Le Sacre
LA SOLDATE POURPRE
La lame s’enfonça entre les écailles et le grognement du prisonnier suffit à lui extirper un sourire. Elle avait fini par trouver un point sensible, après tout. Sans empressement, elle fit jouer ses doigts autour du manche pour que le couteau tourne lentement autour de la cible. L’écaille se tordit sous la pression, se soulevant pendant qu’elle retournait la lame à l’intérieur, jusqu’à ce qu'elle réussisse finalement à la faire sauter. La vision du squame sanglant tournoyant dans les airs avant de s’écraser au sol arracha un nouveau gémissement de douleur au prisonnier et un sourire à sa tortionnaire.
« Tu vois que vous pouvez souffrir un peu. On progresse. »
Sans se soucier d’une possible réponse, elle planta de nouveau la lame dans le genou pour s’attaquer à une autre écaille. Ces démons étaient résistants mais en s’y prenant assez lentement, on arrivait à d’assez bons résultats. Le bourreau était particulièrement fier d’être le premier à pouvoir s’y essayer. Elle écarta une mèche violette de ses yeux pour mieux en profiter.
« Alors, au sujet de ces missiles…
- Va te faire foutre. »
La bravade du démon fut étouffée dans l’œuf par la pointe de la lame qui s’enfonça directement dans sa chair. Un grognement sourd s’échappa de sa large poitrine et elle le sentit se contorsionner sur sa chaise. Le siège réagit rapidement et des petites pointes sortirent des accoudoirs et du dossier pour s’enfoncer entre les écailles. Le démon se mit à trembler pendant que les spasmes parcouraient son corps. La tortionnaire recula juste à temps, laissant son arme plantée dans le genou, ce qui ne fit qu’arracher une écaille de plus. Elle attendit que la crise soit terminée et se fendit d’un beau sourire.
« Oh, Celo. Nous avons déjà parlé de cette mauvaise habitude que vous avez d’utiliser votre énergie vitale. Pas ici, pas dans cette salle, pas avec moi. C’est compris ? »
Les yeux de la créature se plantèrent sur elle. Ils avaient virés au rouge depuis le début de l’interrogatoire, ce qui ne pouvait être qu’un bon signe. C’était une chance que cette chaise fonctionne, il aurait été inutile de faire tant d’efforts pour capturer ce démon autrement. L’appareillage avait demandé des mois de travail acharné.
« Je vais arrêter avec ça, tu es d’accord ? » dit-elle en arrachant déjà le couteau de la plaie maintenant ouverte.
L’interrogatrice se détourna de sa proie pour revenir à une table où était étalées toute une garniture d’armes et d’outils très diversifiés. La plupart serait inutile sur un démon, de toute façon. Elle laissa sa main traîner au-dessus des nombreux pistolets et elle finit par se décider sur le plus gros calibre. L’arme se balançait d’une main à l’autre pendant qu’elle revenait vers lui.
« J’ai toujours voulu savoir, commença-t-elle en appuyant le canon sur la plaie sans écaille. Est-ce que ce sont les écailles qui vous protègent ou bien tous votre corps est résistant ? »
Elle eut le temps de voir la peur sur le visage du démon avant que la détonation ne l’oblige à fermer les yeux. Il hurla cette fois-ci, si fort qu’elle faillit manquer le craquement dans son genou. La balle ne ressortit pas.
« Ah, donc vous avez des rotules finalement. Et si on tire d’assez près, il semblerait que vous soyez moins immunisé. C’est très intéressant. »
Elle recula de nouveau et admira son œuvre. Celo avait autrefois été un démon fier et imposant. Il avait le torse large et la tête plutôt petite. Ses jambes étaient fortes et hautes, il dominait largement la grande majorité des humains sur cette planète. À présent, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Des entailles couvraient ses épaules puissantes, son torse était brûlé à gauche et elle avait même pris le soin d’arranger son nez, ne laissant que des morceaux de cartilage et du sang séché au milieu de son visage. Les démons n’avaient pas besoin d’être séduisants de toute façon.
Reposant son arme sur la table, elle reprit le couteau et l’essuya proprement sur un chiffon d’un blanc immaculé. Faisant mine d’hésiter devant la lame, elle finit cependant par la reposer à son tour et enfila un gant par-dessus le chirurgical qu’elle portait déjà à la main droite.
Combinaison de cuir noir et de câble métallique, l’objet n’était pas particulièrement beau. Elle vérifia quelques attaches et actionna ses doigts, les tubes de métal coulissant lentement les uns dans les autres.
« Nous ne sommes pas obligés de faire tout ça, tu sais ? Dis-moi ce que je veux savoir et nous en arrêterons là. Je ne te promets pas la liberté, bien sûr, mais on arrêtera de t’embêter comme ça. Qui sait, tu seras peut-être libéré une fois que nous en aurons finis avec tes camarades. Et tu n’auras plus mal. »
Un mensonge éhonté. Il ne sortirait pas en vie d’ici. Au moins, la partie sur la douleur était vraie. Comme il ne répondait pas, elle s’approcha lentement de lui, jusqu’à poser la main sur son épaule.
« Sais-tu ce que c’est ? demanda-t-elle sans attendre de réponse. Cela me permet d’actionner ma main avec une force bien supérieure à celle que je pourrais développer normalement. Supérieure à la tienne aussi, je pense. »
Pour le démontrer, elle appuya légèrement ses doigts, les tubes suivants son mouvement. Le démon se tordit de douleur.
« Je ne sais pas ! cracha-t-il. Elle nous dit pas tout ! Je…
- Fais un effort, tu dois bien te souvenir de quelque chose, n’importe quoi. »
Elle appuya à nouveau, cette fois en tordant l’épaule vers l’arrière.
« Les transports ! Je peux vous donner leurs routes et… »
D’un geste rapide de la main, elle fit disparaître le gant derrière son dos et adressa un agréable sourire au prisonnier. Enfin, après presque une semaine pour tout mettre en place, il craquait en moins de deux jours ? C’était presque décevant, mais elle était simplement très douée. De son autre main, elle rajusta son chignon au teint violet.
« Tu vois, ce n’était pas bien difficile. Je vais envoyer des gens pour t’écouter et noter ce que tu nous dis. »
Avant de quitter la salle, elle arracha ses gants et jeta les chirurgicaux dans la benne prévue à cet effet. De l’autre côté, elle salua brièvement les deux hommes qui la relaieraient et aspergea ses mains de savon. L’eau chaude effaça rapidement la sensation étrange que laissait le latex sur sa peau. En relevant les yeux vers le miroir, elle vit que quelques tâches de sang violet s’étaient égarées sur son beau visage.
Une goutte tombait lentement sous un œil bleu profond, comme une larme. Une autre s’était étalée sur son menton et une dernière, au sommet de son front, menaçait de se perdre dans ses cheveux lavande. S’aspergeant d’un coup, elle les effaça d’un revers de la main, puis sourit à son reflet. A son âge, elle ne devrait plus se retrouver à faire ce genre de basse besogne, mais elle avait insisté pour tester ces nouvelles inventions.
« Colonel ! » l’interpella une voix, l’extirpant de ses pensées.
Veronica Violet se retourna vers le jeune lieutenant.
« Le général vous avertit qu’il est disponible plus tôt que prévu, si vous voulez le rejoindre immédiatement.
- Merci lieutenant, rompez. »
Elle attendit qu’il soit parti pour se tourner vers le miroir et inspecter son uniforme. La colonel dut se pencher au maximum pour s’assurer que le double R imprimé sur sa poitrine n’avait pas été taché. Une fois satisfaite, elle s’engouffra dans les couloirs souterrains.
La base avait été construite au sein de ce qui était un ancien complexe de laboratoire. Aussi, certains couloirs avaient une forme étrange, formant un cercle parfait qui parcourait toute la structure. C’était aussi le moyen le plus simple de rejoindre le bureau du général. Sans hâter le pas, Veronica perdit aussi peu de temps que possible. Elle hésita même à prendre une cigarette, peut-être aurait-elle dut en prendre une pendant l’interrogatoire. C’était toujours intéressant, même si le démon n’aurait sans doute pas été sensible aux brûlures mineures.
Elle se retint suffisamment longtemps pour rejoindre la porte, frapper, et entendre un faible « Entrez » de l’autre côté. Sitôt à l’intérieur, elle fit claquer ses deux talons l’un contre l'autre et salua militairement son supérieur.
« Général, vous aviez demandé à me voir. »
Le vieil homme releva doucement les yeux vers elle. Il semblait avoir encore pris un an depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu — et c’était il y a deux jours. Il n’avait plus rien à voir avec l’homme qu’elle était allée chercher à l’époque de la résurrection. Ses cheveux roux brillants avaient virés au gris, puis au blanc. Il s’était laissé pousser une moustache fournie, qui était elle aussi devenue blanche avec le temps. Son menton carré s’était recouvert d’une fine couche de poudre immaculée, un début de barbe qu’il avait depuis plusieurs mois à présent. Seuls ses yeux conservaient encore l’énergie de l’époque, deux iris d’un brun clair et qui luisaient d’un éclat de cuivre.
« Colonel, souffla-t-il. Installez-vous. »
Sa voix était basse, faible, mais elle conservait la clarté qui avait toujours fait de lui un des meilleurs officiers du Ruban Rouge. Il fut un temps, le Général Copper était un homme impressionnant sur tous les points, mais ses larges épaules s’étaient ratatinées avec la vieillesse. Il n’avait conservé qu’une musculature sèche et un corps tout en longueur. Par chance, il n’était pas aussi petit que ne l’était son cousin, même s’il pouvait en donner l’impression, engoncé qu’il était dans son fauteuil, caché par le bureau.
« On m’a transmis votre souhait de faire tester ces nouvelles… inventions. J’ai pensé que vous auriez fini, à cette heure ? »
Il l’avait interrogée dès qu’elle fut assise, ce qu’elle avait toujours apprécié avec lui. On ne perdait pas de temps avec des bêtises.
« Tout à fait, j’ai commencé l’interrogatoire. La chaise fonctionne très bien, il est impossible pour un démon — ou qui que ce soit d’autre — de faire appel à son énergie vitale. Le gant fonctionne aussi très bien. J’ai aussi constaté qu’ils étaient bien sensibles à la douleur. »
Hermann Copper ne fronçait que rarement les sourcils devant elle, mais Veronica sut qu’il le ferait à cet instant, s’il n’était pas capable de tant de retenue.
« C’était dangereux, finit-il par lâcher. Vous auriez dû envoyer quelqu’un d’autre, si ces machines avaient été défectueuses…- J’avais confiance. »
Il soupira et releva les yeux vers elle, avec une note de déception au fond du regard. Elle s’y était habituée quand on touchait à ce sujet.
« Cela fait des années qu’on a mis Brief sur ce projet et tout ce que nous avons, c’est un gant de combat. »
Le général se pencha vers ses feuilles, comme si au sein de ses papiers se trouvait la solution à tous leurs problèmes. Il se massa les tempes.
« Gero était un spécialiste de ces technologies, je suis sûr qu’il aurait pu préparer quelque chose pour chacun de nos soldats. »
Avant qu’elle n'eut le temps d’ouvrir la bouche, il la regarda de nouveau.
« Je ne souhaite plus voir nos soldats mourir parce que ces créatures sont nées vingt fois trop fortes. »
Que voulait-il qu’elle dise ? Il avait raison. Cette guerre était absurde et perdue depuis le début. Elle ne s’y était lancée que parce qu’elle ne voyait pas quoi faire d’autre. Elle n’aurait même pas eu l’idée d’aller chercher Copper s’il n’y avait pas eu Brief, à l’époque où les portes de la prison s’étaient ouvertes.
« Général, vous savez ce que je pense de Gero. »
Il le cachait bien, mais elle distingua le presque-sourire sous sa moustache.
« Je sais, Veronica. L’homme était un fou, je ne vous contredirai pas, mais il était diablement doué. Il nous faut des fous de ce genre-là dans notre camp, aujourd’hui plus que jamais. »
Le colonel Violet n’était pas d’accord. Elle ne pouvait pas être d’accord. Ce n’était pas Copper qui avait fait le déplacement jusqu’en zone 36, il y a de cela douze ans. Gero ne voulait plus quitter son laboratoire. Son fils. La pensée lui était revenue absurdement, en même temps que l’image d’un homme immense endormi dans une cuve non-naturelle. Il essayait de ressusciter son fils.
« Il n’est plus de ce monde, général. Brief l’est. »
Cela mit fin à la discussion, le seul et unique sujet sur lequel Copper et elle ne s’entendait pas. Non pas que Veronica lui en voulait, il ne pouvait pas savoir, il ne voulait pas imaginer, et c’était un poids qu’elle ne voulait pas ajouter à ses épaules. Il en supportait déjà bien assez. Sans lui, sans sa vision, son intelligence, l’humanité aurait plié le genou depuis longtemps. C’était elle qui était venue le chercher, oui, mais c’était lui qui avait ressuscité le Ruban Rouge.
Cette pensée fit réapparaître l’image du jeune homme aux cheveux roux mal coiffés, baignant dans une cuve aux couleurs bizarres. Elle la chassa de son esprit.
« Qu’avez-vous tiré du démon ?
- Il pense ne pas savoir grand-chose, je le crois. Il a jeté un coup d’œil à certains transports de marchandises et pourra donner des indications. Avec les informations qu’on a déjà…
- Nous pourrons trouver l’endroit. »
Il opina de la tête et, cette fois, son maigre sourire était clairement visible. La soldate savait combien la nouvelle lui plairait, cela faisait si longtemps qu’ils préparaient ça.
« Bien, très bien, reprit-il avant de plonger son regard dans le sien. Vous allez en bas ? »
Après plus de treize ans, ils se connaissaient beaucoup trop bien. C’en était presque effrayant.
« Oui.
- Vous transmettrez mes félicitations et mes remerciements à Brief. »
Veronica ne put s’empêcher de sourire. Ils n’étaient pas toujours d’accord sur ce sujet, mais le général Copper restait l’homme qui avait mené le Ruban Rouge là où il en était aujourd’hui. Il ne la décevait jamais.
« Bien sûr, mon général. »
Comme il ne l’arrêta pas quand elle se leva, elle jugea la conversation terminée et sortit.
Après avoir traversé quelques couloirs, le seul moyen de se rendre « en bas » était de prendre l’ascenseur. Veronica était l’une des rares personnes du centre à l’utiliser régulièrement. Elle s’empêcha de siffloter pendant la longue minute de descente, jurant une fois de plus de faire ajouter une petite musique pour occuper l’esprit.
Les portes s’ouvrirent et l’odeur du hangar assaillit ses narines avec insistance. L’huile et la graisse se côtoyaient, comme d’habitude, ainsi qu’une odeur de brûlé qui n’était pas aussi classique mais dont elle ne s’inquiéta pas outre mesure. Elle rentra à grands pas et appela immédiatement le propriétaire des lieux.
« Bonjour, Bulma ! »
La seule réponse qu’elle reçut fut un grognement et un bruit métallique. En se tournant dans cette direction, elle repéra rapidement la touffe de cheveux violets jaillissant de derrière la carcasse de ce qui avait un jour été un tank. Sa dernière visite remontait à hier mais elle était presque sûre que cette chose avait eu un canon à ce moment-là. Veronica contourna le véhicule sans attendre.
« Bulma, tout va bien ? »
Les cheveux longs et violets s’agitaient en tous sens sans que le moindre début de réponse ne semble émerger. Elle s’approcha assez pour voir la jeune femme, accroupie devant les chenilles du tank, elle cherchait quelque chose qui s’était glissé dans les rouages. Sa tenue de mécanicienne était tachée de nouveau, de l’huile, de la graisse et quelque chose qu’elle n’identifiait pas. Le plus étrange étant que les tâches de la veille avaient disparues mais que de nouvelles était apparues. A sa ceinture pendait toujours l’appareil circulaire que beaucoup convoitait à une époque, rendu inutile à présent.
« Bulma ? » dit Violet en posant doucement une main sur son épaule.
Le docteur Brief sursauta, ramenant ses deux bras vers elle, sa main droite refermée sur une clef à molette, sans doute ce qu’elle cherchait dans le char. Ses yeux bleus très clairs virevoltaient en tous sens mais finirent par se fixer sur le visage de Veronica. C’était encore une très belle femme, songeait le colonel, malgré le cambouis qui s’étalait sur sa joue droite et l’odeur d’huile qui émanait d’elle.
Elle savait que Bulma Brief avait parfois du mal, elle lui laissa un peu de temps pour se calmer, puis recommença, en douceur.
« Tout va bien ? »
Les yeux de la mécano passèrent du tank à Violet, puis de nouveau au tank.
« J’ai démonté le canon. Le lieutenant Cyan ne portait pas ses boutons de manchettes tout à l’heure. J’ai perdu ma clef. Tu as l’air contente. J’ai retrouvé ma clef. Dans l’ensemble, ça va. »
Le lieutenant Cyan était l’homme qui lui apportait à manger. Il n’était pas encore midi, ce qui voulait dire qu’en parlant de tout à l’heure, elle voulait dire hier soir. Veronica se détacha d’elle quelques secondes pour fouiller le hangar du regard et le savant bordel que Bulma appelait son système de tri. Sur un plan de travail, un plateau repas attendait, intact. Cela arrivait trop souvent ces derniers temps, elle allait devoir demander à Copper de diminuer la pression.
« Oui, je suis contente. J’ai testé ta chaise et ton gant, ce matin. »
Bulma cilla une fois, deux fois, avant de comprendre de quoi on lui parlait.
« C’était bien ?
- Très bien. »
La conversation se termina là. La plus petite des deux femmes fixait l’autre comme un faon prit dans des phares. Veronica ne lui en voulait pas. Certains parmi les officiers jugeaient que ce hangar et sa propriétaire étaient inutiles, surtout depuis que l’état de Bulma avait empiré, mais elle lui devait tout. Elle ne pouvait l’abandonner, surtout pas quand elle faisait encore preuve d’une intelligence pareille.
« Cigarette ? »
Le regard de Bulma s’éclaira et réussit à arracher un sourire à la colonel. Elle dégaina son paquet et offrit un cigarette à la jeune femme, avant d’en prendre une pour elle. C’est aussi elle qui utilisa le briquet, de peur que l’autre ne se brûle. Ce n’est qu’après deux bouffées qu’elle se souvint d’à quel point ça lui avait manqué ce matin. La main de Brief tremblait pendant qu’elle tirait sur la sienne.
« Bulma ? »
Écrasant sa clope, elle tendit la main vers sa joue, tirant sur sa peau pour mieux voir les cernes sous ses yeux. Elles étaient trop larges.
« Tu as dormi cette nuit ?
- Bien sûr, la nuit c’est pour dormir.
- Hier à partir de 23 heures jusqu’à aujourd’hui 7 heures, est-ce que tu as dormi ? »
Lorsqu’elle baissa honteusement les yeux, Veronica sut la réponse.
« Non, je travaillais. Ce n’était pas la nuit. »
Le colonel s’empêcha de pousser un soupir. Ce n’était pas sa faute. Elle essayait de lui imposer des horaires, un rythme régulier et facile à suivre. C’était important pour Bulma. Quand elle pensait à la jeune femme sûre d’elle et pleine de rage qu’elle avait rencontrée à l’époque. Il y avait encore un espoir, il devait y en avoir encore un.
« On va dormir dès que tu auras fini la cigarette.
- Ah. Mais Hermann veut que j’améliore la technologie de la chaise. Portable c’est possible, mais c’est dur. Projectiles peut-être, mais dur et pas facile de viser avec. Bombe pas possible mais…
- Stop. Pas trop de pensées à la fois, tu te souviens ? J’ai dit qu’on se reposait après la cigarette.
- D’accord. »
C’était dit sur le même ton absent habituel. Bulma tira encore quelques bouffées de sa clope et Veronica hésita à en prendre une autre, mais abandonna l'idée en cours de route. Au lieu de cela, elle passa une main dans les cheveux de la mécano, les ébouriffant encore plus. Au bout de quelque secondes, elle tira délicatement sur quelques nœuds pour les défaire.
« Il faudra que je te coupe les cheveux, aussi. On dirait moi quand j’étais au lycée, c’est ridicule.
- Ils sont bien.
- Non. C’est de la graisse ça ? »
Bulma secoua la tête pour se défaire de son emprise. Ses mains ne tremblaient plus mais elle se cramponnait fermement à sa cigarette. Veronica se prépara à la forcer à se coucher.
« C’est vrai qu’on se ressemble. »
La remarque soudaine la fit sourire. Ce n’était pas tout à fait vrai, sauf pour les cheveux justement. Et même là, Bulma ne les coiffait plus depuis longtemps, tandis qu'elle les gardait toujours en un chignon soigneusement monté.
« Oui, tu pourrais finir par t’appeler Violet aussi.
- Si c’est une demande en mariage. Il faudrait attendre la fin de la guerre. »
La plaisanterie la surprit tellement qu’elle mit plusieurs secondes à se tourner vers Bulma, mais c’était encore assez vite pour distinguer l’éclat de malice au fond de ses yeux bleu. Oui, la docteur Brief qu’elle avait connue n’était pas encore complètement partie, même si elle n’était pas sûre de savoir ce qu’elle devait faire pour la faire revenir.
« Dodo ! » annonça-t-elle à la vue du mégot inutilisable.
La jeune femme la regarda un instant, puis le jeta par terre et l’écrasa.
« Maintenant ?
- Maintenant. »
Elle passa un bras sur ses épaules pour la contraindre à rejoindre le lit de camp, caché dans un coin du hangar. Là, Veronica l’aida à se glisser hors de sa combinaison de travail, puis resta assise aux côtés du lit jusqu’à s’assurer qu’elle fermait bien les yeux.
L’image d’un homme à la carrure de taureau s’imposa à son esprit, ses cheveux roux flottant dans le liquide qui le maintenait en vie. Elle secoua la tête pour chasser ces pensées. Bulma Brief était brillante mais elle n’avait rien à voir avec cela. Elle ne finirait pas comme lui. Veronica comptait bien s’en assurer.
Ce n’est qu’une fois Bulma endormie depuis cinq minutes que le colonel se leva pour reprendre son travail.