Recueil de divagations

Chapitre 13 : Le voyage du héros

Chapitre final

1789 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/06/2021 00:08

Nous avons tout d’abord dû imaginer un groupe de sept personnes ainsi que les relations entre eux, puis rédiger une histoire basée sur le voyage du héros, le fameux concept du monomythe développé par Joseph Campbell dans son livre Le héros aux mille et un visages.

J’ai très naturellement choisi de me placer dans le genre du post-apocalyptique, idéal pour pousser à bout les rapports sociaux en confrontant des sociétés au bord du gouffre à des environnements devenus hostiles et à une lutte constante pour la survie. Au final, ces spécificités m’auront surtout servi à rassembler un groupe d’individus très différents les uns des autres sans trop me casser la tête...


À quatorze ans, la plupart des adolescentes sont préoccupées par leurs études, les garçons et leurs loisirs. J’avais dû foirer ma vie dans les grandes largeurs pour me retrouver, sino-américaine originaire de l’Arizona, au milieu de la Pennsylvanie face à quatre loups affamés.

— Courez vers la forêt ! hurla Olha. Grimpez dans les arbres et mettez-vous à l’abri !

Elle posa un genou à terre, ajusta son fusil et abattit un loup d’une balle. Les trois autres bêtes s’arrêtèrent, grondant, tandis qu’Olha tenait son fusil d’une main et agitait une torche de l’autre. Mes parents et les trois autres membres du groupe avaient fui, mais je n’avais pas bougé, paralysée par la terreur.

Tout en maintenant les loups à distance avec la torche, Olha me jeta un coup d'œil.

— Deng, m’appela-t-elle doucement. Quand je te le dirai, tu vas courir vers la forêt sans t’arrêter ni te retourner, quoi qu’il m’arrive, quoi que tu entendes. D’accord ?

J’avais les yeux brillants de larmes.

— Mais Olha, ils sont trop nombreux, tu vas...

La gorge nouée, je ne pus finir ma phrase.

— Écoute-moi, Deng, reprit Olha. Tu me fais confiance ?

Je hochais la tête. Depuis l’effondrement, mes parents et moi avions eu toutes les peines du monde à survivre. Si nous n’avions pas rencontré Olha, nous serions morts depuis longtemps. J’avais une confiance aveugle en elle.

Olha se décala vivement, secouant sa torche en hurlant pour empêcher un loup de la prendre à revers.

— Alors fais ce que je te dis, reprit-elle en continuant de fixer nos assaillants. Je vais les retenir, mais tu devras te dépêcher. D’accord ?

— D’accord, répondis-je en déglutissant difficilement.

— Maintenant ! s’écria-t-elle. COURS !

Alors que j’obéissais, je la vis abattre un loup en pleine tête tandis que les deux derniers se jetaient sur elle. La dernière image que j’eus d’elle fut celle-ci : une femme imposante jetant sa torche dans la gueule d’un loup, l’envoyant bouler au sol., tandis que l’autre la heurtait de plein fouet. Tandis que je courais, je les entendis lutter, Olha hurlant de douleur à chaque griffure ou morsure que la bête lui portait. Soudain, un craquement horrible retentit et Olha cessa tout bruit. Lorsque j’atteignis la forêt, je grimpais dans le premier arbre que je trouvais. Eliott, qui s’y trouvait déjà, m’aida à prendre de la hauteur. En larmes, je me blottis contre lui.


Quelques heures plus tard, voyant que les deux loups survivants s’étaient satisfaits du cad... de ce qu’ils avaient trouvé à manger avant de partir, nous étions descendus de nos arbres. Nous nous étions rassemblés, avions fait un feu de camp et dressé les tentes. Tout cela en silence. La perte d’Olha était un coup dur pour tout le monde, surtout pour Eliott et moi.

Olha était la cheffe du groupe, c’était elle qui nous avait tous rassemblés. Elle était mon modèle, la femme forte et tout le temps sûre d’elle que je voulais devenir. Eliott et moi l’admirions beaucoup. Je crois même qu’il avait le béguin pour elle, bien qu’elle ait douze ans de plus que lui.

Je voyais Eliott un peu comme le grand frère que je n’avais jamais eu. Il était casse-cou et m’entraînait toujours dans ses bêtises, promesses de beaucoup de rires. Mes parents disaient en levant les yeux au ciel que c’était une tête brûlée. Je les aimais beaucoup, mais ils avaient tendance à tout exagérer.

Je les rejoignis près du feu après avoir installé des pièges autour du camp au cas où les loups reviendraient. Reuben et Eliott arrivèrent peu après, puis Evelynn en dernière – elle qui était toujours si disciplinée et méthodique mettait pourtant un temps infini à monter sa tente. Avec elle, nous étions au complet, six au lieu de sept. Nous restâmes à fixer le feu en silence durant un long moment.

— Si quelqu’un s’est blessé en montant aux arbres, fit soudain Evelynn pour rompre le silence, faites le moi savoir.

Quand elle avait rejoint le groupe et nous avait dit être chirurgienne avant l’effondrement, elle avait été désignée infirmière. Elle aimait d’ailleurs rappeler en bougonnant qu’elle n’avait pas été formée à soigner des “petits bobos” et que la confondre avec une vulgaire infirmière revenait à confondre un chef trois étoiles avec un petit marmiton. Reuben lui demandait alors si elle voulait qu’on l’appelle Son Altesse et ils finissaient invariablement par se disputer.

Mais ce soir, aucun n’avait le cœur à ça et, lorsque Reuben prit la parole, ce fut simplement pour lui dire qu’il s’était fait mal à la cheville en descendant de son arbre. Tandis qu’Evelynn examinait la cheville de Reuben, je regardais ce dernier.

Reuben était unanimement détesté par tout le groupe, sauf par moi. Il était colérique, arrogant, et contestait presque tous les ordres d’Olha. Avant l’effondrement, il avait été membre d’un gang alors qu’Olha faisait partie de la police. Ça n’aidait pas. Mais je savais qu’il était plus que ses défauts.

Lorsque c’était son tour de garder le camp et qu’il m’entendait pleurer dans ma tente, il venait se mettre contre mon abri de toile et, à mi-voix pour que personne d’autre que moi ne l’entende, il me parlait de sa fille qui aurait eu mon âge. Il me racontait leurs sorties au parc, les visites qu’elle lui avait rendues en prison, les soirées à regarder des westerns. Je m’endormais comme ça, bercée par ses histoires. C’était devenu une habitude entre nous.

Oui, Reuben était irascible. Lorsqu’il avait mal dormi, personne ne le supportait, pas même moi. Mais je l’aimais bien quand même.

Je pense qu’au fond, Olha savait que Reuben n’était pas si méchant. Elle nous avait toujours dit que, si elle mourait, ce serait à lui de prendre la tête du groupe.

— Sans lui, vous risquez pas d’arriver à Dallas entiers, répétait-elle.

Dallas. Notre destination. Cela faisait trois semaines, depuis que nous avions recueilli Eliott, que nous tentions de nous y rendre. Il nous avait expliqué que des survivants s’y étaient rassemblés et tentaient d’y rebâtir une société. Il nous avait fait écouter le message que ces rescapés diffusaient en boucle à la radio, jour et nuit.

Nous avions traversé les États-Unis en ruine d’ouest en est et, enfin, nous n’étions plus qu’à quelques jours de marche de la ville. Olha était morte si près du but...

Evelynn ayant fini de soigner Reuben, ce dernier fit le point sur l’itinéraire que nous devrions prendre demain. Les loups, qui nous avaient harcelés toute la journée, nous avaient fait dévier de notre route.

— En parlant d’eux, ajouta Reuben d’un ton dur, il faudra faire attention demain. Je veux que vous gardiez vos armes à la main tout le temps et que vous restiez particulièrement vigilants. Pas question de se refaire surprendre.

Lorsque la réunion s’acheva, je me préparais à prendre mon premier tour de garde. Olha avait tenu à ce que je commence les veilles car ça me permettait de finir mon tour avant vingt-trois heures et de faire une nuit presque complète. Avant qu’ils n’aillent dormir, j’étreignais mes parents et leur souhaitais une bonne nuit. Alors que j’étais dans leurs bras, j’éclatais en sanglots. La pression de cette journée infernale retombait enfin et je craquais. Je pleurais durant de longues minutes tandis que mes parents essayaient de me consoler. Ils savaient à quel point j’adorais Olha et combien sa mort m’avait marquée. Mes larmes finirent par cesser de couler et je les remerciais. Avec un dernier regard inquiet pour moi, ils regagnèrent leur tente.

Je m’installais près du feu de camp, scrutant la nuit. Je me forçais à rester alerte au cas où les loups reviendraient. Mes pensées finirent malgré tout par dériver sur ma vie d’avant l’effondrement. Mes amies : Charlotte, Lisa, Jane... Mon copain, Tommy... Le vieux voisin, Monsieur Xiang... Tous me manquaient, même cette peste de Sarah.

Mais ce soir, c’était Olha qui occupait le plus mes pensées. Je repensais à quelque chose qu’elle m’avait dit :

— Si tu dois faire le deuil de quelqu’un, fais-lui une promesse. Moi, j’ai promis à mon mari que je retournerai en Ukraine. C’était notre rêve et je l’accomplirai pour lui.

Je réfléchis quelques temps à ce que je pourrais promettre à mon tour. Finalement, une idée me vint.

— Olha, murmurais-je tout bas, comme si elle était à côté de moi, je te promets qu’on arrivera à Dallas. Je te promets de devenir comme toi, une femme forte et courageuse prête à tout pour protéger les autres. Et je te promets de vivre.


Contrairement à ma tentative de worldbuilding ci-avant, ce récit-là est terminé. Néanmoins, la fin reste très ouverte et j’ai quelques idées pour une suite. Mais là, je crois que je vais être raisonnable... Après tout, ça ne m’inspire pas tant que ça. Cependant, si quelqu’un souhaite reprendre mon pitch, n’hésitez pas à me contacter dans les commentaires ou en privé !


Ayant beaucoup apprécié ces exercices, je participerai sûrement à d'autres ateliers d'écriture dans le futur. J’espère donc que ce n’est pas la dernière fois que j’ajoute des textes à cette anthologie !

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