La Princesse de This

Chapitre 1 : Une vie pour une autre

3268 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/06/2021 12:47

- C’est une fille, chérie ! Tu m’entends ? Une petite fille !

La voix du père qui s’élevait du palais de la ville de This était très représentative de l’émotion qu’il ressentait en cet instant si magnifique. Il pleurait tant il était heureux. Autour d’eux, les femmes de chambre applaudissaient l’heureux événement. À vingt et un ans, le jeune père était comblé. Pourtant, sa femme, elle, paraissait ne rien ressentir face à cette naissance. Son visage était stoïque, ses bras le long de son corps, ne réclamant pas l’enfant, sa respiration haletante. Elle déclara tout de même d’une faible voix, rassemblant toute la volonté de la femme :

- Je suis heureuse, notre petite Layla va grandir auprès du meilleur des pères.

- Et auprès de la meilleure des mères !

La femme ne répondit pas. L’accouchement l’avait épuisé. Ses yeux bleus se posèrent sur le petit être qui était sorti de son ventre. Une larme enfin s’échappa de son œil, finissant sa course dans ses cheveux bruns. Puis, elle regarda son mari. Le père, qui portait l’enfant, souriait de manière béate. Il tourna son regard vers elle. Elle tenta un sourire. En vain. Mosegi s’approcha d’elle, l’inquiétude révélant une ride entre ses sourcils. La femme dirigea à nouveau ses yeux vers le petit être sage et dans un dernier souffle, un douloureux mais important souffle, elle déclara :

- Éduques la bien, fais-en d’elle la meilleure de toutes les reines qu’a connu This.

- Je te le jure ma chérie, le dieu Nanna sera là pour me juger et la protéger. Notre fille sera connue à travers les âges et les peuples tant elle sera la reine idéale.

Mais la femme du roi avait déjà poussé son dernier souffle. Son visage était maintenant détendu et le roi ferma les yeux bleu foncé qu’il avait tant aimé regarder. Un petit sourire persistait sur ses lèvres, il restera à jamais, comme s’il avait été gravé sur son visage parfait. Elle était morte à dix-huit ans en donnant la vie. Une vie pour une autre. Le roi aurait pu pleurer s’il n’avait pas dû faire son devoir. À présent, il allait devoir présenter sa fille Layla à toute la ville de This, à tout son peuple. Cela allait être un évènement des plus importants pour cette jeune fille, cette présentation serait pour Layla le premier contact qu’elle aurait avec le peuple qu’elle gouvernerait quelques années plus tard. La ville entière se dévouerait pour cette enfant comme elle se dévouerait entièrement pour cette ville et ses habitants.

Ici, en Mésopotamie, les femmes étaient l’incarnation d’un pays sain et fort. Elles étaient les mères porteuses de soldats et de force. Elles étaient la représentation de la vie elle-même, elle brillait tel Râ. La princesse Layla serait même la mère porteuse de la ville de This, la mère du royaume de This. Mais avant cela, elle serait l’enfant de cette patrie. C’est ce pays et ce peuple qui allait l’éduquer pour faire d’elle une reine. Mosegi allait tout faire pour que sa fille entre dans les reines que l’on considère presque comme des divinités. Pour lui déjà, sa fille était une déesse. Tout comme l’était Valerya.

La cérémonie aurait lieu deux jours plus tard au sanctuaire du dieu Lune, Nanna. Ici, elle serait baptisée sous l’acceptation du dieu de la ville et de ses anciens. En sacrifice, les deux serviteurs de l’ancienne reine seraient donnés. Le bébé, dans un grand drap, serait porté par la prêtresse-entum de la ville âgée de soixante-trois ans. C’était la tante du roi Mosegi III, épouse du dieu Nanna. Chaque villageois allait devoir donner un quart de leurs dernières récoltes pour montrer leur dévouement à leur future reine. Un don qui allait devoir être remboursé par la fille du roi, lorsqu’elle deviendrait reine à son tour.

Après la cérémonie, Mosegi III, le roi, allait porter sa fille dans ses bras sur le grand balcon de son palais. Les deux-cent-cinquante-mille habitants de This allaient se baisser devant leurs puissances. Le dieu Râ, ce jour-là, allait être comme à son habitude, brillant et un vent frais que Shou allait souffler sur le visage du bébé endormi, s’élèverait dans l’air. Les anciens rois et les anciennes reines pourront alors donner leur accord face à la naissance de cette nouvelle princesse. La princesse Layla de This, future reine du royaume de This, se verrait ainsi protégée par le dieu de la ville et par ses prédécesseurs.


En retournant au palais, Mosegi III rencontra son jeune frère Teremun. Il portait, comme à son habitude, une robe d’un vert serpent et un reptile mort autour du cou. Sa petite barbichette rendait son visage encore plus long et avare. En voyant le roi et sa cour il abaissa la tête et s’approcha de sa tante, Ennannaoum, qui portait affectueusement l’enfant royale.

- Voilà la petite dernière, dit-il d’une voix sifflante.

- Oui, mon frère, voici Layla de This, ta future reine.

- Longue vie à notre reine. Que les dieux soient avec elle. Plus qu’ils n’ont été avec notre douce Valerya.

La relation entre les frères s’était toujours maintenue avec une certaine distance. Ils ne se haïssaient point, mais ne s’aimaient pas non plus. Teremun était jaloux de son frère ainé et Mosegi avait toujours dénoncé un certain relâchement dans l’éducation qu’avait reçu son frère cadet. Celui-ci ne portait aucun intérêt au peuple, ni même au personnel. Son seul intérêt était les contacts qu’il s’était fait au sein des Ensis, gouverneur des autres villes du royaume de This. Mosegi savait que son frère était celui qui maintenait les Ensis calmes grâce aux nombreux déplacements qu’il faisait. Mais il n’ignorait pas que ces déplacements étaient des couvertures pour manigancer un lointain soulèvement des riches qui, chaque année, perdait un peu plus de leur argent au profit du peuple.

Le bébé était maintenant dans un énorme berceau avec un entourage en or et des voiles de lin blanc et légers qui l’entouraient. Elle avait les yeux ouverts, ils étaient bleu foncé comme ceux de sa défunte mère. Elle ne pleurait pas, elle était calme comme la ville prospère qui n’avait connu aucune guerre depuis trois générations entières.


« Père, dites-moi, pourquoi le soleil est rouge quand il se couche ?

- Ça mon enfant, je n’en sais rien. »


- Mais non Palm, pas cette robe, elle fait bébé !

- Je ne vois pas en quoi porter cette superbe robe rose « fait bébé ».

- J’en désire une autre.

- Mais c’est que la princesse fait des caprices. Or la princesse n’a pas le choix, c’est avec cette robe rose qu’elle ira à sa première rentrée scolaire. Et ce n’est pas parce que c’est une princesse que je cèderais.

La rentrée. Toute une histoire pour la jeune princesse. C’est la première fois depuis sa naissance qui a eu lieu il y a quatre ans qu’elle sortait en dehors des murs du palais. Bien évidemment, toute une protection sera mise en place pour elle. Elle devra changer de prénom, ainsi elle s’appellera non plus Layla mais Nailah, le prénom de la mère du roi que beaucoup d’enfants portaient en son honneur. L’enfant devait également porter une tenue qui ne fasse pas « princesse ». Ainsi elle devra porter des robes simples et sans voiles ni or.

Mais malgré toutes ces restrictions la petite Layla n’avait qu’une hâte, rencontrer le peuple et étudier son histoire, ses dieux et surtout, l’écriture.

- On répète une dernière fois, princesse Layla ?

- D’accord. Bonjour, je m’appelle Nailah, j’ai quatre ans et mon père est charpentier en campagne. Je suis fille unique et j’adore la musique.

- Parfait ! Surtout je veux que vous soyez très attentive à l’école et que vous vous fassiez des amis respectables. Je suis sûre que cela est la volonté de votre père le roi.

- Oui madame Palm !

- Bien, allez déjeuner en compagnie du roi à présent. Il voudra certainement vous souhaitez bonne chance avant votre départ à l’école.

Layla adorait son père, elle l’aimait comme elle pouvait aimer deux personnes. L’amour qu’elle n’avait jamais pu donner à sa mère, elle le donnait à son père. Celui-ci ne se comportait pas comme un roi normal ; il jouait, courait, se cachait avec sa fille. Il lui contait même, avant le couché, quelques histoires à propos des dieux, des anciens rois et anciennes reines de This et à propos de sa mère. L’histoire préférée de l’enfant était celle racontant la rencontre entre les deux amants. C’était pendant la marche divine de son père. Dans une ville au nord du royaume, sur le chemin du retour, Mosegi s’arrêta pour se reposer. Là-bas, à Memphis, il fut accueilli de la plus belle des manières. Là-bas, il avait pu être l’homme qu’il avait toujours souhaité être. Il y avait là une fille presque femme qui s’occupait de sa mère malade et élevait son frère à la place de cette dernière. Elle avait des yeux bleu foncé et un sourire aux dents étonnamment blanches. Ses mains salies par la terre qu’elle aimait entretenir frôlèrent malencontreusement celles propres et lisses de Mosegi. C’était sûrement une rencontre provoquée par quelques dieux bienveillants car une année plus tard, les deux jeunes adultes se marièrent à This et la femme portait en elle l’enfant qu’elle était à présent.


Layla descendit les marches en granit menant à la salle de repas. Son père l’y attendait. Les cheveux de celui-ci étaient noirs comme jais, ses yeux d’un vert sombre. Comme à son habitude, il souriait en voyant sa fille. Les affaires du pays pouvaient mal aller que celui-ci voulait toujours montrer à Layla que tout allait bien au grand agacement de madame Palm qui pensait qu’il fallait faire prendre conscience à l’enfant ce qu’était diriger un pays. « Plus tard, plus tard » disait-il en la renvoyant doucement.

- Que tu es belle Layla !

- Merci père, répondit-elle poliment.

- Je suis tellement ravi de te voir commencer l’école ! Cela te rend-il heureuse toi aussi ?

- Oh oui père, j’ai tellement hâte.

- Il te faudra être attentive, calme et respectueuse. Mais je sais déjà que tu le seras.

- Je ferais de mon mieux père, comme toujours.

Ce ne pouvait être lui qui l’accompagna à l’école par question de sécurité et ce fut madame Palm, qui avait endossé le rôle de mère, qui le fit.

Lorsque l’enfant passa les grandes portes du palais et mit les pieds dans le monde extérieur pour la toute première fois elle poussa un cri et se mit à courir.

- Dépêchez-vous madame Palm, dépêchez-vous ! Nous allons être en retard !

- Lay… Nailah ! Ne cours pas ainsi !

La petite fille s’arrêta et regarda la rue. Habituellement, elle la voyait de sa chambre, d’en haut, comme si elle était dans le ciel. Elle regardait souvent les commerçants faire de grands gestes pour exprimer la qualité de leurs produits, elle voyait aussi les familles qui se promenaient en se frayant un chemin parmi tous les gens qui circulaient dans la Grande Rue. Mais là, elle était au milieu de celle-ci. L’effervescence du marché l’envahit. Une vieille marchande qui vendait des grenades bien rouges s’adressa à la jeune enfant :

- Mon enfant, c’est apparemment votre rentrée. Prenez une de mes grenades pour vous motiver.

Layla n’hésita pas une seconde et prit la plus grosse grenade. Madame Palm les avait rejointes entre temps.

- Vous devez être fière de votre fille madame, elle est si jolie, déclara la vieille dame.

- Oh, oui, je le suis. Ma petite Nailah est en plus très agréable à vivre. Même si parfois elle me fait quelques caprices.

- Comme toutes les petites filles ! Elles rêvent toutes d’être aussi parfaites que leur princesse. Votre enfant doit avoir son âge par ailleurs…

Madame Palm souri et repris le chemin vers l’école avec Layla. Plus elles s’approchaient de l’école, moins la princesse souriait. Elle devait être nerveuse comme tous les enfants qui faisaient leur première rentrée. Devant elles marchaient un père et sa fille qui tenait un petit sac en peau de chèvre. Cette-dernière pleurait, elle ne voulait pas aller à l’école.

- Voyons Halima, tu feras la fierté de la maison si tu y vas. Épargne-moi ce caprice d’enfant ! Crois-tu que toutes les petites filles pleurent en allant à l’école ? Non ! Alors ressaisie toi ! Et ne gâches pas les économies qu’on a dû faire pour ton éducation !

L’enfant renifla bruyamment et se serra un peu plus à son père.

Layla regardait la tenue de l’enfant. Sa robe couleur orange n’était pas différente de celle qu’elle portait. Ainsi madame Palm avait raison, sa robe rose ne faisait pas bébé.


L’école était maintenant à vingt mètres, une dame qui devait être l’institutrice attendait à l’entrée les nouveaux élèves. Layla s’arrêta et dans son regard on pouvait voir de l’appréhension.

- Que vous arrive-t-il ? demanda madame Palm, doucement en reprenant le vouvoiement qu’elle avait lorsqu’elle s’adressait à la princesse.

La petite fille commença à trembler. Madame Palm changea de formes de politesse et déclara d’un ton maternel :

- Oh ! Nailah, tout va bien se passer, je te l’assure. Je suis moi-même allée dans cette école et il ne m’est jamais rien arrivé !

- Oui, mais si les gens découvraient notre secret.

- Ils ne le pourront pas car tu ne le diras pas. N’est-ce pas Nailah ?

- Oui mada… maman.

Madame Palm serra Layla dans ses bras et lui tint la main jusque devant l’école. L’institutrice sourit à la venue de la petite fille. Elle se présenta sous le nom de madame Mao. C’était elle qui allait instruire les nouveaux élèves. Elle était mince et bronzée. Sa robe couleur rouge et blanche cachait ses formes. Elle se plia à la hauteur de Layla et lui promit qu’ici elle se fera beaucoup d’amis.

Après avoir fait un dernier baisé sur le front de Layla, madame Palm prit la route dans le sens inverse, mais cette fois-ci seule. Layla s’assit prêt de l’unique arbre dans l’espace dédié à la détente des élèves et attendit que les cours commencent. Un petit garçon accompagné d’une jeune fille s’approcha d’elle.

- Tu es toute seule ? demanda-t-il.

- Oui, je ne connais personne ici. Comment vous vous appelez ?

- Moi, c’est Pili et son nom à elle est Halima. Nos parents sont amis. Et toi, c’est quoi ton nom ?

- Je m’appelle Lay… Nailah. Je viens de la campagne.

- C’est étonnant qu’une fille de la campagne aille à l’école, déclara timidement Halima.

Layla ne répondit rien car elle n’avait pas imaginé qu’une personne lui dise cela. Heureusement, elle fut sauvée par la cloche sonnée par madame Mao indiquant que les cours commençaient.


Quand elle mit les pieds dans la salle de classe, la jeune princesse sentit une bouffée d’excitation monter en elle. Elle allait pouvoir lire tous les livres de la bibliothèque, écrire dans les cahiers pour le moment en tas sur le bureau de l’institutrice, apprendre tous les noms de villes présentes sur la carte de Mésopotamie. Dans la classe, les garçons devaient s’assoir à gauche et les filles à droite. Layla s’assit donc à droite à côté de la jeune fille qu’elle connaissait depuis peu, Halima. Pour ce premier cours, l’institutrice ne perdit pas de temps et leur fit apprendre à écrire leur nom. Layla avait failli écrire son vrai prénom mais s’était vite rattrapée pour écrire « Nailah ». Les lettres n’étaient pas belles, elles semblaient trembler. Ainsi, elle répéta l’exercice autant de fois qu’il fallait avant d’obtenir un résultat convenable.

À midi, les enfants avaient le droit à une pause où ils mangèrent les déjeuners donnés par leurs parents. Layla avait toujours la grenade donnée par la vieille marchande du matin.

- Comment ça se fait que tu sois à l’école alors que tu es une fille de la campagne ? demanda Halima qui n’avait pas oublié la conversation.

Layla avait eu le temps de réfléchir à la réponse idéale et répondit d’une voix calme :

- Mon père tient à ce que j’ai une éducation irréprochable, il aimerait beaucoup que je vive en ville plus tard. Ainsi mes parents ont fait de grosses économies pour me permettre d’étudier.

Halima et Pili avaient l’air de trouver la réponse assez réaliste pour la croire et ne commentèrent plus pendant la journée la condition de « campagnarde » de la jeune fille.

L’après-midi, à l’école, les élèves effectuaient des travaux manuels et ils apprirent à tresser des feuilles de palmier pour en faire des récipients étanches. Layla se débrouillait très bien dans cet exercice car elle le pratiquait tous les jours où son père n’était pas là, afin d’éviter de s’ennuyer. La jeune enfant eu même le droit à quelques félicitations de l’institutrice et lorsqu’elle avait fini, la princesse aida Halima à finir son panier.


Lorsque la fin des cours fut indiquée, Layla se hâta de rejoindre madame Palm qui attendait devant la grille. Tout le long du trajet, la jeune fille de quatre ans répéta ce qu’elle avait fait, appris et qui elle avait rencontré. Bien évidemment, elle répéta tout à son père qui en l’écoutant souriait de voir sa fille aussi heureuse, aussi naturelle.

« Valerya », pensa-t-il, « regarde comme ta fille est belle, intelligente et si digne d’être la future reine de notre royaume ».

Laisser un commentaire ?