forme allongée, long d’environ quatre-vingts mètres pour une dizaine de mètres de hauteur, cet engin est à la pointe de la technologie, et ceux même dans un monde où le progrès scientifique est à son apogée. Sa coque immaculée, exposée aux derniers rayons de la journée, le faisait briller de mille feux. Immanquable, il en devient aveuglant à cause du crépuscule.

    Plus loin encore, elle voit enfin la zone de déploiement monté par Lucius. Des bâches ont été posées à même le sol pour trier les boites d’échantillon en fonction de leur type, exactement comme elle le voulait. Valeria eut une moue de satisfaction face au travail de ses équipiers, rapidement remplacé par de l’étonnement.

Pourquoi ont-ils mis des tentes et un feu de camp ? Je suis pourtant sûr de leur avoir précisé qu’il s’agit seulement d’une zone de déploiement.

    Elle cherche Lucius du regard, et le retrouve en train d’errer en toute quiétude au milieu du campement improvisé, en compagnie d’Elya et Liam. Valeria le rejoint.

« Pourquoi avoir sorti les tentes ? Nous avons déjà des dortoirs à l’intérieur du vaisseau, ça n’a aucun sens de camper dehors dans le contexte de notre mission. »

    Son second, totalement détendu, lui fait signe de se calmer.

« Aucune inquiétude à avoir ma capitaine. C’est un choix des autres explorateurs. Ils ont envie de dormir à la belle étoile ce soir. Il fait si bon vivre ici, ce serait bête de ne pas en profiter, pour une fois que nous pouvons séjourner dans une planète sans danger ! 

- Je ne comprends pas. Quel est l’intérêt de dormir dehors, dans un endroit inconfortable, si ce n’est pas nécessaire ? » rétorque Valeria, sceptique. Lucius ne se décourage pas, et lui répond, toujours très détendu, presque désinvolte.

« Nous nous doutions que vous ne voudriez pas vous joindre à nous. Ce n’est pas grave, vous pourrez dormir dans le vaisseau ce soir, et nous dans le campement. »

     Désarmée face à ce revers inattendu, Valeria ne sait que répondre. Finalement, elle hausse les épaules.

« Bien, je n’y vois pas d’inconvénient. Si vous voulez dormir dehors, c’est votre problème. Mais vous avez intérêt à être efficace dans les prochains jours. Si vous avez mal dormi et que demain vous restez mous du genoux comme aujourd’hui, il y aura des conséquences. »

    Avant même la fin de sa phrase, Lucius se détourne de Valeria, pressé d’annoncer la bonne nouvelle aux autres. Il lui répond distraitement, sans la regarder.

« Oui à l’évidence. Nous ferons le nécessaire pour notre glorieuse entreprise. »

    La capitaine s’empourpre. Ses hommes deviennent indisciplinés, et frôlent de plus en plus l’insubordination à chaque instant. Mais tant qu’ils ne franchissent pas définitivement les limites imposées par le règlement d’OGEEP Industries, Valeria se sait impuissante.

Au moindre écart, ce sera le rapport d’incident pour toi, rumine-t-elle. 

    La capitaine repart en direction du vaisseau avec hargne, pressée d’être le lendemain pour faire trimer dur tous ces insolents sous ses ordres.

 


Propre, coiffée, et en tenue pour affronter une nouvelle journée en terre inconnue, Valeria progresse dans les couloirs du vaisseau à la recherche d’un petit-déjeuner. Sur le chemin de la cuisine, un détail pique à nouveau sa curiosité. Le vaisseau est anormalement vide en cette heure matinale.

Alors en plus de dormir dehors, ces idiots ont décidé de manger dans leur campement de fortune.

    Elle atteint enfin sa destination, où se trouve seulement Caleb, ainsi que les techniciens, qui papotent entre eux autour d’un café. Pressée, Valeria engloutit sa portion de nourriture – à savoir une pâte insipide mais extrêmement nutritive. Puis, elle prend le chemin de sorti du vaisseau. Dehors, le soleil brille toujours aussi intensément.

La matinée est bien entamée. Ils sont probablement réveillés, en train de m’attendre.

    C’est ce qu’elle pensa dans un premier temps. Qu’elle ne fut pas sa surprise de trouver le campement complètement vide. Pour la première fois de sa mission, l’inquiétude prend le pas sur l’irritation. Plusieurs empreintes de pas au sol lui permettent de pister facilement ses équipiers, parti en direction de la mer.

Ils auraient repris leur travail avant même mon retour ? pense-t-elle sans conviction.

    Elle suit la piste. Inconsciemment, elle accélère le pas. Un peu plus loin, elle trottine. Et après une dernière dune escaladée, elle obtient une vision dégagée de la plage. Valeria retrouve enfin tous les autres explorateurs disparus. Ils ne sont pas occupés à travailler. Ils se prélassent, tranquillement installés dans le sable, bronzant sous ce soleil déjà chaud. Certains ont même enlever leur combinaison afin d’être en sous-vêtement, une tenue nettement plus confortable pour la plage.

Cette fois-ci, ils sont allés bien trop loin. Au moins, ils me donnent l’occasion que j’attendais pour remettre un peu d’ordre dans cette brigade.

    Valeria va immédiatement vers Lucius, assis au milieu de tout le monde. Ses équipiers la voient arriver. Ils ne trahissent cependant aucune peur, et restent paresseusement allongés.

« Lucius. » dit-elle de son ton le plus froid. Son interlocuteur se retourne sans un sursaut, et la regarde droit dans les yeux.

« Ma capitaine, déjà sur la plage de si bon matin. Venez donc vous installez avec nous ! »

     De sa main gauche, elle attrape Lucius par le col. Puis elle lève son poing droit dans le but de l’abattre sur le visage narquois de son second.

Clic.

    La capitaine s’arrête net. Un objet froid s’enfonce dans son dos. Elle tourne lentement la tête vers sa droite. Alicia, une simple exploratrice, braque un pistolet sur elle, sa supérieure hiérarchique. Son visage se déforme d’indignation.

« Je vous conseille de me lâcher maintenant ma capitaine. »

    Elle desserre sa prise, et met les mains en l’air sans faire le moindre mouvement brusque.

« Je pense qu’il est grand temps de s’expliquer, vous et moi.

- Qu’y a-t-il à expliquer ? Ce n’est rien de plus qu’une mutinerie.

- Oh, je vous en prie Valeria, vous nous prenez vraiment pour des imbéciles ? Nous ne nous mutinons pas, nous défendons nos intérêts ! » lui répond-il en riant.

« Vos intérêts sont ceux d’OGEEP Industries.

- Et voilà, vous touchez le cœur du problème ! Vous êtes obnubilés par votre travail. Et je pense parler au nom de tous en disant que nous en avons marre de devoir vous supportez au quotidien. Jamais le droit de se détendre, de s’amuser, de mener notre vie. Nous nous dédions corps et âme pour une stupide entreprise qui nous exploite et ne nous rendra jamais la pareille ! 

- Ah oui ? Vous pensez vraiment parler au nom de tous ? »

    Valeria regarde autour d’elle. La presque entièreté de ses compagnons la dévisage. Les explorateurs se sont toujours mieux entendus avec Lucius qu’avec elle. Un détail lui échappe tout de même.

C’est une trahison sans précédent dans l’histoire des brigades d’exploration, alors pourquoi ne pas m’avoir abattu sur-le-champ ?

« Je vous éviscérais tous d’OGEEP Industries, et vous ferais un procès ! 

- Vos menaces ne m’effraient pas le moins du monde. Nous allons prendre des vacances improvisées sur cette magnifique plage, puis nous repartirons d’ici dans quelques jours. Et ce qui se passera sur Serenaris restera sur Serenaris. »

- Vous croyez vraiment que je vais garder le silence ?

- Oui, je pense sincèrement que vous allez garder le silence. J’en suis même sûr. »

    Il s’approche de son oreille tout sourire, et lui chuchote d’une voix mielleuse.

« Imaginez que cette histoire remonte aux oreilles de nos supérieurs. Quoi ? La légendaire capitaine Valeria perd le contrôle de son propre équipage ? C’est une première ! Une humiliation ! Cette femme est bonne pour la retraite ! Non vraiment, plus j’y réfléchis, plus je trouve que ce serait la fin de carrière la plus pitoyable qui soit. »

    Elle ne trouve aucune répartie. Sur un signe de Lucius, Alicia rengaine son arme.

« Partez. Laissez-moi en vacances avec mon équipage. J’ai du bon temps à rattraper alors hors de ma vue. »

    La capitaine recule, complètement désemparée. Impuissante, elle n’a pas d’autres choix que de battre en retrait sous les moqueries de ses ex-équipiers.                                                                                                                                   

 


De retour au vaisseau, Valeria part s’isoler au poste de pilotage. Il s’agit de la plus petite pièce, située tout à l’avant. Une large vitre permet d’avoir une bonne vision de l’espace devant soi, et afin de compléter les sens faillibles de n’importe quel pilote, une tonne de capteur et d’écran affiche des données en permanence. Entre le pilotage, la vérification de l’état du vaisseau et de l’environnement, mais aussi la gestion des systèmes de défense, utiliser en toute sécurité un engin pareil demande au minimum six pilotes. Ainsi, six sièges sont présents et disséminés un peu partout aux différents postes, rendant la pièce encore plus exiguë.

    Valeria s’adosse au paroi du cockpit. Elle se tient la tête, et regarde dans le vide. Elle serait restée des heures comme ça, si Caleb n’avait pas soudainement pénétré dans la salle.

« Ma capitaine ? Que faites-vous ici ? Je vous ai cherché partout après le petit-déjeuner. Pourquoi n’y a-t-il personne en train de travailler dehors ? »

    Il remarque l’état de fatigue mental de Valeria, et s’arrête de parler. Il s’approche d’elle.

« Il y a un imprévu, c’est ça ? 

- On peut le dire ainsi. Un imprévu inédit dans l’histoire d’OGEEP Industries, qui a embobiné tout mon équipage avec ses belles paroles. » lui répond-elle, amer.

« C’est Lucius le problème ? Ce n’était pas si imprévisible que ça. Je n’ai jamais eu de respect pour lui, parce que depuis que je suis dans cette brigade, il vous a toujours tenu tête. » rétorque-t-il, crachant le nom de Lucius comme s’il s’agit d’une insulte.

- Non, personne n’aurait pu se douter qu’il aille aussi loin ! Il m’a complètement vaincu. La moitié de l’équipage le soutient, et ils ont décidé de n’en faire qu’à leur tête, en prenant… Je sais pas trop, des genres de congés improvisés. Personne ne travaillera si je l’ordonne, parce que je n’ai aucune autorité sur eux.

- Faites donc un rappo…

- Si c’était aussi simple, penses-tu réellement que je ne l’aurais pas déjà fait ? » s’emporte-t-elle.

    Caleb se tait. Loin de se montrer vexer, il se gratte le menton et plisse les yeux.

« Vos plans se déroulent rarement comme prévu ma capitaine. Pourtant, vous faites toujours face à l’adversité. Prenez votre mission sur SRN-4. Quand vous aviez fait face à des pirates, ce jour-là, vous vous en étiez débarrassée sur un grand coup d’éclat, une idée de génie ! »

    Les sourcils de la capitaine se froncent. La mutinerie de SRN-4 date. Pourquoi connaît-il aussi bien le déroulé de ses anciennes missions ? En l’observant, elle remarque que son regard pétille d’admiration. Jamais Valeria n’avait vu un tel niveau de dévouement dans toute sa carrière.

« Quand j’étais petit, ma mère aimait bien me conter vos aventures. Vous rendez vous compte d’à quel point vous êtes une légende, un modèle pour des millions d’enfants ? Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours voulu devenir comme vous. Je suis devenu explorateur grâce à vos exploits ! L’histoire est folle. Une fille talentueuse, vivant dans un quartier défavorisé, qui se fait remarquer par OGEEP Industries pour devenir la recrue la plus prometteuse de son académie ! Et maintenant que j’ai la chance de pouvoir servir au sein de votre brigade en tant que jeune recrue après des années d’entraînement, vous n’avez pas intérêt à baisser les bras. Vous finirez forcément par trouver des solutions. C’est ce qui fait votre renommée ! »

    Valeria marque un temps d’arrêt. Elle regarde Caleb de travers, à la fois flattée par l’aveu de sa recrue, et impressionnée par l’efficacité de la campagne d’embrigadement d’OGEEP Industries.

« Je suis surprise de cette confiance aveugle. Mais sache que mes aventures ont été largement idéalisées. À part la partie sur mon enfance disons difficile. Sinon, le reste a été exagéré.

- ça ne retire en rien votre expérience. 

- La réalité du terrain est vraiment plus compliquée que tu ne peux l’imaginer. Je suis actuellement dos au mur, soupire-t-elle. Mais tu as raison. Je ne peux pas me faire battre par cet ordure. En-tout-cas pas sans rien tenter. » poursuit-elle dans un élan de motivation. La capitaine serait certainement repartie négocier avec ses coéquipiers réfractaires, si le vaisseau ne s’était pas mis à trembler.

    Le jeune homme tombe instantanément sous la violence des secousses. Valeria s’accroche comme elle peut à un fauteuil, essayant tant bien que mal de rester debout. Elle lutte de toute ses forces, mais sent ses mains glisser de la prise. Ses jambes se dérobent, et elle finit face contre terre. L’un des capteurs s’emballe au même moment, les écrans clignotent à répétition et produisent un son d’alarme très aigu.

« C’est le capteur d’onde sismique. On est face à un tremblement de terre ! » hurle Valeria.

    Autour d’elle, des objets se fracassent. Valeria se met en boule, les bras autour de son visage dans un réflexe de protection. Caleb et elle restent cloués au sol. Les objets continuent de tomber, formant une véritable cascade solide. Elle n’aurait pu trouver une meilleure expression pour décrire ce qui lui arrive : c’est à croire que les bibelots, les bouts de papiers, les écrans, les morceaux de tôles et les clous forment un tout liquide, qui se déverse sur eux. Les secousses cessent aussi soudainement qu’elles s’étaient manifestées. Les deux explorateurs se redressent prudemment, sous le choc.

« Au vu de la durée des secousses et de leur violence, c’était un séisme d’une grande magnitude. » déduit Caleb.

« Surtout quand on sait que le vaisseau est équipé pour résister aux catastrophes naturelles. Il ne doit pas être sérieusement endommagé, mes inquiétudes sont surtout aux sujets des techniciens restés ici. Pressons-nous de les rejoindre. »

    Valeria part du poste de pilotage en trottinant, talonné par Caleb. Entre deux respirations saccadées, ce dernier trouve encore le moyen de lui poser des questions.

« Ma capitaine, avez-vous une idée de si les autres explorateurs à l’extérieur vont bien ?

- Il n’y a aucune raison qu’ils soient en danger. Sur la plage déserte, rien n’est susceptible de leur tomber dessus. Leur chute a probablement été amortie par le sable en plus. » répond-elle du tac au tac.

    Ils ouvrent la porte menant au couloir principal. Axel, l’une des techniciennes, leur déboulent dessus.

« La catastrophe n’est pas terminée ! 

- Calmez-vous. Archibald et Roxanne ont-ils été blessés ?

- Oui, enfin non. Non c’est pas ça le problème ! »

    Valeria la prend par les épaules pour l’empêcher de s’agiter.

« Parlez calmement.

- Il y a eu un séisme. Jusque-là, je ne vous apprends pas grand-chose. Mais nous sommes en bord de mer. »

    Les yeux de la capitaine s’écarquillent.

« - Un raz-de-marée peut nous frapper à chaque instant.

- Exactement ! Et les autres sont dehors. Nous avons besoin d’au minimum six personnes pour manœuvrer le vaisseau, or, nous ne sommes que cinq. Le vaisseau devrait pouvoir tenir face au raz-de-marée, mais si tous les explorateurs dehors meurent…

- Nous ne serons pas assez nombreux pour nous retirer de cette foutue planète. » souffle-elle.

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