Quand on ne regarde que les étoiles
Quel que soit le temps qu'il faisait, Piper portait toujours un long manteau de cuir rouge et une casquette rapiécée. Elle souriait, à tout le monde, même à ceux qui souhaitaient la voir disparaître. Piper, elle n'avait peur de rien, ou alors, elle faisait très bien semblant. De croiser sa route, en train de hurler devant Diamond City, aura été ce qui se rapprochait le plus d'un miracle. Un miracle à mon échelle, le monde qui souffle : regarde, je t'offre une amie.
Avec Piper, j'avais relevé la tête pour arrêter de regarder la pluie.
Les semaines à ses côtés avaient été presque intemporelles, ayant à la fois ce goût d'avant les bombes et cette flagrante nouveauté que je tâchais d'accepter, un centimètre à la fois. Dans mon sac, j'avais glissé le livre. Piper y avait ajouté une tonne de provisions, des munitions, des Stimpaks. Et deux grenades à fragmentation. J'avais tenté de refuser. Particulièrement les grenades. Les armes, c'était une chose. Les explosifs me terrifiaient.
J'apprendrais bien assez rapidement qu'on ne discutait pas avec Piper quand elle avait décidé quelque chose.
Sur le pas de sa porte, je ne savais plus quoi dire. Je n'aimais pas dire bonjour, mais les aurevoirs étaient pires.
— Piper. Merci.
Elle me pressa le bras, avec un sourire.
— Allez, ouste. N'allez pas vous mettre à pleurer ; ça me ferait pleurer aussi. Revenez me voir, de temps en temps, c'est tout ce que je vous demande. Et passez le bonjour à ce bon vieux Nick de ma part.
Le bon vieux Nick, c'était un certain Nick Valentine. Le détective de Diamond City - ce monde n'avait décidément pas fini de me surprendre. Piper n'avait pas tarit d'éloges à son sujet : c'était le meilleur. Et pas seulement parce que c'était le seul.
L'agence Valentine était indiquée depuis la place par des enseignes lumineuses en néon, d'un rouge presque tapageur. Impossible de se tromper. Arrivée à la porte close, je frappai. Pas de réponse. Était-ce vraiment poli, d'entrer comme ça ? Est-ce que la politesse était encore réellement en vigueur ? Je frappai une nouvelle fois. Puis je passai la porte.
Une femme se tenait au fond de la pièce, en train de fourrer, nerveusement, des feuilles dans des cartons. Comme d'habitude, je toussotai. Elle sursauta.
— Oh. Je ne vous ai pas entendue entrer. Désolée, l'agence est fermée, dit-elle en me jetant à peine un regard.
— Ah, pardon... excusez-moi. Désolée.
Je me dirigeai vers la porte pour repartir aussi vite que j'étais arrivée. Et puis, finalement, je me ravisai. Je n'étais pas à une impolitesse près.
— Pour combien de temps ?
— Écoutez, je ne sais pas. Longtemps. Définitivement, même, dit-elle en soupirant. Vous pouvez partir, maintenant ?
Elle me fixa, les bras croisés, et je remarquai ses traits creusés, ses yeux rouges de quelqu'un qui a peu dormi - ou pleuré. Sa jupe laissait apparaître des chaussettes rayées et des Converses en toile noire. C'est ce dernier détail qui délia ma langue.
— Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais vous avez l'air de quelqu'un qui passe une mauvaise journée.
Elle sembla hésiter. Je lui fis un sourire - les mauvaises personnes ne portent pas de Converses en toile noire. Elle expira longuement, comme si elle essayait d'enlever un peu de ce poids qu'elle avait là-dedans.
— Nick est parti sur une piste, il y a plusieurs semaines. Il n'est jamais revenu. Je lui ai dit que je le sentais mal, mais vous pensez bien qu'il ne m'a pas écoutée. Il ne m'écoute jamais.
Sur ces mots, elle tapa du plat de sa main sur la table. Voilà qui était fâcheux, effectivement.
— Et vous pensez qu'il est retenu prisonnier ou quelque chose comme ça ?
— Je pense qu'à force de jouer avec la mort, la mort a fini par l'avoir, dit-elle en refermant un carton d'un geste sec. Ce n'est pas faute de l'avoir prévenu. Je lui avais dit de ne pas mettre son nez dans les affaires de Malone.
— Mais vous n'en êtes pas sûre.
— Je n'ai pas besoin d'en être sûre, dit-elle en secouant la tête. C'est la fin de l'agence Valentine.
Elle se pencha sur ses dossiers et ne m'adressa plus un regard.
— Euh, repris-je en me tordant les mains. Vous pourriez me dire où il est allé, au moins ? Je peux aller voir. Si vous voulez.
Elle releva les yeux, fronça les sourcils et eut presque un rictus.
— Vous ? Toute seule ? On parle de malfrats en bande, qui tirent d'abord et réfléchissent ensuite.
— Je suis pas toute seule, j'ai Canigou, soufflai-je très bas.
— Quoi ? demanda la femme.
J'espérais presque un refus. Elle soupira.
— Il est allé au métro de Park Street, pas très loin d'ici.
Je me souvenais de cette station. C'était à quelques kilomètres à l'est.
— Merci, répondis-je. Et bien, je..., je vais y aller, ajoutai-je en montrant la porte.
Elle me retint par le bras.
— Comment vous vous appelez ? demanda-t-elle en plantant ses yeux dans les miens.
— Lily, dis-je en détournant le regard. Et vous ?
— Ellie.
— Enchantée, Ellie, répondis-je avec un sourire gêné.
— Lily. Si vous me ramenez Nick...
Sa voix s'éteignit, comme si son espoir fugace avait disparu aussi vite qu'il était apparu.
— Peu importe, dit-elle finalement en lâchant mon bras. Faites ce que vous pouvez.
Oh, bon sang. Était-ce vraiment une bonne idée ? Je me demandais si une meilleure solution n'était tout simplement pas de retourner chez Piper et de lui dire que personne n'était à l'agence. Peut-être que ce Valentine finirait par rentrer de lui-même ? Je m'assis machinalement au comptoir du stand de nouilles et pris ma tête dans mes mains.
— Nan-ni shimasko-ka ? dit Takahashi.
— Euh, non, non merci. Je ne suis pas là pour manger.
— Nan-ni shimasko-ka ? répéta le robot.
Il me fixait - peut-être, c'était difficile à dire puisque les Protectrons n'avaient pas de visage. Et si je demandais à Piper de m'accompagner ?
— Nan-ni shimasko-ka ?
— Mais bon sang ! soufflai-je en partant du stand.
Non, pensai-je en m'asseyant sur un banc. Je n'allais pas prier Piper de m'accompagner puisque je n'allais tout simplement pas aller le chercher. Il ne pouvait pas être le seul détective du Commonwealth, si ? J'allais bien en trouver un autre, je ne sais où. Piper m'aiderait ; oui, je n'avais qu'à faire ça. J'allais rentrer chez Piper et lui demander un autre détective.
En me relevant, je repensai à Ellie. Elle avait l'air si bouleversée.
Deux heures plus tard, j'étais à la station de Park Street.
Elle était aussi déserte que l'était le reste du monde.
— Qu'est-ce que t'en dis, Canigou ? On y va ?
Le chien remua la queue, la langue pendante. Bien sûr qu'on y va, qu'est-ce que tu attends ? Je posai un index sur mes lèvres pour lui intimer le silence et descendis les marches.
Mon arme ? Serrée dans ma main droite. Les grenades ? Dans une de mes poches. En partant du principe qu'il y avait un bon moment pour utiliser des grenades, partir toute seule dans une station de métro pour aller sauver un détective en péril était probablement ce qui s'en rapprochait le plus.
Quel plan de merde. Je n'étais même pas arrivée en bas des marches que j'entendis des éclats de voix. Quel plan de merde.
Les quais étaient intégralement recouverts d'ordure et l'odeur qui s'en dégageait était putride. Deux types, apparemment pas dérangés par leur environnement, discutaient tranquillement, accompagnés de bière et de cigarettes.
— ...on pourrait pas demander une rançon à Diamond City ? On commence à manquer de matos, dernièrement, un peu de capsules, ça ferait pas de mal.
— Arrête avec ça ! C'est la quinzième fois que tu m'en parles. Le chef a été clair, on garde le privé en vie. Pour le moment. On lui fera sans doute sauter la cervelle plus tard. Enfin, la cervelle... J'suis pas sûr qu'il ait une cervelle, le bougre !
Les deux types s'esclaffèrent.
— J'dois encore aller réparer un truc dans l'Abri, reprit un des mecs en se passant les mains sur le visage. À chaque fois que je dois aller là-dedans, ça m'rend claustro...
Un Abri ?
— Ouais, j'comprends. T'imagines... T'imagines la vie des gens, dans ces machins-là ? Quand les bombes sont tombées, j'veux dire ?
— Je pense que j'aurais fini par tabasser tout le monde, répondit l'autre en se tapant les cuisses.
Quel plan de merde. Bon. Il fallait que je les descende. En supposant qu'il y avait un bon moment pour descendre des types, de devoir trouver un Abri planqué je ne sais où dans la station était probablement ce qui s'en rapprochait le plus.
Bon sang. Mes mains étaient si moites que mon arme me donnait l'impression de pouvoir glisser de mes paumes d'un instant à l'autre.
Je tirai deux coups, l'un après l'autre. La détonation avait fait siffler mes oreilles, les balles avaient filé droit devant, droit dans la tête de mes deux cibles qui étaient tombées au sol, l'une après l'autre.
Et maintenant ? Maintenant, j'avais terriblement envie de faire demi-tour.
— Putain de merde... Todd ? T'es mort ? Putain, ils sont morts. Hé ! Viktor ! appela le type. Ramène les autres. On a de la visite.
Bordel de merde. Je ne me laissai pas le temps d'hésiter, persuadée que j'allais hésiter n'importe comment ; je sortis de ma cachette et tirai sur le mec qui était à ma recherche, qui fit un geste pour appuyer sur sa gâchette avant de mourir.
Viktor, sans doute, se retourna, cria "là !", porta la main à sa hanche pour enlever son arme de son holster - quel imbécile -, et je tirai la totalité de mon chargeur dans son torse.
— Pardon, soufflai-je.
Recharger, recharger. Oh, il ne fallait vraiment pas que j'oublie de recharger.
Planquée derrière des barrières, je fis glisser les dix balles dans le magasin. Je n'avais entendu personne d'autres. Mais j'allais supposer que j'avais affaire à des types malins. Ne serait-ce que pour ne pas faire preuve de stupidité moi-même.
— Psst, Canigou. Tu sens quelqu'un ? chuchotai-je au chien.
Il renifla longuement. Puis s'ébroua. Je considérai donc la voie libre. Les issues sur les quais étaient bloquées par des éboulis. Je n'avais pas le choix : il fallait que j'avance dans les tunnels du métro.
Dieu qu'il faisait sombre, là-dedans. Absolument le genre d'endroit où j'aurais pu penser croiser des goules sauvages.
Les annonces automatiques du quai suivant fonctionnaient toujours. A défaut d'avoir de la lumière, je suivis le son.
Ce n'était plus vraiment un quai. C'était un chantier. La paroi avait été creusée, sur la gauche. Je me frayai un chemin entre les caisses, entre les vieux véhicules de levage, entre les éternels squelettes avant de trouver ce que je cherchais. À quelques mètres devant moi se trouvait un grand échafaudage, accolé à une immense porte d'Abri, fichée dans la roche.
Et bien sûr, quatre types gardaient l'entrée.
Oh, quel plan de merde. Ils étaient quatre ; j'étais toute seule, enfin, non : j'étais avec Canigou. J'avais peut-être une chance en restant à distance, je n'avais qu'à les abattre un à un, le temps qu'ils me trouvent, ils seraient tous morts ; fin de l'histoire.
Et bien sûr, ils bougeaient. Sauf un. Un des mecs venait de s'asseoir. Je lui tirai dessus - trop vite, le manquai de plusieurs centimètres, le bruit les avais tous alertés ; j'étais foutue. Bordel de merde. D'autres types sortirent de l'Abri, des flingues pointés devant eux, à la recherche du gros con qui avait bien pu tirer sur un de leur pote sans même réussir à le toucher. Je ne réfléchis pas plus longtemps. Je dégoupillai une grenade et la lançai, aussi loin que je le pouvais. Et je courus, aussi vite que je le pouvais.
La détonation fit trembler les murs. Je restai un instant, la tête dans mes mains, cachée derrière la caisse, le museau de Canigou posé contre moi. Ils devaient être morts. Sinon, c'est moi qui serais morte.
Je me risquai à sortir de ma cachette. Oh, bon sang. Quelle horreur. Avant que mes yeux n'impriment trop ce qu'ils voyaient, je filai à l'intérieur de l'Abri.
Où étaient-ils, tous ? J'étais complètement perdue au milieu de tous ces murs qui se ressemblaient. J'avais fortement l'impression de tourner en rond ; impression qui se renforça quand je remarquai pour la deuxième fois cet étrange dessin au mur - un gâteau, un chapeau ? Un gâteau avec un chapeau, qui fume ? C'était signé, en plus. Je pris à droite, puis à gauche, puis tout droit : là, un escalier. Je ne savais pas où j'allais, mais j'étais sûre de ne pas avoir pris d'escalier. Deux étages montés et j'entendis des éclats de voix.
— ... je sais ce que j'ai entendu, Dino. Il a écrit ton nom dans son carnet... Tu sais ce que ça veut dire.
— Le chef, il m'aime bien, d'abord. J'vois pas pourquoi j'te... Pourquoi j'te croirais ? Je vais pas pas me faire descendre parce que j'me donne un petit coup de pouce au poker... Si ?
— Écoute... Moi, je m'en fous, hein. Mais comme t'es ma seule distraction entre ces quatre murs... Ça me ferait chier que tu te fasses buter, tu vois ce que je veux dire ? Mais bon. Si tu préfères attendre ce soir pour vérifier ce qu'il en est, c'est pas mon problème.
Dino réfléchit, ce qui eut l'air de lui demander un effort considérable.
— J'vais aller parler au chef, marmonna-t-il. J'vais aller lui rendre les capsules, et puis... Et puis ça devrait le faire. Hein, ça va le faire ? Hé, Nick, ajouta-t-il en tapant sur la porte. Tu bouges pas de là.
— Comme si je pouvais bouger, Dino...
— Oui, et bah... Je sais pas ! Pas de conneries, c'est tout.
Sur ces mots, Dino fila. C'était le moment. Je courus jusqu'à la porte. Il n'y avait pas de serrure. Merde.
— Dino ? demanda la voix à travers la porte.
— Euh, non. Je, euh, je viens vous libérer, je crois. Je n'arrive pas à ouvrir la porte.
— Ah, répondit-il sans aucune surprise. Il n'y a pas un terminal, près de vous ? Débrouillez-vous pour y accéder et déverrouiller cette foutue porte.
Ah, très bien. Je relevai les yeux et vis, effectivement, le terminal accroché au mur.
— Il faut un mot de passe, marmonnai-je. Vous l'avez ?
— Non. Essayez n'importe quoi. Servez-vous de votre tête.
Sinon, je peux vous laisser là, aussi, c'est pas mon problème. Quoique. En fait, si, c'était mon problème.
Je me mis à taper tout ce qui me venait. 12345678, Malone, Abri, 1234, 0000... En soupirant, je tentai dino, et le terminal me laissa entrer. Vraiment ?
Welcome to RobCo Industries™ Termlink
Welcome User Din0-xXx
[PRENDRE UN NUMÉRO]
[COMMANDE PORTE SÉCURISÉE]
Vraiment.
Dans la cellule, je m'attendais à découvrir un pauvre détective enchaîné dans un endroit délabré. Il n'en était rien. Premièrement, parce que cette cellule était en fait un spacieux bureau, ensuite, parce que Valentine était tranquillement en train d'allumer une cigarette.
Il n'était pas si étonnant qu'il soit en train de fumer - pourquoi pas, après tout. Il était étonnant par contre, qu'il puisse fumer.
— Alors ? Qu'est-ce quelqu'un comme vous fout ici pour sauver quelqu'un comme moi ?
— ...
Il avait une main normale, posée sur le bureau derrière-lui, et puis il y avait la main qui tenait sa cigarette ; une main sans peau, un squelette métallique.
— On vous a déjà dit que ce n'était pas très poli, de fixer les gens comme ça ?
Il n'avait même pas relevé la tête vers moi.
Je fis un effort pour décrocher mon regard de ses yeux jaunes, presque lumineux, du grand trou sur sa tempe qui laissait entrevoir des câblages.
— Vous êtes quoi, exactement ?
— Bah. Un détective, dit-il en jetant sa cigarette par terre. Et vous, qu'est-ce que vous vous foutez là ? Non, en fait, ne me dites rien. Sortons d'ici avant que l'autre imbécile ne revienne.
Ah. Très bien.
— En fait, c'est Ellie qui m'a dit où vous étiez, commençai-je en le suivant tant bien que mal dans les couloirs toujours déserts. J'ai besoin de votre ai...
— Cette pauvre Ellie. Il faut vraiment que j'augmente son salaire, dit-il avec un soupir. Bon, suivez-moi. On va sortir par la porte de derrière.
La porte de derrière était, elle aussi, verrouillée par un terminal.
— Forcément. Ils ont tout fermé. Je vais me débrouiller avec ça, dit-il en pointant le terminal. Vous, gardez votre flingue à portée de main.
Docilement, je pointai mon pistolet sur la porte. Comme si j'allais servir à quoi que ce soit si les types de Malone nous attendaient à douze derrière.
Ils n'étaient pas douze ; plutôt quatre. Un couple - beaucoup trop bien habillé pour des gens d'après-guerre, et deux sbires encagoulés.
— Bah alors, Nick. On se fait la malle ? lança le mec bien habillé. Donc, que je récapitule. Tu te pointes chez moi. Tu butes mes hommes. Et en plus, t'essaies de te tirer en douce ?
— Ça ne serait pas arrivé si ta nana rentrait à la maison de temps en temps, soupira Nick en faisant quelques pas en avant. On m'a envoyé la retrouver... J'ai fait mon boulot. Pas de chance, j'ai atterri dans tes pattes. C'était pas un plaisir pour moi non plus.
Ah. Valentine retrouvait donc bien des gens disparus. Dommage, on allait probablement mourir ici.
— T'aurais dû me foutre la paix, Nicky. Je suis plus une petite frappe. C'est fini, ça. Je règne, ici, c'est mon Abri.
— Je t'avais dit qu'on aurait dû le buter, Malone ! geignit la femme à côté de lui.
— La ferme, Darla ! hurla le type en levant la main.
Il amorça un geste pour la frapper, et mon sang ne fit qu'un tour.
— Darla. Qu'est-ce que tu fous avec un type pareil ? Je voudrais pas me... En fait, si, je vais m'en mêler, lançai-je en essayant de calmer les tremblements qui agitaient ma voix. Y'a des gens qui s'inquiètent pour toi, je ne sais où, et tu préfères rester avec un type qui te dit de la fermer ?
On allait définitivement mourir ici.
Darla se mit à réfléchir, et, pour elle aussi, ça avait l'air d'être douloureux.
— T'es qui, toi, d'abord ? siffla Malone.
— ...
— Mais t'as raison, en fait, dit Darla d'une voix blanche.
Oh bon sang, sérieusement.
— Qu'est-ce que je fous de ma vie ?
— Non, mais, Darla, chérie, tu sais bien que... balbutia Malone.
— J'me casse, Skinny ! dit-elle en lâchant la batte qu'elle avait dans les mains. J'aurais dû le faire y'a bien longtemps ! J'en peux plus de tes flingues, de tes nerfs, de devoir compter tes putain de capsules, j'en peux plus de Nicky !
Et elle partit. Aussi simplement que ça, elle partit.
— T'es même pas bon au lit ! hurla-t-elle en se retournant une dernière fois.
Aïe.
Malone la regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'elle soit hors de vue. Il se retourna vers nous et ses yeux avaient presque disparu sous ses sourcils.
— Bon, bon, bon, Nicky, dit Malone en marquant une pause entre chaque mot. Déjà, tu me tapes sur les nerfs. Ensuite, tu me casses les burnes. Et là, ta pote fait fuir ma gonzesse.
— Elle t'a fait une faveur, Malone. Vois ça sous cet angle. C'était pas la bonne. Et maintenant qu'elle n'est plus là pour... aggraver ton caractère : tu ne voudrais pas faire un effort et nous montrer la sortie ? Ça fait deux semaines que je suis dans ton trou. J'ai retenu la leçon.
Malone se gratta le menton. Mi-fulminant, mi-hésitant.
— T'es vraiment un putain de connard arrogant, Nick. Je compte jusqu'à dix. Si je vois encore vos gueules après ça, je vous transforme en passoires. Pigé ? Tirez-vous. Avec le clebs, hein !
— Cassons-nous, chuchota Valentine. Et vite.
Je n'avais aucune envie de tester la crédibilité de Malone - qui s'était mis à compter pour de vrai, et courus à la suite de Valentine. Nous filâmes, jusqu'à disparaître, jusqu'à entendre le bruit caractéristique d'une porte d'Abri qu'on referme, et jusqu'à retourner à l'air libre.
J'avais échappé à la mort un jour de plus.
— Je ne pensais pas que ce bon vieux ciel du Commonwealth aurait pu me manquer un jour, souffla Valentine.
— ...
— Merci, au fait. Je vous en dois une belle. J'aurais probablement fini par...
Finalement, un peu de gratitude. Je m'écroulai sur un vieux banc sans attendre la fin de sa phrase et Canigou vint me donner des coups de museau.
J'avais échappé à la mort un jour de plus.
— Hé. Mais c'est Canigou, avec vous ?
— Quoi ?
Valentine s'approcha et gratta la tête du chien.
— Bon chien. Bon vieux chien. Ça fait longtemps, hein ? Bah oui. Toi aussi. Toi aussi, tu m'as manqué. Bon chien.
— Vous connaissez Canigou ?
— On a bossé sur des affaires, tous les deux. C'est un bon détective.
Il s'assit sur le banc et ajusta son fédora.
— Je vous ai même pas demandé comment vous vous appelez, dit-il en tournant la tête vers moi.
— Euh. Lily. Lily Moriarty.
— Et vous avez dit avoir besoin de mon aide.
— Oui.
Heureuse que vous ayez eu l'info. Valentine me regardait, en semblant attendre que je dise quelque chose. Ah, oui. Bien entendu.
— Pardon, fis-je en regardant le sol. C'est mon fils.
Je marquai une pause ; quand les mots sont très laids et durs à dire, il faut leur laisser le temps.
— Il a disparu. Enfin, on l'a enlevé.
— Ça sera pas la première disparition de l'année, soupira Valentine. Bon. Rentrons, si ça ne vous ennuie pas. J'ai une secrétaire à rassurer et je préférerais discuter des détails de votre affaire en étant assis plus confortablement que sur ce banc.
Et, comme si je n'avais pas mon mot à dire, il se leva. J'eus envie de rester sur ce banc toute la nuit juste pour avoir le plaisir de ne pas faire ce qu'il disait.
Et puis je me souvins que je n'avais pas ce genre de luxe.