Le Dragon Noir

Chapitre 9 : Non-Sens

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:24

Non-Sens


 

Ils s'étaient mis en marche.
Quinze mille soldats humains, avec armes et équipement, marchant vers le même but, la même guerre.
Dras-Leona.
La gigantesque colonne se divisait, pour la campagne, en quatre parties inégales :
Tout d'abord, les deux ailes regroupaient le gros des troupes. Elles encadraient le convoi de matériel de siège et de nourriture.
Derrière eux, l'arrière-garde, plus réduite, assurait qu'aucune autre armée ne les prendraient à revers.
Enfin, à plus d'une lieue devant, l'avant-garde, composée de trois milliers d'hommes, majoritairement des fantassins, ouvrait la voie à travers les vallons et forêts. Le groupe de Roran, dont Noven faisait toujours partie, s'y trouvait - les deux jeunes hommes, lorsqu'ils connurent leur affectation, ne purent s'empêcher de remarquer qu'une fois encore, ils allaient se trouver au cœur de la zone la plus périlleuse.
Les lieues défilaient cependant sous leurs pas sans qu'une seule escarmouche ne soit à déplorer. Prudentes, les divisions Impériales, d'après les réguliers rapports des espions, se repliaient sur Dras-Leona au fur et à mesure de leur avancée. Ils savaient tous qui était en surnombre - mais les généraux de Galbatorix ne tenaient pas à renouveler la bataille sur la Jiet aux portes de l'Empire. Ils ne prendraient aucun risque, et infligeraient de très importantes pertes aux Vardens. Une pure folie !
Eragon, pour motiver les troupes, marchait au milieu des simples soldats, discutant de la pluie et du beau temps (et, en pratique, prenant la température pour connaitre la proportion exacte de Vardens qui le suivrait si jamais il cherchait à renverser Nasuada).
Son cousin profitait des longues étapes pour lier connaissance avec ses hommes, afin de s'assurer leur fidélité. Il découvrit avec étonnement que la grande majorité de ses soldats avaient quelque chose à reprocher à la dirigeante rebelle - et inversement. Le printemps semblait de retour, et les grands ménages également.
Noven, quant à lui, s'isolait le plus possible de la masse grouillante de ses collègues, et passait de longues heures à discuter par télépathie avec Saphira qui, délaissée par son Dragonnier et volant loin au dessus de l'armée, semblait s'ennuyer aussi ferme que le magicien.
"Tu as de la chance de pouvoir voler, toi. Impossible de me transformer en ce moment, avec tous ces Vardens indiscrets autour.
- Tu parles d'une chance. Je passe ma journée à survoler une colonne de fourmis qui produisent un horrible bruit de casserole, sans vraiment pouvoir m'éloigner.
- Crois-moi, mieux vaut être au-dessus que dedans. C'est encore plus bruyant ici-bas. Comment veux-tu que je me concentre dans cette ambiance ?
- Dis-toi que c'est encore pire pour Eragon. Il fait bonne figure, mais ses sens elfiques sont mis à rude épreuve."

Noven étouffa un grognement de mépris au nom du peuple sylvestre. Saphira sembla le percevoir à travers son esprit.
"Quoi, tu n'aimes pas les elfes ?
- Pas vraiment, non. Pour le peu que j'en ai vu, ce sont des créatures hypocrites, égocentriques et mégalomanes bouffeuses de salade. L'élite de l'évolution, tu parles !
- Je suis d'accord sur la stupidité d'être végétarien, mais pas pour leur égoïsme. Ils sont tout de même venu au secours des humains.
- Erreur ! Ils sont venu servir leur propre intérêt. Du peu que j'en sais, Galbatorix gagne chaque jour des pouvoirs - parce qu'il lui reste encore des Eldunarya très puissants non soumis à sa volonté. Et, si aujourd'hui il peut retenir un dragon de la taille de Glaedr dans les airs à Gil'ead depuis Uru'Baen, demain il pourrait soumettre Ellesméra sans bouger de son trône. Faut pas rêver, si les elfes étaient altruistes, ils ne contesteraient pas aussi fort la décision de prendre Dras-Leona, et viendraient nous aider à la place."

Noven faisait là référence aux discutions mouvementées entre Islanzadí et Eragon, au sujet de la décision imprévisible et apparemment irréfléchie de Nasuada. Après plusieurs jours de dialogues par magie interposée, la reine des elfes s'était résignée à rencontrer la chef des Vardens en personne pendant le siège, pour mettre quelques points au clair. Il y avait de l'orage à l'horizon. Le Dragonnier allait devoir faire la navette pour tenter de calmer les deux camps avant la rencontre au sommet, sous peine de voir la coalition s'effondrer comme un château de cartes.
"En même temps, comment veux-tu qu'ils nous fassent confiance avec le genre de diplomatie employée par Nasuada ?
- Comme si eux avaient pris, dans leur immense sagesse, une seule décision ! Non ! Ils préfèrent laisser les Vardens se débrouiller et nager dans la panade, et critiquer chacun de leurs choix. Malgré le suicide collectif que cette attaque sera, et malgré la folie de Nasuada, elle a prit la meilleure décision possible sur le plan stratégique. On ne pouvait pas se lancer directement à l'assaut d'Uru'Baen. La seule chose que je peux lui reprocher est de ne pas avoir coordonné les mouvements de troupes avec nos alliés avant - mais de toute façon, les Nains sont immobilisés, et les Elfes auraient quand même refusés de nous aider. Ils seraient incapable de prendre une décision, même si ils avaient le derrière en feu et une cruche pleine d'eau dans les mains ! Ils considèrent la race humaine comme inférieure, comme si nous ne valions rien - je ne me trompe pas, c'est bien le discours qui a été tenu à Eragon lors de ses premières visites à Ellesméra, alors qu'il ne possédait encore que ses pauvres capacités d'humain ? Mettant même en doute ta capacité à faire un bon choix de Dragonnier, malgré la sagesse légendaire des dragons ?
- Tu n'as pas tout à fait tord, mais la situation était complètement différente. Nos perspectives semblaient définitivement bouchées par la blessure d'Eragon infligée par Durza. Il y avait de quoi être pessimiste !
- Et maintenant, si jamais une personne extérieure - disons, moi - leur demandait si ils n'avaient jamais douté de vous, ils me répondraient, parfaitement sûrs d'eux et sérieux, que non, leur confiance est toujours demeurée inébranlable ! Et combien de mensonges informulés, combien de déformations de la vérité, combien de secrets se cachent et se terrent dans leurs jolies têtes creuses ? Pourquoi, aujourd'hui, semblent-ils persuadés qu'ils peuvent gagner et tuer Galbatorix, presque seuls, alors qu'il est au faite de sa puissance, et que, cent ans plus tôt, ils avaient failli, bien qu'il y ai eu des dizaines de Dragonniers d'expérience pour les épauler ? Je suis persuadé - non, je suis même certain - qu'ils nous cachent à tous beaucoup, beaucoup de choses. Ils enfouissent rancunes et secrets, fourbes et traîtres qu'ils sont.
- Les nains partagent plus ou moins ton point de vue, d'après les conseils de prudence qu'ils nous ont donné lors de notre premier voyage. Nous avions mis ça sur le compte du choc des cultures, à l'époque.
- Grossière erreur. Pourquoi les Hommes, résidents de Alagaësia depuis moins de temps que les Nains, connaitraient moins bien que eux les Elfes, présent ici depuis des lustres ? Franchement, Saphira, ne fait pas trop confiance aux Elfes : ils ne voient en toi qu'une source de puissance. Lorsque tu auras besoin d'aide, si jamais tu ne sers plus leurs intérêts, ils t'abandonneront lâchement, sans même un seul regret.
- Pas tous les Elfes. Pas Arya, par exemple.
- A ton avis, pourquoi elle a passé vingt ans de sa vie en exil à veiller sur toi ?"

La dragonne de saphir, songeuse, ne répondit pas. Puis :
"Il y a du mouvement, devant, au delà de cette colline."
La pluie commença à tomber, alors que le crépuscule projetait de sinistres couleurs sur le paysage.



--------------------


Roran se dressa sur ses étriers pour mieux discerner l'armée qui campait face à eux, au travers du dense rideau de pluie. Les espions s'étaient encore trompés : toutes les troupes Impériales ne s'étaient pas repliées sur Dras-Leona. Pourquoi ?
La composition des forces en présence apporta un début d'explication. La majorité de la demi-douzaine de milliers d'hommes en face d'eux semblait composée de chevaliers, entrainés et lourdement équipés. La noblesse, dans son inutile bravoure et dans son dédain pour la piétaille qui avait jusque là servi d'adversaire aux Vardens, avait décidé de prendre la guerre en main, en mobilisant la fine fleur de ses guerriers. Le peu de fantassins et d'arbalétriers à pied laissait présager qu'une bonne partie de la garnison de Dras-Leona n'avait pas quitté la citadelle. L'opération visait à écraser l'avant-garde en une frappe éclaire traumatisante, avant de recevoir de plus amples renforts. Audacieux et téméraire, mais pas insensé : ils demeuraient tout de même deux fois plus nombreux que leurs adversaires rebelles.
Le jeune commandant talonna Feu-De-Neige, et retourna vers le camp de fortune. Le reste de l'armée Varden ne pourrait pas les rejoindre avant la fin de la journée, ils allaient devoir se débrouiller seuls.
Le cheval glissa plusieurs fois sur la boue détrempée; aujourd'hui, on se battrait à pied. Utiliser la cavalerie serait un véritable suicide.
Entre les deux armées s'étendait une étroite mais profonde clairière, vallonnée par deux denses forêts, impropres à une bataille. Le terrain descendait vers les troupes Impériales; suivant la pente, le ruissellement de l'eau de pluie formait des dizaines de petits torrents, transformant le champ de bataille en bourbier. Si les Vardens se retrouvaient trempés, leurs adversaires devaient l'être encore plus.




--------------------


L'aurore pointait à peine, lorsque les divisions rebelles se remirent en marche. Trois heures plus tard, elles s'étaient fermement installées dans le passage le plus étroit de la clairière, attendant les Impériaux de pied ferme.
La plupart des soldats étaient polyvalents : outre leur matériel et leur entrainement de fantassins, ils disposaient en grande majorité d'un arc long, et de flèches à profusion : leur infériorité numérique systématique lors des batailles devait être compensée par leur capacité à s'adapter. Ainsi, ce furent deux lignes d'archer qui s'installèrent dans la boue sur les ailes, plantant d'innombrables épieux devant elles pour contrer les charges de cavalerie, alors que les hommes d'armes - dont Roran et Noven, toujours en première ligne - prenaient place au centre.
Enfin, la pluie cessa. Les formations ennemies commencèrent à se dessiner au loin.
Et la bataille commença.



--------------------


Sire Philippe de Teirm demeurait confiant. La mascarade Varden allait prendre fin, ici, et avant la fin de la journée. Le sang de ces gueux abreuverait la boue.
Il couvrit du regard l'unité de cavalerie. Uniquement de fiers chevaliers de noble naissance, équipés de la fine fleur des armures de plates, en provenance de tout l'Empire. En plus de ne point connaitre la peur, ils connaissaient leur travail - la guerre restait leur loisir principal, et leur domaine de prédilection. Ils frapperaient fort, pour paralyser l'avancée de ces prétendus "rebelles", et reviendraient ensuite avec prompts renforts pour écraser le reste de cette vile piétaille. Tout irait pour le mieux, il n'y avait point à s'en faire.
La seule ombre au tableau semblait être l'épais crachin qui brouillait leur vision des lignes ennemies, mais il semblait s'atténuer progressivement.
Ils attendaient tous là, dans le bourbier, depuis plusieurs heures maintenant, lorsque le cor retentit. Un sourire carnassier traversa le visage du noble, alors qu'il tendait sa lourde épée au dessus de lui, et qu'il maniait son cheval d'une seule main experte :
"Allez ! Sus aux vilains ! A la charge !"
Le cri se répercuta, s'amplifia, devint un grondement, alors que les sabots des puissants destriers frappaient et déchiraient le sol.
Mais, rapidement, l'inertie de la charge diminua. Les montures s'embourbaient sous leur propre poids; les piétons peinaient dans la boue qui leur montait parfois jusqu'aux genoux.
Et la terre de boue les avala.
Et le ciel de nuages se couvrit.

Et, comme venues de nul part, comme un châtiment divin,
les flèches commencèrent à tomber en une épaisse pluie acérée.
Sous Philippe de Teirm, sa fidèle monture s'effondra, touchée au flanc. Poussant un terrible cri de rage, son cavalier, comme si sa lourde armure de plate ne pesait rien, sauta au sol, et, pas après pas, dans un effort surhumain sans cesse renouvelé, il avançait, aux côtés de tant de ses pairs, de ces nobles âmes qui s'écroulaient les uns après les autres, et gisaient vaincues à terre, fauchées par l'infâme pluie mortelle.
Le chevalier rugit d'impuissance, alors qu'un autre de ses camarade tombait, mort :
"Lâches ! Pleutres ! Venez vous battre en personne, au lieu d'utiliser de vil artifices !"
Une seconde charge de cavalerie, plus chanceuse que la précédente, le dépassa en trombe, projetant moult gerbes de bouillasse. Les chevaux trébuchaient sur les cadavres de leurs prédécesseurs, glissaient et dérapaient dans la boue de terre et de sang qui maculait le sol.
Ils ne furent que dix à atteindre la barrière d'épieux.
Ils n'en restait plus qu'un pour frapper les archers.
Un formidable coup de marteau enfonça honteusement son armure, et l'envoya au sol, sans même qu'un seul de ces maudits Varden ne fut blessé.
Un trait fourbe atteignit Philippe à l'épaule, et glissa sur l'armure, pour aller se perdre dans la boue.
Puis, levant plus haut son épée, il arracha héroïquement sa jambe de la colle qui la clouait au sol, et il fit un pas de plus.
Et l'horrible pluie de mort persistait à tomber drue sur les nobles héros.



--------------------


Noven s'ennuyait ferme.
Au début, regarder les stupides charges insensées des chevaliers s'embourber et se faire décimer par les archers l'avait amusé. Mais le spectacle finissait par être lassant.
Lorsque, enfin, un cavalier avait percé la ligne de défense, il s'était précipité sur lui, hache en main, mais Roran l'avait précédé. Le temps qu'il arrive, et le chevalier gisait au sol, tué net par un puissant coup de marteau au thorax. Son épaisse et couteuse armure de plate ne lui avait pas été très utile, apparemment. Noven poussa un grognement de dépit, reposa sa lourde hache sur son épaule, et attendit encore.
Enfin, les piétons atteignirent et dépassèrent les épieux, chargeant autant que le bourbier leur permettait le centre de la ligne de front.
Le magicien sourit de toute ses dents, brandit sa hache, et se porta joyeusement à leur rencontre.

--------------------


Une rage incroyable et indescriptible habitait Sire Philippe. Son honneur, celui de tant de ses camarades et pairs avait été bafoué, foulé du pied, trainé dans la boue. Ces gueux allait le payer de leur vie ! Il les voyait, au delà de leurs risibles défenses d'épieux; quelques hommes d'armes, uniquement de la piétaille trop confiante ! Ils allaient gouter à la morsure de l'acier des chevaliers, ils comprendraient bientôt que la guerre est un art, que chaque mort devait être un chef-d'œuvre, et qu'ils n'était pas les artistes du jour !
Un flot de feu liquide parcourait ses veines. Ignorant la fatigue qui engourdissait ses jambes, il se mit à courir. A ses côtés, animés de la même rage de vaincre, des centaines de ses camarades.
Un premier vilain fantassin arriva à sa portée, et leva son épée courte en une risible esquisse de parade. Philippe projeta sa lame, arracha celle de son adversaire de ses mains, et le sépara en deux.
Ils allait payer !

--------------------


Roran peinait. Cette fois, les Impériaux étaient de purs soldats de métier, et ça se sentait. Si ils n'avaient ni la technique, ni la force d'Eragon ou d'un elfe, le jeune commandant au marteau parvenait à peine à rendre les coups qu'il recevait. Les hommes d'armes Vardens, surpris par la virulence et par le talent de leurs adversaires, pourtant moins nombreux qu'eux, tombaient comme des mouches. Seul Noven, à l'abri derrière son impénétrable bouclier magique, se battait en riant, et se permettait toutes les fantaisies, se battant contre plusieurs adversaires à la fois, de toute évidence ravis de découper en rondelles les nobles qui avait pourrit son enfance, comme celle de tant de pauvres paysans.


-------------------

Philippe poussa un cri de rage, alors qu'il abattait encore un maraud. Personne ne résistait à Sire Philippe de Teirm !
Une pointe glissa perfidement dans le défaut de l'armure, mais se coinça dans le haubert. Sans même un regard vers sa cible, le chevalier déploya son bras, et décapita le vil importun, puis arracha le bout de ferraille qui le gênait honteusement dans ses mouvements. Et, alors qu'il le jetait au loin, il aperçu enfin un adversaire à sa taille.
Un gueux, sans aucun doute, au vu de ses guenilles sales et déchirées, mais son armure légère - cependant incomplète, car de toute évidence la cote de maille manquait, indiquait qu'il s'agissait probablement d'un officier. Malgré son aspect dépenaillé, ses traits déformés par l'ardeur du combat laissaient deviner une certaine noblesse, et, sous la cuirasse, une lueur blanchâtre brillait intensément, signe d'un quelconque artefact magique - une protection supplémentaire, peut-être : tant mieux, Philippe aimait l'exotisme. Le paysan brandissait une immense hache à double tranchant, une arme barbare et rustre, mais de manifestement très efficace et parfaitement bien maniée : le jeune homme tenait facilement et en toute honneur tête à deux chevaliers, et envoya rapidement l'un d'eux mordre la boue.
Puis, éclaboussant le champ de bataille de sang et de viscères, la formidable lame sépara en deux, au niveau du torse, plastron et chevalier.
Philippe expédia rapidement un gueux qui avait eu l'audace de l'attaquer, et s'avança vers l'étrange combattant, avide d'en découdre et de tester ses capacités.



--------------------


Noven s'amusait comme un fou - tellement que cela en devenait indécent. Trois chevaliers Impériaux, mis en garde par la montagne de cadavres devant le jeune homme, avaient tenté de le prendre en tenaille. L'un d'entre eux fut brusquement stoppé dans son assaut par une flèche sortie d'on ne sait où, et qui se planta droit dans son front non protégé. Le magicien grimaça, déçu d'avoir perdu un de ses adversaires. Si ils se faisaient tuer avant d'arriver à sa portée, ce n'était pas drôle !
Puis, le second avait bêtement tenté de lui faire sauter son arme des mains. Comme si cela pouvait être si facile de le battre ! Un coup du lourd contrepoids de fer au bout du manche brisa la mâchoire du plaisantin.
Enfin, le troisième ne parvint pas à bloquer le retour de la hampe d'acier, qui le sépara en deux, dans le sens de la largeur, au niveau des côtes flottantes, brisant l'épaisse armure de plaque et la colonne vertébrale. Quelque chose qui ressemblait à un morceau d'intestin grêle (ou était-ce un foie ?) voltigea, et retomba au milieu des combats, quelques pas plus loin. Ça, c'était du massacre artistique !
Puis, alors qu'il cherchait des yeux une nouvelle proie à se mettre sous la dent, il le vit.
Il se rappelait l'avoir entr'aperçu dans les effectifs de la première charge; son cheval avait dû être tué. Noven l'avait remarqué pour sa sublime armure, décorée d'un blason qu'il reconnut comme celui de la ville de Teirm. Un membre de la haute noblesse ! Quelle chance !
Le magicien se fendit d'une révérence devant lui, qu'il voulut la plus humiliante possible, puis, sans autre préavis, il l'attaqua.


--------------------


Il l'avait salué ! Quelle audace ! Quelle impertinence ! Ce maraud aurait du mal à racheter par son combat épique l'offense qu'il venait lui faire, à lui, Sire Philippe, baron de Teirm, fils du Duc Risthart de Teirm et d'Isabelle de Ceunon !
Les deux adversaires se mirent en garde. Au milieu de la tornade de lames autour d'eux, leur calme incroyable paraissait déplacé, et, alors que les cris d'agonie et de douleur résonnaient autour d'eux, ils se fixaient, conscient de jouer un combat d'une toute autre envergure.
Puis, Noven, impatient à son habitude, chargea brutalement le chevalier, qui para habilement la lourde hache, aussi simplement qu'il aurait repoussé un moucheron. Un immense sourire de satisfaction traversa le visage du magicien, alors qu'il prenait conscience de l'excellent niveau d'escrime de l'homme qui lui faisait maintenant face. D'un mouvement du manche, il repoussa la lame, et le ballet mortel reprit.


-------------------


Rustre, mais doué !
Philippe peinait quelque peu contre son tout nouveau rival - principalement à cause du manque d'orthodoxie de sa technique et de son arme. Cependant, il exultait : enfin, il semblait avoir rencontré, parmi tous ces gueux, un adversaire à sa taille ! Restait à trouver une faille dans le mur d'acier et de bois dont il s'entourait.
Son épée fendit rapidement l'air, en direction de la tête, mais, au dernier moment, le chevalier lui fit décrire un léger arc de cercle. La lourde lame d'acier heurta perpendiculairement le manche mais, au grand dame du chevalier, pas une seule entaille n'apparut, pas une seule écharde ne voltigea, alors que le frêle bois aurait dû voler en éclat sous la force de l'impact. L'autre sembla remarquer sa surprise et, avec un air hautement narquois, il lui lança une insolente bravade :
"Vous êtes la quarante-deuxième personne à tenter de couper ma hache en deux aujourd'hui, vous savez. Mais les quarante et un précédents n'ont pas eu la chance de prévenir leurs camarades, je crains. 'sont mort avant.
- Rustre !
- Noble !"
Philippe marqua un temps d'arrêt dans son attaque.
"Noble ? Mais ce n'est point une insulte d'aucune sorte !
- Ah ? Possible. Ce n'est pas mon problème, combattons."
Et, joignant le geste à la parole, le combattant à la hache reprit la folle danse.


-------------------


Mprf ! Rustre, moi ? Et alors ?
Le chevalier était très bon bretteur. Prudent, il n'ouvrait jamais sa garde, conscient de la vitesse et du poids de l'arme de son adversaire. De même, il testait patiemment tous ses points faibles, que ce soit l'ouverture après une frappe esquivée, ou encore tenter de rompre le manche, ce qui lui aurait laissé deux morceaux inutiles dans les mains. Heureusement, le sort dont le bois était imprégné faisait correctement son office.
Soudain, un cri barbare et rageur lui parvint de l'extrémité de son champ de vision. Avec une formidable célérité, il parvint à esquiver le coup d'épée porté en traitre derrière par un ennemi particulièrement fourbe. La hache voltigea, la hampe se planta verticalement au niveau du col.
Mais, alors que Noven tentait de l'extraire de l'armure, le manche, maculé de sang gluant, glissa de ses mains gantées.
Oups.


--------------------


Ah, l'idiot ! Il a lâché son arme !
Philippe projeta son épée en une sublime frappe de taille, visant l'épaule. Il ne le tuerai pas; il le ramènerai plutôt à Teirm comme maître d'arme, une fois la guerre terminée.


-------------------


En un réflexe inconscient et totalement stupide, Noven leva sa main gauche, offrant son avant-bras faiblement protégé par une plaque d'armure à la lame d'acier qui fondait sur lui.


-------------------


L'épée se brisa dans une pluie d'étincelles en une multitude de fragments scintillants. Les yeux écarquillés, Philippe regardait les deux malheureux pouces d'acier qui demeuraient vainement accrochés au pommeau inutile. Mais comment ?
"Désolé, tu n'avais absolument aucune chance de gagner. Sans rancune, hein ?"
Le chevalier leva les yeux juste à temps pour voir un poing ganté percuter son visage de plein fouet. Il s'effondra, sonné.


-------------------


Noven arracha sa hache du cadavre sanglant, et s'approcha du noble assommé. Il leva son arme, puis se ravisa. Il avait bien gagné le droit de vivre !
Et, alors qu'il tournait les talons et fondait dans la mêlée en quête de nouvelles pièces de viandes à découper, il commença déjà à regretter son subit accès d'altruisme.


-------------------


 

Eragon serra son cousin dans ses bras, rassuré. Nasuada avait catégoriquement refusé de l'envoyer au combat, jugeant l'avant-garde parfaitement capable de remporter la victoire seule, et même avec brio. Le Dragonnier reconnaissait, à regret, qu'elle avait eu parfaitement raison. Cent-douze morts, dont treize officier, contre deux milles chevaliers sauvagement massacrés du coté Impérial. Une vraie boucherie, et un véritable miracle stratégique !
Et puis, les morts enterrés, l'armée se remit en route. Les garnisons de l'avant-gardes furent relevées, et remplacées par des troupes plus fraiches. Noven et Roran se retrouvèrent donc à marcher au cœur de l'aile droite, dans une sécurité toute relative. Ce dernier retrouva, avec une certaine surprise, les habitants de Carvahall, tandis que le magicien, une fois de plus, s'ennuyait ferme, et discutait de manière intermittente avec Saphira. Quant à son Dragonnier, il s'arrachait les cheveux pour rétablir un semblant d'ordre dans l'alliance entre les Vardens et les Elfes. Il parvint à retarder la conférence au sommet, au moins le temps qu'il se rendent en personne auprès d'Islanzadí.
Et pour la convaincre de ne pas rompre la frêle coalition, il aurait besoin de tous les conseils possible par la personne qui connaissait le mieux la reine sylvestre - en l'occurrence, la Princesse Arya, sa propre fille.
Eragon finit par la localiser, en marge de la colonne. Elle semblait vouloir marcher isolée du reste des troupes, comme à son habitude. Alors que le Dragonnier la rejoignait, elle prit la parole :
"Je sais pourquoi tu es là, Eragon. Mais tu fais une erreur en te contentant d'essayer d'apaiser les tensions entre nos deux peuples."
Elle semblait calme, résignée, et, lorsqu'elle s'assit sur un rocher recouvert de mousse, rien dans son comportement ne rappelait leur précédente discussion, qui avait battu de nombreux records dans le genre étrange et dérangeant. Le Dragonnier grimpa sur le bloc de pierre à son tour.
"Je fais une erreur ? Tu préfèrerais que l'alliance vole en éclats ?
- Non. Mais tu sais pertinemment que l'unique élément à l'origine des distensions est la folie de Nasuada. Et que tu pourrais y mettre un terme."
Eragon éclata d'un rire haut perché, presque insultant, qui le surpris lui-même.
"C'est trop facile, Arya ! Eragon, va faire çi, Eragon, va faire ça, Eragon, tu pourrais faire un petit coup d'État et tuer ta suzeraine, histoire que la diplomatie soit plus facile ? Et tu oses me demander où sont passés mes idéaux chevaleresques d'équité, d'honneur et de paix ?"
L'elfe, vexée, darda un regard de braise sur le Dragonnier.
"Il y a une différence entre idéaux chevaleresques et passivité face à ça ! Et, contrairement à ce que tu sembles penser, sa folie n'est pas naturelle !"
Eragon s'apprêtait à lâcher un trait acide, lorsqu'il marqua un temps d'arrêt. Puis, plus posément, il questionna :
"Pas naturelle ? Tu penses que c'est volontairement provoqué par...
- ... par l'Empire ? C'est certain ! Et, crois-moi ou non, son état s'est nettement dégradé depuis qu'il...
- Hola ! Objection, elle avait commencée à devenir folle avant. La preuve, Roran a rencontré Noven alors qu'il dirigeait une troupe envoyée en plein territoire ennemi.
- Mais ça c'est normal, Eragon, ça s'appelle la guerre ! Mais dans quel monde tu vis ? Tu crois que les batailles se gagnent sans sacrifices, sans prises de risque parfaitement mesurées ?
- Tu as changée, toi aussi."
Arya dévisagea le jeune Dragonnier. Un voile de tristesse passa un court instant sur son visage d'albâtre.
"On a tous changé, Eragon. Et l'on ne s'en rend compte que quand nos anciens amis remettent systématiquement ta parole."
Elle tourna soudain la tête, tous les sens en alerte. Noven surgit d'un buisson, légèrement essoufflé, un parchemin roulé dans ses mains.
"Ah, je te cherchais ! On vient de recevoir une missive pour toi."
Eragon se leva, et salua d'un signe de tête son ancien élève.
"Merci. De qui est-elle ?"
Le jeune magicien jeta un coup d'oeil sur le sceau du scellé, et lit à haute voix :
"- De la part de Sa Majesté le Roi Des Nains Orik Ier, à remettre en main propre à Eragon Tueur d'Ombre, du clan Dûrgrimst Ingeitum. Tu as un sceau personnalisé, félicitation !"
Le destinataire de la missive ne releva pas la remarque, et attrapa le message. Puis, Noven, avisant Arya, droite comme un i, les sourcils froncés, qui le dévisageait, tourna les talons et reparti vers le camp, non sans lancer une ultime remarque cynique vers les "deux tourtereaux".
Dès qu'il fut hors de portée, Arya prit soudainement la parole, avec une voix anormalement dure et saccadée :
"Parfait, maintenant il connait même le contenu des missives diplomatiques avant leur destinataire ! Tant que l'on y est, tu ne veux pas envoyer les plans de bataille et les itinéraires des armées à Galbatorix ?
- Ça m'étonnerai qu'il l'ait lue. Le sceau est intact, et le texte est magiquement crypté. Il n'aurait jamais eu le temps de trouver le bon code."
Eragon décacheta le rouleau, prononça le mot de passe, et le déroula :



------------------


Cher Eragon,
Je ne te ferais pas l'affront de t'écrire une missive royale en bonne et due forme, avec formules de politesses et phrases mielleuses. Après tout, on est frère de clan, et qui d'autre va la lire, hein ?
Je vais faire assez court, et en venir au fait : le changement de stratégie abrupt de Nasuada. Outre le manque de communication - ça ne l'aurait pas tuée de nous prévenir plus tôt -, d'autres problèmes se posent : l'armée naine ne pourra pas venir en aide aux Vardens pour le siège de Dras-Leona. Impossible de dégarnir le front Nord-Est, sinon on s'exposerait à une contre-attaque explosive des troupes de la capitale.
Nasuada doit déjà le savoir, cela dit. Globalement, je - et, avec moi, la plupart des chefs des autres clans - suis d'accord avec la nouvelle stratégie. Attaquer Uru'Baen de front n'était pas envisageable, il va falloir l'assiéger, et pour ça, il faudrait déjà être sur de ne pas se faire prendre à revers. Donc, on élimine Dras-Leona pour mieux frapper ensuite.

Par contre, d'après ce que je sais, les elfes n'ont pas du tout apprécié d'être snobés comme ça. J'ai pu calmer le jeu chez les nains, tu n'aura pas de problèmes de notre coté, mais nos amis sylvestres vont probablement te donner du fil à retordre.
Je ne peux pas discuter plus en détail avec toi par le biais de missives. Malgré tout le cryptage et toute la magie déployée autour de ce type de communications, on n'est jamais garanti qu'elle ne sera pas interceptée.
Continue d'honorer notre clan !



Orik

--------------------



"Ça, c'était prévisible. Pas de renforts de leur part.
- Si tu m'avais écouté dès le début, on aurait probablement pu...
- Arya, ca suffit !"
Eragon avait crié, presque malgré lui. Il en avait assez de cette guerre, assez de ces luttes intestines, assez de ces complots vicieux et de ces espions retords, assez de se faire noyer sous une pluie de reproche.
Assez de voir la personne à laquelle il tenait le plus au monde lentement dériver vers l'obsession et le délire.
"Ça suffit ! Tu cours après des chimères, bon sang ! Regarde autour de toi, tu ne penses pas avoir autre chose à faire que de chercher des crosses à un pauvre humain, juste sous prétexte qu'il t'a humilié lors de son arrivée ? Ravale ton amour propre, et conduis-toi correctement, merde !"
Puis il partit d'un pas rageur en direction de l'armée. A quelques encablures de là, Saphira le récupéra, et l'amena décolérer dans les cieux.
L'elfe, interloquée, presque choquée, n'avait pas bougée d'un cil.


--------------------


"J'en ai marre ! MARRE !
- Eragon, calme-toi.
- Je n'ai pas envie de me calmer ! Pourquoi rien ne tourne rond dans ce monde ? J'ai envie de tous les planter là, et de partir, loin, où ils arrêteront enfin de me juger, et de tenter de me plier à leur volonté !
- Et abandonner tous tes rêves de paix ? Abandonner Roran, Arya, Orik, et tous les autres ? M'abandonner moi ?"

La fureur du Dragonnier retomba et se vida comme une vieille gourde en peau percée.
"Non. Tu sais que je ne le ferais pas. Que je me battrais jusqu'au bout de cette foutue guerre. Mais qu'ils sachent que nous le faisons par choix.
- Et que, si jamais leurs intérêts ne servent plus les notre, nous continuerons sans eux.
- Parfaitement."

Il volèrent encore longtemps ensemble ce jour-là, profitant d'un si rare répit.



--------------------


Dras-Leona la fière s'étendait dans la plaine au dessous d'eux. Le lac scintillait dans le couchant, alors que les Vardens achevaient la mise en place du siège. Eragon et Saphira avaient dû partir sitôt arrivés auprès d'Islanzadí. Il allait devoir se passer des conseils d'Arya - elle restait bien trop occupée à poursuivre ses vaines appréhensions.
La citadelle était entourée d'un long et robuste mur d'enceinte, qui courait tout autour des bas quartiers. Depuis la plaine, seules dépassaient la flèche de la cathédrale et les toits du Palais de Marcus Tábor.
Le système défensif se composait des remparts principaux, qui cernaient l'ensemble, renforcés par de profondes douves qui s'ouvraient directement dans le lac Leona. Quatre gigantesques et solides portes, constituées par un pont-levis et de deux lourdes herses d'aciers, perçaient les murailles de chaque côté de la ville. A l'intérieur, le Palais constituait une véritable petite forteresse, perché en haut de sa colline. En effet, il était impossible de l'attaquer par des moyens conventionnels, de part la densité des batiments dans la citée, et de part la robustesse des remparts intérieurs qui, malgré leur hideux crépi ocre (qui témoignait d'un mauvais gout certain), permettraient à une poignée de défenseurs de tenir contre une véritable marée d'assaillant. Et, en l'occurrence, les Impériaux étaient largement en surnombre : les rapports d'espionnage rapportaient une garnison de entre quarante et cinquante mille soldats, soit plus de trois tuniques pourpres pour chaque rebelle.
Aussi, dans la tente de commandement fraîchement remontée, les premiers ordres de missions commençaient à tomber, mettant en place d'audacieuses stratégies pour minimiser les pertes. C'est ainsi que Roran (et Noven, en tant que magicien de son escouade) se virent convoqués par Nasuada.
Noven ne put s'empêcher de faire remarquer son pessimisme à haute voix :
"Convoqué par Sa Seigneurie En Personne, rien que ça ! Cette fois, elle doit être certaine que nous y resterons tous, sinon, elle ne prendrait pas cette peine.
- Noven ?
- Oui, Roran ? Une dernière volonté, peut-être ?
- Tais-toi. Ou je te tape tellement fort que même ton bouclier magique ne pourra pas te protéger."


--------------------


"Nous n'attaquerons pas de front. Et nous ne laisserons pas la faim agir. Le temps nous est compté, l'assaut devra être donné dans moins d'une semaine, ou il ne le sera jamais. Il faut ouvrir une brèche dans les défenses, rapidement."
Nasuada faisait part d'un profond pessimisme. Sa voix et ses gestes, pleines de manières, semblaient à celle d'un bourreau hypocrite qui cherchait à justifier pourquoi il avait commencé son exécution en découpant soigneusement le petit orteil gauche du condamné à la pince à épiler. Aussi, c'est d'un air parfaitement dans la conversation qu'elle annonça leur arrêt de mort :
"Hélas, Eragon est absent, abattre magiquement les remparts n'est donc pas pensable. Et lorsqu'il reviendra, il sera trop tard.
L'unique solution reste d'envoyer un commando de courageux soldats dans Dras-Leona -"
Roran faillit s'étouffer de surprise.
"... et, comme cette mission ne doit pas échouer, j'ai décidé d'envoyer l'élite, la fine fleur des Vardens, à savoir votre unité."
Et elle détailla son plan. Plus elle avançait, plus les incohérances et les incertitudes s'accumulaient. Le visage de Roran arborait une magnifique couleur craie, tandis que celui de Noven restait froidement impassible.
Puis, il décida de tenter le diable :
"Nous, les meilleurs ? Vraiment, c'est trop d'honneur. Mais sacrifier d'aussi loyaux soldats, n'est-ce pas un peu... extrême ?"

Nasuada tourna la tête vers le magicien, qui, malgré son tempérament bien trempé, ne put s'empêcher de frissonner légerement. Complètement folle !
"Enfin, voyons, qui vous parle de vous sacrifier ? La mission a été pensée et repensée par nos meilleurs stratèges, et les conditions seront optimales. Vous réussirez à ouvrir les portes, j'en suis certaine.
- Je parle de survivre le temps que le gros de l'armée nous rejoigne, Ma Dame. Combien de temps cela prendra ? Combien de soldats devrons-nous affronter après que nous ayons mit les herses et le pont-levis hors service ?
- Insinuerez-vous que je chercherai sciemment à me débarrasser de vous ?"
Noven intercepta le regard suppliant de Roran.
"Non, pas du tout, Ma Dame.
- Alors, disposez. Et surveillez votre langue à l'avenir."
Ils sortirent.



--------------------


"Mais tu es complètement DINGUE ? Elle en a fait exécuté pour vingt fois moins que ça !
- Bah, au point où on en est... Demain, nous allons tous y passer. Tu l'as entendu comme moi ! Attends, si tu ne te souviens pas, je te résume la mission :
Un, on passe par un tunnel 'secret', creusé par des contrebandiers, qui se sont ralliés aux Vardens parce qu'ils étaient persécutés. Même si le passage n'était pas condamné - ce qui relèverai du miracle -, rien n'assure qu'une horde d'Impériaux ne nous attendent pas de l'autre coté.
Deux, nous traversons toute la ville en catimini, en plein jour, alors qu'il y a cinquante mille soldats fous furieux et assiégés prêts à massacrer la première personne venue qui ressemblerai de près ou de loin à un Varden. Sans compter les civils hystériques.
Trois, il faudrait que nous prenions d'assaut la porte Sud, un des endroits les plus densément garni de militaires, pour détruire deux herses d'acier - ma survie est donc une condition sin aequa non de la réussite de la mission, en tant que seul magicien du commando -, et abaisser un pont-levis sans le démolir.
Quatre, dans l'hypothèse la plus incroyable et improbable que nous ayons survécu jusque-là, il faudrait résister à des vagues de soldats Impériaux en furie, en attendant le reste de l'armée. Armée qui, pour ménager nous couverture, devra rester à une distance de siège normale, sans prendre une formation d'attaque. Elle mettra donc plusieurs heures avant de parvenir à la porte.
Cinq, si nous sommes monstrueusement chanceux, il nous resterait encore à survivre à la bataille générale dans les rues, puis aux divers 'accidents' que Nasuada ne manquerait pas d'organiser.
- J'avais encore un petit espoir de revoir Katrina, mais bravo, tu viens de le faire voler en éclat. Tu es fier de toi ?"
Noven lui adressa un clin d'œil.
"Ne t'inquiète pas, j'ai moi aussi quelques tours dans mon sac. Elle nous sous-estime, et, d'un point de vue stratégique, son plan est plus qu'excellent.
- En quoi il est excellent, au juste ? Il n'a aucune chance d'aboutir.
- Si, justement : l'Empire s'attend tellement peu à une opération commando aussi stupide et aussi énorme, surtout en plein jour, que les soldats à l'intérieur ne vont même pas avoir idée que nous puissions être des Vardens - ou, ceux assez paranoïaques pour le penser ne seront pas écoutés par leurs pairs avant qu'il ne soit trop tard. Reste uniquement le problème du tunnel - mais, au pire, nous battrons en retraite -, et celui des portes. Nasuada pense probablement que l'effort me tuera, mais elle a totalement tord. Pour abaisser le pont-levis, il suffira de couper les chaines, et pour supprimer les herses, desceller quelques blocs de pierre et les déplacer légerement avant qu'elles ne soient fermées pour les bloquer.
- Mais, euh... elles seront fermées, de toute façon. La citée est assiégée."
Le magicien fronça les sourcils, et marqua un temps d'arrêt.
"Moui. Il faudra donc les ouvrir, que ce soit de manière normale, ou avec la magie.
- Elles doivent peser un poids énorme ! Tu as vu la taille de l'entrée ?
- On verra demain, lorsqu'on y sera.
- Si on y arrive un jour."

--------------------


Seule dans sa tente, après s'être assurée que les deux idiots s'en étaient allés, Nasuada éclata d'un rire sonore, haut perché, inhumain.
Tout se déroulait selon le plan !

--------------------



La communication mentale, du fait de la distance et des défenses magiques autour d'Eragon, tenait presque du miracle.
"Nasuada vous envoie en mission ? Vous voulez que je revienne assurer vos arrières comme la dernière fois ?
- Non, ça devrait aller. La mission n'est pas spécialement suicide cette-fois"

Même si elle l'était plus que jamais. Mais aucun secours, aucune aide ne pouvait leur être apportée par quiconque : si jamais Saphira survolait la citée, elle se ferait abattre comme un simple pigeon. Pas question de la mettre en danger.
Puis, excluant son Dragonnier de la conversation - de toute évidence, sans qu'il le sache, la dragonne de saphir questionna son jeune protégé :
"Dis, Noven, je voulais te demander quelque chose, l'autre jour, mais la bataille nous avait interrompu, et nous n'avons plus eu de moment tranquille depuis. Je voulais avoir ton avis. J'ai celui d'Eragon, mais il n'est pas vraiment très... pragmatique, en règle générale.
- Vas-y, mais fait vite. Je ne pourrais pas maintenir le contact à cette distance encore très longtemps.
- Tu crois qu'un jour, je trouverais mon âme sœur ?"

La question sembla prendre le magicien au dépourvu. Puis, avec une conviction dont il ne savait pas capable, il répondit :
"J'en suis certain, Saphira."
Le plaisir évident de la dragonne se déversa sur lui, avant que la connexion ne se coupe brutalement. Noven se laissa tomber dans l'herbe, et murmura pour lui-même :
"Oui, j'en suis certain..."

Laisser un commentaire ?