Dans l'ombre de l'Inquisitrice.

Chapitre 4 : La divine Andrasté, sur elle posa son regard.

4668 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/04/2022 21:22

Créateur, aide-nous..., gémissait l’un des soldats allongés sur une paillasse de fortune, le visage encore maculé de sang séché. Tout en faisant cela, il se tenait le bras et la poitrine, tous deux blessés et bandés avec soin. Je ne suis pas digne de ton regard, mais offre-le-moi seulement et je serai sauvé…

 

Il toussa alors sèchement, ses poumons protestant sous l’effort et le visage fermé de douleur. Celui-là avait vu un rocher le cueillir après avoir volé dans les airs à l’attaque d’un démon.

 

Non loin, Violine appuyait à deux mains, mobilisant toutes ses maigres forces sur la plaie béante d’une femme. Celle-ci usait de ses dernières forces pour crier, déjà à demi-démente de voir la mort arriver. De ses yeux d’améthystes dévalaient un torrent continu de larmes ; des flots intarissables. C’étaient des larmes bien amères, celles de l’impuissance et du désespoir. Elle le savait… Elle l’avait su dès qu’on l’avait mené à elle : elle ne la sauverait pas. Des serres bien acérées avaient labouré les chairs, et l’hémorragie, qu’elle avait tenté de contenir, continuait de déverser son flot de précieux liquide carmin. Ce constat d’échec lui enserrait le cœur et lui retournait les entrailles, autant que l’odeur nauséabonde qui régnait en ce lieu. Ce magma putride lui faisait perdre sa volonté autant que sa force physique qui diminuait au gré du temps passé. Un profond sentiment d’isolement s’emparait de son esprit, bien que seule dans cet enfer, elle ne l’était guère. Pourtant, au milieu des gémissements des blessés et des mourants, il n’y avait que la solitude.

 

Encore une fois, elle tentait vainement de maintenir la pression nécessaire pour endiguer le flot de sang. Encore une fois, elle priait autant qu’elle psalmodiait de vides formules magiques, mais hélas, sa magie, elle aussi, arrivait à saturation. La mage forçait pourtant, sentant la fatigue la gagner plus avant. Quelques bribes encore de magie ; quelques mots murmurés. La finalité de tout cela n’était autre qu’apaiser les souffrances pour parvenir à une fin en douceur. Enfin, le silence se fit. Un souffle expira en une fin salvatrice. Lentement, Dame Trevelyan retira ses mains tremblantes et dégoulinantes de sang. Elle lutta pour ne pas chanceler, elle devait se relever. Pourtant, ses yeux fixaient inlassablement son outil le plus précieux, rougi à jamais par ce dur labeur : ses mains. De partout autour d’elle, les suppliques lui parvenaient inlassablement.

 

— Je suis à vous dans un instant, disait-elle à l’un. De l’eau ? Bien sûr, tout de suite, répondait-elle à un autre, un instant encore désorientée par ce qu’il venait de se produire. Pourtant, elle se releva et s’affaira par automatisme, mais non sans la même dévotion qu’une sœur chantriste ; l’abnégation d’une sainte.

 

Le pan battant de la toile de tente s’ouvrit, laissant entrer un instant le souffle glacé du vent sur un autre guérisseur venu récemment en renfort. Enfin, la relève ! S’essuyant prestement les mains sur son tablier de fortune, plus que taché, elle rejoignit son compagnon d’infortune et lui communiqua son rapport sur la situation des différents blessés. Elle luttait toujours. L’épuisement était proche et le sommeil l’appelait en son sein libérateur. Un hochement de tête échangé, une pression sur l’épaule, Violine quitta alors l’infirmerie de fortune à la hâte tout en respirant aussi rapidement que bruyamment. Un cri lui échappa lorsqu’elle se fit surprendre par une déflagration non loin d’elle. Il y en avait pourtant si souvent qu’elle ne devait plus guère s’en soucier. Pourtant…

 

Les enfers se déchaînaient là, sous ses yeux rougis et implorant le calme, semblables à un mauvais rêve mais bien réels. En son cœur, l’incertitude régnait en une amère maîtresse d’un destin brisé. Que n’avait-elle consenti à ce malheureux mariage… Dès lors, elle ne serait pas ici au pied de la bouche déchiré des cieux. Inspirer. Son regard aux teintes violettes se promenait maintenant sur les ruines du Saint Temple Cinéraire, comme autant de lames acérées visant les cieux déchirés. Elles flambaient, semblables à des torches allumées d’un feu éternel qui jamais ne s’éteindrait, noircies de suies et menaçant le monde d’un effondrement imminent. Qui aurait pu dire que la plus sainte relique de la Chanterie finirait ainsi ? Expirer. Ses yeux scrutaient à présent la fosse creusée à la hâte, il y a quelques jours de cela, où gisaient déjà bien des soldats tombés au combat, où viendrait reposer celle qu’elle avait perdue aujourd’hui. Comment en était-elle arrivé là ? à scruter un monde balloté entre le feu et les ombres, sous les sinistres augures de cette brèche dans le ciel !

 

De ses yeux pourtant éveillés, Violine revoyait cette scène cruciale du passé comme si elle se jouait maintenant devant elle. Elle ressentait la chaleur des bougies incandescentes dans son dos, là où il n’y avait pourtant que le souffle mordant et glacial du vent. La mage aurait pu dessiner sur n’importe quelle surface, avec une précision médicale, le souvenir de la statue d’Andrasté dans la Chanterie et le nombre de bougies à ses pieds. Leur cire en fusion qui dégoulinait lentement sur le tapis séculaire où des milliers avant elle – et sans doute après elle – s’étaient agenouillés en prière. Sur sa peau engourdie par le froid, elle savourait la chaleur suintante et presque étouffante de la Chanterie de Darse alors que la chair de poule parcourrait son épiderme. À son nez, l’odeur de la cire chaude remplaçait celle putride du sang et des combats. Tel un mirage dans le désert, les silhouettes des responsables des opérations se dessinaient à ses yeux devenus aveugle à la réalité. Un homme. Deux femmes. Leurs voix lui revinrent clairement, dans la brise hurlante de la montagne.

 

Et au nom de quoi, je vous prie, devrions-nous vous croire ? Pour quelles obscures raisons prêterions-nous foi à vos allégations ? aboya la femme aux cheveux bruns qui fusillait la Dame Trevelyan de son regard de braise.

 

Violine resta silencieuse, n’ayant en définitive aucun plaidoyer supplémentaire à émettre en sa faveur. Tout ce qu’elle avait encore à offrir, c’était sa bonne foi ; et aux vues des circonstances, cela semblait de bien peu d’importance. Ses yeux améthyste se posèrent sur ses mains encore salies de son propre sang après son altercation précédente avec l’ancien Templier. Elle les serra alors, comme précédemment face à ce dernier, et releva la tête, plongeant son regard dans celui de ses accusateurs.

 

Aucune, trancha-t-elle, si ce n’est ma bonne foi, ainsi que ma pleine et entière collaboration. Je ne suis pas venue ici pour le Conclave, je vous l’ai dit et je le maintiens. Vous pouvez fouiller mes affaires, si cela peut vous prouver mon innocence ! Je vous fournirai également la lettre de recommandation à la Chanterie que m’a rédigé ma grand-tante. Vous pouvez également m’enfermer dans un cachot en attendant une enquête approfondie. Je ne protesterai pas et n’opposerai aucune résistance, conclut-t-elle, en masquant le léger trémolo dans sa voix et masquant ses craintes de son mieux. Elle était une Trevelyan, et en tant que telle, elle ferait face en noble descendante de sa lignée.

 

Son regard fixé sur les trois personnages, celui-ci était vague et eux n’étaient désormais plus que des formes floues devant-elle. Que se passerait-il réellement si on l’enfermait non loin d’Eurydice ? Violine ignorait tout de la sombre magie à l’œuvre dans le corps de sa sœur. Si elle assurait ne rien vouloir tenter contre ceux-là même qui l’accusaient, ne pourrait-elle le faire involontairement ? La peur lui rongeait désormais les entrailles, mais de cela, elle se gardait bien d’en faire mention. Son protecteur – devenu détracteur – avait dit avoir sciemment omis de mentionner son état aux deux interrogatrices afin de ne pas aggraver son cas. Et cela se vérifiait, car nul ne fit mention de magie durant cet entretien.

 

Je vous crois, déclara alors la femme aux cheveux roux dissimulés sous une capuche violette, faisant tourner prestement la tête de ses deux comparses. Ce faisant, elle ne lâchait pas des yeux ceux de Violine. Ils étaient aussi bleus que la glace et tout aussi transperçant.

 

Léliana ?! manqua de s’étouffer la brune, marquant clairement sa désapprobation autant que sa surprise, que ce fût dans le ton employé, la posture ou encore dans le regard sans équivoque.

 

Pour toute réponse, Léliana leva une main impérieuse afin de couper court à toute protestation supplémentaire de la part de sa comparse ; un geste si clair que même l’ancien Templier n’osa émettre un son. Dame Trevelyan elle-même ne sut masquer son étonnement, mais surtout son soulagement. Jusqu’alors, elle n’avait jamais eu le sentiment de pouvoir être innocentée de quelque façon que ce soit. Cullen l’avait jugée coupable dès qu’il avait su qu’elle était mage ; la femme aux cheveux sombres, dès qu’elle avait eu connaissance de sa parenté avec celle qui gisait dans les cachots. Alors, oui, Léliana faisait figure de sauveuse. Toutefois, il demeurait une zone d’ombre dans tout ceci.

 

Je vous crois sur paroles, certes, mais nous avez-vous tout dit, Dame Trevelyan ? Le ton était sans ambages et tenait plus de la question rhétorique que de l’interrogation.

 

Le regard de glace de Léliana semblait scruter chaque parcelle de son être, analyser chaque mouvement ou émotion qui émanait de la mage. Ainsi mise à nu, Violine se sentit tel un animal traqué, et même, pris au piège. La femme rousse savait probablement plus de choses qu’elle ne le laissait présumé. Perdue, acculée, Dame Trevelyan hésita un instant à reprendre la parole et à sans doute tout avouer, mais elle n’en n’eut guère l’occasion.

 

Dame Trevelyan a un don certain pour les soins, lança la voix providentielle, mais non moins inattendue, de l’ancien Templier, qui jusque-là s’était gardé de tout commentaire. Cela eut au moins le mérite d’attirer l’attention des deux protagonistes féminins à lui, laissant une once d’un répit plus que bienvenu à Violine. Cela nous serait des plus utiles sur le terrain, surtout près du Saint Temple Cinéraire, ou tout du moins ce qu’il en reste. Ainsi, non seulement, elle restera sous bonne garde, mais également sous la protection que j’ai offert à sa sœur. Je vous rappelle, Dame Cassandra, que j’y ai engagé mon honneur.

 

Bah ! Peut-être le regrettez-vous maintenant ? Voyez où vos élans chevaleresques vous ont conduit et nous ont conduits même ! Cela pourrait nous coûter cher, Commandant ! Très cher ! Et à vous plus encore ! grogna Cassandra en lançant au grand blond un regard de biais, aussi acide que mordant, ne laissant aucun doute sur sa désapprobation, Eh bien, soit ! Emmenez-la avec vous et qu’elle se rende utile, s’il plaît au Créateur ! Tout du moins, jusqu’à ce qu’on puisse tirer cette histoire au clair. Seul le temps et un véritable procès pourront nous éclairer.

 

À ces mots, Dame Cassandra tourna sèchement les talons, suivie de près par Léliana. Non sans que cette dernière n’eût lancé à Violine un regard plein de mystère et de sous-entendus. Oh oui, elle savait… La mage en mettrait sa main au feu. Toutefois, ce ne fut pas ce qui la préoccupa le plus dans l’immédiat, mais bien la réaction de Ser Cullen. Face à face, elle le dévisageait, comme si cela était la première fois qu’elle le voyait. À quel jeu jouait-il donc ? Accusateur un instant plutôt ; sauveur un temps plus tard. Ses sourcils noirs se froncèrent, dessinant de profonds sillons d’incompréhension sur son front. Le silence était aussi lourd et pesant que l’atmosphère de la Chanterie. Aucun d’eux n’osait cependant poser la question cruciale : pourquoi ?

 

Nous... nous devrions nous mettre en route, déclara le Commandant d’une voix mal assurée, tout en rompant le poids du silence, Le chemin jusqu’aux ruines du Saint Temple est long et semé d’embûches, continua-t-il en opérant un demi-tour en direction de la sortie.

Je veux voir ma sœur, Commandant, l’interrompit-elle en restant d’un calme olympien, tel le marbre de la statue d’Andrasté dans son dos, Du moins, à une distance raisonnablement prudente, pour ne pas attirer cette... magie inexpliquée à moi. Ensuite, je vous suivrai où vous jugerez bon de m’emmener.

Rien ne servait d’opposer de résistance.

 

Cette requête semblait fortement embarrasser l’homme en armes, au point qu’il se frottait nerveusement la nuque de sa main gantée. Peut-être avait-il reçu des ordres contraires au souhait de Violine. Il était après tout rare que l’on laisse un prisonnier recevoir une quelconque visite, surtout lorsque ladite détenue était présumée coupable de l’explosion d’un lieu saint et d’un trou dans le ciel. Un véritable dilemme jouait dans ses yeux avant qu’il ne finisse par trancher.

 

Faites vite…


Et il ouvrit la porte en bois qui menait dans les sous-sols de la Chanterie. Drôle d’endroit pour retenir des captifs…


Violine le remercia en silence d’une œillade reconnaissante avant de filer à travers l’escalier la boule au ventre. À peine eut-elle passé la dernière marche qu’elle ressentit déjà les premiers effets de la magie. Elle recula et heurta le plastron métallique de son accompagnateur. Une main ferme la retint alors de tomber, et d’un réflexe, s’agrippa à sa taille. Tout ceci était peut-être la pire idée qu’elle n’eût jamais eue ; se jeter à pieds joints dans la gueule du loup. Inspirant, elle se détacha de l’étreinte involontaire – mais non moins rassurante en cet instant – de l’ancien Templier. Pas après pas, elle s’approcha de la source de son malaise grandissant ; jusqu’à la source d’une lumière verte. Violine le sentit pourtant ; que le prochain pas serait celui de trop, celui qui la plongerait dans une nouvelle vision d’horreur. Alors, elle s’arrêta et fixa le corps de sa sœur qu’elle distinguait un peu plus loin, sans un mot. La chaleur familière des larmes lui monta aux yeux et sa lèvre inférieure se mit à trembler.

 

Comment va-t-elle ? demanda-t-elle alors à son compagnon. Enfin, c’est ce qu’elle croyait.


Nul ne sait vraiment le dire.


La voix venait de là-bas et la fit tressauter. Elle ne s’attendait pas à entendre quelqu’un d’autre que Cullen parler. D’ailleurs, elle se retourna vers ce dernier, dont le regard s’était passablement assombri. Décidément… La mage retourna à sa vision première, cherchant, en plus, la source de la voix. Se détachant de l’obscurité, il apparut alors. Un elfe chauve et élancé qui, comme beaucoup de sa race, allait pieds nus et vêtu pauvrement.

 

Veuillez me pardonner si je vous ai effrayé car telle n’était pas mon intention. Je me nomme Solas.


Le Commandant derrière elle était tendu à l’extrême, si tendu qu’elle sut sans mal que l’Elfe était comme elle, un apostat, mandaté sans doute pour veiller sur Eurydice.


Il s’agit de votre sœur, n’est-ce pas ? Cassandra a mentionné cette information, mais il m’avait semblé entendre qu’elle ne voulait pas vous mettre en contact. Une très mauvaise idée, si vous voulez mon avis.


Personne ne vous demande votre avis, Solas, l’apostropha l’ancien Templier, plus mordant qu’un chien de guerre

 

Solas... Ainsi avait-elle rencontré un autre mage qui s’était volontairement embarqué dans cette galère. Peut-être même plus qu’elle. Après tout, on ne lui demandait pas de sauver une reprise de justice, mais des soldats. Bien que leur rencontre eût été des plus brèves, les quelques paroles échangées eurent le don de rassurer Violine. Certes, ils nageaient tous en plein cauchemar, et Solas n’avait pas d’explication tangible à fournir pour l’instant, mais il semblait avoir des connaissances bien plus poussées que tous les mages que la jeune femme eût connus jusqu’alors. Leur entente cordiale, cependant, n’eut pas l’air d’être au goût du Commandant, qui ordonna peu après le départ. Ce fut avec plus de questions encore que de réponses qu’elle prit la route ce jour-là.

 

L’inutilité. Ce fut tout ce qu’elle ressentit sur le chemin du Saint Temple Cinéraire. Entre deux escarmouches, elle guérissait les plaies de son mieux avec son maigre arsenal de potions, de baumes et d’onguents, mais n’usant que peu de sa magie. Elle l’avait juré à Cullen en partant, elle la cacherait et se ferait aussi discrète que possible. Depuis, c’est à cela qu’elle s’employait. Elle soignait les blessés, apaisait les mourants tout en faisant en sorte d’être la plus effacée possible. Jusqu’ici, elle n’avait jamais failli et elle n’avait jamais renoncé. Seulement, c’était la fois de trop ; la mort de trop. De ses yeux avaient coulé beaucoup de larmes aujourd’hui et elles couleraient encore beaucoup demain. Depuis qu’elle était aux portes réduites en cendres du temple, elle n’avait reçu ni réel soutien, ni conversation et encore moins d’informations sur l’état d’Eurydice. Cela faisait une semaine, déjà… Les yeux violets posés sur ses mains souillées, elle renifla bruyamment tout en soupirant.

 

Dame Trevelyan.


Violine tressauta en reconnaissant la voix de Cullen dans son dos. Faisant volte-face, elle ne masqua nullement sa surprise. Depuis une semaine, c’était la première fois qu’il s’adressait à elle ; la première fois qu’elle entendait sa voix pour autre chose qu’aboyer des ordres à des hommes et des femmes épuisées de combattre ou de soigner.


J’aimerais vous parler, s’il vous agrée.

 

Elle acquiesça et, tout en essuyant encore une fois ses mains, suivit l’homme en armes jusque dans la tente qui lui tenait lieu de centre de commandement et de chambre. Leur situation à tous était précaire, et jamais la noble dame n’avait fait la moindre remarque quant à cela. Les mains jointes devant elle, elle posa son regard sur la disposition sommaire de la tente, sans un mot, en attendant que son chaperon reprît parole, ne relevant les yeux sur lui que lorsque le pan de la tente se fut refermé. Il dardait sur elle ses yeux durs et parfois bien cruels ; ceux qu’il avait lorsqu’il était tourmenté.

 

Que puis-je pour vous, Ser ? demanda-t-elle alors en toute neutralité, tâchant de savoir, en lisant dans son regard, s’il avait quelconque reproche à lui faire, ou si son tourment était – comme souvent maintenant – dû à la situation. Cullen soupira longuement et même s’il ne bougeait pas, il semblait à Violine qu’un lion en cage tournait dans sa tête. C’était un signe de plus, d’un danger imminent pour la mage : ses yeux partaient de gauche à droite, cherchant une échappatoire ou tout simplement ses mots... Son cœur s’accéléra brutalement.


Eurydice ?

L’homme acquiesça. Une sueur froide glissa le long de son dos.

Se pourrait-il...


Elle s’est réveillée.

Un soulagement s’empara de la jeune femme, bientôt suivi d’une nouvelle salve de crainte.

Dame Pentaghast l’amène ici. Vous savez ce que cela veut dire ?

 

Sa voix adoucie précédemment s’était durcie. La haine qu’il ressentait à l’égard des mages venait de refaire brusquement surface et Violine recula, au point de rencontrer dans son dos la pauvre table bancale qui lui servait de bureau. Elle mage hocha la tête. Oh ! oui, elle savait !


En s’approchant de la brèche, Violine avait craint d’être à nouveau victime de la magie verte, mais il n’en fut rien. Elle en fut d’ailleurs la première étonnée au point d’en informer Solas par corbeau interposé, le même mage qui avait voulu l’étudier après qu’elle lui eût confié réagir à la marque que sa sœur avait sur la main. Si les deux étaient liées, elles n’avaient pas le même effet sur elle. La jeune femme déglutit avec difficulté, se demandant quels tourments allaient encore s’abattre sur elle.

 

Je ne peux laisser se reproduire ce qui s’est passé à Darse. Je suppose que cela aussi, vous le comprenez.


La voix était calme, mais le ton cachait mal les reproches qu’il avait à formuler à son encontre.


Voilà, pourquoi elle n’avait jamais quitté la maison familiale... Le monde, elle le savait, était cruel avec les gens de son espèce. Pourtant, même si elle le savait, rien ne l’avait préparée à en être l’incessante victime. La douleur imposée à son être était lourde et insupportable, mais elle n’aurait pas dû être étonnée de prendre tant d’acidité de la part d’un ancien Templier. Pourtant, la brûlure était bien là ; peut-être parce qu’elle était trop fatiguée et épuisée sur le plan psychique. Les larmes lui remontèrent aux yeux et le venin lui vint à nouveau aux lèvres.

 

Et que comptez-vous faire pour remédier à cela, Commandant ? assena-t-elle vivement, plongeant son regard dans ses pupilles devenues sombres. M’enchaîner ? M’assommer ? Me tuer, peut-être ? Prenons tous les options extrêmes possible !


Je ne... commença-t-il dans le but de se justifier, mais son regard s’assombrit davantage, prenant l’allure d’un chien fou prêt à mordre.


Sa voix même monta d’un cran, tenant bientôt plus du cri que de la parole.


Ne me jugez pas coupable avant que j’aie pu finir de parler, voulez-vous ! Je ne cherche que votre sécurité !


Alors ne me jugez pas coupable avant que je sois devenue une véritable menace potentielle ! Vous ne voulez pas que je vous juge, mais vous m’accusez depuis que vous savez ce que je suis ! cria-t-elle en se redressant de toute sa frêle stature. Et la seconde d’après, vous volez à mon secours... C’est à n’y plus rien comprendre, souffla-t-elle.

 

L’interaction eut alors lieu. Le poing de l’homme en armes s’abattit avec violence sur la table derrière la jeune femme, la poussant au cri et à fermer les yeux. Lorsqu’elle les ouvrit à nouveau, Cullen était penché sur elle, son visage à quelques centimètres du sien, à tel point que son souffle erratique jouait sur sa peau. La chaleur de son corps se communiquait à elle, cela lui paraissait être une véritable bénédiction. Pourtant, elle tremblait d’appréhension, et même de peur. Dans ces yeux mordorés se lisaient la colère, mais également une profonde souffrance ; celle des hommes traumatisés. Sa mâchoire tendue à l’extrême faisait palpiter la veine de son cou, faisant craindre à nouveau une certaine forme de violence.


Si proche et pourtant si loin, pensa la mage, alors que ses pupilles améthyste parcourraient et détaillaient le visage torturé de l’ancien Templier. Des cernes sous les yeux, cruels vestiges d’un manque de sommeil, une barbe de trois jours, la cicatrice surplombant sa lèvre supérieure... Elle n’y trouva finalement qu’une profonde détresse, qu’il cachait pourtant.


Qu’est-ce que nous vous avons fait... demanda-t-elle timidement en reprenant la parole.

Par ce nous, elle sous entendait ses semblables : les mages.

 

Les traits de l’homme se teintèrent d’autant de surprise que d’incompréhension. Il se demanda sans doute comment elle avait pu deviner une quelconque once de son passé. Le silence se fit à nouveau sans qu’aucun ne bouge et ne bronche.


Commandant ! s’écria un soldat en ouvrant le pan de tissu, le visage ravagé par la panique. Les démons ! Une faille s’est ouverte à l’entrée du Temple ! Nos hommes ne tiendront pas...


Cullen lui jeta un regard relativement agressif avant de lui faire signe de s’en aller. Un instant, l’ancien Templier regarda la mage, et puis, lentement, en soupirant, il se remit en mouvement. Il se détourna d’elle, qui put enfin se redresser et lâcher la table qu’elle tenait à deux mains. La main gantée du Commandant s’en retourna masser sa nuque et le trait de la douleur passa sur son visage, autant que celui de la lassitude. Avant de passer le pas de la tente, il s’arrêta et regarda Violine de profil.

 

Je ne vous ai jamais voulu du mal, Dame Trevelyan. Au contraire...

Une inquiétude sincère remplaça la dureté de ses traits précédents.

Alors, si vous pouvez y consentir, restez loin de la zone de combat tant que votre sœur représente une menace pour vous. Je n’ai aucune envie de devoir attenter à vos jours... Aucune.

 

Dame Trevelyan acquiesça alors, croisant les bras dans un geste qui se voulait protecteur, et en baissant les yeux. À ses oreilles parvint le son d’un bouclier raclant le sol qui lui fit relever la tête, juste avant que Cullen ne s’en allât vers les combats, dont les bruits funestes lui parvenaient. Dans un mouvement qu’elle ne comprit pas réellement, ni n’anticipa, elle se précipita vers lui et lui saisit le bras. L’homme se tourna vers elle et ses doigts serrèrent le tissu de son manteau alors qu’il l’interrogeait du regard.

 

Commandant, faites attention à vous, je vous en prie.


Elle soutint son regard un court instant, avant de le poser sur sa main et de parcourir l’avant-bras jusqu’à la main qui tenait son épée. Vous êtes mon seul soutien ici et je ne l’oublierai pas.


Je ferai au mieux.



Elle le relâcha et le vit partir à la hâte en direction du Temple tout en envoyant des ordres à tour de bras. Restée seule, la mage soupira et se laissa tomber assise sur la seule chaise de la petite retraite. Des temps bien incertains se dessinaient désormais devant elle et devant tout Thédas.


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