Le prix de l'insouciance

Chapitre 1 : Le sot, le brave, et la perfide de la rivière

Chapitre final

4534 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/06/2024 16:59

AVANT-PROPOS

Cette nouvelle a été créée par mes soins dans le cadre d’un concours d’écriture sur un serveur discord dédié. Je vais en détailler ici les modalités.

Il fallait faire une nouvelle dans le genre de la fantaisie. Nous étions limités à un délai de trois semaines, et une taille maximum de quatre-mille mots (vous en verrez peut-être un peu plus, le comptage des mots est différent sur Word et FFR). Aucunes autres limitations, absolument tout pouvait être écrit, ce qui m’a demandé un travail de réflexion en amont assez conséquent comparé à l’écriture d’une fanfiction.

Ce fut pour moi la première fois que j’écrivais une fiction originale. J’espère qu’elle trouvera quelques lecteurs ici.

 

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LE PRIX DE L’INSOUCIANCE :

LE SOT, LE BRAVE, ET LA PERFIDE DE LA RIVIÈRE


 

« Avaric, par pitié, rappelle-moi de ne plus jamais te suivre quand tu dis avoir un plan infaillible. »

Sans même réagir à la pique de son ami, le jeune homme se baissa, continuant de patauger dans la vase à la recherche d’un indice. Agacé par ce manque de réaction, l’autre réitéra, avec un peu plus d’agressivité dans sa voix.

« Hé oh ! La moindre des choses serait quand même de me répondre, tu ne crois pas ? Ça va faire une demi-journée qu’on est paumé au milieu de ce trou humide, sans compter notre voyage harassant de la veille, et tout ça pour quelques vielles légendes auxquelles personne ne croit sauf toi !

- Konrad, pour la énième fois, cherche au lieu de m’engueuler. Si t’as une autre idée de comment régler nos dettes, je suis preneur. » répliqua-t-il avec fermeté.

Le dénommé Konrad se radoucit avant de retourner à son unique occupation, qui était de chercher désespérément un soi-disant trésor au milieu de nulle part. Avaric n’arrivait pas à lui en vouloir, comment ne pas être morose dans pareille situation ? Chaque pas leur demandait un effort considérable pour s’extirper de cet immonde bous gluante, et d’énormes cumulo-nimbus les mettaient sous le joug d’une nouvelle averse à chaque instant.

C’était comme si tout le paysage se voulait déprimant. Que ce soient les quelques touffes d’herbes grasses d’un vert terne, les horribles ronces qui les empêchaient de progresser, les arbres aux troncs tordus, l’eau de la rivière, d’une couleur grisâtre… Même les corneilles, confortablement installées sur les branches d’un aulne, ne leur laissaient aucun répit. Elles croassaient en permanence, les lorgnant comme s’ils étaient déjà des cadavres tout prêt à se faire becqueter.

Son ami de toujours lui adressa à nouveau la parole, non pas pour lui faire un reproche, mais parce qu’il se sentait effrayé.

« Tu sais ce qu’ont dit les villageois, hein ? Des voyageurs disparaissent comme par magie par ici. C’est pas trop tard pour faire demi-tour pas vrai ? Je préfère encore être en vie pour continuer de faire les quatre-cents coups avec toi, plutôt que de finir dans l’assiette d’un monstre. »

Avaric regarda en direction de la ceinture de Konrad, où était attaché un coutelas. 

« T’as pas dépensé le reste de nos économies, justement pour te défendre avec ça ? Armé d’un tel glaive, aucune créature, du loup-garou au gobelin n’osera t’attaquer. »

Confronté à la non-réponse de son ami, il ajouta :

« C’était une tentative de détendre l’atmosphère grâce à un petit trait d’humour. J’en peux plus de ce silence entrecoupé de dispute, ma seule envie, c’est d’écouter quelque chose d’autres que les croassements de ces foutus craves. »

Quelques heures auparavant, le petit groupe progressait dans un magnifique pré. Mais depuis qu’ils s’étaient approchés de la Rivière des Noyés, la situation s’était gâtée. Le soleil avait disparu comme par magie pour céder sa place à une pluie drue, froide et surtout terriblement soudaine. La carte qu’ils avaient alors sur eux s’était imbibée d’eau, les laissant perdu au milieu d’un endroit réputé dangereux. Avaric ne s’était pas découragé pour autant. Il avait insisté pour continuer coûte que coûte leur expédition, afin d’être les premiers à mettre la main sur un énorme butin, qui aurait été caché par une bande de trolls il y a de cela des siècles.

Konrad, à contrecœur, décida de prendre la parole.

« Je veux bien te proposer une alternative aux corbeaux et aux disputes.

- Je suis tout ouïe.                        

- Grâce à mes talents de persuasion, je vais t’expliquer pourquoi est-ce une idée désastreuse d’être ici, et pourquoi ta fameuse histoire de chasse au trésor ne tient pas debout. »

Avaric ne put s’empêcher de s’esclaffer.

« Les fameux talents qui nous ont obligés à fuir l’auberge de la Colombe Grimaçante, après que tu en es insulté le propriétaire ? »

Un poil vexé, Konrad fit un ample mouvement de bras, comme pour montrer que cette histoire était loin derrière lui.

« J’étais soûl ce soir-là ! Or, je suis extrêmement sobre et sérieux à la seconde où je te parle ! Tiens, d’ailleurs, premier argument, si on ne part pas maintenant, on va finir par crever de soif. »

- On est fauché, si on retourne en ville explique-moi comment tu comptes t’acheter à boire ? 

- Vaut mieux être sans argent que mort. Je suis sûr qu’on pourrait facilement trouver un travail rémunéré. Juste de quoi vivre en attendant de meilleurs jours. »

Le fougueux jeune homme soupira, agacé d’écouter les mêmes arguments en boucle.

« Un travail pénible pour un salaire de misère ? Alors qu’on pourrait devenir richissime en une journée de voyage ! Tout le monde ne cesse de le répéter, il y a un gigantesque pactole dans le coin, on n’est pas les seuls à le rechercher. Si on met la main dessus, on entendra plus jamais le mot travail de toute notre vie, crois-moi. »

En même temps qu’il parlait, il trébucha sur une branche. Il faillit perdre l’équilibre mais se rattrapa in extremis au tronc d’un vieux saule. Konrad le dévisagea, l’air de plus en plus exaspéré.

« Tu marques un point, tout le monde ne cesse de le répéter. Mais ôte-moi d’un doute, parmi les gens qui prétendent avoir aperçu le trésor dans la rivière, combien en sont revenu en vie ? Combien y sont vraiment allé, l’ont vu de leurs yeux, et sont revenu en chair et en os avec une preuve à l’appui ? »

Avaric garda le silence. La réponse est évidente, pensa-t-il. Zéro. Personne n’y ai jamais parvenu. 

« Bien ce que je pensais.

- Konrad, tu le sais mieux que moi, t’as le choix. Si t’as trop peur de quelques potins racontés par des grands-mères séniles, rien ne t’empêche de m’abandonner ici. Moi je crois en ma bonne étoile, mais par-dessus tout je pense avoir choisi la meilleure chose à faire. »

Son ami allait prendre la parole, mais Avaric ne sut jamais ce qu’il s’apprêtait à répondre. Un étrange bruit interrompit leur dispute. Un son, à la fois doux et cristallin, qui semblait venir de partout à la fois. Il emplit l’air, prit en force, devint presque palpable. Presque comme un seul homme, ils se tournèrent vers la rivière à leur droite, d’où provenait la source de cet irrésistible son, qui était depuis le début une voix humaine.

Mais est-ce vraiment un être humain qui se tient devant moi, se dit Avaric, le souffle coupé.

Une femme les épiait, comme installée aux milieux des torrents imprévisibles de la rivière. De l’eau lui arrivait jusqu’à la taille, la laissant en grande partie visible. Ses longs cheveux roux encadraient son visage fin duquel ressortait ses yeux d’un vert-de-gris, ainsi qu’un nez bien droit. Le regard de Liam descendit, puis loucha vers le reste de son corps, couvert d’une fine tunique d’un vert extrêmement clair. 

Son état de stupeur passé, la première réaction de Konrad fut la peur. Il se recula de deux pas très brusquement, mais voyant que son ami était resté planté comme un piquet au milieu du chemin, il lui intima de suivre son exemple.

« Tu ne vois pas que cette chose n’est pas humaine ? » dit-il en panique. Il poursuivit, en chuchotant cette fois.

« C’est à coup sûr une sirène. Tires-toi d’ici avec moi avant de te faire envoûter par cette garce ! »

Avaric, toujours un peu distrait, se tourna lentement vers Konrad.

« T’en a déjà vu beaucoup toi, des sirènes sans queue de poisson et sans écailles ? » 

Il ne trouva rien à redire. La femme dans l’eau ne ressemblait absolument pas à une terrifiante créature marine, juste à une humaine, tout ce qu’il y a de plus belle et charmante. Cette dernière ne bougeait toujours pas, elle continuait de les épier sans rien dire.

Peut-être même qu’elle est un peu trop belle. Et surtout, que fait elle là, au milieu de la rivière ? se dit Avaric. Comme si son ami avait lu dans ses pensées, il lui prit l’épaule, puis le mit en garde.

« ça cache quelque chose d’anormale, tu le sais autant que moi. Tirons-nous d’ici bon sang ! »

Ignorant à nouveau le conseil de son comparse, il se dégagea de son emprise, fit quelques pas, puis interpella la femme d’une voix forte.

« Bonjour charmante demoiselle, êtes-vous perdu ? »

Une fois de plus, seuls les corbeaux lui répondirent.

« Avez-vous un nom ? S’il vous plaît, coopérer, nous sommes juste surpris de voir une personne telle que vous ici. »

La femme pointa du doigt dans leur direction. Instantanément, Konrad, resté légèrement en retrait, fut tétanisé par la peur, s’attendant à recevoir un mauvais sort. À défaut d’être touché par une quelconque malédiction, ils entendirent à nouveau le son envoûtant de sa voix.

« Encore des voyageurs, se prétendant digne des trésors et des merveilles de ma rivière ? »

Avaric la regarda avec stupéfaction. Qu’était-elle ? Que faisait-elle ici ? Et pourquoi diable avait-elle l’air de connaître l’emplacement précis de ce qu’ils cherchaient depuis des heures ? Tant de questions susceptibles de rester sans réponse, au vu de l’aisance avec laquelle cette créature avait contourné leur interrogatoire pour les interroger eux.

Jouons le jeu. Peu importe qui ouvre le dialogue, si elle connaît le coin elle finira bien par nous laisser, consciemment ou non, un indice, pensa-t-il.

Konrad le devança, il prit la parole sans même se concerter avec son ami.

« Nous ne voulons pas d’ennui, personne ne se dit digne de quoi qu… 

- NOUS SOMMES BIEN À LA RECHERCHE D’UN TRÉSOR ! » cria Avaric.

Elle prit une étrange moue de triomphe.

« Vous n’êtes pas les premiers jeunes gens que je vois venir, avec comme seul espoir celui de s’enrichir facilement. Comme tous les autres, vous cherchez depuis des heures, en vain. »

Face à leur mine déconfite, elle poursuivit.

« Au vu de votre état de fatigue, je dirais même que vous vous êtes probablement déjà disputé. Vous voilà perdus, sales, frustrés, bloqués dans cette région marécageuse, en plus d’être réputée dangereuse… C’est une bonne leçon que vous recevez là, les jeunes voyageurs cupides dans votre genre méritent même bien pire. 

- La dame à raison Avaric, ta cupidité nous perdra tous les deux un jour. Allez, viens maintenant, on retourne au vill…

- À qui ai-je l’honneur ? Qui êtes-vous exactement, pour émettre un jugement sur nos motivations ? Que je sache, vous ne vous êtes toujours pas présenté, femme. »

Un sourire déforma son visage jusqu’ici neutre. Elle fut prise d’un rire, aussi soudain qu’il parut menaçant pour Konrad, devenu blême, maintenant prêt à détaler à tout instant.

« Vous devriez faire preuve de plus de respect jeune homme. Je sais me montrer magnanime, mais gardez-vous vos petites crises d’autorités. On me nomme Néréide, je ne suis pas ce que l’on appelle une humaine. En tant que naïade, je veille sur cette rivière depuis maintenant des siècles. Vous êtes dans ma propriété, et vous cherchez à vous en attribuez les biens, ce que je ne peux pas tolérer. »

En disant cela, Néréide se dirigea vers eux. Ses déplacements d’une grande fluidité dans l’eau impressionnèrent Avaric. Il avait l’impression qu’elle marchait dans la rivière au lieu de nager. Ce mouvement était empreint de tellement de naturel pour la naïade, ça paraissait aussi simple pour elle, que respirer pour lui. En même temps qu’elle s’avançait, la rivière semblait la suivre. Les flots eurent un mouvement vers la berge. Le niveau de l’eau s’éleva très brusquement, chatouillant à présent les mollets des deux jeunes hommes.

« Dit Avaric, tu sais ce qu’est une naïade ?

- Non, j’en ai pas la moindre idée. Mais c’est pas nécessairement agressif. Je vais tenter de la tromper. Peut-être finira-t-elle par nous aider, qui ne tente rien n’a rien. »

Il s’avança à son tour vers la naïade, et s’enfonça dans l’eau jusqu’à la taille.

« Écoutez, nous avons dit que nous cherchions un trésor, pas des ennuis. Si j’ai fait quelque chose qui vous déplaît, je vous prie d’accepter mes excuses. Malgré tout, nous sommes, mon ami et moi, à court de moyens financiers. Nous ne pouvons nous permettre de partir d’ici les bras ballants.

- Je n’ai que faire de vos histoires de simples mortelles. 

- Montrez-vous raisonnables, on a toujours à y gagner quand on aide son prochain. Je suis sûr que vous connaissez parfaitement l’emplacement de ce que nous cherchons.

- J’ai déjà fait affaire avec des humains. Il y a bien un concept, inventé par l’homme, avec lequel je suis tout à fait d’accord. Tout à un prix. 

- Vous voulez qu’on vous paye, en échange d’un trésor ? Votre proposition n’a aucun sens, en plus, je vous le répète, nous ne possédons plus rien. »

Néréide lui sourit, prit un ton faussement innocent tout en le regardant avec insistance.

« Je ne te demande pas forcément un bien matériel en échange de mon aide. »

C’est moi, où elle me fait des avances ? pensa Avaric avec étonnement. Après tout, pourquoi pas ? C’est une bien jolie femme. Ou plutôt naïade. Ce n’est qu’un détail ça. 

Néréide avait repris sa marche vers lui, très lentement cette fois-ci. Avaric en fit de même. Il entendait vaguement Konrad juste derrière lui, qui devait continuer de l’avertir d’un prétendu danger. L’eau lui arrivait maintenant jusqu’au torse, il se tenait à quelques pas de la naïade qui explicita alors son idée.

« Une vie humaine, en échange du trésor. Ton ami vivra heureux grâce à ton sacrifice. »

Il se réveilla enfin de sa torpeur, et se rendit compte qu’il s’était jeté dans la gueule du loup. Prit de terreur, le jeune homme tenta de rejoindre la berge. Son regard croisa celui de Konrad, qui avait sorti le coutelas de sa poche et sprintait dans sa direction. Mais trop tard, il ne pouvait déjà plus esquisser le moindre mouvement. Des torrents d’eau se déchaînaient partout autour de lui. Le courant l’emportait en direction de Néréide, comme si la rivière elle-même vivait. La naïade agrippa alors l’une de ses jambes, et fonça sous l’eau.

Il perdit pied, tout son corps bascula, puis ce fut autour de sa tête de se retrouver complètement immergée, le plongeant durant quelques secondes dans les ténèbres. Dans le feu de l’action, il réfléchit à toute allure pour trouver une solution à son problème. Il tenta une nouvelle fois de dégager sa jambe, rien n’y faisait. Néréide la tenait avec force, l’emmenant sans la moindre difficulté au fond de la rivière.

C’était pourtant si évident. 

La panique continuait de croître. Il souhaitait hurler, seulement, qui pourrait l’entendre maintenant qu’il se trouvait sous les eaux troubles de la Rivière des Noyés ? Il se débattait, mais comment réussir à se libérer de l’emprise de forces surnaturelles ? Il rêvait de richesse, cependant, comment réussir une telle entreprise avec un comportement aussi insouciant ? La frustration s’accumula en plus de la peur. Néréide l’entraînait toujours plus loin, ils touchèrent finalement le fond. Avaric aperçut des crânes et d’autres ossements humains, souillés par le sable et l’âge.

Elle n’en était pas à son premier coup d’essai évidemment. 

Ses oreilles sifflaient, sa vision s’obscurcissait un peu plus à chaque instant. Tout son corps s’alourdit, drainé petit à petit de la moindre once de vie. Sa lutte l’épuisait vainement, la fatigue l’accablait.

Au moins, je ne serai plus conscient quand elle commencera à me dévorer.

Il sentit une ombre fugace passer. Levant la tête, il aperçut Konrad, qui s’était jeté à l’eau, le coutelas toujours en main, pour le sauver. Avaric voulait lui ordonner de partir, de ne pas se mettre en danger pour des erreurs qu’il avait commises. Il aurait préféré écarter son ami de tout danger, cependant, il était à bout de souffle, incapable de se débattre. Sa vision flanchait de plus en plus.

 


Tout s’obscurcit d’un coup.

 

Des mouvements, une lutte. Des hurlements, étouffés par l’eau. Des mains, touchant son corps. Il n’était qu’une masse, inerte, vidée de toute volonté, plongée dans les ténèbres.

 

Une lumière caressa alors son visage.

 


Avaric rouvrit les yeux. Ses forces lui étaient revenues, comme si l’emprise de la naïade s’était magiquement évaporée. Le jeune homme ne se posa aucune question. Dans un réflexe de survie, il nagea avec précipitation vers la surface qu’il atteignit de justesse, sa respiration lui faisant de plus en plus défaut. Dès que sa tête fendit l’eau, il prit une grande inspiration. Ses poumons se gonflèrent d’air, et jamais le simple fait de respirer lui avait procuré tant de bonheur. Il rit aux éclats.

« Combien serait mort à ma place ? »

Il nagea avec aisance en direction d’un quai, puis monta une vielle échelle en bois, placé là au cas où des gens tomberaient dans la rivière.

Je n’avais pas souvenir de ce quai. 

Cette unique pensée résonna en boucle dans sa tête. Une fois l’échelle montée, il s’affala sur un vieux ponton, construit dans un bois humide et poisseux. Avaric se releva non sans quelques difficultés, et resta paralysé de stupéfaction.

« Pourquoi diable une ville est-elle apparue ?! »

Il avait atterri devant une grande place de marché inanimée. Les grands étals, qui en temps normal devaient être remplis de produits frais, trainaient vides çà et là. Pas même un chat se promenait dans les rues. Avaric frissonna. Il se sentait nu, privé de tout repère.

« À MORT, SORCIÈRE ! »

Il sursauta. Sans une once d’hésitation, il choisit de se diriger vers la source de ce boucan. Le jeune homme tourna à droite, puis à gauche, prit toute sorte d’embranchement dans ces grandes ruelles, dont les maisons collées les unes sur les autres s’élevaient à plusieurs mètres de hauteurs. Une nouvelle fois à bout de souffle, il s’arrêta dans un terrain vague. Face à lui se trouvait un petit paradis pour les herbes folles et les arbres, constitué de plusieurs vertes collines ainsi qu’un grand affluent serpentant dans cette vallée. En contraste avec ce calme apparent, des villageois y déchaînaient leur haine. Vêtus de haillons, armés de fourches et de torches, ils vociféraient, et poursuivaient une pauvre petite fille en pleurs. Elle avait encore un peu d’avance, mais nulle part où se cacher. Entre ses genoux écorchés, son corps frêle et squelettique, ses pauvres jambes à peine assez épaisses pour supporter son propre poids, c’était manifeste : le sort s’acharnait sur elle.

« Comment peut-on s’en prendre à une personne aussi inoffensive ? » murmura-t-il, choqué.

Il s’élança dans sa direction, prêt à empêcher les sauvages en haillons devant lui de commettre l’irréparable. Mais avant de pouvoir tenter quoi que ce soit, il trébucha sur un caillou, roula dans l’herbe, culbuta le long d’une pente, et se remit sur pieds dans une église.

« Qu’est ce qui m’arrive ?! »

Les vitraux illuminaient la pièce d’une lumière à la fois diffuse et colorée. Il se leva, puis tituba entre les grandes rangées de bancs en bois. Les frissonnements revinrent en force, hérissant le moindre de ses poils. Le tocsin sonna, ses tympans vrillèrent. Accablé, il se tourna vers la grande rosace derrière lui.


 

La petite fille fut rattrapée par les chiens. Ils la mordirent jusqu’à l’os, déchirant le peu de chair qui collait à sa peau. Ils auraient continué de la dévorer vivante si leur maître ne leur aurait pas ordonné de s’arrêter. Maintenant que tous les villageois l’entouraient, son sort était scellé. Des dizaines de mains la saisirent, tantôt pour la frapper, tantôt pour la traîner jusqu’à la rivière. Tout n’était qu’un tourbillon de douleur, elle payait le prix d’actes abominables qu’elle n’avait pas commis. On lui attacha finalement un énorme sac rempli de pierre à sa jambe. La sangle, serrée terriblement fort lui arracha la peau. Mais cet inconfort n’était que le cadet de ses soucis, tout allait enfin s’arrêter.

 


L’hypnotisante voix de Néréide résonna dans sa tête.

« Tout à un prix. J’ai accédé à l’immortalité et à la connaissance, mais pour ce faire, j’ai enduré les pires supplices qu’offre ce monde. »

 


Tout était si calme sous l’eau. Elle reposait là, enfin en paix avec elle-même, coulant toujours plus profond à chaque instant. Jamais elle ne s’était sentie aussi bien. Cela lui paraissait tellement absurde, pourquoi trouver le bonheur dans ces derniers instants ?

« Peut-être suis-je uniquement née pour mourir ici. »

Pourtant, bien plus que le néant l’attendait au fond.

 



« Et toi, qu’es-tu prêt à endurer pour obtenir ce que tu désires ? »

 

 


Avaric reprit conscience. Un moment, il resta allongé dans l’herbe mouillée. Tout son corps était encore pris de tremblements, son cœur tambourinait dans sa cage thoracique, et sa respiration était terriblement saccadée. Le pire était peut-être bien cette sensation de nausée, qu’il ne put réprimer. Il se tourna vers le cours d’eau, puis y vomit une bile amère.

« Je me demande par quelle miracle on a survécu à tout ce merdier. »

Étonné que son ami ne soit pas là pour le disputer, il se tourna.

« Konr… »

Le prénom de son frère de coeur s’étouffa, se perdit dans sa gorge.

« KONRAD ! OÙ ES-TU ? Non, non, non, c’est pas possible que je sois là et pas lui. »

Il n’eut pas besoin d’aller bien loin pour retrouver son ami. Un éclat doré attira son attention. Des richesses s’amassaient par terre. Cachées sous les entrelacs de branchage d’un arbre, le tout camouflé par un tas d’herbe. Un gigantesque butin l’attendait là, constitué de ce qui lui sembla être une infinité de pièce en or véritable. Des bijoux, des perles, des calices sertis de gemmes, mais aussi des armes, et un corps humain. Konrad gisait, immobile, sa tenue en lambeau, installé en étoile au-dessus de l’inestimable entassement d’objets précieux.

« Le trésor de la Rivière des Noyés. Je l’ai enfin trouvé. »

Pas une once de joie n’émanait de cette déclaration. Konrad – ou plutôt ce qui en restait – était dans un bien piètre état. Ses yeux vitreux créaient un véritable contraste comparé au reste de son corps. Sa peau notamment, s’était teintée d’une couleur violacée, en plus d’avoir étrangement froissée. Avaric sentit son estomac se retourner, et faillit vomir une nouvelle fois. Les mouches s’étaient adonnées à un véritable festin sur le cadavre de son ami, ce qui dégageait une odeur pestilentielle.

Les visions de la petite fille se confondirent avec la réalité, qui ne lui était pas non plus d’un grand réconfort.

 

« Tout à un prix. »

 

Celui de sa propre bêtise avait amplement été payé, Néréide lui avait infligé une leçon qu’il ne serait pas près d’oublier. Désormais il ne désirait plus acquérir mondes et merveilles. Il préférait fuir, loin, très loin d’ici. Avaric prit donc ses jambes à son cou sans demander son reste.

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