Le jour du Choix

Chapitre 0 : Le jour du choix (défi juillet/août)

Chapitre final

5673 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/08/2017 15:10


Cette fanfiction est écrite dans le cadre du défi de juillet/août 2017 (reprise du défi de juin : Self-Insert).

Merci à OldGirl pour sa prélecture et ses bons conseils


Le jour du Choix


« Dis-leur que tout ce que j'avais espéré sera impossible… »

James Arthur- Impossible


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Moi, c'est Mahora. Je suis la fille  de Jeanine Mathews, la leader des Erudits. Hier, j'ai passé mon test d'aptitude. Mon résultat ? Divergente. Un secret qui peut me tuer... Enfin, surtout parce que ma mère tue les Divergents… Décidément, j’ai une chance de folie.

_____


Aujourd'hui : jour de la cérémonie du choix. Pour faire court, à seize ans, on passe notre test d'aptitude, vite suivi de cette cérémonie barbante où l'on choisit sa faction. Mon test a donné Divergente, mais je suis officiellement dotée d'un résultat Érudit. Comme si j'avais la tête assez pleine pour vivre ad vitam æternam dans cette faction ! Wouhou.

Mon choix à moi ?


"Reste chez les Érudits, tu devras supporter ta mère, mais tu survivras. Normalement..." ou

"Pars. Avec un peu de chance, tu échapperas à cette connasse".


Cette année, ce sont les Érudits qui présentent la cérémonie du Choix. En l’occurrence, ma mère, Jeanine, appelle un par un les jeunes de seize ans qui choisissent leur faction aujourd'hui.


Un Altruiste nommé Tobias passe juste avant moi. J'observe la scène. Chaque coupe devant lui représente une faction. Dans chacune des coupes, une matière : des galets pour les Altruistes, des charbons ardents pour les Audacieux, du verre pour les Sincères, de l'eau pour les Érudits et de la terre pour les Fraternels. Il passe la lame du couteau sur sa main, et laisse son sang couler dans la coupe des Audacieux sans hésiter. C'est le troisième de la journée à "trahir" sa faction d'origine. Je serai la quatrième dans quelques instants.


Je sais que je vais quitter les Érudits. Ma mère est cauchemardesque. Ma sœur s'en est suicidée. Mais où vais-je aller ?


Altruiste ? Je serais bien incapable de m'oublier pour les autres.


Fraternelle ? Je suis gentille, mais peut-être pas assez pour les critères exigeants de cette faction.


Sincère ? Je suis franche. Mais il m'arrive de temps en temps de mentir et ce n'est pas autorisé chez les Sincères.


Reste alors la faction des Audacieux... J'aime le danger. Je suis courageuse. Je contrôle à peu près mes peurs. Avec un peu de chance, je passerai. De justesse peut-être, mais je pense pouvoir réussir leur initiation. Mais suis-je sûre de mon choix ? Si je fais le mauvais, je risque bien de me retrouver sans-faction, soit SDF. A vrai dire, je préfère mourir, même tuée par ma "mère".


Ma génitrice appelle mon nom. C'est mon tour. Quand je passe devant elle, elle me souffle, de son haleine fétide :


« Choisis bien, ma fille ».


Je prends le couteau qu'elle me tend. Je le fais glisser sur ma paume, et je me rends compte que même si ça paraît très simple, c'est vraiment douloureux. Non mais, honnêtement, est-ce qu’on ne pourrait pas simplement faire un choix à main levée ? Ce serait plus simple, ça ferait moins souffrir, et ce serait moins pompeux. Mais bon, c'est comme ça.

C'est ainsi que, sans que je ne puisse réfléchir plus, ma main se place au-dessus de la coupe des Audacieux, et mon sang coule sur le charbon. Voilà, je suis désormais une novice audacieuse. J'ignore les exclamations blessées de mon ancienne faction. J'ignore aussi le faux air désolé de ma mère, qui ne fait que jouer un rôle. Et je me place dans les rangs de ma nouvelle faction, à côté de Tobias. J'ai le sentiment de faire tache, moi, la jolie à la touffe de boucles lâchée et assumée, sous mon maquillage soigné et ma jolie robe bleue au milieu de tous ces gens tatoués, pleins de piercings et vêtus de noir. Ça fait un peu "princesse au milieu des punks". Une voix grave et rauque me sort de mes pensées.


« C'est toi, la fille de Jeanine ? 

Je souris à Tobias.


— Oui. Et toi ?... Toi, tu es le fils de Marcus.

Il hoche la tête. Marcus est un leader de la faction Altruiste. J'ai croisé de loin le joli minois de Tobias une ou deux fois dans des dîners entre leaders où ma mère m'avait traînée. Je lui tends ma main.


— Je suis Mahora.

Il glisse sa main – chaude, rugueuse, agréable – dans la mienne.


— Tu sais que tu peux changer de nom en changeant de faction ?

Mon sourire s'agrandit.


— Alors appelle-moi Nora. »

_____


Lorsque que la cérémonie du Choix se termine, les Audacieux sortent les premiers et dévalent les escaliers. Je reste aux côtés de Tobias. Je ne sais pas vraiment où nous allons, mais les novices que nous sommes y allons en courant – transferts, (qui ont changé de faction) et natifs (qui sont restés dans leur faction d'origine) se mélangeant aux membres (ceux qui ont réussi leur initiation les années précédentes)... Nous traversons la ville en courant, puis nous arrêtons près de la voie ferrée. Ce trajet en robe et ballerines m'a é-pui-sée. J'entends le signal du train résonner au loin. Je sais que les Audacieux ont pour habitude de le prendre en marche. Plus précisément, de sauter dans ses wagons quand il est lancé à pleine vitesse. Oui, c'est un peu différent présenté de la seconde manière.


« Tu penses vraiment qu'on va prendre ce train en marche pour notre premier jour ? demandé-je à Tobias.

Il répond avec un haussement d'épaules.


— Bah, c'est pour ça qu'on a choisi d'être Audacieux, non ? Faire des choses complètement folles par plaisir.


— Ouais... »


Je repense brièvement à la seule chose que l'on faisait par plaisir dans ma faction : dévorer des bouquins ennuyeux pour se bourrer le crâne de connaissances. Ici c'est plus : se gaver d’actions folles pour se bourrer de sensations extrêmes.


Le train arrive à notre portée. Les confirmés sautent aisément dans les premiers wagons, accompagnés des natifs. Les novices transferts hésitent plus longtemps. Tobias s'élance en courant de ses jambes musclées, s'accroche à une poignée et tombe lourdement dans un wagon. Je l'imite. Je me mets à courir, attrape la même poignée que lui et me propulse dans le train. J’atterris en roulant et me retrouve couchée sur lui. De près, je remarque que ses yeux sont d'un bleu sombre sans fond, ses iris parsemés de minuscules taches dorées, comme une nuit étoilée. Le temps se suspend quelques secondes, puis je m'éloigne à contrecœur de lui.


Je m'assieds à côté de lui et commence à discuter avec une certaine Murielle, un autre transfert des Altruistes. C'est une jolie brunette avec des yeux vert clair. Elle est gentille et amusante, son côté naïf lui donne un air touchant.

_____


Nous arrivons en vue du quartier général de la faction. La masse noire des Audacieux commence à sauter du train. Je les imite, suivie de près par Tobias et Murielle. Je ne me rends compte qu'après avoir atterri que j'ai sauté sur le toit d'un immeuble de sept étages, évidemment séparé d'un mètre ou deux de la voie ferrée. Ce qui explique pourquoi deux transferts sont restés dans le train, n'osant pas sauter. Ils viennent de sceller leur destin, un destin de sans-faction. Je les plains.


« Oh. Tiens. Regardez qui voilà. Mahora.

Je reconnais cette voix. Mon sang ne fait qu'un tour.


— Eric ?

Je me retourne vivement sur Eric, mon ex petit-ami, devenu un de mes pires ennemis, après la montagne de problèmes qu’il m’a causés.


— Je suis étonné. Mahora a choisi les Audacieux...


— Ce n'est plus Mahora. C'est Nora.


— Nora... En mémoire de ta sœur ?


— Je ne te permets pas de parler d'elle. »


Je me détourne de lui, puis rejoins le groupe de novices, agglutiné autour d'un homme visiblement membre. Il nous explique que la seconde étape de notre initiation consistera à sauter du toit. Je frissonne. Sauter dans un train en marche est une chose. Sauter d'un train toujours en mouvement sur un toit en est une autre. Mais sauter du haut d'un immeuble de sept étages, ça tient carrément de la folie !


Je me mets cependant en file indienne derrière Tobias. Pour se mettre à l’aise, il retire sa tunique large et grise d'Altruiste. En dessous, il porte un t-shirt gris sur son jean de même couleur. Il est plutôt mignon dans son t-shirt à manches courtes légèrement moulant qui laisse deviner ses abdominaux Il prend son élan et saute le premier. J'enchaîne. En bas, je vois une sorte de puits noir sans fond. En tant qu'ex-Érudite, je comprends que si Tobias était tombé sur une surface dure, alors on aurait probablement entendu le bruit du choc, un cri ou je ne sais quoi. Parfois, j’ai l’impression que je suis un vrai génie.


J'essaye vainement de me rassurer. Mais là, au bord du toit, il est trop tard pour me dégonfler. Surtout que donner motif de satisfaction à ma mère serait la dernière chose à faire. Alors je saute, et j'atterris dans un filet. Tobias m'aide à en descendre, et nous attendons aux côtés de ceux qui se sont présentés comme nos instructeurs : Max et Damian. Une fois que tous les novices ont sauté, on nous dirige dans un tunnel. Un tunnel long, sombre, flippant, entre nous.


Arrivé à destination dans un vaste espace plus dégagé, Max prend la parole.


« C'est ici que nos routes se séparent. Natifs, suivez-moi ; transferts avec Damian. »


Nous nous répartissons comme on nous le demande et je me rends compte que les transferts ne sont qu'une dizaine. Trois Altruistes, deux Sincères, trois Érudits et deux Fraternels.

Damian nous montre la Fosse, une immense grotte souterraine où sont creusées dans la paroi diverses salles (cafétéria, stock de vêtements, espace de loisirs, tatoueur, perceur...). Nous allons nous prendre des vêtements d'Audacieux dignes de ce nom (un débardeur décolleté et ajusté et un jean pour moi), puis Damian nous présente le Gouffre, un torrent d'eau violent avec pour seule sécurité une barrière métallique en haut de la falaise qui le surplombe.


« Pause déjeuner dans une heure. Ensuite, vos premiers entraînements. Vous avez une heure de libre. Tâchez de revenir entiers. »

Damian tourne les talons et nous laisse vaquer seuls. La plupart du groupe des transferts s’éparpille par petits groupes dans la Fosse. Je m'apprête à suivre Murielle, quand quelqu'un m'attrape le poignet. Je me retourne.


« Oui, Tobias ?


— Ça te tente de découvrir le dédale de tunnels qu’on a vu tout à l’heure ? 


Il me prend par la main et me fait traverser la Fosse. Après avoir cherché et slalomé dans les différents tunnels, on s'arrête dans un cul-de-sac, sous une lumière bleue. Il s'adosse au mur et lâche ma main.


— Qu'est-ce qu'on fait là ?


— A ton avis ?

Il fait mine de me faire un clin d’œil. Je ricane.


— Bien... Parle-moi de tes origines, propose-t-il.


— Y'a pas grand-chose à savoir, tu sais. Je ne connais pas mon père. Mais ma mère nous a dit que c'était un Altruiste. Elle ne nous a jamais voulues. Elle ne nous a jamais aimées.

Tobias fronce les sourcils.


— Nous ?

Ma gorge se noue. Je n'ai pas remarqué que j’ai parlé au pluriel.


— Oui... Moi... et ma sœur jumelle.


— T'as une sœur jumelle ? relève-t-il en souriant, l'air curieux. Elle a choisi quelle faction ?


— Ma sœur... Elle... Nori s'est suicidée il y a trois ans.

Je dois cligner des paupières pour refouler des larmes.


— Oh... Je suis désolé.

Il prend ma main.


— C'est pour ça que tu as choisi Nora comme prénom ? En sa... mémoire ? poursuit-il d'une voix douce.


Je presse sa main, je hoche la tête. Nori, Mahora... Nora. Il se racle la gorge :


— Je... Je comprendrais que tu refuses d'en parler, tu sais.


— Non !

Il hausse les sourcils, étonné par ma réaction.


— Non... Ça fait du bien... d'extérioriser.

Je lâche un sourire sans joie. J'ai l'impression d'être avec un psy. Sauf que Tobias m'est inconnu. Enfin, un inconnu qui remue pas mal de choses en moi.


— Je vois. Alors... pourquoi Nori a... Enfin... pourquoi elle s'est suicidée ?


— Jeanine… Enfin, ma "mère", a toujours été horrible avec nous. Moi, ça allait, je me contrôlais. Je savais qu'à seize ans, je pourrais partir. Nori, elle... Elle était faite pour être une Sincère.

J'ébauche un sourire avant de continuer.


— C'était tendu à l'extrême entre elle et Jeanine. Et... ça lui arrivait de... frapper ma sœur. Surtout au début de l'adolescence.

Ma gorge se noue, je continue d'une voix étranglée.


— Ma sœur... Elle était sensible. Elle ne demandait qu'une chose, l'amour d'une mère. Elle n'a eu que ses coups... Elle ne l'a pas supporté : elle s'est jetée du toit du collège des Érudits.

Tobias lâche ma main et m'attire contre lui, dans un élan de compassion. J'ai la tête contre sa poitrine, je sens son cœur battre au moins aussi rapidement que le mien. Le poids qui pesait sur ma poitrine s’allège, laissant place à du désir. Bonne nouvelle, je craque pour un gars que je ne connais pas ! Bonne nouvelle ! Je sens cependant mes larmes rouler lentement sur mes joues. Je sens ses lèvres bouger contre mon oreille tandis qu'il me murmure tout bas :


« J'ai quitté les Altruistes parce que mon père... me frappait. »


Choquée par cette révélation, je relève la tête. Si vite qu'il n'a pas le temps d'esquiver mon mouvement brusque, et nos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Il a l'air gêné par sa révélation. Normal, ce n'est pas rien d'annoncer à une inconnue qu'on se fait battre par son père.


Son souffle tiède chatouille mes lèvres. Il essuie lentement les larmes qui ont coulé sur mes joues, puis échange vivement nos positions : si bien que c'est moi qui me retrouve adossée au mur. Je m'accroche à son dos, lui a une main sur mon visage et un bras autour de ma taille. J'effleure ses lèvres du bout de mes doigts. Il les pose sur les miennes, et m'entraîne dans le plus beau baiser de toute ma vie. Ma tristesse s'envole, et je réponds à sa passion avec la mienne. Okay, ça, ça fait vraiment gros cliché dans un roman à l'eau de rose. Pourtant c'est vrai. "C'est vrai aussi que tu ne le connais pas", me murmure ma conscience.


On se sépare au bout de plusieurs minutes, le souffle coupé. J'entends nos cœurs battre à l'unisson. Nous restons collés l'un contre l'autre, nos regards perdus l'un dans l'autre. Il ferme les yeux, et caresse ma joue avec la sienne. Sa main passe sous la bretelle de mon débardeur. Je me sens vibrer. Mon aveu sort en un murmure :


« J'ai envie d'être avec toi...

Je presse mes paupières sur mes yeux, apeurée par ce que je viens de dire. Ce que je viens de dire à un parfait étranger. Ça va trop vite entre nous.

— Moi aussi » souffle-t-il.


Je soupire d'aise, mon ventre papillonnant de bonheur.

_____


Tobias et moi nous dirigeons vers la cafétéria. Nous venons de passer l'heure à parler, rire, nous embrasser. Je suis aux anges : officiellement, je ne sors plus vraiment avec un inconnu arriver, radieux, main dans la main.


« Houla, vous êtes des rapides, vous ! Deux heures qu'on est dans cette faction et vous êtes déjà ensemble, se moque Murielle.


— Que veux-tu ? Un coup de foudre est un coup de foudre, dit Tobias.

Je rigole doucement et commence à manger. Tobias change de sujet.


— Vous savez ce qu'on va faire après le déjeuner ?


— Des combats, il me semble, répond Thomas.


— Des QUOI ? m’exclamé-je.


— Bah, ça va aller, opina Murielle en me souriant. Dans ma faction, on ne se battait jamais. Enfin, à part à coups de concours de culture générale ou de combats d'échecs. Ce qui n’a pas vraiment développé ma musculature, entre nous.


— Mouais... »

Mes amis n'arrivent décidément pas à me rassurer sur les combats. Je sens la main de Tobias sur mon genou sous la table. Je lui souris.

_____


Les jours passent lentement. Je fais mes preuves auprès des Audacieux. Je suis très heureuse avec Tobias. Nous avons fini tout à l'heure les entraînements physiques, où nous nous battions entre nous. Je me suis classée septième. Ce qui est un très bon score, pour une Érudite. Tobias, lui, a été placé second, derrière Eric. Non, vraiment, tout se passe délicieusement bien pour moi. J'ai parfois l'impression d'être dans un conte de fées.


D'ailleurs, nuage dans le grand ciel bleu du bonheur, aujourd'hui, c'est la visite des parents. Tout le monde sait que, pour les transferts, rares sont ceux qui font le déplacement. Mais ma mère, garce comme elle est, prendra sûrement un malin plaisir à venir me voir.


Tobias et moi ne voulons pas voir nos parents, donc nous allons nous isoler dans un tunnel en cul-de-sac. Et nous nous embrassons. Longtemps, langoureusement. Je l'embrasse comme je n'ai jamais embrassé personne. Et j'y prends mon pied. Que dis-je, j'y prends sa langue ! Hum... Bref. Enfin, ses lèvres quittent les miennes avec réticence mais je suis toujours collée contre lui, dans un délicieux enchevêtrement de membres. Il me sourit, avec la bouche et avec les yeux. Mon Dieu apportez moi un défibrillateur, je vais faire une crise cardiaque !

Mais même si je dois mourir, ce n'est pas si grave vu que je suis dans ses bras.

Je ne me rendrai compte que trop tard que j'avais appelé le destin avec cette pensée. Une voix surgit de nulle part, et nous nous éloignons l’un de l’autre en vitesse.


« Tiens tiens. Voyez qui voilà.

Je fusille l'intruse du regard et lui lâche du bout des lèvres :


— Dégage.


— Tu parles comme ça à ta mère, chérie ?

Cette dernière prend un air désolé. Mais Tobias, elle-même et moi, savons que ce n'est qu'une mise en scène.


— Ne m'appelle plus jamais comme ça. Et, tu sais très bien que je ne t'ai jamais considérée comme telle, Jeanine.


— Comme moi je ne t'ai jamais considérée comme ma fille.


— J’ai appris à me passer largement de ton amour.


— Si tu le dis. Mais je vois que tu as trouvé quelqu'un pour combler le vide affectif...

Son regard malsain coule sur Tobias. Elle s’approche de lui, son visage à cinq centimètres de celui de mon petit-ami.


— Ne le touche pas, grondé-je.

Mais elle m'ignore. Comme d'habitude.


— Pourquoi êtes-vous venue ? demande Tobias.

Un rictus cruel anime les lèvres de Jeanine, puis elle s’adresse à moi.


— J’ai malencontreusement manipulé celui qui t’avait fait passer ton test d’aptitude en échange de ton réel résultat. Il n’a pas longtemps hésité. Je sais que tu es Divergente. Je suis donc venue ici pour éliminer le problème que tu représentes.

Elle dit ça comme si elle annonçait l'heure, la météo. Je sens la main de Tobias se raidir dans la mienne, et le rictus de ma génitrice s'agrandit.


— Mais... Vous m'offrez bien meilleure perspective ; le moyen parfait de l'éliminer.


— Ça ne vous a pas suffi de lui prendre sa sœur ? gronde Tobias.

Elle ne répond pas. Elle hausse les épaules. Elle hausse les épaules, alors qu'on parle de sa fille, sa fille qui s'est suicidée à cause de ses coups, et de son autre fille, moi, dont elle va se débarrasser peu de temps.


— Je ne vous laisserai pas faire, ajoute Tobias.


— Tobias, Tobias... Eaton, c'est cela ? Le fils de Marcus ?

Jeanine recule de quelques pas, sûrement pour mieux goûter au spectacle.


— Oui, répond-il.

L'atroce femme se tourne (enfin !) vers moi.


— Ma grande, que sais-tu de ton père ?


— C'est un Altruiste. Où devrais-je dire c'était ? Tu l'as tué, c'est ça ?

Je la regarde d'un œil noir.


— Oui, et non. Ton père est toujours bien en vie.


— Où voulez-vous en venir ?

Tobias fronce les sourcils. Ma mère se met à faire les cent pas.


— Je déteste les Altruistes. Trop "bons", trop cons. Surtout trop cons. J'étais jeune. J'avais... une vingtaine d'années. Je venais d'être nommée Leader érudite. Pour fêter mon élection, une grande fête a eu lieu, réunissant les leaders de toutes les factions.

Elle pointe du menton Tobias, avant de continuer :


— Ton père était déjà élu, il avait exactement mon âge. On se connaissait vaguement. On a parlé, bu. Beaucoup bu. Il m'a droguée.

Elle laisse le silence faire son travail, puis entame la suite.


— Et puis... Il a abusé de moi.

Même en disant ça, elle est d'une froideur abominable. On parle de choses graves, horribles même, et elle reste de marbre, comme si c'était absolument banal.


— Et ?

Tobias tremble. Je lui presse la main.


— Vous devinez la suite : je me suis retrouvée avec deux jumelles. Marcus m'a grassement dédommagée, notamment en faisant monter ma cote auprès des autres leaders, et puis j'ai tracé ma route avec ces filles entre les pattes. Il a eu la même année un fils avec sa femme. Un homme, trois enfants : Tobias Eaton, Mahora Matthews et la défunte Nori Matthews. »

____


Le silence reprend ses droits. Je me laisse glisser le long du mur, lâchant Tobias, puis appuie ma tête contre son mollet une fois assise.

Je ne cille pas sous le regard froid de Jeanine, ma mère, et pourtant en moi une tempête de sentiments, tous plus contradictoires les uns que les autres, fait rage.

J'ai toujours pensé que mon père n'avait pu rester avec une femme comme elle. Mais non. Mon père est un salaud, un salaud qui battait son fils. Il a laissé une femme avec deux filles non désirées, tout en continuant son train-train. Je le hais sans même le connaître. Comment peut-il se prétendre Altruiste alors qu'il a commis toutes ces atrocités ?

Heureusement que la faction Altruiste n'a pas le droit de se regarder dans le miroir. Car après tout ça, je suis sûre qu'il ne pourrait plus le faire. Et sa femme ? Sa femme ? Je la plains tant.


J'ai envie d'éclater d'un rire hystérique. Pour une fois qu'une de mes histoires d'amour ne s'annonce pas trop mal, il faut que je tombe sur mon demi-frère ? J'aime d'amour une personne qui a le même père que moi. Ma vie est une grosse blague : une blague méchante, triste, déprimante, absolument pas drôle. Finalement, la perspective de mourir ne me déplaît plus tant que ça. Mourir tuée par ma mère.


Je peux comprendre que cette femme nous déteste, feu ma sœur et moi. Si ma mère n'était pas ce qu'elle était, on pourrait presque lui trouver des excuses. Mais non, je ne peux m'y résoudre. Une femme normale ne tuerait pas tour à tour ses deux filles, même si elle n’en voulait pas. Une femme normale ne parlerait pas de ça avec froideur, ne parlerait pas avec la personne qui a failli anéantir sa vie au travail, ne se contenterait pas d'un "dédommagement" pour oublier. Je ne sais pas vraiment ce que j'aurais voulu qu'elle fasse, mais pas ça. Ma mère est comme Marcus : une femme froide, horrible, manipulatrice qui bat ses enfants.


Et moi, je tombe amoureuse du fils de Marcus. Absurde. Je suis absurde, conçue dans l'alcool, la drogue, la violence. Je veux en finir. Je veux mourir. Je ne veux plus mener cette vie, à fuir ma mère, à aimer un garçon que je n'ai pas le droit d'aimer. Alors je me relève, sans regarder Tobias, toujours dans ce combat de regards avec ma mère. Il pose une main réconfortante sur mon épaule, je la chasse avec la mienne. Je veux en finir, et vite. Alors, je prends la parole.


« Tue-moi.

Jeanine explose de rire. Je fronce les sourcils et demande, anxieuse :


— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Elle se poste devant Tobias et moi.


— Ce n'est pas compliqué à comprendre, explique-t-elle en sortant un pistolet pour le tendre à Tobias. Soit c'est toi, Tobias, qui tues "Nora"...

Elle sort un second revolver et le garde en main.


— Soit c'est moi qui vous tue tous les deux.

Elle continue, empêchant Tobias de riposter.


— Vous avez cinq minutes pour vous faire vos adieux... Pour faire un choix.


— La police vous retrouvera, Jeanine, lâche Tobias.


— Je suis une Érudite. Je me suis assurée auprès de vos leaders qu’on considère que vous avez mis fin à vos jours. Cinq minutes. »


Elle recule, nous tenant en joue.

_____


Tobias me fait tourner vers lui. Je le regarde, un sourire triste accroché aux lèvres. J'aimerais pleurer, mais j'en suis incapable. Je ne vois, je ne veux plus d’autre issue que la mort.


« On doit trouver un plan, murmure-t-il.

Je secoue la tête, laissant ma main caresser son torse à travers son t-shirt d'Audacieux.


— Si. Je peux lui tirer dessus, on prendra la fuite, ensemble, on deviendra des sans-faction.


— Tobias. Tu es mon frère.


— Demi-frère...


— Soit. Demi-frère. On n’ira nulle part ensemble, Tobias. Même si tu arrives à la tuer, on ne pourrait, dans tous les cas, pas vivre ensemble, s'aimer.

Il secoue la tête.


— Je ne peux pas, Nora.


— Si, tu peux. Tu es un Audacieux, un courageux. Honnêtement... Je ne veux pas laisser à Jeanine le plaisir de mettre un terme à ma vie. Je ne t'en voudrais même pas parce que... Après tout ce que je viens d'apprendre... J'ai envie de mourir. Si ma mère ne nous menaçait pas, je me tuerai moi-même.


Tandis que je dis ça, les larmes amères me montent aux yeux.


— Comment je ferai, sans toi ?


— Tu t'en sortiras, Tobias. C'est mon choix... Mais par pitié, continue à vivre après. Vis pour nous deux... Pour ce qu'on n’aurait jamais pu être. Tu t'en sortiras, tu trouveras une fille qui t'aimera et qui ne sera pas ta demi-sœur. De là-haut, je t'enverrai la fille qu'il te faudra, promis.

Il secoue la tête. J’avoue ne pas avoir l’impression qu’il s'en tiendra à ce que j’ai demandé.


— Okay, d’accord. Tu tires sur elle, on avisera, dis-je.

Et c’est à ce moment-là que je fais le choix silencieux qui scellera mon destin


Un sourire triste anime ses lèvres. Il se baisse, m'entraînant dans ses bras. Nous nous retrouvons assis, moi à califourchon sur lui tandis que ses jambes repliées frôlent ma tête. Il dépose l'arme près de nous. Il me dévore des yeux, sans me toucher, et je fais de même mais sans pouvoir empêcher mes mains de le parcourir. Je caresse ses cheveux bruns du bout des doigts, puis ses cils, ses joues, ses lèvres, ses bras, son torse, son ventre, ses cuisses, ses jambes. Enfin, il passe une main derrière ma tête pour presser ses lèvres sur les miennes, dans un baiser doux comme du coton. Je passe ma main sur sa nuque, laissant courir mes doigts le long de sa colonne vertébrale jusqu'au bout de son t-shirt. Nos larmes se mêlent au baiser tandis que ses mains me caressent les cheveux, les joues, le dos, les jambes.


J'entends la voix de Jeanine me parvenir.


« Plus qu'une minute ».


Alors, mes mains quittent le ventre de Tobias et je me lève. Il m’imite, l’air incrédule. Tout ce temps qui ne nous sera pas donné, ça me fend le cœur. Le destin s’est vraiment acharné sur nous. Je vais mourir alors que nous ne sommes qu'à l'aube de quelque chose... Tout ce que j'avais espéré sera impossible. Alors même que dans les contes nous écrivions le "il était une fois", nous devons maintenant poser le mot Fin. Je n'ai plus de souffle, je pleure, je vais mourir, le quitter, mais je m'en fous. Je m'en fous, je m'en fous, je m'en fous. J'aurais voulu l'aimer jusqu'au bout, mais je ne peux pas. Certaines lois sont... incontournables ? Je ne peux pas sortir avec mon demi-frère. Mais dans mes cinq dernières minutes, je veux l'aimer comme jamais personne ne l'aimera dans le futur. Car lui aura un futur. Pas moi.


Je fais le tri dans mes pensées pour réfléchir. Ma mère veut me tuer parce que je suis Divergente, et me faire souffrir parce que je suis sa fille. Elle a trouvé un choix douloureux en y incluant la personne que j’aime.


Je me proposerais bien de tirer moi-même. Mais elle ne souhaite pas simplement ma mort : elle veut que ça touche à mes principes, à ma fierté ou à mes sentiments. Ça fait sûrement partie de ses rêves de me tuer de ses propres mains, non ? Donc, je la convaincs afin que ce soit elle qui fasse “le sale boulot qu’elle a toujours rêvé de faire”. C’est la “première partie” du plan. 


Maintenant, second problème : Tobias voudra sûrement s’interposer pour je ne sais quelle raison. Je pourrais toujours le blesser pour éviter qu’il fasse une connerie.


Ça me paraît quand même glauque de planifier ma propre fin.

Donc, récapitulatif : je blesse Tobias pour qu’il n’intervienne pas, Jeanine s’occupe de mon cas... Et puis, c’est fini de mon côté.

Je me tourne vers Tobias. Il tient l’arme dans sa main droite. Je l’embrasse. Je lui murmure des dernières excuses, des adieux et quelques derniers mots d’amour tandis qu’il a l’air de ne pas tout à fait saisir ce que je fais. Je prends le pistolet, puis d’un coup de crosse bien placé, j’arrive à le faire s’écrouler, inconscient mais vivant. Les larmes me piquent les yeux, mais je fais ça pour le bien de tout le monde.

Après un dernier regard pour lui, je m’avance vers Jeanine qui se trouvait à cinq mètres de nous, le pistolet levé en prévention d’une réaction brutale.


— Qu’es-tu en train de faire ?


— Je te propose de réaliser ton rêve.

Elle hausse un sourcil savamment épilé.


— Me tirer dessus. Ce n’est pas le genre de choses qui te fait fantasmer, maman ?


— Je t’avoue qu’il y a pire comme perspective. Mais ce n’était pas dans tes choix.

Je secoue la tête.


— Qu’est-ce que ça t’aurait apporté en plus de lui tirer dessus ? 


— Que tu souffres.


— Dis-toi que te laisser me tuer me fait déjà bien assez de mal.

Elle lâche un petit rire sec et inexpressif.


— Tu sais qu’il en ressortira changé à tout jamais ? dit-elle en désignant Tobias.


— Le fait qu’il souffre ne devrait-il pas m’être encore plus douloureux que le fait qu’il meure?


— Qui sait, tu as toujours été étrange. Mais tu as gagné. Enfin, si on peut appeler cela “gagner”. Une dernière volonté ?


— Non.


Elle saisit le pistolet que j’ai encore dans la main. Je reste les yeux rivés sur Tobias pendant qu’elle appuie le canon du revolver sur ma tempe. Ce dernier me paraît glacial. J’aurais très bien pu survivre à tout ça, mais je n’en ai pas envie. Et puis, ma mère m’aurait bien tuée tôt ou tard si j’avais choisi la vie.

Je regrette de ne pas avoir eu une meilleure mère. Mais au fond, cela ne m’a pas empêché de me mener une vie plutôt agréable. Avec beaucoup de défauts et de mauvais moments, mais on peut dire que j’ai vécu plus d’expériences en seize ans que la plupart des gens en cinquante. Pas forcément des plus agréables, soit. Juste avant l’instant T, je balance mon poing dans l’estomac de Jeanine. Elle grogne et blanchit à cause de la douleur, mais ne bronche pas tant que ça. Elle a compris que c’était juste un moyen de lui laisser un souvenir de ma haine.

J’expire pour la dernière fois.


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. F I N .

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