Romen Avanture
Je tremble de la tête aux pieds et je pars en trébuchant réveiller maman:
« Maman ! C'est grave, réveille toi ! »
Mes yeux se remplissent de larmes et ma voix tremble. Maman commence à se retourner et à grommeler :
« Qu'est-ce qui... »
Je la saisis par les bras et lui sors tout ce que je crois savoir en bégayant. Maman blanchit à son tour et dit sérieusement en me tenant par l'épaule:
« Tu es sûr de ce que tu dis ? »
Je hoche la tête en sanglotant.
J'amène maman jusque dans la chambre de Barley et je lui montre le livre vieilli par le temps, à la page où se trouve l'avertissement. En se tenant au pied de lit et le livre à la main, elle s'asseoit lentement, avec difficulté, sur le matelas. Ses pupilles suivent activement les lignes du grimoire, sûrement à la recherche d'une solution. Je l'observe fébrilement, espérant que mon frère ne soit pas perdu pour toujours. Au bout d'un moment elle lit avec une voix presque inaudible:
« L'élite des magiciens en saurait plus sur ce sort et ces créatures... Mais elle est tenue au secret professionnel... Ian, tu as entendu parler de ce magicien retrouvé par des explorateurs ? Il faut que j'essaye d'aller le voir, peut-être qu'il pourra nous aider... »
« Mais maman, il aurait presque failli tuer une journaliste, c'est trop dangereux... »
« Tu sais où est-ce qu'il se trouve ? » me demande-t-elle avec le plus grand sérieux.
Sans attendre ma réponse, elle commence à se lever du lit et à se diriger vers l'ordinateur.
« Maman c'est de la folie, tu n'es pas assez forte en magie pour te mesurer à ce magicien... Et s'il t'attaquait ? »
Mais elle ne me répond pas et lit sur l'écran:
« Sur le sommet de la montagne aux esprits, ce n'est pas loin, dans deux heures j'y serai.. »
Soudain, sans vraiment savoir ce que je fais, je me saisis du bâton de sorcier rudimentaire de Barley et prononce la formule d'immobilité que j'ai apprise récemment. Ma mère se fige. Un peu en état de choc, je finis par agripper mes cheveux en balbutiant:
« Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Maman ne pourra plus bouger pendant au moins une demi journée... »
Je me mets à réfléchir en faisant les cent pas dans la chambre de mon frère:
«Ce qui n'est en soi pas plus mal, ça m'évitera de perdre la dernière personne à laquelle je tiens le plus... Mais comment vais-je faire pour faire revenir Barley ?»
Blazey notre chien dragon qui dormait dans la cuisine, décide à ce moment là de faire son apparition dans la chambre. Il me regarde avec curiosité, et finit par me suivre à la trace dans mes déambulations. Soudain je m'arrête net, et Blazey se cogne à ma jambe.
« Il faut que j'aille voir ce magicien moi même, je me suis amélioré en magie, et je saurais peut-être le convaincre...»
Un frisson me parcourt à l'idée de me faire carboniser par un sort extrèmement puissant d'ignition.
« Bon, pas le choix de toute façon... Et pas le temps non plus de faire quoi que ce soit d'autre, j'y vais... »
Blazey, qui était en train de frotter affectueusement son dos contre ma jambe, fais un bond quand je m'élance dans le couloir, prends en vitesse mon bâton de magicien et dévale les escaliers. Une fois devant la porte de Guinevère, la camionnette de mon frère, je me rends compte que dans ma précipitation, j'ai oublié de prendre les clefs accrochées au mur de l'entrée.
Je reviens sur mes pas, me saisis des clefs, et monte dans la camionnette. J'allume le GPS que maman a installé et le programme sur la montagne aux esprits. Pendant que je tapote nerveusement sur l'écran tactile, ma vue se brouille, et de lourdes larmes commencent à rouler sur mes joues. Je m'essuie rapidement le visage avec ma main libre en reniflant, et j'actionne le moteur.
En roulant dans l'allée, des souvenirs de la fois où j'ai conduit pour la première fois Guinevère avec Barley me reviennent. Je murmure:
« Je vais te retrouver, quoi qu'il m'en coûte.. »
Au bout d'un moment, j'entends du bruit dans la cabine à l'arrière. Je tourne rapidement la tête, et vois Blazey s'agiter, la langue pendante, me regardant niaisement.
« Manquait plus que ça... Mais comment est-il rentré ? » J'en viens à la conclusion qu'il s'est sûrement introduit dans la camionnette quand j'ai ouvert la portière, sans que je m'en rende compte. Il faut dire qu'il sait se glisser partout furtivement. Me voilà donc avec un compagnon de voyage peu désiré. De toute façon, il est hors de question que je fasse machine arrière.
Le voyage se fait sans problème, étant trop nerveux pour m'endormir sur le volant, et Blazey dormant en boule à l'arrière.
A un moment, j'aperçois une grande hauteur sombre se dessinant sur le bas du ciel étoilé. Je suppose qu'il s'agit de la montagne aux esprits. Je continue dans la direction que m'indique le GPS, et me retrouve dans un petit village cerclant la montagne, le village "Moz". Jamais entendu parler.
Il y fait sombre, les rues étant peu éclairée. La voix féminine du GPS me fait ensuite suivre un petit chemin censé m'amener jusqu'à la base de la montagne. À un moment, je vois en effet que le chemin commence à monter, et les virages se font beaucoup plus abrupts. J'ai beau avoir eu mon permis il y a presque un an, les virages me font parfois quelques frayeurs. Surtout que le chemin n'est, pour la plupart du temps, pas protégé par des barrières. Si je dévie, je tombe dans le vide. Rassurant. Arrivé à un parking, je pense être encore loin du sommet. Mais le GPS ne prend pas en compte l'endroit "sommet montagne aux esprits". J'ai alors envie de regarder sur internet pour en savoir plus sur l'endroit où habite l'ermite, mais pas de connexion. Génial.
Je prononce un sort d'éclairage et décide d'observer les alentours, en quête d'un panneau directionnel. Les bruits de la nuit me font claquer des dents, et je reste aux aguets du moindre mouvement. Je remarque enfin un sentier condamné avec des banderoles de sécurité. Un panneau sur le côté indique: "DANGER. N'empruntez pas ce chemin (maison de l'ermite).". Bon, apparemment, c'est ici. Je respire un bon coup et commence à écarter les banderoles pour traverser, quand j'entends un jappement. Je me retourne, et vois Blazey en train d'haleter gaiement, la tête penché sur le côté.
« Ah non ! Hors de question que tu viennes avec moi. »
Je le porte alors jusqu'à la camionnette et ferme la portière avant qu'il ne sorte. En retournant vers le sentier, j'entends des grognements et des jappements provenant de la camionnette, et enfin des coups de klaxons. Je me précipite pour ouvrir, ayant peur que ce vacarme n'attire quelques créatures indésirables... Quand je vois les sièges roussis, les rideaux arrachés, mais... Pas de Blazey. Un jappement retentit derrière moi, sur le parking, et j'aperçois mon chien dragon, assis, la gueule ouverte, langue pendante et le même regard niais. Je râle, me mets à sa hauteur, le fixe d'un regard qui se veut sévère, mais il finit par me lécher le visage. Beurk. Je recule et m'essuie, prend mon bâton, souhaite le pétrifier lui aussi mais me rappelle que les chiens dragons ont une résistance particulière à tous les sortilèges. Alors je soupire:
« Bon d'accord, tu viens avec moi ! C'est pas comme si j'avais le choix de toute façon... »
Je traverse l'entrée du passage interdit et pénétre à l'intérieur du bois alentour. Le chant des oiseaux et insectes de nuit ainsi que l'aspect ténébreux de la végétation prenant des formes fantastiques dans le noir, créent une ambiance mystérieuse et effrayante. Bizarrement, le halètement de Blazey qui me suit me rassure un peu. Je dois parfois écarter des branchages, et des ronces m'écorchent les chevilles. Je ne prête pas attention à la fatigue que me provoque le chemin montant, qui m'aurait découragé dans d'autres circonstances. Après avoir marché une bonne heure, je sors enfin du bois et me retrouve devant un grand plateau rocheux. Le vent y souffle plus fort, et j'en conclue que je dois être au sommet.
Mais aucune trace de la maison de l'ermite.
Blazey se met alors à renifler le sol et à prendre de l'avance, quand il s'arrête et fixe quelque chose en aboyant. Mais il n'y a rien, juste de l'herbe. Je me mets à son niveau et, tout en continuant d'avancer, lui dit:
« Il n'y a rien ici mais on peut continuer par là si tu penses que... »
Je me heurte soudain à un obstacle invisible. Je tâte alors à l'endroit de l'obstacle et sens comme un mur froid et irrégulier sous mes doigts.
« Un sort d'invisibilité...»
Le sort d'invisibilité est l'un des plus complexes à réaliser que je connaisse. Je me rappelle alors d'un contre-sort que j'ai rapidement essayé avec mon groupe d'amis il y a quelques semaines. Mais la formule ne me revient pas. J'essaye de la retrouver à haute voix, quand une voix caverneuse retentit:
« Pars d'ici, petit elfe insignifiant. »
À ce moment là, j'ai juste envie de faire ce qu'elle me dit et prendre les jambes à mon coup. Blazey grogne. Je rassemble le peu de courage que j'ai et réussis à articuler:
« Es... Es-tu le grand magicien vivant sur cette montagne ? »
Une pause, et la voix, résonnante mais qui paraît jeune, déclare:
« Je suis un des esprits de la montagne, et si tu ne fais pas ce que je t'ai demandé, je te hanterais et dévorerais ton âme.»
Je blémis, mais je ne peux pas abandonner maintenant:
«Je... Monsieur l'esprit, je dois savoir où se trouve le grand magicien pou... Pou-pour... Pour... »
Je respire et reprends mes esprits:
« Pour retrouver mon frère ! Il a disparu en essayant d'invoquer un humain-à-tout... »
« SILENCE ! gronde l'esprit, Tu... Attends, quoi ? Un humain-à-tout-faire ? Mais qui est assez bête pour faire une telle invocation en ces temps là...»
Il reprend sa grosse voix et continue:
« De toute façon, ce ne sont pas mes affaires, retourne chez ta mère et arrête de me déranger... Ou je te réduis en poussière avec un de mes sorts, au choix. »
Blazey se met à aboyer vivement en grognant.
Mes jambes flageolent, mais je n'abandonne pas:
« S'il vous plaît grand esprit, j'ai besoin de... »
Je tique.
« Vous êtes bien magicien alors ! Vous m'avez parlé de vos sorts... »
« Je voulais dire avec la colère des esprits, répond-il sur un ton agacé, enfin bref, de toute façon je ne vois pas pourquoi je t'aiderais. C'est la dernière fois que je te le dis, hors de ma vue, tu m'empêches de dormir. »
« Je ne partirai pas. Je suis venu jusqu'ici car j'ai besoin de vous et je me défendrai jusqu'à ce que vous vous décidiez à m'aider.»
Il se met à rire:
« Ah ! Ah ! Ah ! Tu penses sérieusement pouvoir tenir le coup avec ton misérable petit bâton magique ? Très bien, si tu insistes... Je t'aurais prévenu... »
Et il prononce la formule de décharge d'énergie. La boule d'énergie n'a pas le temps d'apparaître qu'au même moment, comme je connais bien ce sort pourtant difficile à maitriser, je clame la même formule et les deux concentrations d'énergie s'entrechoquent. Elles explosent en une myriade de petites étincelles. Je reste figé, dans l'attente du prochain sort quand la voix juvénile du magicien se fait de nouveau entendre:
« Je dois avouer que tu me surprends pour un freluquet de ce siècle. Alors apparemment la magie n'est plus si ringarde que ça? »
Je réponds:
« E-elle est revenue depuis un moment... On l'avait oubliée mais on se remet à la pratiquer... Et mon frère en a été victime... Je vous en prie, dîtes moi s'il y a un moyen de le faire revenir ! »
Je n'entends plus rien. Blazey grogne et aboie soudain plus fort.
Je vois alors une masse sombre tomber sur l'herbe à côté de moi. Une ombre qui, dans la nuit, semble avoir à peu près la même taille que moi.
« Il y a un moyen, très dangereux voire mortel pour récupérer ton frère... Je ne suis pas sûr que tu sois de taille à y survivre, mais bon, je veux bien t'accompagner. Et puis, j'aimerais bien voir comment et jusqu'à quand tu vas t'en sortir... »
« Vous dîtes qu'il y a un moyen ? Lequel ? »
Une flamme apparaît alors sur un bâton qu'il tient dans sa main gauche. Des marbrures orangés et lumineuses le parsèment. Je vois enfin à quoi mon interlocuteur ressemble.
« Aller dans le monde des humains. »