Le Sacre

Chapitre 8 : LA PRINCESSE DES TUNNELS III

4184 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/10/2015 17:23

LA PRINCESSE DES TUNNELS III

 

    Sahane se réveilla en sursaut, le bruit de l’explosion résonnant toujours dans ses oreilles. Elle entendait aussi quelqu’un crier son nom mais la voix s’effaça de son esprit avant qu’elle n’ait le temps de la reconnaître.

    En sueur, la respiration saccadée, elle se tourna sur la gauche pour constater que l’autre lit de la chambre était vide. Elle crut que son cœur allait manquer un battement.

    « PLUME ! »

    La porte de la salle de bain claqua violemment contre le mur alors que le chat volant la passait en trombe. Il avait encore sa brosse à dents dans la main, son regard fouillant en un instant toute la chambre à la recherche d’une menace. Finalement, il retomba sur Sahane, curieux.

    « Où est-il ?! » lâcha-t-elle avec plus de hargne qu’elle ne l’aurait voulu en désignant l’autre lit.

    Plume ne semblait pas comprendre ce qui motivait une telle colère, ses petits yeux sombres observèrent un long moment le lit défait avant qu’il ne se décide à répondre à mi-voix.

    « Ben… Il a dit qu’il allait chercher le petit déjeuner. »

    Sahane dut faire appel à tout son sang-froid pour ne pas hurler. D’un seul geste, elle repoussa les draps et attrapa son sac au pied du lit. Manquant d’arracher son pyjama, elle s’empressa d’enfiler les vêtements de ville qu’ils avaient achetés il y a quelques jours ; un jean moulant et un t-shirt informe sur lequel figurait une sorte de cible.

    « Je t’avais dit de ne pas le quitter des yeux. »

    Elle s’efforçait de ne pas se montrer trop méchante avec son ami mais il était difficile de ne pas lui en vouloir pour cette erreur. Plume ne semblait pas comprendre à quel point c’était important, surtout après plus d’une semaine. Il essayait encore de la raisonner.

    « Mais enfin, il va revenir, il a laissé son sac ici. »

    Suivant le regard du chat, elle aperçut en effet le sac-à-dos informe dont il était si fier. Il aurait très bien pu l’abandonner avec tout ce qu’il y avait dedans, il avait déjà prouvé plusieurs fois ses capacités à s’en sortir dans cette région avec presque rien.

    « Ce n’est pas le problème, il faut que… »

    Elle fut coupée dans son élan alors qu’elle faisait le lacet de sa deuxième chaussure par l’ouverture d’une autre porte et l’irruption d’un plateau repas, bientôt suivi d’un bras et de son propriétaire. Grégoire avait lui aussi enfilé des vêtements confortables et classiques, une chemise bleu marine et un pantalon noir. Il avait toujours les cheveux en bataille et sa barbe ne semblait pas avoir poussée depuis une semaine. Son regard sombre tomba sur elle en train de se préparer et elle le vit distinctement froncer les sourcils pendant quelques secondes.

    « Déjà en train de se préparer ? C’est bien, mais d’abord il faut manger. »

    Il amena le plateau jusqu’à la table qui séparait les deux lits. Sahane ne put s’empêcher de remarquer qu’il l’avait bien garni ; trois bols de céréales remplis jusqu’à l’excès, trois grands verres de ce qui ressemblait à du jus de pomme, une baguette entière, sans compter les divers petits gâteaux qu’il avait empilé là où il y avait de la place. Le petit déjeuner classique de la Capitale de l’Est, mais en très copieux. Pendant un long moment, ils se regardèrent par-dessus la nourriture, sans faire mine de s’en approcher, avant qu’elle ne finisse par murmurer entre ses dents.

    « Tu n’aurais pas dû quitter la chambre sans m’en avertir. »

    Elle le vit lever les yeux au ciel avec un soupir d’exaspération.

    « Ecoute, je sais que tu ne me fais pas confiance mais… »

    La jeune femme sera les poings sur ses genoux à s’en faire blanchir les phalanges, si fort qu’il le vit et se tut au milieu de sa phrase. Bien sûr que je ne te fais pas confiance, s’empêchait-elle de crier. Tu es un meurtrier ! Un tueur ! Un assassin ! Que tu sois un soldat en plus ne fait qu’empirer les choses !

    « Laisse tomber. » lâcha-t-elle pour éviter qu’il ne revienne à l’assaut avec une autre de ses excuses minables.

    Grégoire Shaini. Lieutenant Grégoire Shaini. Brigade d’infiltration de l’armée de l’Est, c’est ce que disait le badge qu’il lui avait montré dans la forêt. Sur le coup, elle avait failli le frapper, surtout après qu’il ait tiré sur son ancien collègue à terre. Il s’était confondu en excuses et lui avait expliqué sa situation. Un soldat infiltré parmi les troupes humaines de Piccolo. Il ne pouvait pas deviner à qui s’attaquerait son groupe. Il avait promis d’arranger ça, de la conduire en lieu sûr le temps qu’un nouvel itinéraire soit décidé. Il avait fallu que Plume intervienne pour la convaincre d’écouter. Elle aurait préféré repartir vers le Nord mais il fallait se rendre à l’évidence : elle ne connaissait pas la région et la personne qu’elle était censée retrouver.

    Qu’elle y soit obligée ne voulait cependant pas dire qu’elle devait le faire avec le sourire. Cela faisait une semaine qu’elle parcourait la région avec Greg et jamais elle n’avait relâché sa vigilance. Il pouvait bien raconter ce qu’il voulait, s’il était capable de mentir à toute une troupe pendant des mois, il pouvait aussi lui mentir à elle. Sahane avait besoin de lui, mais au moindre signe qu’elle n’appréciait pas, il savait ce qui l’attendait. Non qu’il s’en plaigne, il lui avait même fait cadeau de son arme – après être allé tiré une balle dans la tête de ses collègues encore en vie et blessés. Le geste n’avait fait que renforcer la conviction de la jeune femme concernant cet homme.

    Lui-même ne faisait pas de grands efforts pour améliorer leurs relations, il ne cessait de soupirer à chaque fois qu’elle lui opposait son avis, de lever les yeux au ciel et de lui parler comme si elle était une petite fille. C’était pourtant l’inverse, elle ne s’était jamais sentie aussi mûre. Elle avait laissé Archibald lui dicter sa conduite sur le chemin du Nord et cela avait amené à la mort de quatre de ses amis. À la mort de Pietro. Jamais la même erreur ne se produirait deux fois, elle s’en était fait la promesse.

    Ils mangèrent dans un silence quasi-parfait, seulement interrompu par quelques bruits de mastication ou de déglutition. Comme Plume ne semblait pas se soucier de goûter au pain, Grégoire coupa la baguette en deux parts égales, en échange de quoi le petit chat eu droit à une double ration de lait. Ils auraient presque pu passer pour une petite famille si le silence qui résonnait avait été agréable au lieu d’être chargé d’électricité. Sahane ne quittait pas des yeux son compagnon de route et il ne pouvait que le remarquer malgré ses efforts pour faire comme si de rien n’était.

    « Ecoute, finit-il par soupirer. Je te l’ai déjà dit, je n’avais aucun moyen de savoir de qui il s’agissait. On ne m’avait rien communiqué et je suis prêt à parier que le Q.G ne savait rien non plus de votre mission. Tout ce qui compte maintenant, c’est de t’amener en lieu sûr, le temps de monter une nouvelle mission. Dès qu’on atteint le Général, je te confie à lui et tu ne me reverras plus jamais, tu peux tenir jusque-là ? »

    Elle l’avait laissé parler sans l’interrompre, ce qu’elle faisait de plus en plus souvent, contrairement aux premiers jours où la jeune femme ne pouvait pas le laisser finir une phrase sans se mettre à lui hurler dessus. Cependant, elle n’appréciait toujours pas ses mots. C’était même pire. Leur système d’infiltration était si au point que leurs soldats étaient donc obligés de s’en prendre à d’innocents civils par moment, c’était absurde. Elle avait eu connaissance des tentatives d’infiltrer les troupes humaines mais n’avait jamais imaginé que ça irait aussi loin.

    D’une certaine façon, elle avait espéré que ce ne soit que dans l’Est, mais il lui était impossible d’exclure la possibilité que ce soit identique dans sa région d’origine. Cette incapacité à savoir était une résultante de la méthode de compartimentation des informations d’Archibald, tout comme la mort de Pietro et des autres. Si la région Est avait été avertie des plans concernant le transport du bâton, rien de tout cela ne serait arrivé. Une fois que ce serait fini, elle se promettait d’en toucher deux ou trois mots à qui de droit.

    Sortant de ses pensées, elle se rendit compte que les iris brun-noir de son protecteur étaient fixés sur elle. Il attendait une réponse. Elle haussa les épaules.

    « Je suis contente de savoir que nous avons été attaqués uniquement parce que vous pensiez qu’on était une famille innocente. »

    Grégoire ferma les yeux avec un nouveau soupir. Qu’espérait-il réellement ? Qu’elle finisse par lui pardonner ? Ce n’était pas lui qui dormait mal depuis cet évènement. Elle l’avait bien vu, il dormait comme un bébé. De son côté, Sahane n’avait pas été capable d’obtenir un vrai repos depuis ce jour. Ses rêves étaient peuplés de voiture en flammes et de cris, dont les voix n’étaient pas toujours reconnaissables.

    « Je ne fais pas les règles, petite. Je les applique. Je suis censé rester sous couverture, sauf instruction particulière.    - Oh alors, tu m’as fait une faveur en abandonnant ton rôle, plutôt que de me tirer dessus. Je devrais te remercier ? »

    Discuter ne faisait qu’augmenter la tension dans la pièce, elle le savait très bien. Il le savait aussi. Les petits yeux de Plume passaient rapidement d’un protagoniste à l’autre, sans grand espoir de calmer le jeu. Grégoire soupira une nouvelle fois, massant ses temps du bout de l’index comme s’il essayait d’expliquer la relativité à un simple d’esprit. Sahane le détesta un peu plus pendant quelques secondes.

    « Piccolo Daïmao a commis une erreur en engageant des humains à son service, on ne pouvait pas laisser passer cette opportunité. Quels que soient les sacrifices nécessaires. Si tu veux m’engueuler, je te conseille d’attendre qu’on ait atteint Brastra, O.K. ? »

    Une erreur, c’est ce qu’il disait. Elle se souvenait très bien d’une autre discussion où on lui avait dit qu’il s’agissait en fait d’un très bon coup. Les criminels libérés par Piccolo lors de sa prise de pouvoir comptaient des gens désespérés, qui n'avaient plus rien à perdre. En échange d’années supplémentaires de vie, il pouvait s’amuser en toute impunité, du moment qu’ils suivaient quelques ordres de temps en temps. On pouvait les infiltrer, oui, mais au final, ils faisaient perdre plus de temps qu’ils n’en faisaient gagner. C’était monter les humains les uns contre les autres et l’on passait plus de temps à s’occuper de leurs agissements que de celui des démons. Une manière de gagner du temps, une méthode assez peu semblable à Piccolo en réalité.

    Son cœur se pinça brutalement alors qu’elle se souvenait de l’intonation de Pietro à l’époque où il lui expliquait tout cela.

    « J’y compte bien. » finit-elle par lâcher amèrement.

    Ce fut à ça qu’elle arrêterait leur conversation de la matinée, elle en avait déjà bien assez entendu et ne voulait pas que ça continue. Greg pouvait bien se trouver toutes les excuses du monde, cela ne changerait rien à ce qu’il avait fait. C’était aussi son cas.

    Sahane évitait d’en parler, avec Grégoire bien sûr, mais aussi avec Plume. Elle savait très bien qu’il n’était pas le seul à blâmer pour ce qui était arrivé ce jour-là. Archibald avait sa part de responsabilité, mais c’était elle qui portait le plus. Jamais elle n’aurait dû les abandonner à la voiture. Elle était plus forte que tous les bandits réunis, elle n’aurait pas dû hésiter. Si elle avait tout donné, il ne faisait aucun doute que ses amis seraient encore en vie aujourd’hui. Heureusement que Yamcha n’était pas là pour voir ce que sa meilleure élève était capable de faire en situation réelle, c’était pathétique.

    Plongeant son nez dans le bol, la jeune femme chassa ses sombres pensées. Ce n’était pas encore le moment de se lamenter. D’autant qu’elle avait encore du temps à passer avec cet homme, malgré tout. Le Général Brastra n’avait pas l’air du genre facile à trouver. Elle imaginait déjà un clone d’Archibald, avec des yeux plus petits et une moustache plus impressionnante. Du peu que Grégoire en disait, il avait le même genre d’idées que son collègue du centre. Elle était pourtant pressée de rejoindre le Nord, même s’il fallait faire un détour pour ça.

    « Est-ce qu’on pourrait avoir un peu plus de… ? »

    La voix déjà timide de Plume fut interrompue par une sonnerie aiguë et désagréable. Trois paires d’yeux se tournèrent immédiatement vers l’unique téléphone de la chambre. Ils n’avaient confiés ce numéro qu’à une personne. Grégoire reposa son verre et attrapa le combiné. Il se levait déjà pour quitter la salle quand son regard croisa celui de Sahane. Le soldat s’assit sagement sur son lit, bien en évidence.

    « Oui ? … C’est lui-même. »

    Elle fit signe à Plume de ne plus faire de bruit, mais glissa tout de même son bol dans sa direction. Il restait un fond de lait.

    « Tout à fait. J’en suis sûr. » expliquait calmement Grégoire au téléphone.

    Discrètement et en silence, elle se rapprocha, tentant d’entendre ce qu’on lui disait au bout du fil. Il fit l’effort de tourner un peu le combiné vers elle, mais ça n’aidait pas vraiment. Il haussa les épaules et reprit.

    « Yakuma ? J’ai entendu dire que c’était magnifique en cette période. Ce serait un plaisir. »

    La ville dont il parlait était située tout au nord de la zone Est, très éloignée de leur situation actuelle. Déjà, Sahane n’appréciait pas tout cela.

    La discussion ne dura que quelques minutes de plus, sans qu’aucune information essentielle ne soit échangée. Grégoire et son interlocuteur se donnaient manifestement un mal de chien pour que la conversation paraisse naturelle. Elle n’était pas convaincue que cela fonctionne parfaitement mais s'abstint de tout commentaire. A ce sujet en tout cas.

    « Yakuma ? commença-t-elle à l’instant où il reposait le combiné. C’est à l’autre bout de la région, tu te fous de moi.    - Je ne choisis pas les lieux de rendez-vous. Le Q.G est en perpétuel mouvement, c’est l’idéal. En plus, de là tu auras plus de chances de rejoindre le Nord. »

    Elle se contint de lever les yeux au ciel et réunit plutôt ses affaires, abandonnant définitivement le petit déjeuner.

    « Alors pourquoi on est passés par la Capitale ? Je n’ai pas arrêté de dire que c’est super dangereux. »

    Cela faisait deux jours que la nervosité la rongeait, en plus de la culpabilité. Ils étaient en plein cœur d’un territoire dominé par un démon, le plus dangereux de tous en plus.

    « Nous sommes des millions à passer par là, nous ne sommes rien d’autre que des humains parmi tant d’autres ici. C’est le meilleur moyen de prendre contact avec la résistance discrètement. »

    Son explication était calme et posée, peut-être la seule fois où il clarifiait quelque chose sans la prendre ouvertement pour une idiote. Elle pourrait presque l’en remercier pour cela.

    Avec l’aide de Plume, ils se dépêchèrent de réunir toutes les affaires. Sahane ne quitta des yeux le soldat que pour se changer dans la salle de bain et ils partirent moins d’une heure après, les sacs jetés sur leur dos. Il demanda à Sahane de faire un effort conscient pour paraître en difficulté avec la taille de ses sacs, afin de ne pas attirer l’attention. Bien qu’elle fût presque sûre qu’il se moquait d’elle, la jeune femme obéit cependant et c’est ainsi qu’ils se mirent à déambuler dans les rues bondées de la Capitale de l’Est.

    Apparemment, le bruit de la foule était suffisamment important pour que Grégoire ne s’inquiète plus de rien. Il souriait même. Elle comprit qu’il était ici dans son élément et que c’était peut-être la raison pour laquelle il avait choisi de passer par là.

    « Tu vois, tu n’es qu’une silhouette parmi d’autres si tu fais les efforts nécessaires. On est dans l’ombre de ceux qui nous surveillent. »

    Son bras se leva pour lui désigner un bâtiment qui dominait tous les autres dans le quartier. La pierre sombre contrastait violemment avec le design plus moderne des petits buildings de bureau.

    « Regarde comme c’est beau ! » lui dit-il, fort, avec le ton que l’on prendrait pour s’adresser à sa fille.

    La cathédrale avait un aspect plutôt menaçant, selon Sahane, même s’il était vrai que les détails dans les sculptures étaient impressionnants. Alors qu’elle tentait de voir quelque chose qu’il lui désignait du doigt, il lui murmura à l’oreille.

    « D’ici une petite semaine, on aura rejoint nos amis. Tu seras vite débarrassée de moi alors essaye de te détendre un peu en attendant. »

    Elle préféré ne même pas lui répondre. Il avait raison : plus vite ce serait terminé, mieux ce serait pour tout le monde. Sahane se tourna plutôt vers Plume qui flottait distraitement derrière eux, elle surprit même un regard inquiet posé sur elle. La jeune fille tenta de lui faire un sourire réconfortant.

    « Ça va, Plume ? Tu as vu la cathédrale ? Elle est très belle. »

    Quand elle releva les yeux et qu’ils reprirent la route, elle faillit sursauter. Elle pouvait jurer que la gargouille au sommet de l’édifice avait bougée.

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