La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1
Les premiers rayons du soleil effleuraient à peine la surface des flots endormis lorsque Raeni fut tirée du sommeil par quelques coups frappés à sa porte. Elle quitta à regret son cocon de chaleur et de confort pour aller ouvrir. Thaelor l’attendait derrière le panneau de bois, les bras croisés.
— Ah, tu es réveillée, remarqua-t-il. Comment tu te sens ?
— Ça va, affirma-t-elle. Qu’est-ce que tu veux ?
— J’aurais quelques petites choses à t’expliquer, indiqua-t-il. Je peux entrer ?
— Bien sûr.
La jeune femme s’effaça le temps qu’il passe, puis referma la porte derrière lui. L’alfombre jeta un regard émerveillé à la cabine. De toute évidence, le luxe de la pièce lui plaisait. Il s’adossa à une cloison et croisa à nouveau les bras.
— Belle déco, siffla-t-il. Tu as de la chance de pouvoir profiter de tout ça. Ça doit te changer de l’orphelinat.
— Si tu veux dormir ici, tu as le droit, lui proposa Raeni. Je ne vois pas pourquoi je serais la seule à profiter d’un tel confort.
— Parce que tu es la capitaine ? suggéra-t-il, amusé. Cela dit, merci pour la proposition.
— Capitaine ? s’étonna-t-elle.
— Il faut bien quelqu’un pour commander ce navire, expliqua-t-il. Comme tu les as dirigés jusque-là pour quitter le port, autant que tu restes à leur tête en mer. Bon, il va te falloir apprendre le vocabulaire marin, les différentes manœuvres pour faire bouger le navire, comment naviguer…
— Tu ne veux pas plutôt prendre le relais ? demanda-t-elle. Tu maîtrises tout ça, tu serais sans doute plus apte à… à être leur capitaine.
— Sauf que je n’ai ni ton charisme, ni ton inventivité, déclina-t-il. Connaître le navire, c’est une chose, mais un vrai capitaine sert surtout à diriger, donner ses ordres, établir les caps et les potentielles stratégies en cas d’attaque… Non, ça te convient mieux qu’à moi. Mais promis, je t’aiderai. Au moins pour les manœuvres le temps que tu apprennes tout ça.
— Ouf, souffla-t-elle, rassurée. Tu me faisais presque peur, là.
Un rire échappa à Thaelor.
— Depuis quand tu connais la peur, toi ? s’amusa-t-il.
— Depuis qu’on est légèrement sur une étendue d’eau profonde, loin de toute terre, et que si le bateau coule, on est tous condamnés ?
Son ami pouffa.
— Il n’a aucune raison de couler si on ne croise pas de récifs ni de tempêtes. Et, normalement, ce n’est pas la saison et on est trop loin des côtes pour rencontrer des bas-fonds. On ne risque rien, pour l’instant.
— N’empêche qu’en cas de problème, ça sera compliqué, grogna-t-elle.
— Mais non, lui assura-t-il. Pourquoi est-ce qu’il y aurait un problème ? La mer est calme, les appareils sont formels : pas de tempête prévue pour tout de suite. Tu auras le temps de potasser des bouquins pour apprendre le vocabulaire, qu’on te fera répéter pour qu’il rentre bien. Pour ce qui est du reste…
Ses yeux se posèrent sur l’étagère, dont il s’approcha. Il observa son contenu avec intérêt, de toute évidence à la recherche de quelque chose. La jeune femme le regarda faire, intriguée. Enfin, avec une légère exclamation ravie, il dégagea un rouleau de papier bleuté, puis se dirigea vers la table. Raeni le suivit, curieuse de voir de quoi il s’agissait.
Son regard se posa sur les missives empilées. Son acolyte remarqua son expression interrogative et s’empressa de l’éclairer :
— Je cherchais ce qu’on pourrait faire, maintenant.
— Et après tu ne veux pas être capitaine, ironisa-t-il. Là, tu me prouves que tu mérites de le devenir.
— J’ai surtout envie de trouver un endroit tranquille où on pourra aller sans risquer de se faire attaquer par quoi que ce soit, grogna-t-elle. Et si tu continues à te moquer de moi, je te fais attacher au mât pour te chatouiller les orteils avec une plume. Ayrik sera ravi de servir de bourreau.
— Tu oserais torturer ton marin le plus expérimenté ? s’offusqua-t-il.
— Si tu continues, oui, confirma-t-elle, menaçante.
L’alfombre toussota, puis demanda pour changer de sujet :
— Et tu as trouvé quelque chose ?
— Peut-être, confirma-t-elle. J’aurais juste besoin de ton avis.
— Dis-moi tout, l’invita-t-il à poursuivre.
Sa camarade lui tendit la lettre qui avait retenu son attention. Le jeune homme la déplia, puis en parcourut le contenu du regard sans rien dire. Raeni attendit qu’il ait terminé sa lecture. Elle voyait, à ses sourcils froncés, qu’il étudiait avec attention le message.
— Tu veux rejoindre les Braises, devina-t-il au bout d’un long moment.
— Peut-être pas eux directement, avoua-t-elle, mais ils sont puissants et pourraient nous offrir le soutien nécessaire pour trouver à Ayrik une famille convenable, ou au moins pour nous trouver un endroit où refaire nos vies sans jamais plus craindre Khassendrah ou Vanador. Le problème, c’est que ce sont…
— Des pirates, compléta-t-il sans lui laisser le temps de terminer sa phrase. La bande la plus vaste et la plus organisée de tout Mililian, peut-être même de tout Sorena. La seule chose qui m’empêche de te le confirmer, c’est le manque d’informations sur les royaumes du nord et de l’ouest.
— Ils se battent pour leur liberté, argua-t-elle sans sourciller. Les récits…
— Parlent d’anciens guerriers qui œuvrent pour la paix et l’union des peuples, je sais, la coupa-t-il d’un ton un peu sec. Mais les récits ne sont pas toujours exacts.
— Tu sais mieux que moi que les marins ont tendance à assombrir la réalité, tenta-t-elle encore. Ils en font des fous dangereux pour impressionner tout le monde, mais en réalité, ce ne sont que des hommes comme tant d’autres.
— Eh bien pour une fois ils ont embelli les faits, répliqua-t-il.
— Comment ça ?
— J’ai déjà eu affaire à eux, révéla le jeune homme. Ils voulaient nous voler le Perle d’Ambre à cause de ses exploits et de son armement. Ils étaient unis, oui, mais surtout sanguinaires. Violents. Ils n’ont pas hésité à nous tuer quand ils ont vu que nous ne nous laisserions pas faire. Nous ne devons notre survie qu’au talent des mages de guerre qui nous accompagnaient. Sans eux, tu ne m’aurais sans doute jamais revu.
— Ils ne taperont pas sur des gamins incapables de se battre, s’entêta-t-elle. Si nous leur offrons le Perle d’Ambre, ils nous ficheront la paix et pourraient même nous aider. Plusieurs marins ont parlé du traitement de faveur qu’ils offraient à ceux qui leur donnaient une partie de leur cargaison ou qui acceptaient de les rejoindre. Je suis certaine que c’est vrai.
— D’autres les ont décrits comme des brutes sans foi ni loi, qui ne respectaient même pas les règles élémentaires de courtoisie. Je ne l’ai pas vérifié moi-même, mais je suis prêt à le croire. En revanche, je sais qu’ils ont tué des passagers sur de nombreux navires. Certains te diront que ce n’était jamais sans raison, mais le résultat est là, Rae. Ils tuent. Ils pillent. Ces cargaisons qu’on leur offrait, tu ne crois pas qu’elles manquaient à ceux censés les recevoir ? Tu ne t’es jamais demandée combien de femmes, combien d’enfants ont pu être privés de nourriture à cause de leurs réquisitions de biens ? Peut-être même que Khaëlentis a pu en manquer aussi. Ce n’est pas leur zone d’activité principale, mais imagine juste un instant qu’ils aient intercepté un navire censé nous apporter des vivres, pendant la guerre. Ou du matériel médical. On était trop petits à l’époque pour s’en soucier ou être informés de ce genre de choses, mais c’est tout à fait possible.
Cette fois, la jeune femme garda le silence. Son ami avait raison, sur ce point-là. Devant son mutisme, Thaelor reprit, d’une voix plus douce :
— On peut toujours trouver de l’aide ailleurs. De nombreuses criques pourront abriter le Perle d’Ambre quand on voudra faire une escale. On aura juste à gagner un village, après. Ils pourront nous offrir de l’aide, j’en suis certain. Si tu veux, on pourra aller jusque Skyëlta. Là-bas, les humains pourront accueillir Ayrik et lui trouver la famille aimante qu’il mérite d’avoir. Et nous, on trouvera bien quelque chose à faire… Tu es douée en couture. Tu pourrais ouvrir un commerce, ou devenir l’apprentie de quelqu’un ?
Elle ne répondit pas, de toute évidence perdue dans ses pensées. Il la laissa réfléchir un peu, sans la presser. Lui-même ne savait pas trop quoi faire, maintenant qu’il l’avait aidée à voler le navire. Continuer à parcourir les flots ? Trouver un coin où, comme il l’avait suggéré, refaire leurs vies dans l’anonymat le plus complet ? S’engager sur un autre vaisseau, marchand cette fois, pour continuer à gagner sa vie comme il le faisait depuis qu’il avait atteint l’âge de travailler ? Il n’en savait rien.
— Bref, lança-t-elle subitement. On parlera de ça plus tard. Pour le moment, il nous faudrait déjà arriver vivants à terre.
Thaelor esquissa un léger sourire. L’étincelle habituelle qui éclairait son regard s’était ravivée. Il préférait la voir ainsi.
— Débarrasse tout ça, lui demanda-t-il. Je vais te montrer quelque chose qui va te plaire.
L’hybride s’exécuta. Une fois la place faite, l’alfombre déposa le rouleau de papier sur la table et le déroula. Une carte de la région, bien détaillée, se révéla sous leurs yeux. La jeune femme lâcha une exclamation émerveillée, qui arracha un sourire fier à son comparse.
— Jolie, n’est-ce pas ? demanda-t-il, ravi. C’est avec ça que tu vas travailler, maintenant. Pour établir des caps, déterminer la position du navire, donner tes ordres, quoi. Tu pourras aussi t’en servir pour mettre au point des plans, si jamais tu as besoin de le faire.
— Impressionnant, siffla-t-elle.
Son regard scruta les minuscules dessins des côtes. Les formes déchiquetées, rongées par le temps et les éléments se déployaient sur toute la longueur du papier, immobilisées en un tracé net à l’encre brune. Elle glissa ses doigts sur l’immense rose des vents représentée dans le coin supérieur gauche de la feuille, décorée de minuscules motifs enflammés. Elle déchiffra avec peine les lettres enluminées, tracées avec beaucoup de soin juste à côté, et qui indiquaient le nom de la région. Toëlla. Son royaume natal, qui l’avait vue grandir pendant seize ans.
Elle baissa ensuite les yeux sur les noms marqués d’une écriture fine à proximité d’une multitude de points le long de la carte. Ils n’étaient guère nombreux, la plupart du temps si petits qu’il lui aurait fallu une loupe pour les lire. Seuls quelques-uns retinrent son attention, marqués assez gros pour attirer l’œil : Frolrdrahë, Dolvëhala, Faldëvahë et Nývëltis. Elle se souvint des deux premiers, dont ses parents lui avaient déjà parlé lorsqu’elle était toute petite. Les deux plus grands ports althëliens de Toëlla. Les deux autres devaient posséder la même influence, à en juger par la taille des points qui les représentaient.
Son regard s’égara ensuite à droite de la carte. Thaelor devina à son index attentif, posé sous les noms qu’elle peinait à déchiffrer, qu’elle recherchait Khaëlentis. Il lui montra la côte, non loin de la frontière matérialisée par un épais trait écarlate.
— On est partis de là quelque part, expliqua-t-il. L’échelle est trop grande pour voir Khaëlentis.
Il lui montra ensuite une fine barre dans le bas de la carte, accompagnée d’un chiffre.
— Tiens, si tu veux une idée, un centimètre ici représente à peu près mille kilomètres.
La jeune femme effectua un rapide calcul mental. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise lorsqu’elle réalisa la taille que possédait Toëlla. Thaelor esquissa un sourire amusé.
— C’est grand, n’est-ce pas ? déclara-t-il.
— Je ne pensais pas que ça l’était autant… avoua-t-elle.
— Et encore, tu n’as jamais vu les cartes de Skyëlta. Le royaume est si grand qu’il n’apparaît jamais en entier nulle part. Après, pour la navigation, on n’en a peut-être pas besoin non plus, mais les côtes elles-mêmes sont divisées en plusieurs zones dessinées sur des cartes séparées.
Raeni ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Elle n’arrivait pas à imaginer une telle immensité, surtout qu’on lui avait toujours décrit Skyëlta comme un immense désert dans lequel personne n’osait s’aventurer, pas même les humains. Le royaume de Soleil se situait dans la région la plus chaude d'Eldalis, là où les rayons de l'astre diurne brûlaient le plus la terre et ses habitants. Les soldats de passage à Khaëlentis, qui revenaient de cette région, se plaisaient à raconter à quel point les températures y étaient extrêmes la journée, à tel point que beaucoup d’althëliens préféraient se déplacer de nuit, lorsque le froid envahissait l’air. La mer elle-même était chaude, bien trop pour leur permettre de se rafraîchir. En plus, certains racontaient même que la chaleur faisait s’évaporer leurs ressources d’eau douce, difficile à trouver aux portes du désert.
— Tu as déjà visité Skyëlta ? demanda-t-elle à son ami, curieuse d’en savoir plus sur leur potentielle destination.
— A peine, avoua-t-il, un soupçon de regrets dans la voix. J’ai à peine passé le grand fleuve du Sud.
— C’est vrai qu’il fait chaud, là-bas ? s’enquit-elle, le regard brillant.
— De ce qu’on m’a dit, moins qu’au cœur du royaume. Mais les quelques semaines que j’ai pu passer sur le pont à croiser dans cette région avec le Perle d’Ambre m’ont suffi pour savoir avec certitude que je ne veux pas aller plus loin dans les terres, et pas plus au sud non plus. J’ai fini plusieurs fois à l’infirmerie avec une insolation et des coups de soleil.
Il s’assit sur la table, plongé dans ses pensées.
— Après, je n’avais pas non plus la tenue idéale pour affronter le soleil, reprit-il. J’ai entendu dire que les habitants de Skyëlta ont tendance à porter des sortes de longues robes très claires, faites d’un tissu fin et léger. Ils passent leur temps la tête couverte par des voiles blancs pour leur protéger le crâne. Et ils ont l’habitude de la chaleur, aussi, ce qui n’est pas trop mon cas.
— Pourtant, il fait chaud aussi à Toëlla, fit remarquer Raeni.
— Beaucoup moins ! s’exclama-t-il. Tu verras, si on y va. On meurt de chaud !
— Tu es sûr que tu n’en rajoutes pas ? le taquina-t-elle.
— Je te le rappellerai quand tu seras à moitié évanouie parce que tu ne supporteras pas la température locale, la menaça-t-il.
— Tu ne devais pas faire preuve de respect envers ta capitaine, toi ?
— Je croyais que tu ne voulais pas l’être ! s’exclama-t-il.
— Tu veux prendre ma place ?
— Pour la cabine et pour pouvoir t’embêter comme je le souhaite, je veux bien. Mais ne viens pas pleurer si je dirige mal le navire.
— Alors je vais rester capitaine, trancha-t-elle.
Thaelor leva les yeux au ciel avec un soupir éloquent qui fit rire l’hybride.
— Bon, reprit-il pour changer de sujet, maintenant que tu as pu admirer Toëlla et te faire à l’idée qu’on risque de mettre un petit bout de temps avant d’arriver à Skyëlta, il faudrait que tu apprennes aussi à déterminer notre position et notre cap. Et que tu nous trouves une destination. Et des escales, parce que l’air de rien, les ressources, ça s’épuise vite. Surtout avec un groupe de gamins affamés et, pour beaucoup, en pleine croissance. Même Ayrik mange comme dix, en ce moment !
Cette nouvelle ravit Raeni.
— Au fait, comment vont les autres ? demanda-t-elle.
Thaelor se remit debout pour faire quelques pas autour de la table.
— Comme je te l’ai dit cette nuit, beaucoup sont cloués au lit avec un mal de mer terrible. Ayrik y a totalement échappé, mais ils sont une dizaine à avoir tenu le coup assez bien. Surtout les demi-humains, d’ailleurs. Sinon, Thaëlya se remet tranquillement et avait l’air en bien meilleure forme ce matin qu’hier. Elle a pris un peu la barre avec Ehanor. Ça a l’air de lui plaire, et, en plus, elle se débrouille bien. Ayrik apprend à faire des nœuds et fait quelques petites choses pas trop complexes ni trop épuisantes. Les autres commencent à grimper dans les voiles et les gréer. C’est un peu compliqué, mais on leur explique tout de notre mieux. Pour l’instant, ça suffit.
— Impeccable, alors, répondit Raeni d’un air satisfait.
Elle baissa à nouveau les yeux sur la carte étalée devant elle.
— Et on est où, au fait ? demanda-t-elle à son ami.
Il désigna une zone assez restreinte.
— Juste ici, expliqua-t-il en même temps. Je ne sais pas me servir d’un compas et je suis nul en calcul, mais je peux t’affirmer qu’on a parcouru plus ou moins cinq cents kilomètres le long des côtes.
Un fou rire le prit lorsqu’il remarqua la tête de l’hybride. Celle-ci lui jeta un regard noir.
— Pardon… tenta-t-il de s’excuser sans pour autant pouvoir s’arrêter.
— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? grogna-t-elle, vexée.
— Tu n’as pas l’air de me croire.
— En même temps, tu as vu la distance que tu m’as annoncée ? s’exclama-t-elle. Cinq cents kilomètres, c’est énorme !
— A l’échelle du Perle d’Ambre, ce n’est rien du tout, expliqua-t-il un peu plus sérieusement. Quand on est en chasse, on peut le pousser à vingt nœuds. Là, si on a réussi à dépasser les sept, c’est magnifique.
— Et… ça correspond à quoi, un nœud ?
— Plus ou moins deux kilomètres par heure. Je te laisse faire le calcul.
Il pouffa à nouveau devant le regard sidéré de la jeune femme.
— C’est tellement rapide… souffla-t-elle.
— Pas tant que ça, nuança Thaelor. Les navires humains battent tous les records de vitesse en haute mer et près des côtes. C’est grâce à ça, entre autres, que Thal’Ashar a tenu quand les althëliens ont tenté de l’assiéger.
— Thal’Ashar ? C’est quoi ?
— L’un des plus grands ports humains, expliqua-t-il. Il se trouve sur la côte est de Skyëlta, un peu au sud.
— Tu as déjà visité ? s’enquit-elle.
— Non, soupira-t-il. Mais j’aimerais bien, la chaleur mise à part. De ce qu’on m’a raconté, les rues sont aussi grandes que la cour de Valmaëlën et accueillent des dizaines et des dizaines d’étals chargés de toutes sortes de choses. De la nourriture qui embaume l’air, mais aussi des bijoux, des livres, des parchemins, de l’encens, des fleurs, des ingrédients alchimiques, du matériel d’enchantement, des tissus colorés… Des denrées rares et plus communes, qui proviennent des quatre coins des empires ash’ghalën et thalëni. Les maisons sont souvent enterrées dans le sol, avec juste un étage qui dépasse. Sur les toits, les humains font pousser des plantes, qu’ils protègent du soleil avec des tentures immenses.
— Ça doit être impressionnant, songea-t-elle à voix haute. J’aimerais bien visiter, du coup…
— On pourrait y aller, suggéra Thaelor. Vu la taille de la ville, on pourrait sans trop de problèmes trouver une famille pour Ayrik. Je pense même qu’on pourra trouver des lieux où travailler. Si je me souviens bien, Thal’Ashar a été rasée par les dragons à un moment, ils doivent donc avoir besoin de main d’œuvre pour tout reconstruire et faire repartir la ville.
— Ça pourrait être pas mal… confirma-t-elle, pensive. Tu penses qu’il nous faudrait combien de temps pour y arriver ?
— Honnêtement ? Le Perle d’Ambre vogue entre sept et vingt nœuds. Vu que l’équipage n’est pas très rodé, on ne montera pas à plus de quinze nœuds, je pense. Il doit y avoir une carte qui regroupe les côtes de Toëlla et une partie de celles de Skyëlta quelque part. Je te laisse calculer le temps qu’il nous faudra pour l’atteindre, à peu près. Je n’ai jamais fait le trajet d’une traite, je serais incapable de te le dire autrement. Mais je suis sûr qu’il faudra faire plusieurs escales pour se ravitailler. Je te laisse faire les calculs approximatifs sur la carte. Essaye juste de ne pas nous faire passer trop au large, ni trop près des côtes.
— Tu ne vas pas m’aider ? s’étonna-t-elle.
— Je t’ai dit que je suis nul en calcul ! Et, en plus, pendant que tu fais ça, je vais aller voir ce que font les autres.
— En fait, tu as raison, déclara-t-elle subitement.
— Pourquoi ? s’inquiéta-t-il.
— Vaut mieux que ça soit moi la capitaine.
Ils éclatèrent de rire tous les deux, puis Thaelor adressa un petit salut à son amie, puis sortit de la cabine. La jeune femme resta donc seule, avec les cartes et une grande question : où l’ancien capitaine avait-il rangé bouteilles d’encre, crayons, plumes et carnets pour qu’elle puisse poser ses calculs et s’assurer de ne faire aucune erreur ?