The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 12 : Souvenirs éparpillés ooOoo Déclaration d'amour ooOoo

4177 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/05/2023 14:08

ooOoo Déclaration d’amour ooOoo

 


Dès le lendemain, j’ai cherché Scotty sur le bateau et je l’ai présenté à Artus. J’ai renouvelé mon invitation, il a fini par accepter. Il est venu manger avec nous le jour suivant, au restaurant panoramique du Nymphéa.

 

Scott était assis à côté de moi, Artus en face de nous. Je le sentais toujours un peu dubitatif, mais il avait capté que j’étais fasciné par ce p’tit gars, et il savait qu’il n’y avait pas de fumée sans feu avec moi, alors il essayait de gratter l’écorce, tout doucement.

 

— Tu joues depuis longtemps ? demanda-t-il à Scotty.

— Euh… Oui, depuis que j’ai six ans. Mes parents m’ont inscrit à la chorale à cause de mon asthme, pour que je travaille mon souffle. Ils pensaient aussi que chanter m’aiderait à vaincre ma timidité. Mais, euh, le chant ça ne me plaisait pas trop. En revanche, j’ai tout de suite accroché avec le piano. C’est un peu comme les mathématiques.

— Comme les mathématiques ? a répété Cyril en grimaçant à moitié.

— Euh oui, les partitions sont comme des formules mathématiques, que ce soit le rythme ou les temps, tout est chiffré. Ça me rappelle aussi le codage d’une certaine manière, alors ça vient tout seul et… J’ai encore dit un truc bizarre c’est ça ?

— Pourquoi encore ?

 

Il avait l’air tout penaud, c’était marrant et trop craquant. J’ai bien vu que Cyk était incrédule et qu’il se retenait de lancer une vacherie de son cru, mais Artus et moi on s’est regardé discrètement. Je l’ai lu dans ses yeux : ça y est, il avait compris ce que j’nous avais déniché. Le coin de sa bouche s’est relevé pour me sourire, il était partant. J’étais fin heureux, et là…

 

— Scott ?

— Jenny !

 

Dès que les jumelles ont débarqué avec Coco et leur propre batteur, le p’tit Scott s’est mis au garde-à-vous. J’avais jamais vu un truc pareil. Les jours suivants, j’ai observé Scott de loin. Les jumelles et leur bellâtre bronzé le traitaient comme leur larbin, c’était abject. Mais à ce moment-là, j’ai pas trop eu le temps d’analyser la situation : Jessica était là, devant moi, alors j’étais en extase. Coco les avait croisées, elle et sa sœur, sur le pont inférieur en allant chercher son chien au chenil pour sa promenade quotidienne. Il leur a proposé de venir diner avec nous, histoire de faire connaissance entre musicos.

 

Grâce à lui et grâce à Scotty, j’ai enfin pu lui adresser la parole. Je jubilais ! Enfin elle m’avait remarqué ! Enfin j’existais pour elle ! Je revoie encore sa tête déconfite quand elle m’a vu à table avec Scott ! Il ne lui avait pas encore parlé de moi.

 

— Les Train Twins, en chair et en cordes ! m’écriai-je joyeusement.

— On se connait ? fit Jessy en haussant un sourcil.

— Pas encore, ou disons qu’on n’a jamais été présentés dans les règles. J’suis Matthieu. Et j’vous présente Artus et Cyril. Vous connaissez déjà Coco.

 

J’ai serré la main de Jessy. Elle avait une poigne de camionneur, et elle le faisait exprès. J’suis convaincu qu’elle a délibérément tenté de me broyer les doigts. Direct, elle s’est méfiée. Elle avait un instinct redoutable, j’avais vu juste.

 

— Ouais… Et visiblement vous, vous connaissez Scott.

— Il est avec vous ? s’étonna Coco.

— Scott voyage avec nous, oui.

— Et moi c’est Fry, au cas où ça intéresserait quelqu’un.

— Tu ne nous remets vraiment pas ? insistai-je, en ignorant la réplique du batteur-frimeur.

 

Je n’arrivais pas à détacher mon regard de Jessica, j’ai été un poil déçu que sa sœur me reconnaisse avant elle.

 

— Bon sang, mais oui… Mate le jukebox ! C’est ça ?

— Yep ! On a changé de nom depuis que Cyk et Coco nous ont rejoints.

 

Coco avait l’air content de les revoir toutes les deux. Évidemment, des jolies poupées comme ça dans leurs micro-shorts et leurs débardeurs taille trente-six distendus sur leur poitrine de très jeunes femmes, il était tout émoustillé mon p’tit Coco. Il n’était pas rancunier non plus. Les regards que leur lançait Artus m’ont bien déplu par contre. Il ne les aimait pas, il les prenait toujours pour des gamines chiantes, mais il reluquait quand même les croupes et l’encolure… Je ne pouvais pas y faire grand-chose de toute façon. Quant à Cyk, égal à lui-même, il s’est montré glacial et austère. Le pauvre Fry en bout de table était obligé de picoler tout seul pour oublier son voisinage désagréable. Moi je m’la jouais relax, comme toujours. Intérieurement, j’exultais. J’avais envie de rire, de chanter, de crier… Juste pour leur montrer qui j’étais.

 

— Alors ? Qu’est-ce que vous allez faire de beau à destination les Train Twins ?

— Et vous ? a aussitôt répliqué Jessy, les bras croisés.

— On a pas mal de concerts de prévu, mais on y va surtout pour participer à un concours au mois d’avril.

— Celui de l’Alpha et l’Oméga ?

— Ouais ! Vous aussi vous y participez ? lui ai-je demandé, mais j’avais déjà deviné la réponse en voyant son expression draconienne. 

— Ouais…

— Cool ! J’ai hâte de vous revoir sur scène. C’était pas mal votre petit concert hier soir.

 

Je cherchais un moyen d’établir un vrai dialogue. C’était peine perdue. Il y avait trop d’hostilité dans l’air, surtout quand Jessica a compris qu’on allait participer au même concours de talent et se retrouver face à face une fois de plus.

 

Elle faisait partie des rares personnes que je ne pouvais pas berner. La plupart des gens ne voient que le charmant et chaleureux Matt le jukebox, si souriant, si sympathique… Mais quand l’ambition rencontre l’ambition, c’est pas évident de le cacher. Elle voyait clair en moi. C’était inhabituel, étonnant, et, quelque part, excitant.

 

Merde, quand j’y repense… Artus, Scott, Jessy et moi, réunis autour de la même table, y avait un truc mythique à faire, là, à portée de doigts ! Et non, rien, personne d’autre que moi n’avait capté la chose. Quelle bande d’idiots… Ça m’a découragé, pendant une journée. Une journée seulement. J’suis pas du genre à baisser les bras pour si peu.

 

Si on ne pouvait pas s’allier avec les Train Twins, alors je devais tout faire pour gagner face à elles, ce concours là comme tous les autres. Et puisqu’elles n’utilisaient pas le talent de Scott, moi je n’allais pas m’en priver. J’ai attendu le moment propice, il est vite arrivé.

 

C’était la soirée vintage, Artus et Coco étaient à fond sur Ray Charles, Chubby Checker et Little Willie John. Je les regardais en souriant avec affection. Je ne sais pas où était Cyk. En tout cas, il n’était pas dans notre chambre. M’est avis qu’il avait trouvé un homme avec qui passer la nuit. J’espérais que Coco réussirait à pécho, il m’amusait à courir les filles en mode chien fou. Pour Artus, ça me faisait toujours mal au cœur, mais j’avais ma propre cible en ligne de mire.

 

Jessy était là aussi, elle dansait avec son copain Fry. Entre ces deux-là, y avait une tension sexuelle à la limite de l’indécence, et le pire, c’est que j’crois qu’ils captaient rien du tout, ni l’un ni l’autre. Jenny par contre, elle savait ce que c’était la tension sexuelle. Elle a emprunté le cavalier de sa sœur et elle s’est collée à lui quand The Great Pretender a commencé. C’était chaud… Même à moi ça m’a fait de l’effet. Faut dire qu’il n’était pas dégueu à regarder le Fry Morgan, il avait un fessier plus que parfait, sans parler du reste. Et Jane avait le même corps que sa sulfureuse jumelle. Des icônes de magazines teenagers ces trois-là. Je dois admettre que le p’tit Scotty, gaulé comme une crevette anorexique, faisait tâche dans le décor.

 

Je l’ai suivi quand il s’est enfui – c’était le mot qui convenait – de la salle de gala. Sur le pont promenade, je l’ai entendu brailler :

 

— Je n’y arriverai pas ! C’est trop dur !

 

Il était appuyé sur le bastingage. Je me suis approché. Je pensais qu’il m’avait entendu arriver, mais il a sursauté.

 

— Chagrin d’amour ?

 

Le pauvre, toujours au bord de la crise d’asthme… Je me suis excusé platement alors qu’il respirait dans son inhalateur. Il avait un côté pitoyable parfois, je trouvais ça attendrissant. C’était tellement à des années-lumière de ce qu’il était réellement.

 

— Désolé vieux, j’voulais pas te faire peur… Tu veux en parler ?

— Y a… Y a rien à dire…

— Y a toujours quelque chose à dire.

 

Il s’est affalé par terre, je me suis assis à côté de lui. Je me demandais si c’était Jenny ou Fry qui l’avait mis dans cet état. J’avais une vague idée de la réponse, mais je devais vérifier. Déjà, j’étais certain que c’était pas Jessy, elle le tétanisait. Je lui ai souri. J’ai essayé de lui parler de la voix la plus douce possible. Il était si délicat, si chétif, si sensible… J’avais rarement ressenti autant d’empathie pour quelqu’un.

 

— Ça ira mieux demain.

— Non. Non, c’est bien ça le problème. Demain elle aura toujours le même visage, toujours la même voix, toujours le même esprit brillant, et moi je serai toujours moi.

 

Elle, c’était donc Jane.

 

— Je crois que tu te sous-estimes mon gars. Tu lui as dit ce que tu ressentais ?

— Oui. Je me suis pris le pire râteau de la terre.

— Oh. Désolé…

 

Sa bouche s’est tordue comme s’il allait crier à nouveau, mais tout ce qui en sortit ce fut un murmure démoralisé.

 

— J’ai écrit une chanson pour elle… En fait, j’en ai écrit plein.

— T’es un vrai romantique Scott Network, lui répondis-je avec une admiration sincère.

— Et à quoi ça sert ? Je voudrais me jeter à la flotte et rentrer à la nage…

 

Je me suis relevé. J’aimais pas le voir avachi comme ça, et c’était pas mon genre non plus. En plus il avait dit les mots magiques : « j’ai écrit une chanson ». J’étais intimement convaincu que ce n’était pas celle que j’avais déjà entendue. Et comme si ça ne suffisait pas pour me séduire, il a rajouté : « plein de chansons ».

 

— Eh, tu sais quoi ? T’as pas besoin d’aller jusque-là. J’sais que c’est dur sur un bateau, mais prend du recul. Et si tu veux, moi je la chanterai ta chanson.

— Quoi ?

— Enfin pas moi, mais Artus, et moi je l’accompagnerai à la guitare.

— Je ne… C’est gentil, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée…

— Pourquoi ?

— Je lui ai promis de ne plus la mettre dans l’embarras.

— Mais quel embarras vieux ? Si c’est Artus qui s’en charge, y a pas de problème. T’as quand même pas écrit une chanson pour rien ! Si elle ne veut pas l’entendre, d’autres filles l’entendront cette chanson. Moi j’ai grave envie de l’écouter en tout cas !

 

Il me regardait avec des grands yeux ronds craintifs. J’étais écœuré, comment une personne aussi extraordinaire que lui pouvait être délaissée de la sorte ? J’admirais Jessy, mais Jenny je la trouvais insipide. Quand j’ai vu dans quel état elle avait mis Scott, je me suis dit qu’elle ne le méritait pas et qu’en plus elle était conne comme un manche à balais. Scotty était un vrai don du ciel, un pur génie, au sens strict du terme, mais en plus de ses qualités intellectuelles, il était incroyablement gentil et modeste, une vraie crème. J’pouvais pas le laisser là. Je dois l’avouer, je me suis un peu pris pour le messie. L’orgueil, toujours…

 

— J’veux pas être méchant avec la fille que tu aimes, mais je pense qu’elle n’est pas si brillante que ça, si elle n’a pas vu ce que moi j’ai vu en toi. T’as un talent fou, ce serait con de le gâcher, tu ne crois pas ?

 

J’avais réussi à le consoler un tout petit peu, il avait besoin qu’on lui donne confiance en lui.

 

Je l’ai emmené jusqu’à notre cabine grand luxe. Après lui avoir offert une boisson sans alcool, il a vidé son sac. Derrière sa retenue, il en avait gros sur le cœur.

 

Il m’a raconté dans les grandes lignes sa rencontre avec les jumelles. Il aidait son père à faire du dépannage informatique, ses compétences en numérique et en électronique intéressaient beaucoup les Train Twins. Jane et lui ont vite sympathisé parce que ce sont deux rats de bibliothèque, ça lui a fait oublier qu’ils ne castaient pas dans la même catégorie. La réalité l’a rattrapé quand il a eu le malheur de lui faire sa déclaration en public. Une histoire hautement pathétique de lycéens, banale à souhait. Un truc m’intriguait beaucoup dans son récit.

 

— Les filles savent que tu sais jouer du piano ? lui demandai-je.

— Non. Je n’ai jamais eu l’occasion de leur dire. Tu… Tu crois que je devrais leur en parler ?


Une belle question piège ça. J’ai bu trois gorgées de ma propre bière avant de lui donner ma réponse. Ça m’a laissé le temps de cogiter à la meilleure stratégie.


— Si tu en as envie. Sinon, t’as pas à te forcer. Tu disais que tu avais écrit une chanson pour Jenny ?

— Oui…

— Tu veux bien me la jouer ?

 

Je l’ai collé sur le piano qu’on nous avait mis à disposition. Il m’a joué la chanson la plus émouvante que j’ai entendue de ma vie, j’avais le souffle coupé. Elle a fait notre succès, c’est notre single record, alors je manque sans doute d’objectivité sur la chose, mais si des milliards d’êtres humains sur la planète ont dit que c’était la plus belle chanson d’amour écrite depuis plus de trente ans, c’est que c’est sans doute vrai. Et puis, il y avait l’excitation de la nouveauté. Un tout nouveau morceau, et j’étais le premier dans ce monde à l’écouter après son propre créateur. Je restais calme, impassible, toujours si cool… En réalité je peinais à tenir en place.

 

Pourtant il y a une seule fois,

Ou j’ai regretté de n’être que moi.

Quand j’ai cru mais n’ai pas su,

Me mettre à la hauteur de ta vue.

Mais je t’aime,

Oui je t’aime !

À ma façon à moi,

Avec mes mots parfois,

Mais ton cœur s’attend à,

Ce que je ne suis pas !

J’ai pourtant bien essayé,

D’être digne de me faire aimer,

Par une championne telle que toi,

Si belle et forte à la fois.

Toutes mes maladresses,

Mes peurs, mes faiblesses,

J’ai voulu combattre tout ça.

Je sais aujourd’hui que je ne t’égalerai pas.

Je sais aujourd’hui que je ne conviens pas…

Mais je t’aime !

Oui je t’aime !

À ma façon à moi,

Avec mes mots parfois,

Mais ton cœur s’attend à,

Ce que je ne suis pas…

 

Cette chanson, j’ai su, dès les premières notes, que ce serait une merveille. Elle était parfaite. Très simple, pure, presque candide, et en même temps poignante, dramatique, terriblement réaliste… Elle avait tout pour faire un hit mondial, encore fallait-il qu’elle soit jouée par les bonnes personnes, au bon moment.

 

Je voulais cette chanson, plus que je voulais Scott, ou même Artus, je voulais cette putain de chanson ! J’étais prêt à tout pour la récupérer. Dans ma tête c’était Armageddon. J’ai essayé de mettre de l’ordre dans mes émotions pour établir un plan d’action. Je jouais avec le feu vu qu’il y avait les Train Twins qui trainaient dans les parages. Jenny et Fry n’en avaient rien à foutre de rien en matière de musique, mais Jessy était en quête de succès, et si elle entendait ce truc…

 

— C’est absolument magnifique, susurrai-je.

— Tu trouves vraiment ?

 Putain ouais…

 

J’ai dû me frotter les paupières pour ne pas avoir la larme à l’œil. Je me suis assis sur le banc du piano à côté de Scott. On ne se touchait pas, mais je sentais la chaleur qui se dégageait de son corps, c’était exaltant. On a commencé à jouer à quatre mains. Je répétais ses notes pour m’imprégner de sa mélodie. Je lui ai filé des lignes de partitions vierges pour qu’il recopie son morceau. Il m’a donné ses idées pour les autres instruments, avec sa petite voix timide. Il était d’une pertinence et d’une intelligence bordel !

 

— À mon avis, tu devrais renforcer la ligne de basse, lui conseillai-je.

— Ah, tu crois ? Je n’ai pas trop l’habitude.

— J’suis sûr. C’est un truc auquel tu penses systématiquement quand tu as un bon bassiste sous le coude, et Cyk est le meilleur.

— D’accord, je te crois… Et je me disais que des chœurs masculins ce serait mieux.

— Ouais, totalement.

 

J’étais transporté par sa musique, j’en oubliais même de sourire. Il avait cessé de jouer pour remplir la feuille que je lui avais donnée. Au bout d’un moment, il s’est aussi arrêté d’écrire et il a regardé mes doigts qui couraient sur le clavier en reprenant sa chanson.

 

— Tu as une bonne mémoire auditive.

 

Sa réflexion a fait revenir mon sourire. On était exactement dans la même position avec Artus quand il m’a dit exactement la même chose pour la première fois. Je l’aidais à répéter son piano au club de musique du lycée.

 

— Auditive, visuelle et mathématique, précisai-je.

— Une mémoire absolue ?

— Pas tout à fait. C’est avec la musique que ça marche le mieux.

— C’est… Impressionnant.

 

Cet ébahissement dans sa voix, tout comme dans celle d’Artus, palpable malgré leurs caractères singuliers, je ne m’en lassais pas. Faute de romance, j’avais au moins ça : leur éblouissement.

 

— Toi aussi, t’es pas mal dans ton genre.

 

Il a détourné les yeux sous le compliment, avec un petit sourire confus. Parler musique avec moi avait un peu amélioré son moral.

 

Ah mon petit Scotty… Artus avait du charisme, et il était carrément plus beau que lui, plus mûr aussi, pourtant ce p’tit gars de dix-sept piges m’attirait dix fois plus qu’Artus, sexuellement parlant j’veux dire. Il était soumis et fragile, c’est ça qui me plaisait, en dehors de son talent indéniable pour la musique.

 

J’ai du mal à décrire ce que je ressentais ce jour-là, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai écrit une chanson sur ce souvenir. C’était un mélange de compassion, de tristesse et d’amour. Y avait de l’espoir et du désespoir en moi. De l’espoir, parce qu’il était abandonné, éconduit par la fille qu’il aimait. Or c’était parfait pour moi, ce que je voulais c’était le récupérer pour le groupe. Et du désespoir, parce que j’avais pigé qu’il était hétéro bien comme il faut. C’était un deuxième Artus : l’homme idéal, et il était inaccessible.

 

Cela dit, Artus est mon alter-ego, j’ai jamais pu établir une relation semblable avec Scott. D’abord j’en ai voulu à Jane. J’ai fini par comprendre qu’elle n’y était pour rien, c’était moi le problème. Scott était trop influençable, trop facilement manipulable. Face à quelqu’un comme moi, il ne pouvait pas résister, ni s’imposer. Le déséquilibre était trop grand, ma principale erreur a été de ne pas prendre cet élément suffisamment au sérieux dès le début. Pourtant, Artus m’avait mis en garde.

 

Il devait être entre deux et trois heures du mat quand les gars sont rentrés, sans Cyk. Ils ont croisés Scott sur le seuil de porte de la cabine. Mon nouvel ami les a salués timidement. Puis, il m’a fait signe de la main avec un dernier sourire reconnaissant avant de filer se coucher.

 

— Qu’est-ce que tu faisais avec baby Scotty ? me lança Artus, affublé de son petit sourire en coin moqueur.

— Je négociais notre chemin vers la gloire ! répliquai-je en brandissant triomphalement la partition griffonnée sous le nez d’Artus et Coco.

— Qu’est-ce que c’est ?

— La plus belle chanson du monde.

— Rien que ça ? rigola Corentin.

— Ouaip ! Accrochez-vous les mecs, z’allez chialer des larmes de sang.

 

Je leur ai rejoué le morceau de Scott de mémoire tout en chantant, avec moins d’aisance que lui évidemment. Artus me coupa juste avant la fin en posant une main sur le clavier du piano.

 

— Stop. Ça sort d’où ?

— Création de mon petit protégé. Pas mal hein ?

— Et il est d’accord pour qu’on la joue ?

— Eh ouais. Je pense qu’on devrait la travailler dès maintenant et la présenter au concours du mois d’avril.

— Quoi ? T’es devenu fou, c’est trop court ! s’exclama Corentin.

— Ce n’est même pas le plus gros problème. Matt, tu sais comme moi qu’il va avoir des ennuis avec ses copines si on fait ça.

— Et alors ?

 

Artus a soutenu mon regard impassible. Il n’était pas naïf et il me connaissait bien. Il n’empêche qu’il m’a provoqué pour que je dévoile le fond de ma pensée.

 

— Je croyais que tu l’aimais bien, et toi tu lui veux du mal ?

— Je veux qu’il vienne avec nous. Et pour ça il faut qu’il lâche les Train Twins.

— Ton plan est dangereux pour lui. Il va devoir se démerder avec ces deux furies, ce n’est pas très fairplay, même venant de toi.

— Fais-moi confiance, je ne les laisserai pas faire du mal à Scott.

— Tu n’es quand même pas amoureux de ce gamin ?

— Pourquoi tu me poses la question ?

— Parce que tu te sers de lui et que j’ai peur que tu dérapes.

— Tu m’as déjà vu déraper ?

— Non, mais…

— Fais-moi confiance Artus, répétai-je.

 

Et il m’a fait confiance, comme toujours. Et moi j’ai dérapé.

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