New Birth

Chapitre 13 : Un peu moins seule

1475 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/12/2016 00:28

La suite me donne d'ailleurs raison : les jours passent sans espoir d'être tirée de ma prison médicale. Mon temps est rythmé par les allées et venues de quelques infirmiers, qui m'amènent mes repas, un peu de lecture ou des médicaments. Si au début j'étais hésitante, j'ai fini par les prendre. A quoi bon ? Le docteur Smith a autant intérêt que moi à ce que ce bébé soit en bonne santé. Autant ? Non, plus. Moi je ne sais pas trop quoi en penser. Comment aimer quelque chose qu'on n'a pas désiré ?


Par moments, j'essaie de l'imaginer. Je me rattache à ce que je connais : les bébés nouveaux-nés de chez Newbirth, qu'on voit partir régulièrement chez les Adoptants, ce que j'ai lu dans les livres à l'université et les échographies que le médecin me fait passer régulièrement. Une par mois, si j'ai bien compté. J'essaie de me tenir à jour dans mes comptes, histoire de savoir quel jour nous sommes et à quel moment de ma grossesse je suis. De ce côté-là, ce n'est pas trop difficile, la date est gravée dans ma mémoire. C'est même un peu pathétique, d'avoir une vie amoureuse qui se résume à une seule date.

Et bien , même avec tout ça, impossible de me représenter ce bébé. Mon bébé. Même ça, j'ai du mal à le dire. Ce n'est peut-être pas plus mal, inutile que je m'y attache, étant donné qu'il va m'être enlevé. Et même si c'est le cas, je ne m'en souviendrai pas assez longtemps pour en souffrir. Je commence à me dire que c'est peut-être la solution, finalement, ce sérum d'oubli . La Clare d'avant aurait hurlé en entendant ça, mais celle que je suis devenue, après de longues semaines de captivité, a rendu les armes. Je suis trop lasse. J'aurais voulu ne jamais avoir rencontré Tobias, ne jamais en être tombée amoureuse.



Un bruit discret me fait sortir brutalement de mes idées noires. Ici dans ma chambre ? Je prête l'oreille, presque sûre qu'il s'agit d'un animal qui gratte ou qui marche : une souris ? Un rat peut-être ? Au point où j'en suis, même un serpent serait le bienvenue comme ami ! Je descends prudemment de mon lit, autant par soucis de ne faire aucun bruit que parce que ma grossesse a mis à mal mon équilibre. Chose bizarre d'ailleurs, que de voir son centre de gravité modifié par son ventre … Je me dirige sans bruit vers la source, que je finis par localiser dans la salle de bain. Un coup d'oeil bref me déçoit : visiblement aucun rongeur à l'horizon. Je m'apprête à faire demi-tour, désappointée, quand soudain le bruit reprend, là, tout près de moi. Je finis par en découvrir l'origine en baissant la tête : au pied du lavabo en faïence d'un autre âge, un papier froissé sort doucement d'un trou dans le mur. Surprise, je m'agenouille du mieux que mon ventre me le permet. Oui, c'est bien un morceau de papier que je m'empresse de saisir. Il est visiblement poussé par une tige assez fine en bois ou en métal, qui sort légèrement du trou.

Prise de frénésie, je m'assieds sur la faïence blanche et froide en m'adossant au mur carrelé. Je déplie minutieusement la feuille pliée soigneusement de nombreuses fois, sans doute pour la réduire à son minimum. Mes mains tremblantes finissent par la déplier totalement et je lis avec excitation quelques mots griffonnés avec une écriture hésitante et presque enfantine :


— Si vous lisez ce mot, répondez-moi ! J'ai peur ! SVP !


Bon Dieu, qui est de l'autre côté de ce mur ? Quelqu'un de captif comme moi, visiblement ! Une autre femme peut-être ? Je ne suis hélas pas graphologue, mais l'écriture est ronde et assez féminine.

Je me relève du mieux que je peux et me précipite vers ma table de nuit. Dans le tiroir que j'ouvre prestement, je me saisis du bloc de feuilles et du stylo que j'ai réussi à obtenir du docteur Smith. Je n'en fais pas grand chose, avouons-le. Je ne suis pas du genre à écrire un journal intime de ma détention : trop morbide. Mais de temps en temps je dessine, je scribouille : des visages, des paysages, du tout et du rien, ce qui me passe par la tête. Je suis plutôt douée en dessin, sans trop me vanter. Et puis ça me vide l'esprit.

J'arrache une feuille presque violemment et entreprends de la réduire à peu près à la taille de celle que je viens de recevoir. Puis je la déplie et je fais une pause : que vais-je écrire ? Il n'y a pas beaucoup de place, il me faut donc être précise et concise. D'une main tremblante, j'écris du plus petit que je peux :

— Je m'appelle Clare. Je suis prisonnière ici. Qui êtes-vous? 


Puis je retourne à la salle de bain au plus vite et considère le petit trou avec scepticisme. Que pourrais-je utiliser pour pousser le papier ? Il me faut une tige assez fine mais solide. Mes yeux vagabondent d'un bout à l'autre de ma petite chambre. Rien, je ne vois rien qui pourrait convenir. Merde, je ne vais pas laisser tomber comme ça ! Mon regard finit par se poser sur une des aiguilles à tricoter qu'un soignant m'a laissée dernièrement dans le kit « ennui » que j'ai réclamé. Parfait ! Je m'en saisis, m'allonge sous le lavabo ( vais-je réussir à me relever ? ), puis entreprends de pousser délicatement mon papier dans le trou. Sans doute s'agit-il d'une évacuation commune des salles de bain de nos deux chambres attenantes. Je pousse le plus loin que je peux et j'attends. Je m'allonge sur le dos, je pose ma tête sur le carrelage et patiente, les yeux clos et le coeur battant. La réponse ne se fait pas attendre, moins de deux minutes plus tard :


— Je m'appelle Sophia. J'ai 22 ans. J'ai été enlevée. Où suis-je ? 


Bon Dieu, j'avais vu juste, c'est une femme. Enlevée et séquestrée comme moi. Je griffonne à la hâte ma réponse :

— Je ne sais pas. J'ai été enlevée aussi. Puis j'ajoute, presque sûre de moi : Vous êtes enceinte aussi ?


Sa réponse positive, quelques minutes plus tard, me conforte dans mon idée. Je ne suis donc pas la seule. Ça ne me rassure pas, mais je me sens moins isolée tout à coup. Nous engageons alors un dialogue d'un genre particulier, constitué de phrases minimalistes sur des petits papiers déchirés. J'apprends qu'elle vit en dehors du New York actuel, dans le quartier du Queens. Il y a de cela bien longtemps, le Queens était un quartier de New York comme les autres. Le mur qui a depuis été construit le place désormais en dehors de la ville. Ma voisine de prison est donc une Déficiente. Visiblement, le Docteur Smith n'a aucune gêne à vendre au gouvernement des enfants déficients au lieu des purs qu'il lui paie une fortune. Depuis quand ce petit trafic dure-t-il ? Sophia est mariée, enceinte de 4 mois de son premier bébé. Elle n'est là que depuis quelques jours. J'apprends avec stupeur qu'elle vit pauvrement dans un quartier parfois violent, et qu'elle est suivie par le docteur Smith qui fait du bénévolat dans la zone des Déficients. Quel altruisme ! Apparemment, voilà comment il trouve et sélectionne ses victimes ! Tout ça pour l'argent. J'en suis révoltée. Néanmoins, je me dis qu'elle a plus de chance que moi : quelqu'un va la chercher, elle.



Un bruit de serrure met fin à notre dialogue surréaliste. Je me lève avec peine, ankylosée par les heures passées à terre, et handicapée par mon ventre de 6 mois, déjà proéminent. Je ferme la porte de la salle de bain derrière moi, et, l'air le plus naturel possible, accueille comme si de rien n'était l'infirmière qui, une fois par jour, vient prendre ma tension et m’ausculter. Je me laisse faire sans rien dire : j'ai pris l'habitude et j'ai compris depuis longtemps qu'elle ne prononcerait aucun mot, quoique je lui demande.



Qu'importe. Je ne sais pas si ma découverte du jour va pouvoir m'aider. Je ne vois pas en quoi. Mais au moins, je ne suis plus seule.



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