La Princesse de This

Chapitre 6 : ~ 6 ~

3426 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/06/2021 18:36

Le bruit des lames résonnait à travers tout le palais. Maintenant Layla arrivait à répondre aux attaques d’Osiris. La sueur coulait le long de son corps. Ses cheveux, retenus en arrière, fouettaient violemment son dos lorsqu’elle esquivait et volaient vers le ciel quand elle bondissait vers son adversaire. Cela faisait six mois que Layla s’entraînait deux heures par jour avec Osiris.

À certains moments, Abram les observait et il voyait de plus en plus chez sa reine, - car c’est ainsi qu’il la considérait-, son ancien ami. Mosegi, lui aussi, avait appris au cours de sa marche divine à devenir puissant, agile et réfléchi. Memphis était presque devenu l’arrêt obligatoire pour devenir souverain. Mais les yeux d’Abram ne cessèrent d’être humides quand il voyait son fils. Il le savait, Osiris était devenu un homme. La perte de l’enfant qu’il était tordait tout autant les entrailles d’Abram que lorsqu’il avait perdu Néferti, sa femme.

- Non, Layla, ta défense n’est pas totale. Certes, tu es droitière, mais tu dois toujours penser au côté gauche de ton corps. C’est là que se trouve ton cœur. Veux-tu perdre ton cœur ?

Layla s’était figée dans sa position d’attaque. Elle faisait toujours ainsi quand Osiris la reprenait. De cette manière, il pouvait rectifier sa position et elle habituait son corps à prendre la nouvelle façon de se tenir. Osiris était un très bon professeur. En seulement quelques mois, elle avait senti son corps se modifier et ses forces se décupler. Pourtant, elle n’arrivait pas à la cheville de son maitre. Toujours il avait le dessus sur elle, jamais elle n’eut l’impression de pouvoir l’atteindre.

- Bon on arrête là aujourd’hui. Va te baigner, tu sens le buffle.

- Ce n’est pas une manière de parler à sa princesse.

- Dans cette cour tu n’es pas ma princesse, mais mon élève. Et je dis que tu sens le buffle.

 

Osiris comprit qu’elle n’était pas énervée. Ils étaient devenus très proches au cours de ses dernières semaines. Il avait appris qu’elle n’aimait pas être plus respectée qu’un autre. Layla était ici une simple citoyenne, elle n’avait ni argent, ni habitation, ni famille. Donc rien qui pouvait rappeler son statut royal. C’était aussi pour cette raison qu’elle avait demandé aux deux hommes qui l’hébergeaient de ne pas dévoiler son rang aux habitants de sa ville d’arrêt.

Osiris l’avait donc vu arpenter librement les rues de Memphis, faire ses achats, parler de choses futiles telles que la météo ou le repas du soir. Elle avait une facilité remarquable quand il s’agissait de se faire des contacts. Ses yeux pétillaient et son sourire illuminait ceux à qui elle parlait. Même si les habitants de Memphis ignoraient sa condition de reine, ou de princesse, ils la respectaient comme si elle était l’un des leurs. Jamais Osiris et Abram avaient eu une telle proximité avec le peuple. Si Osiris lui donnait des cours de maniement de sabre. C’était une leçon d’humilité qu’elle leur apportait. Et peu à peu les deux hommes se mirent eux aussi à arpenter les rues et à s’inquiéter des habitants.

Un soir, Layla, Abram et Osiris dînaient tout trois un copieux repas. Ils parlaient légèrement quand Abram reçu la visite d’un de ses collaborateurs :

- Je t’en prie, parle librement.

- Monsieur l’Ensi, je viens au rapport de la mission que vous m’avez donnée.

- Nous t’écoutons.

- Le roi Teremun II a été difficile à approcher. Sa garde royale est sans cesse présente. Certains de mes hommes ont dû les intégrer, d’où la durée de la mission. Ils ont donc appris les fiançailles de ce-dernier à une simple roturière. Une certaine Halima.

- Excusez-moi, vous avez dit quel nom ? s’enquit immédiatement Layla.

- Une Halima, madame.

Layla posa les mains à plat sur la table et calma une pulsion de partir immédiatement pour aider son amie. Elle ne devait rien faire de stupide, les dieux l’abandonneraient sur le champ. Pour l’instant, elle devait se contenter de savoir que celle-ci était en vie. Osiris l’observa discrètement, il savait ce que ce nom faisait résonner en sa princesse. Un soir, elle lui avait raconter l’histoire où elle s’était soudainement retrouvée seule.

- Continuez, déclara-t-elle en reprenant une expression neutre.

- Si c’était cela le plus important je ne serai pas venu si urgemment. La situation est désespérée, les maladies deviennent des épidémies, la famine frappe même les familles les plus modestes et la justice ne semble répondre qu’aux caprices du roi. Sur le chemin de mon retour j’ai vu des villages vides, des corps jonchaient les rues des plus grandes cités. Nous sommes à l’aube de la fin de notre peuple. Pour tout vous dire, excepté le palais de This et Memphis, je n’ai vu que la mort. Elle ne tardera pas à frapper ici aussi.

- Bon, reprit Abram, merci de vos informations. Reposez vos hommes, notre cité ne tombera aux mains de ce dictateur. Il va falloir que vous soyez en forme pour la protéger.

- Bien, monsieur l’Ensi.

Le soldat prit congé et le silence s’imposa au-dessus du dîner. Chacun était plongé dans de sombres réflexions. Puis, d’une voix forte et décidée, Layla déclara :

- Mon entrainement à Memphis prend fin. Je sens que les dieux sont finalement à mes côtés. Je dois partir. La tyrannie ne peut durer plus longtemps. This et son royaume ont besoin d’une vraie reine. Je sens enfin que ma marche divine a eu raison d’être. Je pars demain dès l’aube.

Osiris et Abram hochèrent la tête d’un même mouvement. La princesse se leva de table et prit congé afin de préparer ses affaires de voyage et de prier longuement le soutien des dieux. La traversée du désert ne l’enchantait pas, surtout depuis qu’elle savait la difficulté que cela représentait. De plus, elle était seule. Cela la rendait d’autant plus vulnérable, car elle le savait, son oncle devait particulièrement s’acharner sur sa recherche. Elle était, après tout, celle qui avait les droits sur le trône du royaume de This.

Sa dernière nuit à Memphis ne fut d’aucun repos. L’inquiétude de devoir de nouveau frôler la mort, celle de savoir son amie aux prises de Teremun et la tristesse de quitter son ami Osiris la maintenait éveillée. Finalement, elle s’était attachée à lui. Il se comportait certes comme un petit prince, mais elle avait vu en lui dès les premiers instants qu’elle pouvait lui faire totalement confiance. À son contact, Layla avait appris à se faire aimer et avait tout fait pour qu’il l’observe et la désire. Mais il était tant de quitter le confort que le palais de Memphis lui avait offert. Au fond d’elle, elle savait les dieux à ses côtés et leur force couler dans son sang. Elle était assez pure pour affronter la tyrannie.

 

Abram et Osiris étaient longtemps encore restés à table. Le silence de la réflexion surplombant le diner. Soudain, le père posa sa main sur celle de son fils. Ce-dernier leva les yeux et vit ceux de son père, humides.

- Osiris. Je tiens énormément à toi. Mais notre royaume a besoin de Layla. Elle est la reine qu’il faut. Elle aime les citoyens, est réfléchie, brave et pure. Mais une reine telle qu’elle est se doit d’être protégée. Je veux que tu la protèges, mon fils. Je veux que tu protèges notre royaume, que tu sois à ses côtés comme j’aurai aimé être aux côtés de mon ami Mosegi. Pars vers This et abat avec notre reine ce tyran, ce traître de Teremun.

- Père, je suis heureux d’entendre ta confiance et ton amour. Si tu ne me l’avais pas demandé je t’aurais dit que je l’accompagnerai. Layla m’a fait quelque chose, elle a touché en moi une corde dont j’ignorais l’existence et j’ai maintenant ce besoin d’être à ses côtés. Ce n’est pas moi qui vais la protéger mais elle qui me protège de la folie et sa foi en nos dieux est le reflet de l’amour qu’elle porte à chacun d’entre nous. Je veux protéger cet amour.

Osiris se leva et, lui aussi, prépara ses affaires, prenant l’arme que lui avait donné son père, mais également celle qu’il avait demandé au forgeron de créer pour Layla. Ils partaient en croisade contre la dictature. La guerre était déclarée.

 

~

 

Le retour de Layla se fit lentement. La traversée du désert difficilement. Comme pour l’aller, Layla ne cessait de ressentir la fatigue, la soif, l’extrême chaleur le jour, l’extrême froid la nuit. Bien sûr, cela était toujours plus simple d’être accompagnée d’Osiris que d’être seule. Ensemble ils se motivaient et avançaient toujours plus loin. Cela faisait dix mois qu’ils avaient quitté Memphis et Abram. Tout comme Layla lorsqu’elle avait dix-sept ans, Osiris quittait pour la première fois sa ville et son père. Ce pas de géant vers une aventure extraordinaire avait forgé les deux jeunes adultes. Parfois Osiris accompagnait Layla dans ses prières et dès qu’ils s’arrêtaient dans un village ou près d’une oasis la future reine s’entraînait au maniement du sabre. L’inquiétude de devoir bientôt mener une guerre permettait à Layla de progresser à une allure folle. Elle était prête à tout pour reprendre le trône à son oncle.

Au fur et à mesure de leur traversée des hommes et des femmes se joignirent à eux. Voulant, eux aussi, se battre pour le pays et contre la tyrannie. Les troupes de Layla s’étoffèrent au rythme de sa traversée et à présent, la nuit, à l’endroit où ils s’arrêtaient, un camp provisoire se créait à chaque fois. Layla devenait progressivement cheffe des armées et avait à présent des caporaux, des sergents transmettant ses ordres et la conseillant sur la stratégie qu’elle allait devoir mener.

Osiris, lui, écoutait de loin ses informations importantes et veillait à ce qu’aucune trahison ne fût possible. Bien évidemment, dans son camp, il y avait des espions. Tout comme Layla en avait dans le camp de Teremun. Le but était de s’informer du nombre d’hommes, des armes qu’ils avaient pour être le moins décontenancé lors de la future bataille de This. Cela allait marquer l’histoire, Layla en était certaine. Mais il était temps de tourner la page de l’ancienne génération de rois et de reines du royaume de This.

 

~

 

Chaque soir, Osiris passait près de deux heures auprès de sa reine à discuter du moment où elle serait couronnée. Il était en effet important de se préparer à la bataille, mais ce qui l’attendait derrière était une tâche bien plus rude. Ensemble ils réfléchirent au type de gouvernement qu’ils voulaient créer. Un gouvernement et une justice plus juste et égalitaire. Mais lorsqu’ils étaient ensemble, les deux jeunes adultes apprenaient également à se connaître et à s’apprivoiser l’un l’autre. Layla le savait, Osiris, s’il l’acceptait, serait le futur roi de This. Il gouvernera à ses côtés et sera le père d’un prince ou d’une princesse.

Pour cela, elle devait avoir la bénédiction de ses parents. Alors dans un petit village d’arrêt Layla accompagna la prêtresse dans une profonde prière. La prêtresse lui tint longtemps les mains, le silence dura de longues heures, au point où même Layla ne supportait plus l’assise imposée. Puis finalement une bourrasque d’air marin se fit sentir sur sa peau. Ce n’était pas quelque chose d’anodin, surtout dans un désert. Un sourire se dessina sur le visage de la princesse Layla. Ses parents consentaient à ce qu’elle mène une relation avec Osiris. La jeune femme s’imaginait son père hurler sa joie et sa mère pleurer des larmes de bonheur.

Layla ne tarda pas à en faire part à Osiris, qui, à son tour, se pressa d’envoyer un message de demande à son père. Et pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient Osiris prit Layla dans ses bras, comblé de pouvoir enfin toucher celle qu’il aimait. Cette embrassade contrastait fortement avec le futur corps à corps qu’auront les soldats lors de la bataille de This qui aura lieu maintenant dans quelques semaines.

 

« Père, dîtes-moi, comment sait-on qu’on aime quelqu’un ?

- Ça, mon enfant, tu le sauras par toi-même. Fais-moi confiance. »

 

~

 

Teremun II passait ses troupes en revue. Si son règne avait été une réussite dans quelque chose, c’était dans ses soldats que cela se voyait le plus. Ils étaient forts, vaillants, loyaux et combattants. Pas un instant il ne craignait l’attaque que mènerait sa nièce. Elle et ses faibles femmes, enfants et vieillards ne pourront rien contre tous les jeunes hommes qu’il avait près de lui. 100 000 hommes et un seul avait sa pleine confiance. Le plus droit, courageux, honnête de tous : Pili Sant. Cela faisait presque six ans qu’il était à ses côtés et il gardait ses secrets les plus profonds et partageait ses envies les plus grandes.

Teremun avait réussi à affaiblir Layla à distance. Après avoir obtenu Pili il s’était empressé de récupérer Halima. Car, il le savait, la haine ne faisait jamais gagner. Layla devait certainement lui en vouloir pour lui avoir pris ses deux meilleurs amis. Elle devait être folle de rage et cette rage allait lui faire faire des erreurs. Teremun était un bon chef des armées et il savait que la précipitation n’apportait jamais la victoire et encore moins un trône.

Et si jamais Layla ne ressentait aucune haine il userait d’Halima comme d’un moyen de pression. Aussi séduisante qu’elle fût, elle ne restait qu’une simple femme. Et les femmes, il pouvait en avoir d’encore plus enivrantes.

 

~

 

C’était le dernier village avant This. Ils n’étaient qu’à une journée de la capitale. Ils n’étaient qu’à une journée de la guerre. Bien qu’ils aient leur chance de vaincre Teremun, Layla se sentait coupable d’envoyer ces femmes et ces hommes vers une mort probable. Elle avait réuni 15 000 personnes. C’était bien moins que les soldats de Teremun. Et lui comme elle connaissait This comme leur poche. Ils allaient donc attaquer de front.

- Aller détends-toi, on va la gagner cette bataille, fit Osiris, allongé sur son lit.

- Et si je perdais Halima ? Et Pili ?

- C’est exactement ce sentiment qu’il veut faire naître en toi ! Calme-toi. Et puis Pili est un traître…

- C’était mon ami, qui sait ce qu’il lui ait arrivé ?

- Un ami qui a vendu celle qui l’aimait ? Tu parles d’un ami…

Layla savait qu’Osiris avait raison. En six ans Pili avait bien changé. Tous trois n’étaient plus les enfants qui s’étaient rencontrés dans la cour d’une école. Ils avaient chacun pris leur chemin et avait chacun développé leur propre valeur. Pili était devenu le brave soldat, obéissant aveuglément aux ordres d’un dictateur. Et qui sait comment était Halima à présent. Même les espions de Layla n’avaient pu l’approcher ou l’observer, elle restait sans cesse dans l’ancienne chambre de la princesse, attendant son mariage.

- Ma reine, fit un de ses caporaux en entrant dans la tente. Nous sommes à l’aube d’un grand combat. Le peuple contre l’armée. C’est un soulèvement. Il faut qu’il ait lieu. Mais pour gagner il faut que nos hommes et nos femmes soient motivés et seule vous pouvez-le faire.

Layla hocha de la tête. Elle fit signe à l’une de ses amies de l’aider à s’habiller en tenue de guerre. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait abandonné les belles et luxueuses robes. Elle les avait troqués pour une courte jupe attachée par un ceinturon où était accroché un poignard, une cotte de maille, un bouclier et son épée. Ses cheveux étaient toujours tressés et le maquillage avait disparu de sa peau. Ce n’était plus une princesse, mais une soldate et quand elle sortit de la tente ses hommes et ses femmes l’attendirent sagement. Elle les observa, uns à uns, et prononça un discours improvisé :

- Peuple du royaume de This, demain après la bataille on vous appellera « sauveurs du royaume de This ». Je ne dis pas que cela va être chose aisée. Je ne veux pas vous mentir en disant qu’à notre arrivée les soldats baisseront automatiquement leurs armes et nous guiderons au trône où s’assoit allègrement mon oncle, le tyran Teremun. Je refuse de le nommer roi. Le dernier roi que This a connu fut mon père et depuis ce poste est resté vacant. Trop longtemps. Aidez-moi à le reprendre ! Aidez-moi à retrouver notre justice ! Aidez-moi à venger nos femmes, nos hommes et nos enfants morts de faim ! Aidez-moi à devenir reine de This et de son royaume et je promets que le royaume resplendira de nouveau ! Peuple de This, demain sera notre victoire ! Demain les dieux nous aiderons dans notre ascension vers la justice ! Demain nous briserons ensemble la tyrannie !

 

Osiris avait vu une femme puissante, confiante et admirable lors de ce discours. Les hommes et les femmes avaient, grâce à son discours, trouvé la force pour affronter leur destin le lendemain. Lui et elle seraient en première ligne. Et cela l’effrayait. Non pas de perdre la vie. Bien que cela ne l’enchantait guère. Mais de perdre celle qu’il aimait.

- Je peux entrer ? demanda-il au pas de sa tente.

Elle était penchée sur une carte de This, jouant avec les pièces de bois pour définir qui ferait quoi et comment agirait l’adversaire. Il passa derrière son dos et annonça :

- J’ai reçu une réponse de père.

- Et qu’elle est-elle ? questionna-t-elle, l’esprit encore occupé dans le plan de bataille.

- Il en serait ravi.

Elle sourit et prit sa main pour la porter à sa bouche et y déposer un doux baiser. Osiris l’enlaça par derrière et posa sa tête dans le creux de son cou. Layla jouait toujours avec une pièce de bois censée représenter le bataillon numéro deux : les archers. Osiris prit la pièce et la jeta par terre.

- Ce sera peut-être notre dernière nuit, se justifia-t-il.

- Ou la première, espéra Layla.

Elle se tourna vers lui et l’embrassa pour la toute première fois. Il retira sa cotte de maille, son ceinturon et l’allongea sur le plan de bataille. La voir nue ne la dévalorisait pas, bien au contraire. La voir nue faisait d’elle la reine de cette terre, la femme qui gouvernerai le monde et c’est sur cette pensée que leurs corps fusionnèrent.

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