Humiliations

Chapitre 10 : Epilogue

Chapitre final

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:06

D'en haut tout semblait paisible. La Terre n'avait jamais eu l'air d'aussi bien tourner. Des petits points lumineux plongeaient leurs yeux brillants vers ce ciel noir et sans fin. Tous semblaient le scruter en se demandant ce qu'il faisait là, à voyager en pleine nuit, entre des nuages cotonneux. Quelles horreurs avaient bien pu le pousser à partir si loin de chez lui? Si un chez lui demeurait encore dans ce monde.

Spencer toucha alors pensivement et douloureusement ses poignets, une habitude qu'il s'était forcé de perdre dés son arrivée dans l'équipe… Il sentit les fines cicatrices sous ses doigts, profondément ancrées dans sa peau, lèvres froides et terribles de la mort. La sienne.

Il tourna lentement son visage angélique vers l'intérieur du jet. Hotch venait juste de se rasseoir, inconscient, sans aucun doute, des raisons profondes de son comportement irréfléchi… Il avait mis sa vie en jeu, aujourd'hui, pour protéger un adolescent maltraité par la vie et par ses proches. Comme lui.

Il joua encore nerveusement avec la petite médaille entre ses doigts et l'observa tout en pensant à la dernière phrase prononcée par son patron qui avait depuis longtemps compris son problème d'addiction.

Oui, il finirait cette "séance de cinéma". Oui, il retournerait là-bas et gagnerait sa propre médaille. Ca, il se le promettait : plus jamais il ne se laisserait crever à terre.

Plus jamais.

L'équipe comptait sur lui et il avait donc désormais une raison de vivre, la meilleure d'ailleurs : arrêter les monstres qui sommeillaient encore dans les recoins de sa mémoire torturée, tous ces êtres inhumains qui tuaient, violaient et détruisaient des vies innocentes. Comme celle d'Owen, aujourd'hui. Et pourtant, même s'il avait réussi à lui sauver la vie, même s'il avait réussi à l'empêcher de commettre l'irréparable, il sentait comme un goût de défaite en lui. Ce garçon était fichu avant même d'avoir commis un meurtre. Son existence, son esprit, son corps et son estime de lui-même avaient été abattus bien avant qu'il ne se serve d'une mitraillette contre ces personnes qui lui avaient fait tant de mal. Ce garçon était comme lui, désormais, en prison dans sa tête et physiquement lié à un passé trop lourd, à des souvenirs ignobles... Spencer doutait que la mort des bourreaux ait pu soulager sa douleur. Rien ne semblait pouvoir enrayer cette souffrance qui rongeait ses tripes, qui gangrènait chaque souvenir et qui attirait tous les cauchemars de la Terre dans son lit. Mais la tentation était puissante...

Il soupira doucement et observa à nouveau ces maisons si lointaines, si calmes… Cette enquête avait été horriblement éprouvante. Il avait failli tout déballer, ce secret si noir derrière sa peau blafarde, cette chose qui ne pâlissait pas et qui, au contraire, avait à jamais brûlé et noirci ses pensées.

Morgan n'avait pas pu comprendre sa douleur, sa colère…, malgré son expérience personnelle… Et Spencer n'avait pas voulu raconter en détails le moment le plus difficile de sa vie parce qu'il avait une peur panique que l'équipe sache que le pur et gentil Reid n'était qu'une victime sale et déprimée.

Et puis, lui-même qui avait vécu ces événements, ne pouvait toujours pas les assimiler... Personne, pas même ce garçon, Owen qui, pourtant, avait tant de points communs avec lui, ne pouvait saisir ce qui se passait dans sa tête, ces images qu'il réprimait sans cesse, son rejet pour tous les contacts physiques et cette peur panique du noir… Puisque personne dans l'équipe n'avait autant souffert. Puisque personne n'avait jamais été violé devant un profond ciel noir d'encre. Puisqu'il était unique, différent, marginal et brisé. Irréparable.

Il tourna encore la médaille entre ses doigts fins et habiles. Il voulait juste tout oublier.

Tobias. Ce meurtre. Ce viol.

Il avait trouvé ce moyen agréable bien que mensonger… Et il avait pu momentanément oublier son passé, son présent et ses peurs. Mais il devait s'en sortir, finir sa mission, réussir sa vie et rattraper tout le sang qui avait fui son corps.

Il repensa alors encore à cette horrible nuit, à cette détermination, à sa mort.

Il s'était lamentablement raté – sa mère dans un élan de lucidité l'avait sauvé- mais quelque chose en lui était parti, s'était écoulé dans les torrents pourpres et douloureux… Ses illusions, sa confiance et ses rêves. En étant plus réaliste, il avait réussi à revivre…

Et avait accepté la fatalité du sort, tout comme le rondelet chèque des parents des élèves qui l'avaient violé et maltraité… En effet, ces idiots avaient fait passer l'ignoble vidéo qui mettait en scène le pire moment de sa vie, de mains en mains, jusqu'à celles du préfet. La gravité de la situation et la peur de voir l'école mise en cause l'avait enfin fait réagir… par intérêts, sans aucun doute. Il avait été trouver les parents.

Un chèque contre le silence d'une victime. De l'argent et sa personne préservée de la honte de voir ce fait divers affiché dans les médias.

Il avait pu se reconstruire, vivre sans problèmes, réussir ses études et se consacrer à ce métier… Malgré les souvenirs indélébiles.

Il remit la médaille dans sa poche, cette minuscule chose qui barrait la route de l'oubli que lui promettait la drogue. Et il frissonna.

Plus le temps passait et plus sa rancœur s'affinait, devenait froide, calculatrice... La tentation de l'oubli et la voie qu'avait prise Owen devenaient de plus en plus nettes dans son esprit... C'était soit l'un, soit l'autre... Nerveusement, il regarda ses collègues endormis. S'ils savaient...

Il soupira encore et regarda le ciel à travers la vitre glacée. Morgan avait raison sur un point : pour certaines choses, nous avons une mémoire d'éléphant.

Et plus cette mémoire qui ne voulait jamais se terrer au loin, frappait ses pensées, plus un besoin oppressant et irrépressible faisait surface.

Son innocence et sa passivité étaient depuis longtemps mortes, dans une salle de bain sordide, entre des éclats de vie et de miroir, entre le noir du ciel et la lumière blafarde et lugubre de l'ampoule dénudée au dessus de la baignoire.

Un jour, il ne pourrait plus réprimer ça... Et puisque l'oubli était interdit... Il se vengerait.

Fin.

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