Et les étoiles brillaient...

Chapitre 1 : Chapitre 1.

3301 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/04/2022 16:37

Il n’était sans doute rien de plus sombre, que la nuit épaisse et froide dans la jungle ; rien de plus glaçant que de s’y retrouver entouré par les bruits des animaux nocturnes ; rien de plus inquiétant, que d’être témoin de la vie secrète des arbres, que l’on jurerait entendre respirer. Une capuche sur ses cheveux noir et une lanterne à la main, il avançait pourtant dans la faible lueur de la bougie ; n’y voyant donc pas si clair. Il était venu seul, refusant de passer une fois encore pour un original ; pour un fou. Sa vision avait été claire, limpide et lui avait glacé les sangs. Il se devait d’agir. Peut-être parviendrait-il à changer quelque chose, cette fois. Le plus probable fût toutefois, qu’il arriverait tout de même trop tard ; comme souvent.


Bruno Madrigal s’arrêta face à un immense céroxyle de Quindéo, suivant le tronc du regard, jusqu’à perdre son regard dans la noirceur opaque de son feuillage. À l’instant, il hésitait. Jusqu’ici, tout se suivait parfaitement ; comme il l’avait vu plus tôt. Inspirant profondément, il prit sur la gauche du palmier, tendant l’oreille ; à l’affût du moindre bruit, avant d’en émettre un lui-même.


— Taisez-vous, je ne m’entends même plus penser… maugréa-t-il, la tension dans sa voix montant d’un cran, alors que les rats cachés dans son ruana piaillaient davantage., Je sais que c’est dangereux ! Mais je dois le faire…, Agitant sa lanterne de gauche à droite, se prémunissant ainsi contre une potentielle mauvaise surprise, il murmura., Où êtes-vous ?


Et soudain, déchirant le silence de la nuit sauvage, des pleurs d’enfant non loin de lui. Son sang se figea dans ses veines et le souffle lui manqua. Bruno s’engagea dans cette direction sans plus d’hésitation, pressant le pas tout en psalmodiant quelques silencieuses prières ; espérant ne pas arriver… Trop tard !

Madre de Dios…, Souffla-t-il avec détresse, trahissant son impuissance face à la situation ; face à son propre pouvoir.


Serait-il donc toujours voué à être lié au malheur ? Ne lui accorderait-on que de joyeuses intuitions qu’en de rares occasions ? Il semblerait qu’il soit à jamais obligé de détester cette part de lui-même ; ce miracle. Bruno, le porteur de malheur. Sa vision se tenait devant lui, en une triste réalité, sur laquelle il eût vainement tenté d’avoir une ridicule emprise.


Une petite fille se tenait là, ses longs cheveux noirs ondulant come des vagues sauvages jusque dans le bas de son dos, et masquant ses yeux. L’enfant respirait la détresse des exilés de force. Ses vêtements avaient vu des jours meilleurs, sa peau était marquée par la poussière du voyage, mais elle n’était en rien repoussante. Les sanglots de la petite fille étaient presque devenus silencieux ; comme si elle n’avait même plus la force de pleurer. Frénétiquement, ses lèvres remuaient pour former le même et unique mot : Mama. Aucun son, pourtant, ne sortait de sa bouche ; aucun autre mouvement ne lui parvenait ; elle était telle une statue de sel.


Niña…, Osa alors le fils Madrigal, tout en tendant une main vers l’enfant sidérée, autant qu’impuissante.


Délicatement, pour ne pas l’effrayer, il posa sa main sur sa petite épaule frêle et terriblement osseuse ; la malnutrition faisait déjà son chemin en ce petit être, qui ne devait pas être plus âgées que ses deux nièces. Il n’en fût pas surpris, il le savait ; il l’avait déjà vue. Il savait également, qu’il aurait beau secoué la jeune femme allongée à quelques pas d’eux, semblant comme endormie, elle ne réagirait pas ; elle ne réagirait plus jamais. Lentement, il rapprocha la gamine de lui, la sentant un instant se crisper, tout en serrant son doudou contre elle, avec la force du désespoir.


Viens avec moi, niña. C’est fini. Tout est fini., Tentait-il de la rassurée, tout en voulant se rassurer lui-même. Après tout, Bruno devait lui-même faire le deuil de son utopie ; celle d’avoir souhaité sauver la mère de la fillette., Tu seras en sécurité, maintenant.


L’enfant acquiesçait machinalement, cherchant elle-même à se convaincre du bien fondé des paroles de cet inconnu. Elle émit un sanglot, audible cette fois, qui prit l’adulte à la gorge, déchirant son âme, autant que son cœur. Bruno déposa sa lanterne sur le tapis tropical et s’abaissa sur ses genoux, à la hauteur de l’enfant, afin de la prendre dans ses bras et la serrer contre son cœur. Quitte à devenir sourd pour un temps ; quitte à s’en blesser l’âme. Porterait-il toujours malheur…


Comment tu t’appelles, niña ?

Luciana… Et toi, monsieur ? Concéda-t-elle entre deux sanglots ; entre deux reniflements pathétiques, mais chargé de douleur.

Bruno., Répondit-il en croisant pour la première fois, l’immensité émeraude des yeux de la fillette. Il lui sourit. Elle lui répondit tristement, avant de fondre à nouveau son visage dans son vêtement, en pleurant tout son soûl.


Le temps s’écoula lentement ; douloureusement. Finalement, Luciana s’endormit contre lui, serrant son doudou d’une main et son ruana vers de l’autre, épuisée tant du voyage, que de tristesse. Les enfants ne sont pas stupides, il serait injurieux de fût-ce qu’y croire. Combien de temps et de fois, la petite avait-elle tenté d’éveiller sa mère ; secoué son corps blême et froid ? Suffisamment pour comprendre la vérité ; intégré l’inacceptable. Contre lui, elle avait déposé son fardeau, choisi de lui faire confiance, même si ses choix étaient limités par leurs nombres ; par son jeune âge. Sous son ruana, les rats s’étaient tus, n’osant pas bouger pour ne pas éveiller le précieux chargement de Bruno.


La lanterne ballotait à nouveau doucement dans les rues de l’Encanto et la casa Madrigal était désormais en vue, dans les premières lueurs de l’aube. C’était magnifique ; c’était magique. Le mariage des couleurs de la nuit se mourant, avec les tons de la demeure familiale, en réveillait les nuances autrement, dans un tableau de peintre abstrait. Bruno y déposerait alors son fardeau et le partagerait avec les autres et, il l’espérait, l’aiderait avec la petite orpheline. Lorsqu’il en passa la porte, - ouverte pour lui par Casita -, la réalité le reprit. Que faire ? La maison entière dormait, et réveiller quelqu’un n’était guère une judicieuse idée ; surtout pas sa mère. La respectable matriarche, qu’il aimait tant, avait besoin de repos. Tant de poids pesait sur elle ; sur eux tous. Ses yeux se posèrent alors, sur la fenêtre toujours ouverte de la chambre de sa mère, à laquelle brillait la chandelle ; leur miracle.


Casita. Aide-moi, veux-tu., Demanda-t-il en une quasi-supplique, épuisé à son tour du chemin parcouru et du poids transporté, tant physique, que mental.


Comme espérer, la demeure vient à son aide, dans une série de cliquettements de briques, de carrelage et de craquement de bois, elle fit amener un petit lit douillet au salon. Alors, enfin, le fils Madrigal pu y déposer son chargement si précieux. Remontant le petit drap de lit sur elle, il retira ses longs cheveux de jais de son visage endormi ; assaini de toute forme de tristesse. Lorsqu’il se recula enfin, ce fût pour tomber assis sur le fauteuil solitaire, y glissant jusqu’à en avoir les jambes tendues.


Ah ! Quelle nuit… Soupira-t-il en chassant gentiment ses amis rongeurs de son ruana. Ceux-ci s’en allant en piaillant, probablement rejoindre leurs nids dans les murs de la respectable Casita.


Bruno ? Appela alors une petite voix, bien connue de l’homme. Ce dernier se releva alors prestement, cachant pitoyablement la présence de Luciana endormie, derrière lui., Que fais-tu debout à cette heure ?


 Julieta apparu alors, une tasse fumante à la main, probablement pleine d’une tisane apaisante, afin de se soulager des courbatures que son état lui imposait. Elle en était au stade où, comme l’ironisait Bruno, on voyait son ventre arrondi, avant son visage angélique. D’ailleurs, la famille entière s’interrogeait sur la probabilité qu’elle mette bientôt au monde des jumeaux, vu la taille de son ventre.


Je pourrais te demander la même chose, hermana., Répondit-il avec une légère effronterie., Encore une nuit agitée ? Lança-t-il en tentant de noyé le poisson, espérant que son adorable sœur tournerait les talons et retournerait se coucher.


Le petit est vigoureux et pressé de sortir sans doute, oui. Mais…, Commença-t-elle avant de s’interrompre et de se diriger vers lui avec détermination., Qu’essaie-tu donc de cacher ? Sans hésiter, ni s’attendrir des maigres protestations de son jumeaux, Julieta le poussa., Dios mio ! Bruno ?!, Son exclamation tenait autant de la surprise, que du questionnement.


Un nouveau soupire lui échappa et il retomba assis, honteux et gêné ; il s’en frotta d’ailleurs la nuque un instant. Son impuissance face à la situation lui sauta à la gorge et il se referma sur lui-même, devant spectateur de la scène : sa sœur caressant maternellement la joue de l’orpheline. Nul jugement ; nulle accusation, que de la bienveillance. Alors, il céda à la tentation de se livrer ; de se libérer.


J’ai eu une vision., Le regard de Julieta se posa à nouveau sur son visage défait de fatigue et d’impuissance, mais il poursuivit., La jungle inhospitalière protégeant l’Encanto, théâtre d’une scène sans nom. Une enfant pleurant sa mère décédée. Moi, la rassurant et la ramenant chez nous., Son souffle se figea un instant, avant de reprendre avec difficulté. J’ai essayé, tu sais… Essayé d’arriver avant le drame, mais… misère… Je n’ai su faire. Rien. Toute son incompétence se manifesta dans cette simple phrase ; tous ses regrets ; toutes ses craintes.


Brunito…, Murmura alors sa sœur jumelle, glissant sa main dans ses cheveux aile de corbeau, en une douce et apaisante caresse. Ce n’est pas ta faute, hermano. Sans toi, peut-être qu’elle aussi… Un éclair de peur passa dans les mires foncées de Julieta, alors qu’elle les posait avec tendresse sur la petite. Tu as fait ce qu’il fallait. J’en suis convaincue. Va te reposer, maintenant. Je veille sur elle. Mama saura quoi faire.

J’espère que tu as raison, Julieta. De tout cœur, je l’espère.


Vaincu par la fatigue et les sages paroles de sa sœur, Bruno quitta le salon, non sans un dernier regard au tableau ainsi offert. Une mère s’occupant d’une enfant qui venait de perdre la sienne. Et alors, qu’il tournait les talons pour de bon, il se jura en lui-même, que jamais il n’abandonnerait Luciana. Jamais.


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Tu ne peux pas faire ça, mama ! De lourds nuages foncés planaient au-dessus de la table de la salle à manger, faisant plané une menace humide sur les occupants de la pièce.


Mi vida ! Calme-toi, amor, pitié., Felix attrapa prestement la main de Pepa, en tentant d’apaiser son épouse, dont les humeurs interféraient avec la météo.


En bout de table, Alma Madrigal dardait un regard ferme et clair sur ses enfants et beau-fils, mais surtout sur la protestataire. Cela faisait déjà un mois, que Bruno avait ramené la petite Luciana dans leur famille, et presque autant de temps, qu’ils avaient procédé aux obsèques de sa mère. La respectable dame pensait avoir fait plus que sa part dans cette histoire et même davantage.


Luciana ne peut pas rester ici. Vous avez vos propres enfants à gérer, Julieta et toi, Pepa., Tempéra Alma avec calme et distinction. Veux-tu cessé tes nuages, maintenant, je te prie.


Mais, elle va avoir l’impression qu’on l’abandonne ! Sans compter qu’Isabella et Dolores se sont beaucoup attachées à elle. Intervient Julieta, en protestataire moins vigoureuse que sa sœur, mais avec non moins de poigne.


Non, personne ne voulait voir partir la petite fille ; personne n’avait trouvé à redire sur sa présence. Luciana s’était difficilement ouverte à eux et maintenant, qu’elle commençait à le faire, leur mère voulait la séparer d’eux. Ce qui était difficile à admettre pour les deux jeunes mères.


Bruno pourrait s’occuper d’elle, comme si c’était sa fille ! Lança Felix avec sa bonhommie habituelle, en pointant le susnommé du doigt.

Le silence se fit pendant un instant. Bruno ne dit rien, parce qu’il savait ce qui se dirait ensuite. En silence, il en souffrirait. Non, il ne voulait pas qu’on lui prenne Luciana. Oui, il voulait s’en occuper et prouvé qu’il en était capable, mais…


Bruno n’est pas capable d’élever une enfant, et cette petite a besoin d’une mère. Que deviendrait-elle chez nous ? Elle n’est pas une Madrigal, elle n’aura pas de don ! Comment le vivra-t-elle ? Je ne reviendrais pas sur ma décision. Trancha la mère de famille, tout en se levant de table. La discussion était dès lors terminée pour elle.


Et où, l’envoyez-vous, Abuela ? Demanda Agustin, qui ouvrait la bouche pour la première fois depuis le début de la réunion au sommet.


Chez les Guzmán. Maria s’est proposée dès qu’elle l’a vue à l’enterrement de sa mère. Le soupir de soulagement fût collectif. Ainsi, non seulement elle sera bien éduquée, mais surtout aimée. Et elle pourra nous rendre visite. Vous semblez tous croire que je la chasse. Ce n’est pas le cas. J’ai à cœur le devenir de cette petite, comme chacun de vous.


Les chaises raclèrent le sol et tous s’en furent, sauf lui. Bruno fixa le bois de la table, en grattant une rainure de ses ongles, l’expression vide. Dans le coin de la pièce, Alma le regardait avec regret, consciente sans doute, de l’avoir blessé. Il souffrait, oui, du manque de confiance que sa mère lui attribuait. Lorsqu’il releva ses yeux sur elle, son expression se fit glaçante.


Je suppose, que c’est à moi de lui dire ? Comme c’est aimable et touchant., Ironisa-t-il en reniflant dédaigneusement. Je te remercie pour ta confiance, mama. Extrêmement limitée, cela dit.

Brunito…

Non ! Non… Ne dit rien. Ne dit plus rien ! Il se leva de sa place et fonça vers la sortie de la pièce, avant de s’arrêter, faisant face à sa mère. Moi, je voulais essayer. Pour une fois, j’aurais aimé que tu me laisse essayé. Pour une fois, je voulais faire quelque chose de bien, et tu m’en empêches… Mais je comprends. Quoi que tu en dises. Quoi que tu en penses. Je ne l’abandonnerai pas pour la cause. Jamais.


Sans un regard de plus, il planta la douairière de la famille là et rejoignit l’extérieur, où les enfants jouaient. Trois petites filles aussi adorables, que belles, chassant les papillons de leurs petites mains. Elles auraient pu être trois cousines, liées ainsi à jamais, mais le destin ne le voulait pas ainsi. Trois petites filles de trois ans que cette nuit dans la jungle avait finalement, lié à jamais.


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Le soleil s’était déjà couché, lorsque le repas se fut terminé. Dans la maison des Guzmán, les adultes de la famille Madrigal discutaient encore des modalités de cette adoption. Chacun y allait de son inquiétude, de ses craintes et de ses attentes. Maria et Juan répondaient avec calme et gentillesse, rassurant toujours plus les cœurs de leurs hôtes. Il n’y en avait qu’un, qui ne participait pas, ses yeux bruns rivés sur les enfants jouant avec quelques poupées, non loin d’eux. Il s’attendrissait de voir Isabella tresser maladroitement les cheveux de Luciana, pendant que Dolores embêtait Mariano, le fils des Guzmán. Oui, elle serait bien ici, il n’en doutait pas ; il l’avait vu. La peur qu’il arrive quelque chose à sa protégée, l’avait poussé à interroger le futur, et il était rassuré.


Vous pourrez venir la voir, quand bon vous semble, Bruno., Lui lança Juan en cherchant son attention.


Cela rassura sans doute, mon Brunito. Il s’est beaucoup attaché à elle. Plus que n’importe lequel d’entre nous. Répondit sa mère à sa place, le laissant dans le mutisme qu’il avait imposé à tout le monde, tout au long de la soirée.


Quoi de plus naturel. Il l’a sauvée, après tout. Sourit Maria, tout en serrant la main de son époux, et rappelant à Bruno, que sa mère aurait tant aimé qu’il la demande en mariage. Non, il n’y avait pas consenti, car il avait vu qu’elle serait plus heureuse avec Juan. Bien plus heureuse, même si bien plus triste un jour.


L’heure venue des adieux, Bruno insista pour mettre au lit sa petite protégée, dans sa nouvelle chambre. Il lui avait tout expliquer, sans mensonge, ni artifices, plusieurs fois. De sorte, que tout se passe au mieux pour elle ; pour lui ; pour eux. Embrassant le sommet de son crâne, il s’apprêta à sortir, tout en combattant ses larmes.


Papa Bruno…, L’homme se retourna, le cœur à l’envers et l’estomac serré. Non jamais encore, elle ne l’avait appelé ainsi. Et si… Si je n’arrive pas, à les aimer ? Si, je ne peux pas les appelé mama et papa ? Ils m’enverront dans la jungle ?  Et je ne pourrais pas voir le bébé de Julieta !


Oh non, querida. Personne ne te renverra dans la jungle, mi angelita. Je serais toujours là, moi. Quand tu auras besoin de moi… Il sortit un de ses amis rongeurs de son ruana et posa son index sur ses lèvres. Ils sauront où je suis. Dors maintenant, angelita.


Un sourire entendu et complice se dessina sur leurs lèvres et Luciana enfoui son visage sous son doudou. Pivotant sur ses talons, il murmura alors :

Tu es mon soleil. Il se lève quand je te vois. Il se couche quand tu disparais.



La porte se referma, tant sur la quiétude d’une enfant s’endormant, que sur ses rêves. L’avenir est une chose incertaine, malléable et changeant. Peu de gens le savent ; peu le comprennent. Pour la plupart des habitants de l’Encanto, Bruno était un oiseau de malheur, mais pour une petite fille, il était son point d’ancrage dans un monde, qui l’avait fait souffrir dès l’aube s’était levée sur sa vie.


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