Après l’été vient l’hiver
Chapitre 1 : Après l'été vient l'hiver
3949 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 29/03/2021 13:35
Après l’été vient l’hiver
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Cette fanfiction participe aux défis d'écriture
du forum de mars/avril 2021 : Vous m'en direz TEMPS.
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« À demain !
– À demain ! »
À la sortie de l’école élémentaire Mikoto, les enfants se précipitaient en levant leurs mains dans les airs, les secouant de droite à gauche en saluant de vive voix leurs camarades. Impatients de rentrer chez eux, ou de rejoindre la salle de leur club de sport, ils se ruaient chacun de son côté, tout en prenant garde à bien s’arrêter aux passages piétons, guettant que le petit bonhomme rouge devînt vert, et tendant l’oreille à l’affût des signaux sonores habituels. Un vieillard, qui passait par là, se retrouva rapidement entouré d’une dizaine d’enfants, cartable sur les épaules, qui piétinaient d’impatience. La chaleur du mois de juillet faisait toujours plus grandir l’impatience qui les animait tandis qu’ils prenaient la route de la piscine municipale pour leurs heures hebdomadaires de natation.
Le feu passa au vert, et tous se ruèrent de l’autre côté en chahutant les uns avec les autres. Le vieil homme sourit en les suivant, d’un pas lent et rythmé par le bruit de sa canne touchant le sol, mais bientôt ils furent bien trop loin pour qu’il pût les observer plus longtemps.
« Satoru ! Tu viens ? »
La voix de Ken’ya tira de ses pensées l’enfant, qui se retourna vers son camarade de classe et ami. Ses cheveux, un poil trop longs, vinrent lui piquer les yeux lorsqu’il tourna la tête. Il grimaça, et les débarrassa d’un rapide mouvement de la main, pour répondre à celui qui venait de l’appeler.
« Je range mes chaussons, attends ! »
Il empoigna la paire de pantoufles d’intérieur, obligatoires dans l’enceinte de chaque école, et les jeta rapidement dans le casier comportant son nom, Fujinuma Satoru, et le numéro de sa classe. Fermant la porte sans douceur, il se dépêcha de rejoindre Ken’ya, qui l’attendait depuis quelques instants sur le seuil de l’école. Un sourire illumina le visage du garçon, et ils commencèrent à prendre le chemin de la maison, les mains tenant fermement les lanières de leurs cartables.
À l’intérieur de ceux-ci, plusieurs cahiers et manuels scolaires, ainsi qu’une trousse contenant tout le matériel nécessaire, à l’exception d’une gomme dans celle de Satoru. Trop turbulent, il n’avait rien trouvé de plus drôle à faire que de découper celle-ci en petites boulettes, et à les jeter sur Kazu pendant le cours de mathématiques. Ken’ya avait bien tenté de l’en dissuader – ils étaient tous les deux de corvée de ménage, ce jour-là, et lui n’avait pas tellement envie de perdre du temps à passer le balai pour ramasser toutes ces saletés – mais le professeur avait eu raison de l’indiscipline du gamin. Il avait donc perdu, ce jour-là, une gomme, et écopé d’une belle punition ; une phrase à recopier plusieurs fois, et à rendre pour le prochain cours. Il réfléchissait déjà à une manière de tricher pour se faciliter la tâche.
« Pourquoi tu vas pas à la cabane avec Kazu et Hiromi ? fit-il tandis qu’ils attendaient à un carrefour de pouvoir traverser.
– Pas envie. Et il faut que je révise pour le contrôle qui arrive.
– Ah, oui, le contrôle de japonais… »
La simple perspective de devoir passer une nuit entière à réviser tous ses sinogrammes fit frémir Satoru. C’était inhumain de leur faire passer des examens de fin de semestre par un si beau temps ; même s’il ne faisait pas excessivement chaud, l’air était lourd, comme chaque mois de juillet à Tomakomai. Il préférait de loin l’hiver, avec de la neige de novembre à avril pour embellir cette ville portuaire du sud-ouest de Hokkaidō. Mais c’était juillet, il devrait attendre encore quatre longs mois avant de pouvoir revoir le manteau blanc recouvrir les toits et les trottoirs.
« À demain ! lança Ken’ya lorsque vint le moment de se séparer. N’oublie pas de me ramener le livre que je t’ai prêté !
– Pas de souci, j’y pense, sourit Satoru en faisant de grands signes de la main. À demain ! »
Son camarade de classe disparut derrière une palissade, après un carrefour auquel Satoru devait continuer, pour sa part, tout droit, pour rejoindre la maison. Sa mère, Sachiko, devait déjà l’y attendre, à moins qu’elle ne fût sortie pour faire quelques courses. Elle semblait toujours ravie d’entendre parler des promotions sur la viande, le poisson ou les légumes, et en achetait souvent bien plus que raison. Si bien qu’il y avait de quoi faire des paniers-repas pour plusieurs jours, avec les restes. Satoru pria pour qu’elle ne prît pas de shiitake, lui qui détestait ces champignons…
Au croisement d’une rue séparant le quartier de Misono et celui d’Izumi, il vit quelques individus réunis au pied d’un arbre, le nez levé vers ses feuillages. Plusieurs levaient l’index, pointant de ce dernier quelque chose qui s’y trouvait. Intrigué, Satoru s’approcha d’eux, sa curiosité d’enfant ayant été piquée par cette étrange scène.
Au début, il n’entendit que les voix des badauds regroupés. Puis, en tendant l’oreille, il se rendit compte qu’une créature poussait de petits cris, là-haut. Des couinements, des faibles miaulements, en provenance de la gorge de deux chatons perdus sur une branche. Les pauvres félins, roux comme le feu, tenaient à peine sur leurs pattes, et semblaient horriblement maigres. L’un était complètement recroquevillé sur son perchoir, ses minuscules griffes plantées dans l’écorce – si toutefois elles purent se ficher dans quoi que ce fût –, et l’autre piaillait de toutes ses forces, appelant, semblait-il, à l’aide.
Le garçonnet remarqua aussi que la branche sur laquelle ils se trouvait était sensiblement amochée, et était même probablement une branche pourrie de l’arbre, dénuée de feuilles, contrairement au reste des branchages. Comment s’étaient-ils retrouvés là ? Si leur mère les y avait abandonnés, elle avait visiblement très mal fait son travail.
Rapidement, un sentiment de mal-être le prit. Sa tête bourdonna, sa respiration se fit plus lourde, et plus difficile. Il connaissait les signes, mais ne s’y faisait toujours pas, malgré plusieurs occurrences. Il porta une main fébrile à son front, comme pour soutenir sa tête devenue si lourde, et cligna des yeux. Dans ses oreilles, les pleurs des chatons se faisaient de plus en plus stridents, de plus en plus insoutenables.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il dut cligner à plusieurs reprises tant la lumière l’éblouissait. Le malaise se dissipait peu à peu, et les cris avaient disparu ; n’en restait qu’un désagréable souvenir qui s’évanouissait, laissant place à d’autres sons qui, eux, lui parurent bien plus étranges. Le crissement de la neige qui se tassait sous le poids du pied qui s’y enfonçait. Le bruissement du vent glacial qui venait s’infiltrer sous les vêtements, à la recherche du moindre centimètre-carré de peau à découvert. Et les rires d’enfants qui s’amusaient à s’envoyer, en visant plus ou moins bien, des boules de neige. Au-dessus de tout cela, un soleil radieux illuminait le ciel.
Satoru regarda à droite, à gauche, à la recherche d’une explication. Il connaissait ce phénomène, mais jamais il n’était remonté autant de temps avant l’incident. D’ordinaire, ses rediffusions ne le ramenaient que quelques minutes en avant, lui permettant d’identifier la cause de l’accident qui s’apprêtait à survenir. Ce « retour vers le passé », qui ne s’appliquait qu’à lui, était plus ou moins habituel ; il ne se souvenait plus de quand il avait commencé à les expérimenter, mais il en avait vécu suffisamment pour comprendre quand ça arrivait.
Il vivait toujours cela lorsque quelque chose de « mal » allait se produire dans ses environs proches. Un cycliste qui va tomber dans le caniveau – ou pire, dans la rivière – parce que ses freins l’ont lâché, un gamin qui manque de se faire renverser par une voiture parce qu’il a mal regardé à droite et à gauche avant de traverser à un passage piéton sans feu, ce genre de choses qui pouvaient facilement virer au drame dès lors que personne ne pouvait intervenir.
C’était tout simplement la première fois qu’il remontait si loin avant l’incident.
Une fois la surprise passée, aussi bien celle du soudain retour dans le passé que celle du brusque changement de température, il prêta encore un peu plus attention à son environnement. L’endroit était le même, seule la date changeait. Un rapide coup d’œil dans l’agenda qu’il gardait dans son cartable lui indiqua la date ; mardi dix mars 1987, soixante-deuxième année de l’ère Shōwa. Presque quatre mois tout pile, se dit-il en rangeant le petit carnet à sa place, et en enfilant de nouveau les lanières de son sac. Que cela voulait-il dire ? C’était à n’y rien comprendre.
Il reprit le chemin pour rentrer chez lui ; sa montre au poignet lui indiquait que l’école s’était finie quelques dizaines de minutes plus tôt, et à l’évidence, il n’empruntait pas la route qui le mènerait à la cabane qu’il avait avec les autres. La maison était la seule possibilité.
Perdu dans ses pensées, il réfléchit de toutes ses forces aux possibles événements ayant eu lieu quelques mois plus tôt – à la période où il se trouvait désormais. Mais rien n’y faisait. Il n’était qu’un écolier, ses journées étaient rythmées entre l’école, les sorties à la cabane avec les copains, et les dîners avec sa mère. Il n’y avait pas la place dans son emploi du temps maigrement occupé pour une quelconque histoire mettant en scène deux chatons chétifs perchés en haut d’une branche en plein mois de juillet.
À deux pas de sa petite maison, ensevelie sous la neige et dans laquelle on apercevait un peu de vie grâce aux fenêtres desquelles filtrait de la lumière, il entendit un peu de vacarme. Quelques poubelles qui s’agitaient et se cognaient les unes aux autres. Probablement le fait d’un animal errant, bien qu’il n’y en eût que peu dans le quartier. La fourrière les attrapait toujours assez vite une fois que quelqu’un les alertait de leur présence.
La curiosité le fit s’approcher, et tenter d’apercevoir ce qui causait tant de raffut. Abritées par un auvent, les nombreuses poubelles de métal n’avaient pas été recouvertes par la neige, qui formait une véritable muraille autour de cet espace de goudron épargné par sa chute. L’une d’elle tomba, déversant son contenu – plusieurs sacs renfermant les déchets brûlables que viendraient chercher les éboueurs le lendemain. Satoru fit un bond en arrière, persuadé que quelque chose, une créature ou un monstre, allait se jeter sur lui.
Tout ce qu’il aperçut fut la silhouette amaigrie d’un chat, qui fuyait la scène de crime à toute allure. Il sauta de muret en muret, jusqu’à disparaître hors de sa vue, laissant comme seules traces de son passage des poubelles renversées et des traces de coussinets dans la neige.
« Bon retour à la maison, salua sa mère en le voyant enlever ses chaussures dans l’entrée, tablier noué autour de la taille, et une louche dans la main droite. Tu en as mis du temps pour rentrer. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
– J’ai cru voir un chat fouiller les poubelles, répondit-il avant d’ôter son manteau, de le mettre à sécher sur le support prévu à cet effet, et de se réfugier sous la couette chauffante recouvrant la table basse.
– Un chat ? Errant ?
– Je crois bien. Il avait l’air tout maigre.
– Je vois. »
Elle retourna aux fourneaux, sans rien ajouter de plus. Quelques minutes s’écoulèrent, pendant lesquelles Satoru profita grandement de la chaleur que lui procurait la couverture, et où il manqua de s’endormir, avant qu’elle ne reparût, une petite assiette dans la main.
« Va voir dehors si tu le vois. Et donne-lui ça, d’accord ? »
Il lui adressa un grand sourire ; ses yeux pétillèrent de joie à cette pensée. Il savait que sa mère avait toujours des idées derrière la tête, et une fois encore, cela avait été le cas.
Il attrapa l’assiette dans laquelle fumaient quelques morceaux de viande, et s’empressa de remettre ses chaussures ainsi que son manteau. Il se fit le plus silencieux possible, tendant l’oreille afin de guetter le moindre bruit trahissant la présence du chat. Mais rien n’y fit ; il n’entendit que le vrombissement des voitures passant dans une des rues voisines, et le bourdonnement des ventilations des habitations. Il déposa tout de même l’assiette à l’abri des intempéries, non-loin de l’entrée de la maison, en espérant que le pauvre félin revînt sur ses pas.
Satoru eut beau chercher, il ne parvenait à trouver la cause de cette rediffusion.
Jour après jour, sur le chemin de l’école, pendant les cours et à chaque occasion qui le lui permettait, il scrutait son environnement, à l’affût du moindre détail, du moindre indice. Chaque matin, et chaque soir, en quittant la maison et en y rentrant, il veillait à ce que l’assiette fût remplie d’un petit quelque chose à manger pour le chat. Sa mère avait acheté un paquet de croquettes au supermarché du coin, et il en versait toujours quelques-unes dès qu’il constatait l’assiette vide de son contenu.
La semaine s’écoula tranquillement ; son quotidien – d’ordinaire déjà bien mouvementé, avec les batailles de boules de neige notamment – était rythmé par les apparitions de plus en plus régulières du chat. D’abord, il n’apercevait que le bout blanc de sa queue lorsqu’il s’échappait loin de lui, après avoir dévoré son repas. Puis, au fil des jours, il put l’approcher, peu à peu. Le chat, un rouquin aux chaussettes et au bout de la queue blancs, semblait prendre peu à peu du poids, malgré ses faibles portions. S’il avait paru dérangé par la présence du garçonnet au début, il finissait presque par répondre par un petit couinement enroué aux appels de Satoru.
« Petit chat, tu es là ? » demandait-il doucement.
Et l’animal de répondre, avant de faire apparaître son museau et ses moustaches.
À force de patience – ce qui était très dur pour Satoru –, il put l’approcher au point de pouvoir lui caresser le poil. Mais sa mère l’interrompit presque aussitôt – faisant fuir le chat, effrayé par cette soudaine prise de parole – en le mettant en garde contre les possibles parasites qui infestaient son poil, qui avait paru si rêche dans la paume de l’enfant.
Le lendemain matin, alors qu’il lui donnait sa portion matinale de croquettes avant de partir pour l’école, il appela une nouvelle fois le chat, qui répondit et vint se frotter contre ses jambes en ronronnant. Satoru trouva qu’il avait bien repris du poids depuis leur première rencontre, ce qui eut pour effet de faire s’illuminer son visage. Il voulut presque prendre l’animal dans ses bras, mais le sermon de la veille le hantait encore quelque peu. Tant pis, se dit-il, ça sera pour une prochaine fois.
Ce petit manège dura encore quelques jours, jusqu’à ce que Satoru vît sa mère rentrer un soir à la maison avec une caisse de transport pour chat. D’abord sceptique quant à la méthode qu’elle emploierait pour l’y faire rentrer, il ne put contenir sa joie lorsqu’elle l’invita à le faire lui-même.
« Mets quelques croquettes au fond, et attends qu’il vienne. Quand il sera rentré dedans, on fermera la porte, et on ira l’emmener chez un vétérinaire pour voir s’il appartient à quelqu’un.
– Et s’il n’est à personne ? demanda l’enfant, une lueur d’espoir dans le regard.
– On verra à ce moment-là, » soupira-t-elle en plaçant ses mains sur ses hanches, un sourire aux lèvres.
Cela sonnait comme une possible adoption de la petite bête, et le cœur de Satoru se gonfla d’espoir à cette pensée. Il considérait presque l’animal comme le sien, désormais, et avait déjà réfléchi à un nom à lui donner s’ils venaient réellement à le garder. Peut-être était-ce encore un peu tôt pour songer à de telles éventualités, mais quel mal y avait-il dans cela ?
« On essaiera demain matin, d’accord ? Je l’emmènerai quand tu iras à l’école. »
Il acquiesça. L’excitation fut telle qu’il eut grand mal à s’endormir ce soir-là. Voyant les minutes s’écouler, l’aiguille avançant pas à pas sur le cadran de son réveil, il se tournait et retournait dans son lit, à la recherche d’un sommeil qui ne viendrait probablement pas. Puis le jour se leva, les rayons du soleil filtrèrent à travers les rideaux de sa fenêtre, réchauffant doucement son visage, et l’éblouissant lorsqu’il ouvrit les yeux. Impatient, il se rua vers la salle de bain pour se débarbouiller, et engloutit son petit-déjeuner à toute allure. Le panier-repas que lui tendit sa mère finit rangé dans son cartable, et il s’empressa de récupérer une poignée de croquettes, qu’il glissa dans la caisse de transport.
« Maman ! appela-t-il. Maman, tu viens ? On va chercher le chat ! »
Elle essuya ses mains sur son tablier, l’ôta, et le rejoignit dans l’entrée, où elle enfila à son tour manteau et bottes d’hiver afin de braver le froid et la neige du dehors. Elle resta sur le perron, adossée à la porte d’entrée, et observa son fils poser soigneusement la caisse, et appeler le chat comme il le faisait à chaque fois. Il ne répondait qu’à ses appels à lui, après tout.
L’animal ne tarda pas à arriver, miaulant doucement et se frottant aux jambes du garçon. Reniflant çà et là l’odeur des croquettes, il ne tarda pas à se faufiler sans inquiétude dans la boîte, dont Satoru ferma doucement la porte dès que le bout de la queue y fut passé lui aussi.
« Chat-pture réussie ! » s’exclama-t-il en faisant un signe de victoire, le pouce levé, et parodiant une des phrases de sa série d’animation préférée.
À l’intérieur de la caisse de transport, le chat commençait à miauler et à gratter la porte, réclamant à ce qu’on le libérât de cette désagréable captivité. Satoru vit sa mère la soulever par l’anse, et l’invita à se dépêcher de récupérer ses affaires pour qu’elle l’emmenât à l’école. Une fois la porte d’entrée de la maison verrouillée, ils prirent la direction de la voiture. Le chat se retrouva à l’arrière aux côtés du garçon, une ceinture de sécurité le maintenant bien en place.
Lorsqu’ils parvinrent jusqu’à l’école élémentaire de Mikoto, Satoru remercia sa mère pour le trajet, puis descendit de la voiture. Avant qu’elle ne redémarrât, il lui fit baisser la vitre de la voiture, et ajouta, d’une petite voix :
« Si on le garde, je veux qu’il s’appelle Yuki !
– Parce que tu l’as trouvé dans la neige ? rit sa mère.
– Parce qu’il a du blanc, comme la neige ! rétorqua Satoru en gonflant les joues, avant de bredouiller d’une voix timide. Et parce que je l’ai trouvé dans la neige.
– C’est un joli nom, sourit-elle en tapotant gentiment sur sa tête. Allez, tu vas être en retard. Passe une bonne journée, Satoru. »
Il lui fit de grands signes, et se hâta de rejoindre la petite troupe d’enfants qui gagnait le hall d’entrée de l’école, où chacun troquait ses chaussures d’extérieur pour une paire de chaussons. La voiture démarra et, rapidement, elle fut hors de vue.
Mai arriva bien rapidement, avec la belle saison des cerisiers et leurs pétales apportant une touche de couleur fort plaisante pour l’œil. L’arbre qui poussait dans le jardin des Fujinuma avait lui aussi revêtu son plus bel apparat, et les fleurs semaient leurs pétales, donnant naissance à un merveilleux ballet de teintes de rose.
« Maman ! hurla Satoru à travers la maison. Maman ! Ça y est !! »
Sachiko passa sa tête par l’ouverture de la porte coulissante, et rejoignit la pièce dans laquelle se trouvait son fils qui, décidément, ne parvenait à se calmer.
« Yuki fait ses petits ! s’écria-t-il, surexcité comme le jour de son anniversaire.
– Fais moins de bruit, souffla-t-elle en le prenant par la main afin de l’éloigner de la chatte blottie dans un coin de la pièce. Le vétérinaire a dit qu’il fallait la laisser tranquille, dans un environnement calme. »
Ils restèrent en retrait, gardant un œil sur la mère qui donnait naissance à ses petits.
Au terme de ce qui parut être un long moment, ils virent la chatte lécher vigoureusement deux minuscules petits chatons. On entrapercevait déjà leur pelage roux se mêler à celui de leur mère tandis qu’ils s’approchaient d’elle pour boire le lait.
Blotti dans les bras de sa mère, Satoru ne put s’empêcher de sourire. Il s’était longuement demandé pourquoi il avait eu cette rediffusion deux mois plus tôt. Désormais, il avait compris. Pour sauver ces deux chatons fébriles arrochés à une branche, il lui avait fallu recueillir leur mère.
« Comment veux-tu qu’on les appelle ? demanda Sachiko.
– Mugi et Moka ! s’exclama-t-il après une courte réflexion.
– Mugi et Moka ? répéta-t-elle. Je pense que ça peut aller, qu’ils soient mâles ou femelles. »
Il prendrait le plus possible soin de cette famille de chats. Après tout, c’était pour cette raison qu’il était revenu dans le passé – contre son gré. Sans perdre son sourire, il se serra un peu plus contre sa mère. La satisfaction remplissait l’enfant d’une joie incomparable.