La Princesse de This

Chapitre 4 : ~ 4 ~

3152 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/06/2021 12:49

La sueur perlait sur leurs fronts. Leurs gourdes se vidaient trop vite. Leurs pas se faisaient de plus en plus lourds. Elles ne voyaient que sable et dunes de sable. Cela faisait cinq jours que Halima et Layla avaient entreprit la marche divine. Les deux s’étaient attendues à ce que cela soit dur, mais pas à ce point. Fallait-il être proche de la mort pour être touché par la grâce divine ? Fallait-il avoir flirté avec la mort pour pouvoir gouverner un royaume ? Les dunes étaient toujours plus dures à grimper, les yeux voyaient des oasis où il n’y en avait pas, leurs rêves étaient hantés d’eau, leur salive était toujours plus sèche, plus épaisse. Plus d’une fois Halima et Layla avaient pensé à abandonner. Mais il faudrait faire à nouveau cinq jours de marche. Si ça se trouvait, elles étaient plus proche de la prochaine oasis que de This. Enfin c’était ce qu’elles espéraient. Et puis son retour prouverait qu’elle n’est pas digne d’être une reine, qu’elle n’est pas digne de son peuple… Et Teremun prendrait le pouvoir.

Ce qui était le plus effrayant dans le désert, c’était la solitude. Seuls le vent et le bruit de leurs pas leur faisaient compagnie, il n’y avait personne. Pas âme qui vive. Pas même un animal. Cela détruisait leur moral.

- Layla, fit Halima essoufflée, je n’en peux plus, faisons une pause.

- Aller Halima, montons au moins cette dune, que l’on puisse évaluer où il faut aller.

L’amie de la princesse hocha de la tête et ensemble, se tenant la main, elles grimpèrent l’ultime dune. Arrivées à son sommet, les deux jeunes femmes s’allongèrent sur le sable brûlant. Layla étendit ses bras et questionna les cieux, leur demandant aide. Halima, elle, ferma les yeux et chercha de l’énergie là où il n’y en avait plus. Après une vingtaine de minutes, Layla se redressa et observa le large désert. Il n’y avait que du sable. Et une oasis. Non, cela devait une nouvelle hallucination. Pourtant, elle avait beau détourner le regard et retourner sur le point qu’elle avait fixé, elle voyait des tentes de fortune.

- Halima, je crois que je vois quelque chose. Je crois qu’il y a un camp là-bas. Peut-être même un village.

Dans un geste précipité Halima se redressa, elle aussi voyait ce village. Alors les deux jeunes femmes se relevèrent et marchèrent vers ce nouveau but.

Il leur fallut plus de huit heures pour atteindre Umbala. Ce petit village était principalement peuplé d’enfants, de femmes ou de vieillards. Les hommes allaient à la ville. Les femmes, elles, s’occupaient du petit troupeau de vaches et de bœufs. La tenue riche de Layla indiqua immédiatement aux villageois que c’était une femme de la haute société. Et quand ils apprirent qu’elle était la princesse de ce royaume, certains pleurèrent, beaucoup firent la fête. Le doyen du village organisa un grand banquet en son occasion. Et le soir, elles purent dormir sur des peaux de bêtes et à l’abri du vent frais du désert. Halima et Layla dormirent mieux que jamais cette nuit-là. Mais très tôt le matin, apparut dans la case une vieille dame. Elle réveilla la princesse.

- Votre Altesse Royale doit me suivre. Je connais mon rôle dans votre marche divine.

Le corps encore engourdit de sommeil, Layla se leva. Le soleil venait de naître dans le ciel. S’asseyant près d’un arbre, la prêtresse et la princesse prièrent les dieux du soleil, de l’eau et de la force. Pendant plus de deux heures, elles ne firent que prier. Puis soudain, la prêtresse prit les mains fines de la princesse et la fixa de son regard gris.

- Les dieux devraient vous protéger jusqu’à votre prochaine étape. Vous ne devez jamais vous détourner des dieux. Ils sont fidèles quand nous le sommes. Quoi qu’il vous arrive, vous devez poursuivre votre marche divine. Sinon votre règne ne sera que douleur et crises. La marche divine est difficile, mais elle vous entraine à surmonter tout ce que vous allez devoir surmonter lors de votre règne. Elle vous apprend à être humble, c’est pour cela qu’elle vous envoie dans de petits villages tel que le nôtre. Elle vous apprend à être combattante, pour que votre jugement royal n’en soit que plus juste. Je ne parle plus à la princesse, mais à ma reine.

- Mon père est toujours le roi, corrigea Layla d’une voix douce.

- Votre père n’est plus. Les dieux me l’ont dit.

La nouvelle fut comme un couteau planté en plein cœur.

- Ma reine, vous ne devez pas faiblir. Votre père conseille maintenant les dieux avec votre mère. Ils vont certainement tout faire pour que votre marche se passe au mieux. Mais vous ne devez pas abandonner. Le royaume dépend de votre force.

 

Halima sembla encore plus atteinte par l’horrible nouvelle que Layla l’était. Layla y avait été préparée depuis sa naissance et en elle grandissait un sentiment de maternité. Elle était maintenant la mère du peuple du royaume de This.

Alors qu’elle repartait du village pour leur prochaine étape au travers du royaume de This, Halima eu une question qui éveilla la terreur en Layla :

- Et donc, maintenant que le roi est mort et que tu es absente, qui est sur le trône ?

L’effroi envahit alors la nouvelle reine. Son oncle était le seul représentant de la famille royale à This. Layla avait toujours vu en lui l’avidité du pouvoir et l’envie de prendre le trône de son frère ainé. Maintenant cela devait être chose faite.

- C’est… Teremun. La pire chose qui pouvait arriver au royaume.

- Layla, ne t’inquiète pas, le roi et son frère ont reçu la même éducation, il devrait être un bon roi. Et puis tu ne partiras pas indéfiniment. Le trône sera toujours le tiens.

- J’espère que tu auras raison Halima.

Les deux jeunes femmes reprirent alors leur chemin et lorsque la nuit tomba, elles n’eurent à nouveau plus le choix de l’endroit où elles dormiraient. Les nuits étaient froides, le vent soufflait et malgré leur tente en peau de bête les jeunes femmes frissonnaient. Dans la nuit Halima se levait souvent, elle tentait de réallumer le feu, de mieux calfeutrer l’habitat de fortune, de se donner froid pour avoir plus chaud à l’intérieur. Mais Layla ne posait plus de question quant à ces sorties. Elle s’y était habituée. La princesse, elle, tentait de garder les yeux fermés pour se reposer un maximum. Et le sommeil finissait toujours par arriver.

En se réveillant ce matin-là, Layla était seule dans la tente. Elle avait alors pensé qu’Halima était partie se dégourdir les jambes et l’avait longuement attendu. Ses affaires étaient restées là. Layla était donc persuadée de son retour. Pourtant, au bout de plusieurs dizaines de minutes, elle aperçue un tissu orange. Du même orange que la toge d’Halima. Il était déchiré. Plus loin se trouvait une boucle d’oreille de son amie. La reine fut alors envahie par la panique. Il était arrivé quelque chose à Halima. Était-ce un animal ? Un humain ? Qui avait donc pu vouloir l’attaquer ? Où était-elle ? Dans quel état se trouvait-elle ? Par où commencer ?

Layla tomba alors d’inquiétude. Elle était déboussolée. Le désert était si grand, comment retrouver alors Halima ? C’était impossible ! Elle était certes reine, mais elle ne restait qu’une simple humaine. Halima était perdue. La marche divine de Layla était alors terminée. Jamais la reine ne tiendra sans son amie. Jamais elle ne sera purifiée. Peut-être allait-elle vraiment devoir donner son royaume à Teremun.

 

Layla rangea la tente de fortune seule. Son esprit travaillant plus que son corps. La prêtresse d’Umbala l’avait prévenue. La marche divine était faite pour la rendre humble et combattante. La princesse n’était en effet rien comparé à l’immense désert. La disparition d’Halima en était la preuve.

Sans cesse revenait l’image de Teremun dans l’esprit de celle qui était maintenant reine. Que faisait-il ? Que subissait This et son royaume par sa faute ? Il fallait qu’elle finisse cette marche divine. Il était déjà difficile d’être accepté par ceux de la haute société quand on était une femme, si elle revenait impure il lui serait presqu’impossible de reprendre le trône à son oncle. « Le royaume dépend de votre force » avait dit la prêtresse. Il fallait qu’elle soit forte. Il fallait terminer cette marche. Et au plus vite. Avant que Teremun ne détruise sa chère ville, son cher pays et ses habitants.

Fatiguée, épuisée et dévastée, Layla se remit en route. Abandonnant certainement Halima à un horrible destin. Entourant son bras du bout de tissu orange, elle se fit la promesse interne de finir cette marche pour son amie. Ensemble elles étaient déjà allées si loin. Ce n’était pas maintenant qu’il fallait abandonner.

Peut-être qu’au prochain village elle la retrouvera. Elle demandera en tous cas de faire des recherches. Plus vite elle y serait donc, plus vite Halima pourra être sauvée.

La tente, le sac sur le dos, son pas était plus lourd. Sa gourde se vidait d’autant plus vite. Elle se sentait si impuissante. Seule la prière lui restait. Chaque avancée était selon elle un cadeau des dieux, peut-être même un cadeau de son père. Là-haut, il devait se battre pour elle. Lui et sa femme devaient sans cesse demander le soutien des dieux.

En s’imaginant le combat de ses parents, la reine poursuivait ce combat en faisant un pas de plus. Les villageois d’Umbala avaient dit que le prochain village ne se trouvait qu’à trois jours et trois nuits. Layla marchait donc aussi longtemps qu’elle le pouvait. Parfois même la nuit. La première nuit sans Halima elle n’eut même pas le temps d’installer sa tente qu’elle tomba d’épuisement au sol.

Quelques heures plus tard la jeune reine se releva en sursaut. La moitié de saut corps était couverte de sable. Elle ne voyait rien. Sa vue était bouchée et il lui était impossible de dire où aller. Elle était en pleine tempête de sable. Couvrant son visage du tissu orange de la toge d’Halima, Layla tenta de reprendre son calme. Si elle avait à choisir le pire réveil qu’elle avait connu, celui-là serait certainement choisit. Les grains de sable la fouettaient, la flagellaient, la cinglaient. Ses cris de douleur étaient étouffés par le hurlement de vent. Dans sa poitrine son cœur battait la mesure de sa terreur. Layla tomba alors de nouveau au sol. La tête enfouie dans ses bras elle pria les dieux, elle pria pour de l’aide, affirmant sa faiblesse face à la force de la nature. Elle pria de l’aide donnée par les anciens rois et les anciennes reines. Elle pria pour elle-même et oublia qu’elle était reine. Dans ce désert elle ne gouvernait rien, elle n’était que Layla. Femme de dix-sept ans. Ici la reine était la nature. Et elle n’était que son serviteur. Alors, tout en continuant de prier, elle fit une chose qu’elle n’avait jamais fait et pourtant vu tant de fois. Elle se prosterna comme l’avaient fait tant de gens devant son père. Elle se prosterna pour affirmer la puissance de celle qui gouvernait ici.

Cela dura longtemps, plusieurs heures. Les larmes avaient laissé place au désespoir. Pour elle, la mort se trouverait dans ce désert. Les dieux ne voulaient pas de son règne. Ils avaient choisi Teremun. Si c’était leur choix, il devait être le bon. Pour This, pour les habitants et pour le royaume tout entier. Teremun était le roi qu’il fallait.

Et ce fut quand elle affirma cela que la tempête se calma. En un claquement de doigts le désert était de nouveau calme. Layla arrêta de se prosterner et regarda l’étendue désertique. Sa tente et son sac à dos avaient disparu, mais elle était en vie. De ses grands yeux bleus elle fixa le ciel de couleur identique et remercia les dieux. Était-ce un signe ? Avait-elle réussi à passer une nouvelle épreuve ?

Se relevant, elle pensa à son père. Lui aussi avait vécu cela et elle l’avait toujours vu comme un homme puissant. Avait-il été à un moment aussi faible et dépendant des dieux qu’elle l’était en cet instant ?

Reprenant sa marche, seulement accompagné de souvenirs, Layla se demanda quelle allait être la nouvelle épreuve qu’elle allait connaître.

 

« Père, dîtes-moi, comment sait-on que les dieux sont de notre côté ?

- Mon enfant, tu le sauras au moment où tu auras le plus besoin d’eux. »

 

Layla l’observait, penché sur son bureau en chêne massif. Ce bureau lui avait été offert par un roi habitant sur des terres lointaines, lui avait-il dit. Ses longs cheveux noirs tombaient sur le côté gauche de son visage. Malgré sa toge large on pouvait deviner sa forte musculature. Quand son poignet bougeait, ses bijoux émettaient un léger cliquètement. Ses yeux plissés étaient couverts du maquillage noir que portaient tous les rois.

Sans lever la tête le roi s’adressa à elle :

- Tu as quelque chose à me demander, Layla ?

- Je ne voulais pas vous déranger, père.

Le roi Mosegi posa sa plume et son regard sur sa fille. Layla tenta de cacher son air préoccupé et s’approcha de l’imposant bureau.

- Assieds-toi, je t’en prie.

Elle suivit l’ordre et ses doigts se mirent à se tortiller tels des vers. Elle n’était que très rarement seule face à son père et elle n’avait toujours vu que le roi en lui. Il l’impressionnait par son éternel calme et son regard si pur. On pourrait croire qu’il voyait à travers les âmes. Était-ce cela, avoir été purifié par les dieux ? Était-ce cette sagesse qui lui avait été donnée ?

- Père, quelque chose ne cesse de me revenir à l’esprit, cela me tourmente.

- Et quelle est cette chose qui te trouble ?

- La marche divine. Il y a de cela un mois Madame Palm a commencé à m’enseigner ce concept. J’ai bien compris que ce procédé permettait d’apaiser les âmes des futurs dirigeants du royaume, qu’il les purifiait. Que ce procédé avait pour but de permettre aux rois et aux reines de devenir des sortes de demi-dieux.

- Aucun roi ou aucune reine ne sera jamais un demi-dieu. Ne sous-estime pas le pouvoir immense et indéfini des dieux. Jamais nous n’arriverons à leur cheville.

- Veuillez m’excuser père, je me suis mal exprimée. Mais père, cette marche a l’air si terrible, si dangereuse. J’ai peur de ne pas avoir votre force.

- Tu as dans tes veines le sang de ta mère qui a parcouru plus de la moitié de la marche avec moi, et tu as le miens, qui ait survécu à l’entièreté de celle-ci. Tu as la force de le faire.

- Mais si les dieux ne sont pas en accord avec le fait de me voir monter sur le trône, de me voir être leur voix dans le monde des humains ?

- Alors tel sera leur choix. Mais honnêtement je ne pense pas que ce sera celui qu’ils feront. Tu es déjà si pure, tu as en toi la bonté et la sagesse de ta mère, et ma poigne et ma justice. Je suis sûre que tu feras la meilleure reine que This et le royaume n’ait jamais connu. Et n’oublie pas, nous serons toujours là pour veiller sur toi.

Layla, vaincue par les paroles de son père, baissa la tête. Il avait toujours cette manière de tourner les phrases comme si elles étaient des vérités absolues. Il se voulait rassurant et enseignant. Tant qu’il serait en vie, il pourrait apprendre à sa fille comment gouverner This. Pourtant le temps semblait s’écouler si vite. Déjà, alors qu’elle n’avait que quatorze ans, il s’affaiblissait. Déjà, il se sentait appeler dans le royaume où sa femme l’attendait.

- Merci père.

- Veux-tu me parler d’autre chose ?

Layla aurait tant aimé lui parler des petits problèmes de la vie quotidienne qui troublaient son cœur. Elle voulait le prendre dans ses bras comme le ferait beaucoup d’enfants avec leur père, elle voulait qu’il lui dise qu’il l’aimait. Mais elle connaissait sa place, comme il connaissait la sienne. Et leur position les empêchait d’être une famille normale, emplie d’amour et de problèmes quotidiens. Dans le palace, ils semblaient être si éloignés de la réalité et si proche de la vie divine. Soudain, Layla se demanda ce que sa mère, roturière, avait pu ressentir en entrant pour la première dans ce lieu si inhumain, si divin.

- Non, père, merci de m’avoir reçue.

- Reviens quand tu veux, ma fille chérie.

Layla s’arrêta. Il devait avoir ressenti le besoin pressant de ressentir un peu de chaleur. Et pour la première depuis plusieurs années elle avait l’impression d’être aimée malgré le fait que sa naissance ait tué l’amour de la vie du roi Mosegi. Jamais Layla n’oubliera cela, ce petit moment d’amour hors du temps. Elle se retourna et lui adressa un léger sourire, et Mosegi vit soudain Valerya revivre. Pourtant Layla commençait à tracer son propre chemin, vers une vie qu’il espérait, plus longue que celle de sa défunte mère.

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