Cœur sur Papier
Cher Albert,
Il y a déjà longtemps que je voulais coucher ces mots sur le papier, à votre destination. J’espère que vous vous portez toujours aussi bien et que votre sourire radieux continue d’illuminer les journées des malades.
Je m’en souviens, il illuminait les miennes en tout cas ! Il faut dire que je ne m’attendais pas à atterrir dans cette chambre, c’était la 6, je m’en souviens encore ! J’étais proche de la fenêtre, c’était grâce à vous. Du onzième étage, la vue était imprenable : je pouvais distinguer sans peine le dôme de l’église Saint-Augustin ainsi que les courbes de notre grande dame de fer parisienne.
C’est vrai que c’est un très joli panorama qui m’a accompagné, ces longs jours coincé dans l’hôpital. Quand je vous ai dit, un peu las certes, que c’est comme tout et que vous vous en étiez sûrement lassé, vous m’avez dit avec un grand sourire qui éclairait votre visage que non. Une fois que vous avez fait le tour des patients, étant arrivé aux aurores, que vous avez pris toutes leurs constantes et distribué à tous les médicaments, vous vous installez toujours à la même place dans la salle de repos des infirmiers pour prendre votre petit-déjeuner, face à la grande fenêtre. Celle-ci vous offre un nouveau spectacle chaque matin, colorant le matin de ses nuances d’aube et de pollution, et vous aimez ça, vous adorez ça. Vous voyez, malgré mon âge, je m’en souviens bien. Et je trouve ça beau.
Je trouve presque ça aussi beau que votre métier. Vous m’avez une fois confié que vous aviez longtemps été infirmier de suppléance et qu’ainsi vous pouviez voir de nouvelles têtes tous les jours et que ça vous plaisait, mais qu’une fois, il y a quelques années, vous avez choisi sur un coup de tête de rester dans ce service de rééducation. Tout heureux de me le confier, ainsi que de me confier que c’était un des meilleurs coups de tête de votre vie, vous avez ri. D’ailleurs, que veut dire longtemps pour vous, pour votre visage sur lequel on ne peut poser d’âge… !
Moi j’avais mal, mais grâce à vous j’avais l’impression d’un peu moins souffrir. Aujourd’hui, si je remarche, bien entendu je sais que je le dois aux kinés, aux médecins, mais je sais aussi que je le dois à vous Albert. J’ai ma canne, il est vrai, mais je marche. Je marche seul, par moi-même ! Les soirs où j’allais mal, où mes vieux genoux dévorés par l’arthrose ne voulaient pas m’exempter de ma douleur, vous étiez là pour m’écouter, ou pour me parler, selon les soirs, selon ce dont j’avais besoin. C’est normal me direz-vous, mais je vous répondrai alors que peu de personnes prendraient comme vous le temps de s’intéresser à un vieil homme tel que moi. Oh, bien entendu que ma Francine l’aurait bien fait, on s’aime toujours comme si on avait vingt ans vous savez, mais voilà, l’hôpital est bien loin pour elle… Bien sûr que j’ai plein d’histoires à raconter, je vous en ai conté en quantité, à vous qui m’entendiez et m’écoutiez, votre main à la teinte caramel posée sur la mienne toute noueuse. À tout âge, se confier, parler, j’en suis certain, apaise l’âme.
Je vous ai apporté, avec ma lettre, des biscuits cuisinés main dans la main avec ma tendre Francine ainsi qu’une boîte de chocolats. En vérité, j’en ai apporté deux : une pour tous vos collègues, et une rien que pour vous. Veillez à bien la cacher, sinon il ne restera plus rien avant ce soir ! J’ai ouï dire durant mon séjour parmi vous que vous, ainsi que tout le personnel, appréciez ces petites attentions sucrées, alors j’ai pensé que cela pouvait vous faire plaisir et vous apporter un peu d’énergie à travers vos épuisantes journées, vous qui ne comptez pas vos heures !
Soyez-en sûr, je n’oublierai jamais votre bienveillance alors que j’étais prêt à abandonner l’idée de pouvoir remarcher un jour. Vous m’avez prodigué, en plus des soins infirmiers, beaucoup de courage et détermination. C’est avec fierté et dignité que je suis venu jusqu’à vous aujourd’hui vous remettre cette lettre, sur mes deux jambes, et je vous en remercie.
Continuez, Albert, vous êtes une personne exceptionnelle.
Charles
(Avec une tendre pensée pour un autre Albert infirmier que j’ai eu le plaisir de rencontrer)