La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1
La chaleur des premiers rayons du soleil tirèrent Khassendrah du sommeil. La jeune femme fronça le nez avant de l’enfouir dans la couverture, le dos tourné à la fenêtre. Elle n’avait guère envie de se lever. Ses rêves étaient trop beaux.
La douceur d’une paume masculine sur son bras la tira pourtant des limbes dans lesquelles elle s’était perdue. Elle ouvrit un œil, pour croiser le regard du capitaine Sindor, avec qui elle avait passé la noct-heure. La vision de son torse athlétique, aux muscles finement ciselés, lui arracha un sourire ravi. Lui-même semblait radieux, ainsi penché sur elle pour la réveiller, à contempler sa silhouette assoupie.
Il s’écarta un peu pour la laisser s’étirer. Khassendrah l’en remercia en son for intérieur : rares étaient ses conquêtes à la laisser respirer, le matin, lorsqu’elle s’éveillait. Cet alfombre charismatique possédait toutes les qualités dont elle pouvait rêver : jeune, puissant, beau, fort, galant et prometteur. Il n’était en effet âgé que de cinquante ans de plus qu’elle, un battement de cils pour les alfombres, et avait gagné son poste grâce à ses exploits durant la guerre. Il se montrait très respectueux envers elle, sans doute parce qu’il avait grandi, lui aussi, à Valmaëlën, autrefois.
La jeune fille se glissa dans ses bras. Il déposa un baiser sur son crâne.
— Bonjour, ma princesse des ombres, souffla-t-il. Tu as bien dormi ?
Elle hocha la tête avant de lui retourner la question. Qu’il lui était agréable de commencer la journée avec des mots doux au lieu des effroyables cris et pleurs des gamins dans les couloirs de l’orphelinat. Elle se sentait heureuse, ainsi blottie contre lui.
Leur étreinte se poursuivit de longues minutes, sans que ni l’un, ni l’autre ne se décide à la rompre. Le silence cristallisait ces instants de douceur volés au monde et les gravait dans leur esprit. Khassendrah songea à la chance qu’elle possédait d’avoir pu toucher son cœur, même si elle-même ne se montrait pas d’une grande fidélité. Il le savait d’ailleurs, et l’acceptait. Sans doute parce qu’il savait aussi que leur relation s’avérait dangereuse, tant pour son poste que pour sa réputation.
A mesure qu’elle reprenait conscience du monde qui l’entourait, Khassendrah sentait ses pensées dériver vers un autre homme, qui l’avait lui aussi tenue, quelques instants, dans ses bras. Un autre alfombre, plus sévère et brutal, qui avait cédé sans trop de résistance à ses charmes. Et, si Sindor possédait la jeunesse et le charisme, Vanador l’intéressait en revanche pour sa richesse et sa puissance.
Malgré ses promesses, l’Ahal l’avait déçue : il s’était montré beaucoup plus facile à manipuler que ce qu’elle aurait imaginé, et semblait croire qu’il pourrait la duper sans le moindre effort. Elle se doutait, vu son statut social, qu’il ne s’abaisserait jamais à aider une orpheline élevée hors de l’empire thalëni. Au contraire, il avait commis l’erreur de lui céder et devait craindre que la nouvelle ne s’ébruite. Par conséquent, Khassendrah devinait qu’il souhaiterait se débarrasser d’elle plutôt que de la satisfaire.
L’Ahal lui avait cependant promis quelque chose qui l’intéressait, quelque chose d’une telle valeur à ses yeux qu’elle hésitait toutefois à le trahir : Khaëlentis. Elle ignorait son plan pour l’installer à la tête de la ville, pour l’instant, mais l’idée commençait à faire son chemin dans son esprit. Bien sûr, elle pourrait très bien patienter jusqu’à sa majorité avant d’officialiser sa relation avec Sindor, et ainsi obtenir, par son biais, un certain pouvoir sur la cité. Cependant, ils ne pourraient agir à leur guise. Non, elle devait prendre la place du maître de la bourgade, et ainsi obtenir les pleins pouvoirs. Et seule la force la lui offrirait.
Oh, elle aurait bien pu tenter de s’attirer les faveurs de l’homme ; après tout, il aurait représenté un défi intéressant, puisque les rumeurs le décrivaient d’une fidélité sans faille à sa compagne. De plus, le bruit courait qu’il préférait la religion à la politique et laisserait bientôt sa place à un autre althëlien. Cependant, elle refusait de s’abaisser à séduire des hommes d’une autre origine qu’alfombres.
Par ailleurs, même si la conquête de Khaëlentis lui paraissait attirante, elle ne l’aiderait en rien à contrôler ses pouvoirs. Plus encore que de récupérer la ville, elle souhaitait en effet apprendre à utiliser la magie. Après tout, diriger la cité ne serait pas chose aisée si elle ne possédait aucune compétence pour se maintenir à son poste. Ses habitants étaient certes couards et d’une lâcheté navrante, ils n’en restaient pas moins, pour une bonne partie, des elfes de feu capables de la faire brûler si elle se montrait trop entreprenante. Et si elle voulait la purger de tous les bâtards qui l’occupaient, elle devait se préparer à les pousser vers la sortie à grands renforts de sortilèges et d’illusions.
Elle avait passé la nuit à réfléchir. Khaëlentis représentait certes son but final, mais sa priorité restait Torfrirta. Et pour obtenir ce qu’elle voulait, elle n’aurait pas le choix : il lui faudrait faire chanter Vanador, d’une manière ou d’une autre. Un objectif bien délicat, même pour elle et ce qu’elle savait de l’Ahal.
Les mouvements doux de Sindor pour la reposer sur le matelas la tirèrent de ses pensées. L’alfombre s’assit à ses côtés avec un soupir.
— Je vais devoir y aller, souffla-t-il à regrets. Le devoir m’appelle…
— On se retrouvera ce soir, répondit-elle avec un sourire sincère.
Le coin de sa lèvre se souleva. Il se pencha vers elle pour déposer un baiser léger sur ses lèvres.
— J’y compte bien, ma princesse des ombres.
Avec une mine résignée, il quitta le confort du lit pour aller s’habiller. Khassendrah en profita pour contempler sa peau d’onyx. Il lui adressa un petit sourire.
— Tu comptes faire quoi, aujourd’hui ? lui demanda-t-il.
Elle haussa les épaules.
— Traquer Raeni, j’imagine. Je reste persuadée qu’elle sait où trouver Ayrik.
Le capitaine pinça les lèvres.
— Tu es sûre que tu ne veux pas me laisser faire, Khassie ? Loin de moi l’idée de te dicter ta vie, s’empressa-t-il de rajouter devant son regard courroucé. C’est juste que ça m’embêterait qu’il t’arrive quelque chose. Après tout, les rues de la ville lui appartiennent, à elle, et à la bande de délinquants qu’elle dirige…
— Elle-même craint les voyous et les mendiants, siffla-t-elle, boudeuse. Elle ne contrôle pas plus les rues que l’Ahal Vanador la ville. Bien au contraire, même.
— Il n’empêche qu’elle a beaucoup d’alliés, je l’ai déjà constaté à plusieurs reprises.
Khassendrah haussa à nouveau les épaules avec une moue peu convaincue. Sindor soupira devant son entêtement.
— Tu ne changeras pas d’avis, n’est-ce pas ?
— Pas tant que j’aurai l’Ahal Vanador de mon côté.
Sindor lui jeta un regard étrange. Il acheva d’attacher son plastron, puis la rejoignit. Khassendrah fronça les sourcils.
— Tu lui fais confiance ? demanda son amant à voix basse.
— Je n’ai pas dit ça, se défendit-elle. C’est juste que son aide pour la capturer n’est pas à négliger. Et tu sais combien j’aimerais la voir tomber.
Un léger rictus étira les lèvres du capitaine.
— Je refuse de croire que tu le laisseras faire. Je te connais, Khassie. L’Ahal pourrait t’offrir tout l’or du monde pour que tu ne t’impliques pas, tu serais encore capable de refuser pour satisfaire ta vengeance.
— J’ai dit que je comptais me servir de son aide, pas le laisser faire tout le boulot, répliqua-t-elle, vexée.
Sindor attrapa son menton avec douceur. Elle croisa son regard, où elle découvrit une immense inquiétude.
— S’il te plaît, fais attention à toi, la supplia-t-il. Je ne lui fais pas confiance. Il dégage une aura qui ne me plaît pas, pas plus que son air supérieur.
Il n’attendit pas de réponse de sa compagne pour déposer un doux baiser sur ses lèvres.
— Je t’aime, Khassie, souffla-t-il.
La jeune femme se prit à sourire. Elle le trouvait très mignon, à s’inquiéter ainsi pour elle. Très mignon, mais un peu collant.
— Je ne l’apprécie guère plus, avoua-t-elle, mais je préfère m’en faire un allié qu’un ennemi.
Elle ne lui avait pas parlé de ses projets immédiats. Elle savait qu’il n’approuverait pas son départ pour Torfrirta, pas plus qu’il n’apprécierait de la savoir apprentie mage. Bien sûr, il se réjouirait pour elle, mais pas de la voie qu’elle avait choisi de suivre. Il tenterait de la dissuader de partir, encore plus d’apprendre les bases de la manipulation des esprits.
— Je peux comprendre, soupira-t-il, mais j’ai peur qu’il te fasse du mal. Il serait capable de te faire disparaître pour que votre liaison reste secrète.
— Je le sais, ça. Et je compte sur toi pour garder le secret, sauf si je viens à disparaître.
Sindor écarquilla les yeux.
— Tu veux que…
— Que tu me venges en détruisant sa réputation s’il vient à me tuer, oui, confirma-t-elle d’un ton froid. Je suis certaine qu’il doit connaître des gens qui raffoleraient de ce genre d’informations.
Le capitaine ouvrit la bouche et la referma presque aussitôt. Son regard choqué ne troubla pas Khassendrah le moins du monde. Elle savait ce qu’elle faisait.
— Tu… tu te rends compte de ce que tu me demandes ? souffla-t-il enfin. De…
— Seulement si je viens à mourir, insista-t-elle. S’il disparaît et tient parole, tu pourras oublier toute ça. Dans le cas contraire, tu ne pourras l’atteindre qu’avec cette histoire. Et je suis persuadée que tu réussiras à faire courir le bruit que c’est Anathor qui a officialisé la chose.
— Anathor ? demanda Sindor, interloqué. Pourquoi ?
— Parce qu’il te causera des ennuis aussi une fois Raeni mise hors d’état de nuire. Il faut s’en débarrasser.
Le capitaine secoua la tête et se releva.
— Je ne peux pas faire ça, Khassie. C’est malhonnête.
— Mais si, que tu le peux, répliqua-t-elle en l’imitant.
Elle se colla contre lui et le força à la regarder dans les yeux. Elle lut dans les siens toute la peur et le désarroi qui le traversait.
— Je ferai tout pour que tu n’aies pas à en arriver à cette extrémité, poursuivit-elle d’une voix envoûtante. Mais je veux que tu me promettes qu’en cas de problème, tu le feras.
Seul le silence lui répondit. Elle comprenait à son expression qu’il se livrait à un combat intérieur entre sa conscience professionnelle et son amour pour elle. Elle s’en sentit quelque peu vexée. Elle pensait qu’il l’appréciait plus que cela.
— S’il te plaît, Sindor… reprit-elle avec un regard de biche. Tu sais que je connais mieux les coutumes thalëni que toi. Je t’assure que ça se fait, chez eux, de clamer ce genre de choses lorsque tu veux te débarrasser de quelqu’un. Et vu comme il est borné, tu n’auras pas besoin de beaucoup insister pour lui prouver que tu n’as rien à voir avec ça.
Il soupira.
— D’accord, Khassie… Je te le promets. J’utiliserai ce que je sais contre l’Ahal Vanador s’il vient à t’arriver quelque chose et qu’il en est responsable.
La jeune fille l’embrassa, un sourire joyeux aux lèvres. Lui la regardait sans la voir, perdu dans ses pensées.
— Je te promets de faire attention pour éviter les ennuis, répéta-t-elle. Et n’oublie pas de me prévenir si tu as du nouveau.
Il hocha la tête et acheva de se préparer en silence. Avant de partir, il déposa un léger baiser sur le crâne de son amante, puis lui souhaita une bonne journée. Il quitta la pièce avec discrétion, laissant Khassendrah seule.
L’alfombre se rallongea sur le dos, les bras croisés derrière sa tête. Voilà pourquoi Sindor ne l’intéressait que pour ses caresses : il se montrait beaucoup trop doux et soucieux de la justice. Il possédait certes du sang et des rêves alfombres, mais son éducation toëllienne faisait de lui un être trop sensible, qui ne comprenait pas l’idée même de se servir d’informations compromettantes pour nuire à quelqu’un. Avec un profond soupir, elle songea qu’il lui serait sans doute bientôt inutile.
Ses pensées dévièrent vers Vanador et ses secrets. Il en cachait, elle en était persuadée. Elle refusait de croire, par exemple, qu’elle était la seule fille à qui il ait cédé. D’autres devaient avoir connu le même privilège, à Torfrirta. Ou même ailleurs, pendant la guerre. Il lui avait assez répété qu’il avait participé aux combats pour savoir qu’il pouvait très bien avoir passé du temps avec d’autres femmes, lorsqu’il se trouvait loin de chez lui. Elle se demandait aussi s’il avait une épouse à qui tout raconter.
Elle songea aussi à sa broche, celle qui avait lancé toute cette affaire. Elle avait bien tenté de le questionner à ce sujet, il s’était contenté de lui répondre de manière évasive, avec un regard inquisiteur. De même, l’énergie qu’il mettait à la retrouver témoignait d’un grand attachement pour le bijou. Un attachement qu’elle trouvait suspicieux. Elle ne pouvait se résigner à croire que seule sa fierté entrait en jeu dans sa quête de justice et de vengeance.
Ses yeux se fermèrent un court instant, juste assez longtemps pour que la tête de sang-noir se matérialise dans son esprit. Lorsqu’elle l’avait aperçue la première fois, elle avait été hypnotisée par les deux rubis, qui semblaient luire d’un éclat magique. Elle avait même ressenti, lorsqu’elle avait pris l’objet dans ses mains, la puissance qui s’en dégageait. Elle était enchantée, nul besoin de connaître les secrets arcaniques les plus obscurs pour le deviner. Elle se demandait juste pourquoi elle portait un tel sortilège.
En fait, elle comptait bien le découvrir elle-même. Elle devait cependant trouver un plan pour la récupérer sans que Vanador ne se doute un seul instant qu’elle était responsable de sa nouvelle disparition. Elle prendrait par la suite le temps de l’étudier, quitte à embarquer pour Torfrirta et trouver quelqu’un capable de l’aider à en percer ses secrets.
Elle se leva, les sourcils froncés par la réflexion. Pour cela, il lui fallait trouver un contact quelconque là-bas. Et elle avait déjà une idée pour identifier quelques personnes importantes au sein de la société thalëni : Vanador conservait en effet dans sa chambre une grande quantité d’ouvrages et de parchemins qui paraissaient importants, puisqu’il ne l’en laissait pas approcher. Elle l’avait par ailleurs déjà vu rédiger des courriers, qu’il avait confié à différents coursiers à destination de Torfrirta.
Perdue dans ses pensées, elle regarda à peine la robe bleu roi qu’elle choisit pour s’habiller avant de l’enfiler. Elle se plaça ensuite devant un grand miroir, une brosse à la main, pour brosser et attacher sa longue chevelure obsidienne. Elle y glissa deux rubans de la même teinte que son vêtement, un de chaque côté de sa tête, qu’elle noua pour former deux fleurs de satin dotées chacune de cinq pétales. Elle incorpora l’extrémité de chacun des bouts de tissu dans deux tresses fines, qu’elle rejoignit derrière sa tête. Un nœud et deux épingles plus tard, sa coiffure était terminée. Elle ajouta une pointe de mascara sur ses cils avant de sourire, satisfaite du résultat. Elle enfila ensuite une paire de sandales fines, puis passa un lourd manteau noir sur ses épaules. Enfin, elle rabattit la capuche sur sa tête avant de sortir de la chambre.
Bien qu’elle appréciât les soirées aux côtés de son amant, elle devait redoubler de prudence chaque fois qu’elle le rejoignait ou le quittait. Elle profitait donc d’un souterrain dissimulé sous sa maison, qui lui permettait d’aller et venir sans être remarquée. Son ample déguisement servait surtout à la faire passer pour une simple mendiante à la sortie du passage, qui donnait sur une rue très mal famée. Et aussi la protéger de la poussière qui tombait parfois du plafond.
Elle émergea quelques instants plus tard dans la lumière matinale. Le soleil asséchait déjà les rues de ses rayons accablants, et elle sentit très vite la chaleur l’étouffer, sous son vêtement épais. Elle serra cependant les dents et poursuivit sa route sans attirer le moindre regard sur elle.
L’allée dans laquelle elle marchait était presque déserte. Seules deux ou trois personnes y traînaient, et leurs silhouettes décharnées suffisaient à la tenir à distance. Inquiète cependant à l’idée de traverser le territoire d’une bande de voyous organisée, elle se réfugia dans l’ombre d’un bâtiment et s’y arrêta. Elle ferma les yeux un court instant, le temps de se concentrer sur la puissante énergie qu’elle ressentait en elle. Elle rouvrit ensuite les paupières avant d’observer ses paumes avec intensité. Lentement, elles s’estompèrent jusqu’à disparaître tout à fait. Ses vêtements en revanche restèrent visibles, de manière à la faire passer pour un esprit. Et vu la dangerosité de ceux qui rôdaient dans le quartier, elle ne craignait pas d’être abordée.
Elle reprit donc sa route d’un pas tranquille afin d’imiter le vol d’un fantôme. Son stratagème sembla fonctionner, car les inconnus disparurent bien vite à sa vue. Elle se permit donc d’accélérer un peu, jusqu’à retrouver une rue un peu plus animée où elle put relâcher le sortilège sans craindre de se faire aborder. A sa grande joie, personne ne lui prêta attention.
Elle marcha encore quelques minutes avant d’atteindre un petit jardin abandonné. En quelques marches à peine, le brouhaha de la voie s’éteignit presque tout à fait, étouffé par l’épaisse masse végétale qui s’y développait. Elle s’étonnait de voir cet îlot de verdure encore intact : en pleine saison des feux, elle pensait qu’il aurait déjà brûlé. Cependant, elle ne pouvait qu’apprécier sa survie pour se dissimuler et supporter un peu mieux la chaleur du soleil.
Elle ne s’attarda pas à détailler les vieilles statuettes oubliées entre les buissons et les arbrisseaux. Une silhouette attendait, assise sur un banc de pierre fissuré. Un sylalei, devina-t-elle à ses longs cheveux châtain et ses oreilles pointues. Il ne semblait pas chercher à se dissimuler, pas plus qu’il ne souhaitait masquer l’aigle qui l’accompagnait. Khassendrah put donc observer à loisir son visage anguleux, imberbe, et couturé de cicatrices. L’une d’elle ressemblait à une grosse brûlure et semblait avoir emporté son œil droit, masqué derrière un cache-œil en cuir brun. Un frisson la parcourut.
Sans attendre, elle s’approcha pour le rejoindre. Elle en profita pour se concentrer sur un nouveau sortilège. Sa vision se flouta un court instant, puis redevint nette. Elle n’était pas certaine qu’il ait fonctionné comme elle le souhaitait, mais la sensation étrange que lui procurait chacune de ses utilisations de la magie lui indiquait qu’elle l’avait bien lancé.
Lorsqu’elle fut face à lui, l’homme se leva et esquissa un sourire d’autant plus inquiétant qu’il révéla ses dents limées en pointes. L’aigle glapit.
— Les dragons veillent sur les puissants.
Sa voix, plus grave que ce à quoi elle s’attendait, la fit frémir. Elle se sentait presque comme une petite souris face à un chat sur le point de la dévorer. Dans un élan de lucidité, elle parvint cependant à reprendre contenance.
— Et dans leurs flammes brûlent les faibles, répondit-elle.
Malgré son inquiétude, elle avait réussi à se donner des intonations masculines. Guère très viriles, mais sa silhouette correspondait davantage à la voix d’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence qu’à celle d’un vieux marin aigri. Par chance, l’inconnu sembla convaincu, car il inclina la tête pour la saluer.
— Je ne vous ferai pas attendre davantage, poursuivit la jeune femme. J’ai besoin que vous mettiez vos compétences à ma disposition.
Elle tira des pans de son vêtement une bague ornée d’un rubis dérobée quelques jours plus tôt à un voyageur de passage par l’un de ses hommes et la lui tendit.
— Voilà la première partie de votre paiement. Faites ce que je vous demande et vous aurez le reste.
Elle laissa le sylalei se saisir du bijou et l’observer quelques instants, après quoi, satisfait, il planta son regard dans le sien.
— Je vous écoute, monsieur. Dites-moi ce que je dois faire.