Coca ou l'odeur
L’odeur, encore.
Cette puanteur engageait chez Coca un réflexe, transmis par ceux qui connaissaient son origine, et les répercussions à la sentir dans un de ces dédales rocheux.
Il trouva un roc en surplomb de plusieurs mètres, et après une escalade précautionneuse mais rapide, se permit un instant de soulagement, rassuré par l’élévation, et son objectif cessa l’espace d’un moment de le tourmenter. L’odeur toutefois, récurrente et lourde, le rappela à lui, et le faible soleil qui filtrait parmi les nappes de poussière lui permit de confirmer ses craintes.
Une silhouette venait de passer derrière un enchevêtrement d’épineux, à moins de 20 mètres de lui, et semblait s’être enfoncée dans le sol, sous les blocs de roche qui s’étendaient, comme partout à perte de vue, comme si ils avaient été placés la par dessein. Cette pensée le glaça, car il savait que les feux de l’ancien monde étaient les seuls à pouvoir créer un tel paysage, pulvériser les montagnes et les réduire en débris, les noircir à jamais et les vitrifier de leur souffle.
Et c’est ce qui c’était passé.
Il ne craignait pas ces « brasiers de l’holocauste » comme il avait pu les entendre appelés, mais leur faculté à condamner irrémédiablement tous les lieux frappés par la malédiction de l’atome.
Et cette malédiction…avait une odeur.
Malgré lui, il croyait en ces allégories de malédictions, de purgatoires, et d’apocalypse. Les bombes avaient, bien sur, été crées par l’homme, mais les paysages ravagés qui composaient maintenant la totalité des terres qu’il avait pu voir, ne pouvaient que lui faire penser que l’homme n’a été qu’un instrument de son malheur, l’outil du destin, son propre exécuteur.
Alors pourquoi ne pas avoir foi en toutes ces superstitions.
Le doute s’instaura alors profondément en lui. L’odeur signifiait que la malédiction n’était pas levée, mais s’en assurer avec son compteur serait un signal que la silhouette qu’il avait aperçu ne manquerait pas.
Ni les autres.
Il avala un flacon au verre brun, la substance était acre, alcaline, et dégageait une forte odeur de plastique fondu. La sensation de l’anti-rads était inoubliable. Avec ça, cependant, il ne craindrait plus d’avancer, ou en tout cas n’en aurait plus le droit.
Il se conforta en ôtant la sécurité de son Colt 6520, protection illusoire mais forte de sens quand à sa détermination. Il le gardait comme symbole, notamment du fait qu’il fut jusque la inutilisé, par lui, pour autre chose que la chasse.
Il descendit de son observatoire, l’absence de mouvements le poussant à saisir l’instant, et avança collé contre les parois des couloirs rocheux qu’il parcourut sans bruit. Arrivé en haut d’une ravine de terre ocre, cernée de blocs rocheux de plusieurs tonnes, il cessa sa course.
Face à lui, a une centaine de mètres, le fruit de son courage.
Un bâtiment de béton de deux étages, vision atypique face à la primitivité de tous les lieux alentours. Il avait été léché si ardemment par le feu maudit que toute l’armature métallique apparaissait au grand jour, après avoir fondu et fait éclater des pans entiers de murs. La lourde porte métallique pourtant, se tenait encore dans son encadrement et semblait indifférente aux outrages du temps qui avait frappés la structure.
Un modèle classique, une porte de chez House&House, série heavy duty, utilisée couramment dans les administrations, rarissime ailleurs de par son coût prohibitif. L’excitation provoquée à la vue de son objectif fut vite subjuguée par l’angoisse de l’ouverture de la porte.
Il serait impossible d’agir discrètement, et l’opération prendrait du temps.
A contrecoeur, il sortit alors de sa casquette un petit sachet plastique contenant une pâte verte, et se mit en quête d’une brèche dans le béton des murs périphérique, bien plus faciles à entamer qu’une porte en saturnite massive. La où un stalactite d’acier particulièrement imposant s’était formé, il trouva un impact de plusieurs centimètres dans la paroi et, après hésitation, tapissa le trou de la totalité du sachet puis planta une tige de métal de la taille d’une épingle à l’intérieur.
Quelques pas en arrière seraient suffisants, et après s’être revissé sa casquette sur la tête, il pressa avec détermination la touche APPEL d’un vieux téléphone portable. Le souffle fut étouffé, presque assourdi, et dès le gros de la poussière dissipée il pu s’engouffrer dans l’ouverture qu’il s’était ainsi créé.
La pièce dans laquelle il pénétra voyait s’empiler un stock conséquent de mobilier de bureau, et le chaos de chaises et de tables dans lequel il se trouvait lui permis de s’abriter dans un recoin d’où il se rendit invisible, sous un tas d’armoires en métal.
Il se défit alors de sa longue veste de cuir et s’assit dessus, pendant qu’il essuyait avec son écharpe son visage couvert de sueur et de poussière grise. Cela laissa apparaître une barbe aux reflets dorés et argentés sur un visage jeune, peut être vingt-cinq ans, mais à la peau tannée.
Une fois son lourd sac à dos de voyage retiré, il prit une inspiration qui remplit toute sa cage thoracique, libéré du rythme court et saccadé que lui imposait son fardeau. Ses côtes et ses épaules étaient encore endolories quand il se figea instantanément. Les yeux noirs de l’homme se fixèrent en un instant et il ne bougea ni ne respira plus, alors qu’il sentait son cœur battre à en exploser dans sa poitrine.
Deux fines et longues cornes couleur d’os pénétraient dans l’ouverture empruntée une minute avant par l’homme en casquette. Elles étaient quelques peu vrillées, et de l’épaisseur d’un bras d’homme. Des bras justement, vinrent à la suite, et leur morphologie si spécifique ne laissa plus de doute quand à la nature de leur porteur. Cinq longues griffes prolongeaient chaque membre, et les phalanges hideuses et tuméfiées qui les portaient étaient encore couvertes de sang coagulé.
Une abomination venait de franchir la cloison, prompte à relever les traces semées un instant auparavant.
Il avait appris à ne pas faire l’erreur de considérer un griffemort comme un ennemi, mais plutôt comme ce qu’il était de la manière la plus sure : un motif de deuil et de désolation. De même que l’on ne combat pas les éléments déchaînés, ni le feu maudit, nul ne survivra s’il n’est pas terré et reclus jusqu’à la fin du péril.
La bête était imposante, plus de 2 mètres malgré sa posture voûtée, et semblait faite uniquement d’os et de tissus musculeux. Son crâne profilé balançait de droite et de gauche, signe d’impatience dans sa traque, et sa mâchoire à demi-ouverte ne laissait présager que de funestes augures pour sa proie.
Alors qu’elle parcourait malhabilement les débris qui jonchaient la salle, et semblait décontenancée par l’absence de présence vivante, elle stoppa, et se mit à humer les alentours.
Coca se demanda si l’odeur de la malédiction, toujours omniprésente, pouvait être occultée par cette créature dégénérée qui en était issue. Pendant que cette question cheminait dans son esprit, il avait extrait de son paquetage avec la toute la discrétion que son état de terreur lui permettait, une petite sacoche, qu’il s’employait maintenant à ouvrir. Il en tira une seringue de plastique, qu’il emplit du contenu d’une petite ampoule jaunâtre, et remplit d’air le reste du piston.
Alors qu’il relevait la tête sans vouloir penser à évaluer ses chances de survie, il étouffa un cri.
Le griffemort avait disparu, et la salle semblait vide de tout cotés. Il patienta plusieurs minutes et au moment de quitter sa cachette, jeta un dernier regard, où il n’occulta pas de regarder le plafond.
Les griffes profondément fixées dans le béton, la créature avait profité de la pénombre pour s’y fixer, seul les reflets de ses jointures et cartilages brillants trahissant son camouflage.
L’hésitation domina un instant de trop dans l’esprit de l’homme, pas dans celui de la bête.
Elle se déploya et se détendit de tous ses muscles vers le lieu de sa stimulation sensorielle, griffes en avant. Sa course fut stoppée alors qu’une épine de métal s’insinuait profondément en elle, passant entre son omoplate et sa colonne vertébrale. Le liquide qui se déversa lui fit sentir la douleur. La douleur primale. Puis elle ne sentit plus rien.
Coca se redressa.
Un rat. Un rat venait de lui sauver la vie, en subissant l’assaut du monstre, accaparant assez son instinct pour lui permettre d’affronter le péril, de le vaincre, de tuer le fruit de la malédiction.
Il douta même un instant qu’un telle chose fut possible, mais le lourd cadavre immobile ne laissait pas place au doute.
Il savait qu’une dizaine d’hommes bien armés, comme les Caravaniers, pourraient en avoir raison, on du moins la repousser, mais un acte solitaire paraissait insensé. Ling avait raison, la strychnine était le grand égalisateur des être vivants devant la mort, il arrivait donc encore à ce foutu fils de raider de voir juste pensa Coca.
Il bricola une alarme rudimentaire afin de ne pas s’exposer deux fois aux silhouettes, puis sectionna les deux mains de la bête, qu’il enfouit dans son sac. Un trophée de choix, et qui aurait de la valeur pour certaines de ces connaissances.
Après avoir chargé son fusil sans âge de deux cartouches « big game », achetées il y a peu à un marchand convainquant, il s’enfonça dans le fond de la pièce et passa les deux portes battantes, qui lâchèrent un grincement strident, presque vivant. Au sol gisaient de nombreux documents, moisis pour la plupart, qui comportaient tout l’en tête du gouvernement de l’ancien monde, son sceau, ainsi que la mention « U.S Army Hospital and Medical Engineering ».
Coca n’était plus qu’une silhouette au fond du couloir, avançant dans les nappes de poussière et…l’odeur.