The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 16 : Souvenirs cachés ooOoo Éric ooOoo

1912 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/08/2023 14:40

Souvenirs cachés – deuxième partie

 

 

ooOoo Éric ooOoo

 

 

— Aller steuplaît ! Tu peux bien me rendre ce service ! pleurnichait Corentin.

 

Assis sur son grand canapé en toile, la jambe plâtrée des phalanges jusqu’au genou, Corentin tendait désespérément un papier à Cyril en train de débarrasser les deux tasses vides de la table basse.

 

— Sans déconner, avec le fric qu’on se fait, tu peux pas te payer une infirmière ?

— J’ai oublié de lui demander quand elle est passée ce matin.

— Ouais ben tu la rappelles !

— Steuplaît, Cyk !

 

Dans un grognement dont il avait le secret, Cyril arracha l’ordonnance des mains de Corentin.

 

— C’est bon ! Mais tu fais chier, j’suis pas ta mère.

— Merci Cyk !

 

Cyril était simplement venu déposer des partitions chez son collègue et ami, à la demande de Matthieu. Résultat, il allait encore perdre une heure de son jour de repos à la pharmacie. Et forcément, il y avait la queue.

 

Sans se départir de son air renfrogné qui décourageait la plupart des gens de lui adresser la parole, Cyril prit son mal en patience jusqu’à ce que la pharmacienne s’occupe de la prescription de Corentin. Il grommela un merci et une bonne journée avant de fourrer l’ordonnance dans sa poche et d’embarquer le sac kraft sous son bras. Il sortit de l’officine d’un pas pressé. Quelqu’un le poursuivit en courant et en criant.

 

— Attendez Monsieur ! Hem, Monsieur Veil ! S’il vous plaît ! Monsieur Veil !

 

Cyril n’y prêta pas attention jusqu’à ce qu’un jeune homme blond le rattrape et pose sa grande main gantée sur son épaule. Cyk se retourna et le fusilla du regard, pas par hostilité, simplement parce qu’il était surpris et qu’il ne savait pas afficher autre chose qu’une mine sévère dans une telle situation.

 

— Veuillez m’excuser, vous avez laissé tomber ça.

 

L’inconnu lui adressa un sourire aimable en même temps que l’ordonnance chiffonnée qui était tombée de sa poche.

 

— Oh, merci. Mais je ne m’appelle pas Veil, c’est l’ordonnance d’un copain.

— Ah ah ! Je comprends mieux pourquoi vous ne réagissiez pas, je me sens un peu ridicule.

 

Machinalement, le jeune homme serviable avait regardé le nom sur le papier. Interpeller quelqu’un que l’on ne connaît pas dans la rue est toujours compliqué, la moindre aide est bienvenue.

 

— Y’a pas de mal, marmonna Cyril en rangeant à nouveau la feuille.

— C’est la première fois que je vous vois, et c’est la première fois que j’entends ce nom. Vous habitez dans le quartier ?

— C’est l’inquisition ou quoi ?

 

La réplique de Cyril refroidit immédiatement les velléités de bavardage du jeune homme et son sourire poli s’ébranla. Un silence consterné précéda sa réponse.

 

— Je… Euh, je suis navré. Je voulais simplement faire la conversation. Excusez-moi, bonne journée.

 

Il tourna rapidement les talons, embarrassé et intimidé. Cyril ferma les yeux en se grognant intérieurement dessus. Il ne pouvait pas se retenir d’être agressif et méfiant, et c’était de pire en pire au fur et à mesure que la notoriété des Dark Love s’étendait.

 

— Attendez.

 

L’inconnu affable s’arrêta et se retourna lentement, légèrement anxieux.

 

— Je vous demande pardon, s’excusa platement Cyk. Merci encore pour l’ordonnance. Est-ce que je peux vous inviter à boire un café ?

 

Le jeune homme cligna des yeux perplexes. De toute sa vie, jamais quelqu’un ne l’avait remercié d’une bonne action en lui aboyant dessus avant de lui proposer à boire. Cyk, lui, avait l’habitude d’inviter des inconnus dès qu’ils avaient l’air d’être de la jaquette et à son goût. Était-ce de l’instinct, comme le prétendait Matthieu, ou simplement une capacité d’analyse qu’il avait appris à aiguiser depuis sa rencontre avec Théo ? Il n’en savait rien, mais désormais quelques secondes suffisaient à Cyril pour reconnaitre un de ses pairs, et il se trompait rarement. Avec sa courte veste en cuir cintrée, ses chaussures impeccables et brillantes, sa peau de pêche, son faux air rockab, sa démarche chaloupée et sa voix plus douce que nécessaire, ce vingtenaire prévenant cochait toutes les cases ou presque dans l’esprit de Cyk.

 

— Euh… Merci, c’est très gentil, mais je ne… Je ne suis pas disponible aujourd’hui.

— Moi non plus : Monsieur Veil attend ses antidouleurs, répondit Cyk en brandissant le sac contenant les cachets. Mais j’peux vous laisser mon numéro. Appelez-moi quand vous voulez.

 

Cyril sortit de son revers de manteau une carte de visite et la présenta au jeune homme dans un geste un peu bourru. Courtois et bien élevé, l’inconnu s’en saisit et le remercia, mais il était toujours mal à l’aise. Cyk préféra ne pas trainer, inutile d’harceler ce pauvre garçon, il n’oserait plus jamais adresser la parole à qui que ce soit dans la rue sinon.

 

oOo

 

Assis à son bureau, quelques heures plus tard, le jeune diplômé de vingt-six ans regardait la carte de visite de Cyk avec circonspection. Cyril Willem, c’était son nom complet. Il y avait un numéro de portable professionnel et un logo, rien de plus.

 

Ce symbole l’intriguait, il représentait de manière schématique un jukebox en traits verts et blancs débordant d’un cercle noir. Il avait l’impression de l’avoir déjà vu. Réflexe universel, il tapa « Cyril Willem jukebox » sur un moteur de recherche. Le premier lien à sortir fut une page Wikipédia, ce n’était pas commun. Le jeune homme écarquilla les yeux devant son écran : The Dark Love.

 

Il n’y connaissait pas grand-chose en musique, mais il avait Spotify et YouTube, comme tout le monde, il écoutait régulièrement la radio et il papotait autour de la machine à café. Il savait que les Dark Love étaient un groupe pop-rock à la mode, d’anciens gagnants de « The Best » qui étaient en train de monter en puissance depuis que le télé-crochet les avait fait connaître. Le jukebox vert fluo était leur logo officiel.

 

Après un rapide tour d’horizon des quelques photos de Cyk disponibles sur internet, il s’agissait bien du même homme. Le blondinet était très étonné, il croyait être tombé sur un membre de leur staff technique, mais Cyril était bel et bien musicien permanent. Il lui avait paru si mal-aimable et irascible à la sortie de la pharmacie, presque effrayant, qu’il n’avait pas du tout eu envie de l’appeler au départ, mais sa curiosité était piquée à vif. Il se disait que ce n’était qu’un café après tout, il serait bien bête de refuser l’invitation d’une rockstar…

 

oOo

 

— Alors comme ça, tu es le bassiste des Dark Love ? fit le blond en touillant nonchalamment son café.

— Ah ouais, direct on oublie le vouvoiement ? Eh ben.

— Désolé… Je ne voulais pas te, euh vous vexer.

— J’suis pas vexé. Bien sûr que tu peux me tutoyer. C’est moi qui suis désolé : je ne peux pas m’empêcher d’être désagréable. Les copains me le reprochent souvent.

— Je ne te cache pas que c’est un peu déroutant.

— Et toi Éric, qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

— Je travaille dans un cabinet d’architecture, celui qui est à côté de la pharmacie.

— C’était donc pour ça ta question.

— Je suis ici depuis deux ans, je connais le quartier comme ma poche. Une nouvelle tête, ça se repère vite.

— J’étais contre l’idée de m’installer ici, mais on n’a pas eu le choix. On commence à être connus, alors on doit changer nos habitudes. Un petit arrondissement bien bourgeois, bien cloisonné, dans une grande métropole pour faire de l’entre-soi… Une cage dorée en somme.

— Tu es très aigri pour quelqu’un d’aussi jeune.

— Matt et Artus te diraient qu’à seize ans j’étais déjà comme ça.

— Tu ne devrais pas te miner le moral pour si peu. Tu verras, la vie est confortable ici. Les gens savent être chaleureux sans être envahissants, tu ne seras pas harcelé. À ce propos, j’peux avoir un autographe ?

— C’est une blague ?

— Oui.

— Ok. Ok, c’est drôle.

 

Tout doucement, Cyril commençait à se décrisper. Éric était vraiment très avenant et agréable, il lui rappelait un peu Matthieu, en plus sincère et sans cette confiance en lui débordante qui finissait par le rendre arrogant.

 

Après deux cafés successifs et une gaufre, Cyril et Éric flânèrent une bonne heure dans les rues. Le jeune architecte ne mentait pas : il connaissait parfaitement le quartier, dans ses moindres recoins. Il offrit une visite guidée au nouveau venu, il aimait donner des détails historiques sur les façades des bâtiments. Sur ce point, c’était surtout à Corentin qu’il ressemblait.

 

— Et ici c’est ma rue.

— Je vois… On n’est pas très loin de chez Coco. Je vais devoir te laisser par contre, demain on tourne un live, et vu que Coco est toujours en rade de jambe droite, c’est le bazar.

— Entendu. Merci pour cet après-midi Cyril, c’était très chouette.

— Appelle-moi Cyk. Tout le monde m’appelle Cyk. Il n’y a que les impôts qui m’appellent Cyril.

— Ça vient d’où Cyk ?

— Quand j’étais gamin, je n’arrivais pas à prononcer mon nom correctement. Ça amusait tout le monde, alors mes parents, ma nounou, mes copains et même mes grands-parents m’appelaient toujours Cyk. C’est resté.

— Je trouve ça adorable.

 

Cyril planta son regard ombrageux dans celui d’Éric. Il s’approcha de son visage et leurs lèvres se rejoignirent pour un premier baiser, timide et délicat.

 

— J’en conclus que tu veux me revoir ? souffla Éric en dissimulant au mieux son émoi.

— T’es perspicace, on voit que tu as fait des hautes études.

— Tu ne peux vraiment pas t’en empêcher ? répliqua Éric dans un rictus affligé.

— Non.

 

Un sourire discret dérida le visage bougon de Cyril. Son air revêche restait avant tout l’expression de sa réserve et de sa pudeur maladroite, Éric avait réussi à le deviner.


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