New Birth

Chapitre 16 : Délivrance

1985 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/01/2017 15:48

Couchée contre deux gros oreillers usés mais confortables, je récupère péniblement de notre fuite rocambolesque. Je n'arrive toujours pas à croire que Sophia et moi ayons réussi cette folle entreprise. C'était impossible mais nous l'avons fait. Comment ? Je ne sais pas : avec le recul, je ne parviens même pas à croire que l'idée aie pu venir de moi et que j'aie pu avoir le cran d'exécuter mes plans ridicules. La femme que j'étais il y a encore quelques mois n'aurait même pas pu imaginer cette folie. Comme quoi, l'être humain est capable de se transcender quand sa vie en dépend.





Pourtant, là, maintenant, tout de suite, je n'en mène pas large. Je souffre tellement que j'en pleure. Et l'adrénaline qui courait dans mes veines pendant notre fuite semble s'être évaporée. La peur a fait son apparition, non pas d'être rattrapée, mais bien de devoir donner naissance très bientôt. L'angoisse monte, sourde, tétanisante et totalement hors de contrôle. Je veux en finir avec cette situation et en même temps je refuse cette naissance, parce que l'inconnu se profile : vais-je être capable d'affronter un rôle de mère, que je n'ai ni voulu ni même réellement envisagé ?





J'ouvre les yeux et pose mon regard sur ce qui m'est le plus proche : le visage rond et bienveillant de Sophia, ses grands yeux bruns au regard doux, son sourire pâle mais réconfortant, ses cheveux brun foncé à la nuance chaude et aux boucles bien dessinées, sa main chaude qui entoure la mienne. A sa vue, mon cœur se calme, ma respiration ralentit. Bon sang, celle dont je ne connaissais même pas le physique il y a de cela quelques heures est devenue mon phare dans la tempête.


— Je suis là ma belle, me murmure-t-elle avec une voix qui glisse comme du velours. Ça devient bon, ça ne sera plus très long.




Comment lui dire que je suis en totale panique ? Que c'est la tempête sous mon crâne ? Elle le sait, j'en suis sûre.



Un mouvement près de la porte de la chambre me tire de ma contemplation. Dans l'encadrement, d'un geste de la main, notre hôtesse du jour invite mon amie à la rejoindre. Je les vois discuter à voix basse, puis Sophia disparaît précipitamment hors de ma vue dans le couloir de l'appartement. J'en occupe une des deux chambres, celle de la mère. C'est ici qu'elle nous a menées directement, dans cet immeuble vétuste et délabré dont l'entrée est apparemment gardée en permanence à tour de rôle. Délabré mais sûr, et pour moi le reste n'a désormais aucune importance.




Je ramène mon regard sur le reste de la pièce. Les murs défraîchis, le lit calé sur des parpaings, la commode bancale en face de moi, tout est vieux mais propre. Je me focalise sur la lampe en opaline bleu pâle posée sur le meuble, fragile, délicate, comme hors de propos dans ce cadre post-apocalyptique. Comme une goutte de douceur dans le chaos.




Je ferme les yeux quand une nouvelle contraction me transperce de part en part, m'arrachant une grimace incontrôlable. J'essaie de caler ma respiration sur le tic-tac du vieux réveil posé sur la pile de livres posée à côté du lit, mais j'y arrive de moins en moins. Je serre les dents mais le long gémissement que j'essaie de contenir finit par prendre le dessus. Mes contractions sont de plus en plus rapprochées, et je commence à perdre pied.




Alors que la douleur s'estompe néanmoins doucement, j'ouvre les yeux et manque de crier en découvrant une inconnue à côté de mon lit. A-t-elle été particulièrement discrète ou est-ce moi, totalement absorbée par la gestion de ma douleur, qui n'a rien entendu ? Ne me laissant pas le temps d'y réfléchir, elle fait un pas en avant, d'un air décidé.


— Salut, moi c'est Christina, une amie de Tobias.


J'ouvre de grands yeux, incapable de répondre, sans doute un peu sonnée. Mais elle continue :


— Tu es bien Clare ?

— Oui, parviens-je à répondre en me reprenant, c'est moi. Comment … enfin, qu'est-ce que …. ? je balbutie.

— C'est Tobias qui m'a envoyée. Après avoir été prévenu qu'on t'avait retrouvée.

— Mais qui ? je murmure.

— Le garçon qui vous a trouvées, ta copine et toi. Dylan je crois. Tu étais recherchée depuis un sacré bout de temps, à New York mais ici aussi, en dehors de la ville.

— Par qui ? Tobias ? ...



Elle acquiesce de la tête. Puis continue :

— Il avait lancé un vaste plan pour te retrouver, tu sais, même ici en dehors des murs. Le jeune a prévenu l'envoyé du gouvernement qui s'occupe de cette partie du Dehors.




L'émotion me fait brusquement fermer les yeux ; les larmes montent sans que je puisse les maîtriser : bon sang, il m'a cherchée. Tout ce temps.


— Où est-il ? Pourquoi n'est-il pas venu ? parviens -je à articuler.

— Il préfère battre le fer tant qu'il est chaud : il est parti directement à l'hôpital St Francis, histoire de cueillir tes ravisseurs avant qu'ils ne s'échappent.




Sa voix semble hésiter ; vient-elle d'inventer tout cela pour éviter de me dire quelque chose ? Que Tobias ne voulait pas venir me chercher lui-même peut-être ? Qu'il vient d'apprendre que je suis sur le point d'accoucher et qu'il refuse la situation ? Sans doute que cela change tout pour lui. Puis-je lui en vouloir ? Non, je crois qu'à sa place j'aurais pris mes jambes à mon cou moi-aussi.




Christina a dû sentir que son discours ne prenait pas, parce qu'elle s'empresse de s'asseoir à côté de moi sur le lit.

— Il sera vite là, me promet-elle. Il aurait voulu venir te voir en premier, mais il ne pouvait pas. C'est pour ça qu'il m'a envoyée. Je suis une de ses meilleures amies. Quand il m'a demandé de venir au plus vite, il y a de cela une semaine, j'ai sauté dans le premier train pour New York.

— Une semaine ? Pourquoi une semaine ? Je croyais qu'il avait été prévenu il y a quelques heures seulement ?

— Qu'on t'avait retrouvée, oui, mais que tu étais en vie et que tu étais enceinte, c'était il y a une semaine. Il traque le docteur Smith depuis plusieurs jours. Il t'expliquera.




Bon sang, je n'y comprends rien. Je ferme les yeux en secouant la tête. Quand je les rouvre, Christina a l'air embêtée, ou gênée. Par moi ? Par la situation ? Par ce qu'elle sait des sentiments de Tobias et qu'elle n'ose pas me dire ?


Mais elle fait l'effort de me sourire, sans doute pour que je ne panique pas trop.

— Alors, reprend-t-elle sur un ton joyeux, vous vous êtes rencontrés au boulot, à ce que m'a dit Tobias ? 

Je vois bien qu'elle veut surtout m'occuper l'esprit à autre chose. Mais parce que j n'ai pas envie de la blesser, et parce que finalement ça me fait du bien à moi-aussi de penser à autre chose, je décide d' abonder en son sens.


— Oui, je réponds avec difficulté, je suis hôtesse d'accueil chez Newbirth. Tobias y travaille aussi.

— Et ça te plaît comme boulot ? Non parce que c'est pas trop rébarbatif quand même de rester derrière un comptoir toute la journée ?




Je souris devant l'air de dégoût qu'affiche Christina pour mon métier. Elle est plutôt du genre direct ...

— ça a ses avantages … comme de pouvoir regarder à loisir passer le chef de la sécurité.


Ma réponse la fait rire.

— Ouais, reprend-elle. Et j'imagine qu'il passait souvent ?

— A ce qu'il paraît oui .




Le silence s'installe à nouveau. Christina se dandine sur ses jambes. Elle a l'air stressée. Ce serait plutôt à moi de l'être, non ?




— Et toi? Comment as-tu connu Tobias ?

— A l'époque, il s'appelait Quatre, à cause de son paysage des peurs. C'était mon instructeur, chez les Audacieux.

— Et vous avez sympathisé.


Mon affirmation la fait rire.

— Non, pas vraiment au début. Il était très … froid. Disons que les événements ont fini par nous rapprocher. Ça, et le fait qu'il sortait avec ma meilleure amie.



L'information me fait sursauter.

— Ah … la fameuse Tris.

— Tiens, il t'en a parlé ? s'étonne la jeune femme.

— Un peu oui. Tobias n'est pas quelqu'un de très loquace.

— C'est le moins qu'on puisse dire, glousse-t-elle. Mais c'est quelqu'un de loyal. Quand il m'a demandé de l'aider à te retrouver, je me suis doutée que c'était super important pour lui.

— Important ? répété-je. Je ne sais pas .

— N'en doute pas une seule seconde, me coupe-t-elle. Je ne l'avais plus vu comme ça depuis …

— Elle ?

— Oui, c'est ça, me confirme-t-elle.




Je ferme les yeux pour essayer de digérer ce qu'elle vient de me dire. Tient-il réellement à moi ? Pourquoi a-t-il cherché à tout prix à me retrouver ? Par amour ? Par bonté d'âme ? Par culpabilité ? Ou par droiture d'esprit ? Bon sang, quelle idiotie de penser à ça en ce moment ...





La contraction suivante me paralyse à moitié. Elles sont de plus en plus intenses, et je commence à paniquer sérieusement. Vais-je tenir devant tant de douleur ?


— Au fait, garçon ou fille, me demande soudain Christina alors que j'essaie de récupérer.

— Je ne sais pas, je n'ai pas voulu que le docteur Smith me le dise.

— Pour avoir la surprise ? se réjouit la jeune femme

— Non, parce que j'avais peur de m'y attacher, je murmure.


A ma réponse, Christina se referme en jetant un regard désolé à Sophia, qui vient de revenir dans la chambre.

La douleur revient, non pas déjà ! Elle monte du fond de mes reins et se diffuse rapidement dans mon bassin. N'y tenant plus, je me relève brusquement et j'entreprends de marcher. Je ne peux plus rester assise, la douleur est trop forte. Surprise, Christina m'offre un bras.



C'est alors que mes jambes ne se mettent à trembler d'un mouvement incontrôlable. Je tombe à genoux. Sophia a la présence d'esprit de me retenir sous les bras. Une douleur terrible me traverse littéralement.


—Il glisse , je hurle, il glisse !


Sophia et Christina restent pétrifiées. Mue par un instinct sans doute ancestral, hurlant à plein poumons, j'ai juste le temps de projeter mes mains sous moi pour éviter qu'il ne tombe par terre. Je le tiens, mes mains n'ont pas intérêt à flancher.





Sophia s'est enfin reprise. Prestement, elle saisit le bébé pendant que je m'affaisse. Christina n'a toujours pas bougé. Je respire bruyamment, tentant de retrouver un souffle que j'ai bien cru avoir perdu et m'adosse contre le lit, jambes repliées et tête en arrière. Sans doute alertées par mes cris, plusieurs personnes s'affairent à présent et tournent autour de moi comme dans un manège. Je me sens molle, sans forces. On me soulève et on m'allonge sur le lit, sans que je puisse réagir. Mais je ne quitte pas Sophia du regard malgré le voile devant mes yeux, comme un brouillard. Elle a enveloppé le bébé dans une couverture propre, ne le quitte pas des yeux ? Y-a-t-il un problème ? La panique qui me gagne retombe soudain comme un soufflé : il crie enfin.



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