Le Mystère des Lapins-tonnerre

Chapitre 2 : C2 : Quelqu'un a demandé un docteur ?

4552 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:28

CHAPITRE II

CLARA OSWALD

Penchée sur le corps inerte du Docteur, Clara le secouait en vain. Il ne semblait pas vouloir se réveiller. Il était soudain tombé d'un seul coup au beau milieu d'une phrase (d'ailleurs incompréhensible, ce qui ne la changeait pas beaucoup). Elle avait écouté les cœurs l'un après l'autre, un peu intimidée de poser son oreille sur la poitrine de cet inconnu. Ils battaient. Mais quant à dire si c'était un battement normal… Qu'est-ce qu'un battement de cœur normal chez un Seigneur du Temps ? Un deux trois quatre ? Un deux trois ? Un deux trois quatre ? Un deux trois ?

― Ohé, vous m'entendez ? Réveillez-vous la Belle au Bois Dormant !

Elle était partagée entre le bon sens qui lui disait qu'il fallait peut-être le laisser se reposer et une sourde inquiétude sur ce battement qui avait l'air bancal. Elle réécouta. Un deux trois quatre… Un deux… Un deux trois… Un deux.

― Non… non… quelque chose ne va pas ! Tardis ! Tardis ! Je t'en supplie? Aide-moi ! Le Docteur est malade ! Et franchement, je ne sais pas quoi faire ! Il n'est jamais malade !

L'interface du Tardis se matérialisa et comme la dernière fois, Clara constata qu'elle avait pris sa propre apparence, prétendument parce que c'était la seule personne qu'elle aimait… Une insulte version Tardis pour lui faire comprendre qu'elle la trouvait égoïste… Sa frêle silhouette menue aux cheveux bruns lisses et au petit nez retroussé, la contemplait d'un air assez froid. Mais elle n'avait pas le temps de se chamailler avec elle.

― Tardis merci ! As-tu des données sur la santé des Seigneurs du Temps ? Est-ce que tu sais si le Docteur est dans son état normal ?

Non, répondit son double.

― Non tu n'as pas de données ? Ou non il n'est pas dans son état normal ? » s'exaspéra Clara. Je crois que son cœur ne bat pas bien, qu'est-ce que je peux faire s'il fait un arrêt cardiaque, il y a des trucs spéciaux à savoir ?

L'interface commenta :

― Vous devrez faire repartir les deux cœurs par un massage cardiaque identique à celui que vous pouvez pratiquer sur quelqu'un de votre race.

Clara serra les mâchoires.Son double ajouta, avec un air insupportable qui devait se vouloir didactique :

― En lui tapant très fort sur la poitrine et en appuyant sur les coeurs entre deux insufflations d'air…

― Oui je vois… coupa-t-elle. Et il n'a personne dans le coin ? Une planète où je pourrais trouver un médecin ?

― La physiologie des Seigneurs du Temps est inconnue à la plupart des races de l'univers, objecta l'interface d'un ton légèrement condescendant. Voulez-vous que j'envoie un signal de détresse quand même ?

― Mais oui ! Envoyez ! Envoyez ! Si on est à mille années lumières de tout, je ne sais pas si ça va servir à grand ch…

Le bruit de quelqu'un qui frappait à la porte l'interrompit. Quatre petits coups secs. Toc toc toc toc. Interloquée, Clara se redressa en cherchant d'où ça provenait. Toc toc toc toc. Elle regarda son double qui restait prodigieusement immobile.

― On a atterri quelque part ? Il y a quelqu'un dehors ? s'étonna-t-elle.

― Non nous sommes toujours en vol. Et oui, notre signal de détresse a été entendu.

Clara eut un sourire radieux en se relevant. Elle épousseta sa jupe et ses collants.

― Je reconnais que j'ai manqué de foi, Tardis, tu es formidable.

Légère, elle s'élança vers la porte.

― Il y a quelqu'un là-dedans ? fit une voix venant de l'extérieur. Je vais entrer…

― Attendez, j'arrive ! Vous ne pourrez pas entrer si je ne vous ouvre p…

Les mots moururent sur ses lèvres quand elle aperçut un grand sourire sur un visage connu qui venait de s'afficher dans l'embrasure.

― Quelqu'un a demandé un Docteur ?

Elle resta bouche bée quelques secondes de plus, face à celui qui venait d'entrer dans le Tardis. Il tenait dans la main gauche son portefeuille avec le papier psychique. La dégaine la plus cool du monde dans un costume marron rayé, son manteau qui lui battait les chevilles, des cheveux en bataille, des lunettes aux montures noires censées lui donner l'air plus intelligent, il lui souriait de toutes ses dents avec un clin d'oeil. Clara ferma les yeux et serra les poings en signe de victoire tout en s'écriant :

― Merci mon Dieu !

La dixième incarnation du Docteur finit d'entrer et referma la porte derrière lui d'un simple claquement de doigts. D'un geste souple du poignet, il referma le portefeuille qu'il rangea dans une poche intérieure.

― Allons, pas de ça entre nous, commença-t-il d'un air taquin en appuyant sa main gracieusement sur la poitrine, vous pouvez m'appeler John Smith… J'ai reçu un appel de détresse et je suis venu voir si je pouvais faire quelque chose.

Clara retrouva enfin la parole et lui sauta au cou.

― Docteur ! C'est vraiment vous ? Mais le Tardis vient juste d'envoyer ce message…

― Wow, wow. Doucement jeune fille, l'arrêta-t-il en défaisant gentiment ses bras de là où elle les avait mis. Oui, oui, bien sûr que c'est moi, mais vous savez, quand on peut voyager dans le temps… Et vous êtes… euh… charmante, et manifestement la compagne du Docteur. Qu'est-ce qui se passe ici ? demanda-t-il en jetant des regards fureteurs un peu partout.

Le visage de Clara se décomposa.

― Oh, non, Docteur, vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Clara !

Subitement inquiétée par la situation qu'elle commençait à discerner, elle se mit à marcher de long en large en se mordant la lèvre.

― C'est bien ma veine ! Si vous êtes une version de vous qui ne me connait pas, il y a un risque pour vous et vous allez devoir repartir immédiatement !… comprit-elle en se tordant les mains. Il paraît que votre femme tenait le compte de vos rencontres mutuelles, je commence à comprendre pourquoi !...

― Hep, hep, hep ! Pas un mot de plus… Je n'ai pas de femme pour l'instant.

Clara posa une main sur sa bouche.

― Vous voulez dire qu'Elisabeth ne compte pas ?

Le Docteur sortit une main de ses poches et se gratta le cou.Il s'amusait beaucoup, mais il décida de ne pas la faire languir plus longtemps.

― Non Clara, je vous fais marcher. On s'est vus tout à l'heure, avec Grand-père et Monsieur Menton… Je sais très bien qui vous êtes.

― Tout à l'heure ! hoqueta-t-elle.

― Bon… d'accord. C'était peut-être il y a un peu plus longtemps… admit-il. Mais c'est bon de vous revoir ! J'ai vraiment hâte de voyager un jour avec vous ! Monsieur Menton a trop de chance… à tous les plans. Super compagnie, superbe Tardis refait à neuf…

Il s'approcha d'un pas nonchalant vers la console du Tardis.

― Hey ma beauté, tu sais que tu es magnifique comme ça ! dit-il en caressant un écran. J'adore vraiment trop ces machins ronds… Et où est-il, le petit veinard ? ajouta-t-il en se retournant.

Mais son sourire s'effaça instantanément lorsque son regard tomba sur deux jambes qu'il voyait dépasser par terre, le haut du corps était masqué par la console.

― Clara ! Vous me laissez babiller ! C'était ça le signal de détresse ? Monsieur Menton a des problèmes ? demanda-t-il en sautant pour rejoindre le corps.

Il disparut en un clin d'œil de la vue de Clara qui n'avait pas le temps de l'arrêter ou de le prévenir.

― Docteur, attention, ce n'est pas ce que vous…

― QUOI ?

Il se redressa brusquement et recula vers elle, l'air sincèrement choqué.

― QUOI ?! répéta-t-il.

Elle s'approcha de lui timidement et le regarda d'un air mi-figue mi-raisin pour déclarer :

― Ce n'est pas Monsieur Menton, mais oui il a de gros problèmes je crois.

Le dixième Docteur se passa les mains sur la figure et ébouriffa davantage sa tignasse. L'air inquiet à son tour, il commença à marcher de long en large, avec l'air de quelqu'un qui rumine une décision difficile.

― Clara, commença-t-il prudemment, je suis désolé, vraiment désolé… Vous aviez peut être raison. Je crois que je ne devrais pas être ici et qu'il me faut partir…

Elle pencha la tête d'un air entendu et dit :

― Mais… ?

― Mais ce que je vois est incompréhensible, et le fait que j'aie pu arriver jusque-là l'est aussi. Si ce que je crois est juste – même si j'ignore comment ça aurait pu se produire – alors mon propre Tardis aurait dû m'empêcher d'entrer.

― Si vous n'êtes pas un tout petit peu plus explicite… soupira-t-elle.

Il se retourna pour regarder le corps de l'homme étendu sur les grilles.

― Est-ce qu'il vit ? demanda-t-il.

― Oui, mais ses battements de cœur me semblent très inquiétants.

Pendant qu'elle parlait, il avait sorti son tournevis sonique et l'avait pointé en direction du corps pour une brève analyse. Il pirouetta sur lui-même en le rangeant rapidement.

― Et voilà, c'est un Seigneur du Temps ! s'exclama-t-il comme s'il détestait avoir raison. Clara, c'est homme allongé là… est-il la nouvelle incarnation du Maître ? »

― Qui ça ? fit la jeune femme.

― Le Maître ! Harold Saxon ! Vous en avez forcément entendu parler, non ?

― Quoi ? Le premier ministre était un Seigneur du Temps !

Le Docteur grimaça et agita une main.

― Il a son manteau pourtant… Non, bon oubliez ça immédiatement. Ecoutez Clara, je vais essayer d'être franc envers vous, je connais cet homme… enfin je l'ai déjà rencontré. C'était il y a très très longtemps et… »

― Docteur, bien sûr que vous le connaissez ! C'est VOUS ! Votre futur vous ! »

― QUOI ?!

― Arrêtez de répéter ça continuellement ! s'échauffa-t-elle. Il est allongé là depuis une heure et il ne bouge pas ! Après la régénération, il est tombé d'un coup. Il m'est impossible de le réveiller et je ne sais pas ce qui est normal pour un Seigneur du Temps. Je croyais qu'ils ne dormaient jamais…

Le Docteur pencha la tête vers le bas d'un air triste. Il ressortit machinalement le sonique pour jeter un nouvel œil sur les mesures.

― Il ne va pas très bien non, en effet, admit-t-il. Ah… Je ne devrais pas le demander mais… c'est l'incarnation qui a suivi celle de Monsieur Menton ? ou y en a-t-il eu d'autres ?... Parce que si l'on tient compte du fait qu'il n'avait plus la possibilité de se régénérer, pour le coup, il irait plutôt mieux que prévu…

Clara hocha la tête.

― C'est celle qui suit mon Docteur. Enfin je veux dire, le Docteur. Je suppose que je ne dois pas vous dire quoi que ce soit sur ce qui s'est passé à Trenzalore…

― En effet ! la coupa-t-il avec un œil au sourcil alarmé en lui faisant signe de se taire.

― …mais disons qu'il s'est produit quelque chose d'inattendu, comme vous le voyez vous-même, et que le Docteur s'est régénéré. Je ne crois pas qu'énoncer l'évidence puisse causer le moindre dommage pour vous et vous apporter une information que vous n'aviez pas depuis déjà depuis dix minutes…

Le Docteur acquiesça et ôta son manteau lentement avant de le jeter machinalement là où… les infrastructures habituelles ne se trouvaient pas. Il le regarda tomber. On n'était pas dans son Tardis… L'air très sombre, il s'agenouilla près de Caecilius l'homme dont il avait sauvé la vie à Pompéi. Semblant parti loin dans ses propres réflexions, il dépliait un stéthoscope qui venait d'apparaître comme par magie entre ses mains. Clara ne pipait mot, pour le laisser travailler, mais quand il sortit une petite fiole de sa poche, elle sentit une question lui démanger les lèvres. Il la déboucha et entrouvrit les lèvres de son « patient » pour verser environ la moitié du liquide ambré qu'il contenait. Il fallait qu'il en garde un peu.

― S'il vous plait Clara, pouvez-vous m'aider à le transporter pour l'installer plus confortablement ? Il en a pour quelques dizaines de minutes encore avant que ça ne commence à faire effet. Peut-être un peu plus car d'habitude, il ne faut pas l'administrer sous forme liquide…

― Quoi, vous faites des cubes de glace sur un bâtonnet ? demanda-t-elle pour lui arracher un sourire.

― Une inhalation, plutôt, dit-il en souriant enfin.

Le coeur de Clara se serra en voyant comme il était charmant et prévenant pendant qu'ils transportaient « la belle au bois dormant ». Pas du tout comme son nouveau lui…

― Ma chambre n'est pas loin, indiqua-t-elle. En fait je ne sais pas si vous en avez une, alors mieux vaut peut-être parer au plus pressé.

― Ça sera parfait, répondit-il brièvement sans relever la question implicite. Juste le temps qu'il reprenne ses esprits.

Comme elle redoutait terriblement le moment où il allait dire qu'il allait devoir partir, elle continua de plus belle sur le ton de la conversation, comme s'ils n'étaient pas en train de porter dans l'escalier un homme qui, en dépit de son apparence svelte, semblait peser autant qu'un cheval mort.

― Et de quelle planète vient donc ce remède miracle propre à réveiller les Seigneurs du Temps alors qu'ils ne dorment jamais ?

― C'est du thé de Jackie Tyler… un thé anglais du début du 21e siècle.

― Docteur, je suis moi-même de cette époque et je n'ai jamais entendu parler de cette marque… Si vous ne voulez pas me dire d'où vient cette potion parce que je n'ai pas le droit de le savoir, il est inutile de me mentir…

Le Docteur indiqua par signes qu'il réclamait une petite pause alors qu'ils arrivaient en haut de l'escalier. Ils posèrent le Docteur cataleptique un court instant pour raffermir leur prise.

― C'est pourtant la plus pure vérité, protesta-t-il d'un air faussement indigné.

― Et bien apprenez que monsieur Menton a un rapport spécial avec la vérité, expliqua-t-elle. Enfin… « avait » un rapport spécial… Il balançait des règles à tout bout de champ. Règle numéro un… dit-elle tendant un index en l'air et en faisant mine de rajuster un nœud papillon invisible.

Le dixième docteur enchaîna machinalement :

― … interdiction de vagabonder partout sans me le dire ! Oui ! Je le fais toujours alors ? opina-t-il avec un large sourire satisfait.

Clara éclata de rire devant sa mimique rayonnante et ils durent reposer le Docteur pour éviter de le laisser tomber malencontreusement, alors qu'ils remontaient le couloir qui menait à la chambre de la jeune femme.

― Ha, ha, ha ! Ce n'est pas celle à laquelle je pensais… Attendez, attendez, laissez-moi reprendre mon souffle.

― En fait, je pourrais le porter tout seul…, plastronna-t-il.

― Vantard ! commenta-t-elle.

― … mais j'aime votre compagnie, termina-t-il en poussant d'un coup de reins la porte de la chambre que Clara lui indiquait de la tête. Je suis plus fort que je n'en ai l'air, termina-t-il en soulevant effectivement le Docteur endormi sans effort apparent pour le déposer sur le lit.

― Alors vous vous donnez volontairement l'air d'un nerd à lunettes pour qu'on vous sous-estime ?

Encore une fois il ne répondit pas, mais non sans lui avoir jeté un coup d'œil assorti d'un sourire en coin fugace. Avec des gestes de mère, il arrangea l'oreiller sous la tête du Docteur et déploya sur lui une couverture qui était posée sur une chaise à côté.

― Ça, ne prend pas encore sur tout le monde, on dirait bien, commenta-t-il comme pour lui-même. Vous vouliez le faire peut-être ? demanda-t-il en arrêtant son geste.

― Non ! répondit-elle un peu trop vite.

Le Docteur ne fit aucun commentaire et entreprit de délacer les chaussures avec plus de patience affichée qu'il n'en avait réellement. Et se sentir observé par Clara n'arrangeait rien.Il y avait quelque chose de spécial à son propos. Autour d'elle le temps se courbait d'une façon étrange. Il n'était pas sûr de la façon dont il pouvait l'interpréter. Et ce qui le chagrinait un peu, c'était qu'il se doutait qu'il n'aurait pas le temps d'éclaircir ce mystère. Il était évident qu'elle retenait des questions mais pas son côté taquin qui se manifesta bientôt :

― Laissez-moi deviner, votre sonique ne fait pas le lacet ? ironisa-t-elle en repensant à l'aventure de la porte en bois du donjon élisabéthain.

― Non toujours pas, répondit-il l'œil pétillant. Si vous vous occupiez l'autre pied, ça irait un poil plus vite, suggéra-t-il.

Le regard fixe, Clara approcha la main sans le toucher et elle resta immobile.

― Il ne va pas vous mordre, vous savez.

― Sans doute pas tant qu'il est endormi, répondit-elle mais sans le ton moqueur qu'il attendait.

Il défit l'autre chaussure et rangea la paire à côté du lit. D'un geste du sonique sans même regarder, il pointa le plafonnier dans son dos pour éteindre la lumière.

― Laissons la porte ouverte, dit-il en quittant la pièce. Vous l'entendrez quand il se réveillera.

Elle trottina en silence derrière lui jusqu'à la salle de contrôle, pressentant que le moment redouté arrivait. Elle le vit effectivement s'avancer jusqu'à son manteau qu'il ramassa. Il allait partir.

― C'est le moment où vous me dites que vous devez filer, c'est ça ?

― Ouaip, répondit-il avec un sourire.

― Vous ne préférez pas rester jusqu'à son réveil complet ? Pour vous assurer que tout va vraiment bien ? demanda-t-elle avec des yeux suppliants.

― Je me sens déjà… extraordinairement privilégié d'avoir pu vous rencontrer une seconde fois, dit-il en passant son manteau.

Ne partez pas, ne partez pas, ne partez pas, récitait mentalement Clara. Elle fit un geste vers sa manche comme pour le retenir et il fit mine de le comprendre comme l'esquisse d'une accolade. Il la serra contre lui et dit alors doucement :

― Clara, laissez-lui une chance. Une petite chance.

Elle recula et plongea son regard dans ses grands yeux sombres, l'air hésitant et coupable à la fois. Comprenait-il ce qu'elle ressentait ?

― Ne le fuyez pas, insista-t-il. Ne partez pas. Au moins pas tout de suite, et pas aujourd'hui.

Elle détourna les yeux, un peu intimidée qu'il puisse si bien deviner son désarroi. D'un doigt il ramena son visage vers lui.

― Promettez-le moi.

Elle essaya de se dégager et dit dans un souffle :

― Je ne le connais pas… et il est… tellement différent.

― C'est faux. Je vous assure que c'est faux ! plaida-t-il en la retenant. Moi, et Monsieur Menton, et Grand-père et tous les autres, nous sommes là avec lui. Il se souvient de ce que nous avons vécu. Il a nos souvenirs. Laissez-lui le temps de vous le prouver… Regardez… il vous a fabriqué ce… euh… et bien… toaster à particules... Vous aimez beaucoup les toasts ?

Clara jeta un œil sur l'objet et elle fronça les sourcils.

― Vous venez de le sortir de votre poche ?

― Non, il était là près de la console.

― Je n'ai jamais vu ce truc et je ne pense pas qu'il ait eu le temps de le fabriquer entre la régénération et le moment où il s'est évanoui…

― Nous sommes les deux seuls dans le coin à pouvoir fabriquer un truc de ce genre, et je vous jure que ce n'est pas moi…

Elle était terriblement tentée de partir avec lui et les mots se formèrent d'eux-mêmes sans qu'elle ait le temps d'y réfléchir :

― Docteur, emmenez-moi avec vous.

― Vous êtes déjà avec moi, dit-il en souriant de son air le plus raisonnable.

― Vous avez compris ce que je veux dire !

― Et vous aussi, répondit-il en redevenant sérieux. Ce n'est pas possible, Clara, je suis désolé.

Il se leva et recula en direction de la porte.

― Pourquoi ?

― Parce que j'ai enfin compris pourquoi je pouvais être ici, alors que mon Tardis n'aurait pas dû pouvoir m'y conduire, et que ce Tardis n'aurait même pas dû me laisser entrer.

― Ce qui veut dire ?… l'encouragea-t-elle en se rapprochant de lui.

― Je ne vois qu'une seule raison pour l'expliquer. Comme disent des amis à moi : ma chanson touche à sa fin.

― Votre chanson ?

― C'est une métaphore, concéda-t-il avec un sourire plus triste.

― Je ne comprends toujours rien à ce que vous dites, Docteur, vous le savez ça ?

― Oui je le sais. Prenez soin de vous, chère Clara. Je dois vous laisser car j'ai d'autres amis à voir à présent, j'ai fait juste un petit détour.

Clara avait du mal à retenir ses larmes. Comment pouvait-il la laisser seule avec cet inconnu ? Perdre une première fois le Docteur, son Docteur, c'était déjà assez difficile. Mais perdre celui-ci presque aussitôt… Il lui adressa un gentil sourire et après un signe de la main, la porte du Tardis se referma.

C'en était trop. Elle laissa ses larmes éclater.

La porte se rouvrit cinq secondes plus tard, et le dixième Docteur fut près d'elle en trois enjambées. Elle sentit ses bras autour d'elle, et ne songeait même pas à résister. Elle pleura de plus belle à gros sanglots.

― Clara, murmura-t-il en la serrant, ne pleurez pas. Je ne peux pas rester. Je vais… Je suis moi-même sur le point de me régénérer. C'est pour ça que j'ai pu répondre à cet appel de détresse, parce que j'en suis si près, que cette entorse aux règles du Temps ne pourra plus rien changer à mon destin maintenant… Vous comptez beaucoup pour lui, soyez-en sûre. Il aura peut-être du mal à l'admettre mais c'est vrai…

― Comment pouvez-vous le savoir ? Il est votre futur… Vous connaissez votre futur ?

― Et bien… il n'est plus temps d'entrer dans des détails techniques maintenant, mais… oui et non… Les Seigneurs du Temps voient la trame du Temps et sont capables d'en percevoir les variations… mais ce n'est pas pour cela que je le sais. Je le sais parce que vous étiez là au moment de sa régénération.

― Et alors ? renifla-t-elle. Je sais bien que j'étais là, et je ne peux penser à rien d'autre depuis…

Il la serra une dernière fois et murmura quelque chose à son oreille.Elle eut le sentiment d'un arrachement quand il recula et repartit vers la porte en courant. Elle resta là ébahie, les bras ballants au beau milieu de la salle de pilotage, à repasser les mots qu'il venait de prononcer.

― Croyez-moi : lui aussi.

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