La Dernière Alliance

Chapitre 1 : L'épreuve de l'apprenti

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Dernière mise à jour 08/11/2016 19:22

Chapitre 1 – L'épreuve de l'apprenti

Depuis des mois, il faisait toujours le même rêve. Il courait dans des plaines brulées, grises et désolés. Autour de lui, tout n'était que cendres et ruines. A l'horizon, se dessinait alors une immense ligne sombre. Plus sa course se poursuivait, plus la ligne au loin devenait plus nette. Un gigantesque mur de pierres de plusieurs mètres qui s'étendait sur tout ce qui pouvait englober sa vision. Il n'avait aucune porte. Le haut de la muraille était désert et le silence régnait autour de lui. Arrivé au pied du gigantesque mur, il se passait exactement la même chose. Il voulait grimper, aller au-delà de la muraille de pierre. Il sentait le danger dans son dos alors que la terre grondait sous ses pieds. Derrière lui, une vague enflammée rasait les zones désolées. Les flammes avaient des allures d'étalons sauvages et frappaient le sol de leurs sabots projetant de la lave à chaque impact. La vague de feu se rapprochait peu à peu et il se trouvait toujours au pied du mur. Les chevaux de flammes le chargeaient hennissant et crachant l'enfer. A chaque fois qu'il tentait de grimper le mur, chaque tentative le ramenait au sol. La mer de feu l'engloutissait finalement, le brûlait et le consumait.

Aladdin se réveilla en sursaut. Des perles de sueurs coulaient sur ses tempes. Il se frotta les yeux et souffla un bon coup. Le même rêve depuis des mois et chaque nuit il semblait le revivre pour la première fois. Ses nuits avaient été tourmentées à cause de ses sombres rêves. Il bailla longuement. Ses paupières étaient lourdes et sa fatigue était grande. Le même mécanisme diabolique s'enclenchait chaque nuit, ses cauchemars l'empêchaient de dormir et une fois réveillé, il ne pouvait plus trouver le sommeil.

Un rayon de soleil traversa les rideaux de la chambre. Cela rassura Aladdin quelque peu, il s'était réveillé avec le soleil et non au beau milieu de la nuit. Il baissa le regard sur son épouse, la Princesse Jasmine, qui était toujours quant à elle dans les bras de Morphée et dormait paisiblement enveloppée dans ses draps de soie. Aladdin la regarda tendrement en espérant que ses rêves soient plus doux que les siens. Il se leva du lit sans faire de bruit et se dirigea vers le balcon.

Le soleil émergeait des dunes de sable à l'horizon et sa lumière s'étendait sur tout Agrabah. L'ancien malfrat des rues s'appuya sur la balustrade en pierre du balcon qui dominait toute la ville. Il posa ses yeux sur la ville et ses habitations. Il apercevait des silhouettes au loin entre les allées et les rues de la cité : des marchands, des mendiants, des familles, des soldats, des voleurs.

Tant de choses avaient changé pour lui, le voleur, le crève-la-faim, le vaurien. Aladdin avait passé toute sa vie à contempler le palais du sultan depuis son foyer délabré, rêvant de meilleurs jours pour lui et Abu. Les deux démunis qu'ils étaient ne pouvaient se nourrir que de rêves, de serviles domestiques, de prodigieux festins et d'innombrables montagnes d'or.

Aujourd'hui, Aladdin vivait au palais, avait pour épouse la fille du sultan et il avait tout ce qu'il avait désiré depuis son enfance. Pourtant ses nuits étaient pleines de cauchemars et une certaine angoisse le rongeait le jour. En épousant Jasmine, il avait également accepté une destinée encore plus grande. Un jour viendra où il devra devenir sultan d'Agrabah. Depuis qu'il était revenu de son voyage de noces, la vie d'Aladdin se résumait à l'apprentissage du pouvoir. Jasmine et le Sultan avaient tout fait pour l'initier à la politique, à l'économie et aux mœurs des Sept Déserts. Mais ses devoirs l'épuisaient et l'ennuyaient. Au fur et à mesure que ses leçons avançaient, il craignait de ne pas être à la hauteur de cette tâche. Parfois, il regrettait presque sa vie de malfrat tant les responsabilités de sultan lui semblaient lourdes.

Au loin, il voyait son ancienne maison, un endroit sombre et triste en ruines, traversé par les vents froids du désert. C'était là où il avait grandi, elle lui rappelait de bons et de mauvais moments. Il aimait revenir dans son ancien foyer entre deux leçons en espérant que cela le rassurerait et l'encouragerait dans son apprentissage. Mais il revenait encore plus troublé et déprimé qu'auparavant. Il partageait sa peine avec Jasmine, et celle-ci l'aidait autant qu'elle le pouvait, le consolant et l'encourageant dans tous ses travaux.

La vie au palais était moins animée depuis quelques temps. Iago, le perroquet braillard, était parti avec Cassim, son père peu de temps après son mariage avec Jasmine. Après le retour de leur voyage de noces, le Génie et le Tapis partirent pour un long voyage autour du monde. Le palais paraissait plus triste depuis leur départ. Abu était resté avec Aladdin mais avec le jeune homme passait plus de temps avec de vieux érudits et de sombres professeurs qu'avec son compère simien. Ce dernier passait ses journées à gambader dans les jardins du palais en compagnie du tigre de compagnie de la princesse, Rajah ou bien il se rendait au marché pour chaparder quelques fruits savoureux à des marchands de passage. La vie était bien différente depuis ces six derniers mois et Aladdin avait la nostalgie de ces jours où lui et sa bande partaient à l'aventure dans des contrées lointaines bravant le danger et l'inconnu.

Il ne devait pas penser à ça. Pas aujourd'hui. Ce jour était spécial. Les dirigeants des Sept Déserts se réunissaient à Agrabah pour traiter d'affaires urgentes et en tant que futur souverain, il se devait de participer à la rencontre. Cet évènement important allait être sa première épreuve en tant que futur sultan. Il devait faire bonne impression et son cœur balançait entre la peur et la confiance.

Il inspira et expira longuement profitant de la brise matinale porté par le vent quand une voix l'interpella dans son dos :

-Toujours aussi matinal.

Aladdin se retourna pour voir Jasmine s'avancer sur le balcon, un fin sourire aux lèvres.

-Je suis désolé, dit-il embarrassé. J'espère que je ne t'ai pas réveillé.

-Non, ne t'inquiètes pas, j'ai suffisamment dormi.

Aladdin reporta son attention sur la cité d'Agrabah alors que la Princesse arriva à ses côtés et posa sa tête sur l'épaule de son époux. D'un simple regard, Jasmine vit la détresse du jeune homme. Elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Jasmine prit la main de son mari et la serra tendrement en murmurant doucement :

-Tout va bien se passer.

Aladdin étouffa un petit rire gêné.

-J'ai beau me le répéter sans cesse. Dit-il. Je suis toujours aussi angoissé. J'ai tellement envie de bien faire, Jasmine.

-Tu y arriveras, répondit-elle en posant sa main sur la joue du brun. Je suis là avec toi. Ce n'est qu'une simple réunion. Tout qu'il faudra faire, c'est accueillir les dignitaires et rester attentif pendant la réunion. Tu dois utiliser ce que tu as appris.

Aladdin se creusa la mémoire en essayant de rassembler tout ce qu'il avait pu retenir de ses leçons durant ces six derniers mois. Il en résulta un bourbier d'informations qui lui donna presque le mal de tête.

-En espérant que tu aies raison que tout se passe bien et sans imprévu.

Jasmine lui sourit. Aladdin ne pouvait résister aux yeux noisette et pétillants de la Princesse. Il l'embrassa et ils s'enlacèrent. Toutes les heures passées à étudier la géopolitique de l'Arabie, c'était également pour elle. Jasmine était elle aussi appelée à détenir les rênes du pouvoir à Agrabah. Si Aladdin devait régner alors ils règneraient à deux. A cette pensée, son cœur fut alors un peu plus léger.

***

Cela faisait six jours qu'il errait dans le désert. Mais il avait plus ou moins perdu la notion du temps. Cela paraissait une éternité pour lui. Les journées passaient sous un soleil de plomb et dès la tombée de la nuit, un vent glacial glissait sur les dunes ensablées.

Son seul objectif était de traverser l'immense mer de sable et il devait s'y tenir. Cela faisait partie de son entrainement. Il avait vidé sa dernière gourde ce matin et terminé ce qui lui restait de nourriture. Il marchait, piétinait le sable avec ses sandales regardant toujours devant lui. Il ne déviait point de sa route, poursuivant en ligne droit depuis son réveil.

La veille, il avait trouvé un rocher qui émergeait d'une dune et avait pu prendre un peu de repos à l'ombre de la pierre. Il avait passé la nuit sous le roc et avait repris la route à l'aurore. Quatre heures s'étaient écoulés depuis son réveil. Ou peut-être cinq. Il avait perdu la notion du temps.

Sa bouche était sèche, aride alors que la sueur ruisselait sur son front et son torse. Elle lui piquait les yeux. Il essuya son visage avec ses mains et accéléra le pas. Son corps ne répondit pas, ses jambes et lourdes et ses bras relâchés se balançaient de chaque côté de son torse. Il regarda autour de lui. Aucune oasis en vue, aucune silhouette ou caravane qui serpenterait au loin entre les dunes. Il chercha désespérément quelque chose entre les vagues de sable pour l'aiguiller. Aucune ville ou village à l'horizon. Il espérait trouver un puits derrière chaque dune qu'il escaladait.

La soif le harassait et sa faim le tenaillait. Cela faisait cinq jours qu'il n'avait vu que du sable et le ciel bleu privé de nuage. Finalement c'était peut-être six jours. Ou sept … Il avait perdu la notion du temps.

Il leva les yeux au ciel et vit une ombre ailée voler en cercle au-dessus de lui. Ils veillaient toujours sur lui. Il ne devait pas les décevoir. Cela le poussa à continuer, il reprit sa course, surmontant la soif, la faim et la douleur alors que l'ombre ailée le suivait dans son périple.

Il poursuivit sa traversée du désert pendant deux bonnes heures. Ou peut-être trois … Il avait perdu tout notion du temps. Alors que le soleil avait atteint son zénith et que ses rayons faisaient bouillir le sol, il succomba à la chaleur et s'écroula sur le sable brûlant.

Sa respiration était saccadée, l'air qu'il inspirait était lourd, chaud et étouffant. Sa vision se troublait et ses membres s'engourdissaient. Il resta quelques instants allongé les yeux à semi-ouverts pour ne pas perdre connaissance alors que l'ombre ailée qui l'accompagnait descendit en cercle vers le sol. Il entendit alors une voix :

-Allez petit ! Relève-toi !

Il leva les yeux et vit un cheval blanc ailé à la crinière et queue bleue qui battait le sable avec ses sabots. Sur la monture ailée, un satyre nain grassouillet aux petits yeux le regardait avec un air sévère. Affaibli par la chaleur, n'importe qui aurait cru à une hallucination mais il connaissait parfaitement la monture ailée et son petit cavalier.

-M'oblige pas à descendre du canasson !

-Phil … dit-il. Je … je … ne pourrais … pas aller plus loin …

Il entendit de petits sabots s'enfoncer dans le sable et s'approcher rapidement de lui.

-Baisse pas les bras ! s'écria Phil. Tu crois qu'Achille aurait abandonné pour un petit coup de chaud ?! Non ! Et Jason ! Il aurait rassemblé …

-Je ne suis pas … eux … Phil.

Le cheval ailé hennit pour approuver le jeune homme tandis que le satyre fit une grimace.

-Règle 258 : Un héros doit pouvoir survivre dans des conditions extrêmes ! Déclara le satyre. Cela fait partie de ton entrainement, Herc. Tu dois accomplir la traversée du désert sans aide !

Le jeune homme reprit lentement sa respiration et prit appui sur ses coudes pour se relever. Il avait l'impression que le sol tanguait sous ses pieds. Pégase, son cheval ailé, se plaça à ses côtés et le soutint pour l'empêcher de chuter de nouveau ce qui lui valut un regard désapprobateur de Phil.

-Ce n'est pas comme ça que ça marche ! s'écria le satyre. Je suis ton entraineur et je te le dis, ce n'est pas comme cela que tu pourras espérer devenir un héros.

Hercule posa sa tête contre le dos de Pégase et ferma les yeux alors que son torse se bombait à chacune de ses inspirations. L'animal plaça ses ailes immaculées au-dessus du jeune élevé de Philoctète pour lui accorder un peu d'ombre. Pégase souffla par ses nasaux en direction de Philoctète pour le provoquer. Cela le fit enrager :

-Je suis ton entraineur ! Et qu'importe ce que pourra dire ton canasson à plumes, tu finiras cette épreuve seul !

-Je suis … d'accord avec toi, Phil … souffla Hercule.

-Tu ne m'écoutes jamais de toute façon ! Et puis … Ah … oui ? Tu es d'accord ?

Hercule rouvrit les yeux et essuya les gouttes de sueur sur son front.

-Je dois finir cet entrainement mais j'aimerais que tu me fasses une faveur. Dit-il. Une seule faveur, Phil.

L'entraineur des héros lui porta un regard plein de soupçons et demanda :

-Laquelle ?

Hercule se remit sur ses jambes et s'approcha du satyre.

-Dans quelle direction se trouve le prochain point d'eau ?

Philoctète soupira, signe qu'il avait cédé devant son nouvel apprenti, et montra du doigt un rang de dunes éloignées derrière lequel s'élevait un mur rouge et orangé de roc.

Aussitôt, rassemblant toutes ses forces et surmontant sa douleur, Hercule partit en courant dans la direction indiquée par Phil. Il hurlait, soit pour se donner du courage, de la force soit pour cacher la souffrance qui l'envahissait. Il courait entre les dunes de sable comme un damné, gardant en tête l'eau qu'il trouverait au-delà de l'horizon. Phil remonta sur Pégase et ils suivirent la trace de l'apprenti héros.

Derrière le rang de dunes désigné par Philoctète, se trouvait un fin canyon de roches dans lequel coulait un étroit mais rapide cours d'eau. Hercule atteint et grimpa sur les dunes de sable en un temps record utilisant le reste de ses forces et escala la falaise abrupte. Il arriva au sommet et s'avança jusqu'au précipice, il entendit les remous presque silencieux du cours d'eau qui se mouvait au fond du canyon. Sans hésiter, il sauta dans le gouffre et tomba dans l'eau agitée sous l'œil désabusé de Phil.

-Ce petit me tuera un jour …

Hercule fut porté par le cours d'eau sur quelques kilomètres. Reposant à la surface de la rivière, soulagé par la fraicheur de l'eau, il ferma les yeux et oublia les rayons assassins du soleil et perdit connaissance.

Lorsqu'il revint à lui, il entendit un enchevêtrement de petites voix dont il ne pouvait distinguer les paroles exactes. Il ouvrit les yeux et le soleil l'aveugla. Il vit des silhouettes qui l'observaient et qui murmuraient entre elles. Il cacha le soleil avec sa main et tenta de se relever.

-Il est vivant !

-C'est un étranger, je te dis. Il est pas d'ici. Regarde sa tenue.

-Ecartez-vous les enfants ! Laissez-le respirer !

Les petites silhouettes s'écartèrent pour laisser place à une forme plus grande qui aida Hercule à se relever. Le jeune homme put enfin distinguer ses sauveurs, il s'agissait d'une femme brune à la peau mât portant une voile bleue délavée et une tunique de la même couleur. Elle regardait l'apprenti héros avec des yeux attentionnés alors que de jeunes enfants s'attroupaient autour d'elle pour observer le rescapé des eaux.

-Vous êtes sauf, jeune homme.

Hercule regarda autour de lui et vit la rivière qui défilait non loin des enfants qui portaient des seaux en bois à bout de bras. Quelques arbres poussaient le long de la rivière dont le flux s'était adouci. Hercule se frotta les yeux, il était trempé et affamé mais son plongeon dans la rivière l'avait permis de surmonter la chaleur. Il devait maintenant se remettre les idées en place.

-Vous m'avez sorti de la rivière ? demanda-t-il.

-Oui, répondit la jeune femme avec un sourire. Nous nous y sommes pris à plusieurs pour vous extraire des eaux.

Hercule vit alors deux autres femmes qui remplissaient des amphores avec l'eau de la rivière et qui l'observaient en riant. Gêné, le jeune apprenti soutint sa tête et se remémora les évènements qu'il l'avait mené à se jeter dans la rivière.

-Je marchais dans le désert … commença le héros. Phil, Pégase … La rivière …

-Vous avez été chanceux, les étrangers ne survivent pas longtemps dans le désert.

Il était facile de deviner que le jeune gringalet devant eux ne provenait point des Sept Déserts tant ses cheveux roux, sa peau pâle et ses yeux bleus se faisaient rares dans ces régions arides. Il essora sa tunique blanche et alla se rincer le visage à l'eau de la rivière.

-Comment tu t'appelles ? demanda naïvement une fillette qui se mouillait les pieds sur la berge.

Hercule but une rasade d'eau pour soulager sa soif. Son esprit restait néanmoins embrumé et il répondit :

-Herc … Hercule …

-C'est bizarre comme nom. Déclara un garçon.

-D'où venez-vous, Hercule ? Questionna la femme au voile bleu.

Hercule se retourna pour voir où il se trouvait. Il était au pied des murailles d'une cité. La rivière serpentait le long des murs avant de disparaitre à l'horizon. De l'autre côté de l'eau, des falaises rouges s'élevaient pour former un étau dans lequel émergeait la cité du désert. Les murs étaient hauts et Hercule ne pouvait voir aucune habitation. Tout ce qu'il pouvait distinguer était une gigantesque coupole brune qui dominait ce qui lui semblait un palais aux murs d'ivoire. Des rotondes de plus petite taille entouraient la coupole centrale et rendait l'édifice plus superbe et magnifique.

-Vous avez perdu votre langue dans le désert ? Plaisanta la femme devant le silence d'Hercule.

Hercule reporta son attention sur la femme voilée et vit que les enfants l'entouraient et l'examinaient sur toutes les coutures. L'apprenti héros rougit de gêne et répondit :

-Je viens de loin. De loin à l'ouest. De Grèce …

-Jamais entendu parler de cette contrée. Répliqua une autre femme au voile brun qui portait une amphore d'eau.

-C'est très loin d'ici ? demanda à mi-voix une fillette dissimulée derrière sa mère tant le rescapé des eaux l'intimidait.

Si seulement il savait ce qu'était cet « ici ». C'était la seule ville qu'il croisait depuis son périple à travers le désert. Il voulut savoir où était Phil et Pégase. Peut-être étaient-ils à sa recherche. Ils l'avaient surement vu tomber dans la rivière et inspectaient les rivages. Hercule s'assit sur un rocher alors que les enfants et leurs mères l'entouraient.

-Qu'est-ce que vous faisiez dans le désert ? demanda une femme.

-Je tentais de rejoindre la mer. Dit-il simplement. Ça fait partie de mon entrainement.

-Ton entrainement ?! S'étonna un garçon.

-Oui, je suis parti de la mer à l'Ouest et je devais traverser le désert et rejoindre la mer à l'Est.

Un cri de surprise s'échappa de l'assistance qui regarda le jeune apprenti héros avec des yeux ronds.

-Vous avez tenté de traverser le désert d'une seule traite ?! s'écria une mère.

-Tout seul ?! s'écria une autre.

-C'est de la folie ?! Dit une troisième.

-Je te l'avais dit que c'était un fou, murmura un garçon dans l'oreille de son petit frère.

Hercule n'avait pas questionné Phil lorsqu'il lui avait fait part de son prochain entrainement. Traverser le désert d'Arabie lui semblait un bon test pour éprouver sa force et repousser ses limites. Mais avec ce qui venait de se passer, Hercule comprit qu'il avait grandement sous-estimé la difficulté de cette tâche.

-C'était une folie, concéda la femme au voile bleu. Mais vous n'êtes pas loin de votre but (Elle montra l'aval de la rivière.) Continuer à suivre l'eau sur quelques lieues et elle vous mènera jusqu'à la mer.

Hercule regarda par-dessus son épaule le flux tranquille de la rivière qui dépassait les murs de la cité pour poursuivre sa route entre le désert et les falaises rouges.

-Tu t'entraines pour quoi ? Osa demander un garçon aux cheveux noirs.

Hercule croisa le regard du garçon et lui sourit.

-Je m'entraine pour devenir un héros.

Les enfants laissèrent échapper un « Oh » admiratif lorsqu'une fillette ajouta immédiatement :

-Un héros comme Aladdin ?

Hercule regarda la petite, intrigué. Parmi tous les noms des héros grecs et ceux que Phil avaient entrainé, il n'avait jamais entendu parler d'un certain Aladdin.

-Qui … qui est Aladdin ? demanda Hercule.

Alors que la fillette allait répondre, un autre enfant la coupa :

-Tu connais pas Aladdin ?!

Hercule fit non de la tête avec un sourire gêné.

-T'es vraiment un étranger, alors ! Rit un garçon.

-Il est connu dans tous les Sept Déserts !

-C'est le héros d'Agrabah ! Il a affronté toute sorte de monstres et de bandits !

Les enfants poursuivirent leur éloge sur le mystérieux Aladdin pendant quelques minutes et à mesure qu'ils continuaient à parler de lui, l'intérêt d'Hercule pour ce héros du désert était totalement éveillé.

-Cela doit être un grand héros pour que vous le teniez en si grande estime, fit le demi-dieu.

Ce fut la femme au voile bleu qui lui répondit :

-Aladdin était autrefois un vaurien des rues, un homme qui volait pour vivre. Il a sauvé notre ville de maints dangers et ce au péril de sa propre vie. Aujourd'hui, il vit au palais et a épousé la Princesse mais il n'a pas oublié les pauvres gens d'Agrabah. Il est généreux et bon et un jour, il sera Sultan.

Hercule repensa à tous les récits sur les grands héros grecs que lui racontaient ses parents adoptifs et son entraineur. Aladdin semblait ressembler à ces héros : Achilles, Thésée, Ulysse, Jason, Hector. Il aurait aisément sa place dans le panthéon des grands héros grecs. Phil, Pégase et son entrainement lui sortirent de la tête et il n'avait plus qu'une seule envie : rencontrer ce héros des sables.

-Où est-ce que je pourrais trouver cet Aladdin ? J'aimerais beaucoup le rencontrer. Demanda vivement l'apprenti héros.

Un garçon montra les tours qui émergeaient de derrière les murailles.

-Il doit-être au Palais. Dit-il.

-Je ne pense pas que vous arriverez à le voir. Ajouta la femme au voile bleu. Les dirigeants et dignitaires des contrées du désert sont déjà arrivés. La grande réunion a surement déjà commencé.

Hercule prit appui sur ses genoux et, déterminé, il les remercia avant de déclarer en souriant.

-Je vais aller tenter ma chance. Merci encore pour tout.

Suivi par les mères et leurs enfants, il longea les murailles de la cité jusqu'à une lourde porte en bois sculpté creusé dans la pierre où passait les marchands ambulants, les caravanes et les voyageurs. Hercule regarda la courbe de la rivière qui filait jusqu'à la mer puis s'en détourna. Il entra alors dans Agrabah, déjà en effervescence suite à l'arrivée des souverains étrangers, et se dirigea vers le palais.

***

Le soleil n'avait pas atteint son zénith que les délégations étrangères passèrent la porte principale de la cité d'Agrabah. Aladdin, Jasmine et le Sultan les virent arriver au loin, se tenant au seuil des portes du palais entourés par Razoul et ses hommes. A leurs pieds, la longue avenue, reliant le palais à la grande porte, avait été dégagée par la garde. Les habitants d'Agrabah étaient contenus par les soldats qui les empêchaient de traverser la grande rue. Les citoyens étaient entassés de chaque côté pour voir arriver les grands seigneurs qui gouvernaient les Sept Déserts.

Ce fut Hassan Adil, Roi d'Hyrouk, qui passa en premier les portes d'Agrabah. La cité d'Hyrouk et Agrabah avaient depuis de nombreuses années d'excellentes relations. Une alliance militaire et de nombreux accords commerciaux avaient été conclus et cette entente reposait essentiellement sur l'amitié entre le Roi Hassan et le Sultan d'Agrabah. Les deux hommes se connaissaient depuis l'enfance alors que leurs pères partaient à la chasse au lion dans les steppes d'Afrique. Tayeb et Hassan restaient ensemble avec leurs mères attendant que leurs pères reviennent de leurs longues semaines de chasse. Ils avaient appris ensemble l'art de monter, l'art de l'épée, la politique, les tactiques et stratégies militaires, la diplomatie et l'économie. Bien qu'ils fussent formés à l'art de la guerre, Tayeb et Hassan ne versaient pas dans les frasques belliqueuses et guerrières. Ils se plaisaient à parcourir les vastes déserts à cheval ou à explorer les forêts exotiques et sauvages de la province d'Hyrouk. Ils préféraient s'adonner à l'astrologie, à la mécanique ou à l'herboristerie, là où leurs pères et grands-pères chassaient, guerroyaient et joutaient. Les deux hommes étaient différents de ce qu'on pouvait attendre de souverains de leur stature. Malgré les années, après qu'ils eurent pris épouses et qu'ils héritèrent de leurs charges, Tayeb et Hassan restèrent très proches. Lorsqu'un conflit éclatait, Agrabah et Hyrouk se retrouvaient toujours côte à côte dans la bataille et défendaient leur peuple avec la même ardeur. Si l'un prenait parti pour une cause, l'autre le rejoignait sans se poser de question. Tayeb et Hassan avaient un lien qu'on ne pouvait retrouver que chez des frères. Ce lien s'était presque étendu à leurs provinces formant une puissance alliance parmi les nations des Sept Déserts.

L'escorte d'Hassan Adil fit son entrée dans la ville sous le son détonnant des tocsins. Des soldats en longues tuniques rouges, armés de lances étincelantes, marchaient en tête, suivis par des cavaliers du désert sur de robustes montures à la robe sombre. Attroupés derrière les lignes formées par les gardes, les gens d'Agrabah observaient les soldats d'Hyrouk parader dans la longue avenue. Deux gigantesques cages passèrent sous les portes, tanguant de gauche à droite, soutenues par de larges porteurs. Entre les fins barreaux, des oiseaux exotiques de piaillaient et virevoltaient parmi les centaines de perchoirs. Les spectateurs s'émerveillèrent devant cet amas de couleur et de plumes et ce malgré le son strident et chaotique qui s'en échappait. Derrière les voilières piétinait un grand éléphant gris entouré de cavaliers en armures dorées. Sur le pachyderme, une petite loge était disposée sur laquelle trônait un homme rayonnant. Le Roi d'Hyrouk, Hassan Adil, dans une tenue rouge ornée d'or et de grenat, salua la foule amassée de chaque côté de la grande avenue. Le peuple acclama le souverain au passage de son éléphant qui s'approcha peu à peu du palais alors que d'autres soldats en armes fermaient sa marche.

Tayeb, le Sultan d'Agrabah affichait un sourire sans égal sans sa barbe blanche. Il avait mis sa plus belle tenue pour accueillir son ami de toujours. Jasmine se tenait non loin de son père, habillée d'une tenue blanche, un fin voile blanc entourait ses épaules et son haut dévoilant ses formes et son ventre. Elle portait un diadème orné d'un saphir qui brillait au soleil et un collier d'or. Aladdin portait un long manteau blanc de cérémonie aux larges épaules. L'ancien voleur ne s'était pas encore fait à ces habits. La tenue lui pesait et il n'était pas à l'aise dans ses mouvements. Il remit son turban en position alors que l'éléphant portant Hassan Adil commença l'ascension qui le menait au Palais.

Arrivé en haut des larges marches qu'il avait grimpées lentement mais surement, l'éléphant s'assit ses pattes pour faire descendre celui qui demeurait dans la loge sur son dos. Hassan descendit du pachyderme d'un saut assuré malgré sa longue tenue de cérémonie en soir rouge. C'était un homme maigre à la peau d'ébène et à la barbe et aux cheveux de neige. Tout comme son compère d'Agrabah, le temps avait fait son œuvre sur le Roi d'Hyrouk mais son visage, marqué par les rides, semblait rayonner de joie et ses yeux pétillaient de malice. Hassan avança d'un pas rapide vers le Sultan, les bras ouverts et le sourire aux lèvres.

-Tayeb ! Mon ami ! s'écria-il.

Le Sultan alla à la rencontre d'Hassan et l'enlaça avec ses courts bras.

-Quel plaisir de te revoir, Hassan ! dit-il.

-Tu grossis d'année en année, mon ami. Remarqua Hassan.

-Et toi, tu restes tout aussi mince, répliqua Tayeb en riant.

Les deux hommes éclatèrent de rire et s'embrassèrent amicalement comme deux frères qui se retrouvaient. Hassan se tourna vers le couple derrière le Sultan. Il s'approcha de Jasmine et il lui prit les deux mains. Il les embrassa vivement.

-Toujours aussi belle, mon enfant. Dit-il en plongeant ses yeux dans ceux de la Princesse d'Agrabah.

-Tu es trop bon, répliqua Jasmine à celle qu'elle considérait depuis son enfance comme un oncle affectueux.

Hassan se tourna alors vers Aladdin qui par reflexe s'inclina devant le vieux Roi. Celui-ci pouffa de rire devant la courbette du voleur et s'empressa de le prendre dans ses bras :

-Arrête le protocole, mon garçon. Tu fais partie de la famille maintenant !

Aladdin fut surpris de la force du Roi qui l'étreignit de toutes ses forces. Il regarda par-dessus l'épaule d'Hassan et vit Jasmine et son père, ravis de voir qu'Hassan l'avait adopté.

Le vieux roi et sa suite passèrent les portes du palais alors qu'une nouvelle escorte entrait dans Agrabah. C'était une escorte bien plus humble que celle du Roi Hassan, elle était composée d'une cinquantaine de soldats à pieds et de serviteurs qui entouraient une grande loge fermée soutenue par huit porteurs. Ils provenaient de la petite province de Cirine et leur arrivée dans Agrabah fut discrète. Bien que le peuple acclama le passage de la loge à porteurs, il n'y eut aucune manifestation de la part du souverain dont la loge resta close. Ils rejoignirent rapidement le seuil du palais où les porteurs déposèrent lentement la loge au sol.

La porte de la loge s'ouvrit et une petite vieillarde voutée en sortie. La Reine régente Warda de Cirine était une femme aux cheveux blancs noués en une longue tresse. Son visage ridé montrait des signes de faiblesse mais la vieille femme affichait néanmoins un sourire au Sultan qui l'aida à sortir de sa loge.

-Je vous remercie d'être venue, Warda. Dit le Sultan d'un ton poli. Votre présence m'enchante.

Il lui fit un baisemain.

-Je suis moi aussi heureuse de vous revoir, dit-elle.

-Le voyage fut-il agréable ?

-Assez, rit-elle. Bien qu'à mon âge, ces voyages me fatiguent.

-Votre venue m'honore, reprit le Sultan ravi.

-Je n'allais pas manquer une occasion de revoir Agrabah. Cela fait une vingtaine d'années que je ne suis pas venu ici. Votre ville est magnifique, Sultan.

Tayeb s'inclina et Warda se dirigea vers le couple de jeunes mariés. Jasmine et Aladdin s'inclinèrent à son passage. La Princesse eut droit à un sourire et à regard amical de la part de la régente de Cirine. Mais Warda s'attarda sur Aladdin. Elle le dévisagea avec ses petits yeux pénétrants et le jeune homme se sentit comme nu sous le regard déroutant de la reine régente. Sans aucun mot, elle partit avec son escorte dans le Palais.

Jasmine remarqua la gêne de son époux devant Warda. Discrètement, elle lui saisit la main. Aladdin, surpris croisa les yeux de sa princesse. Des yeux rassurants et affectueux qui voulaient dire : « Ce n'est rien, juste une vieille femme aigrie ».

Au loin, on entendait arriver la prochaine escorte. Celle-ci était précédée par de courts bruits de clochettes. C'étaient des serviteurs qui portaient de longs bâtons sur lesquels étaient accrochés de nombreuses petites cloches. Ils les secouaient à l'unisson pour attirer l'attention de tous les gens d'Agrabah. Des fantassins en armure d'argent les suivaient ainsi que des concubines qui dansaient agitant de nombreux voiles de maintes couleurs et portant de nombreux bijoux ornées de pierres précieuses. Des Cavaliers entouraient un rhinocéros à la corne d'or massif qui tirait un immense carrosse en bois sculpté et décoré en or et argent. Le carrosse était ouvert et contenait de nombreux coussins précieux surmonté d'une toile où siégeait une femme blonde qui attirait tous les regards. Elle salua la foule et les hommes furent frappés par sa beauté. Elle avait un visage fin, une longue chevelure blonde, des lèvres pulpeuses et des yeux verts. Elle portait une longue robe bleue, proche du corps avec un long voile transparent qui descendait dans son dos. Sur sa tête trônait une couronne d'or étincelante avec trois émeraudes en ornements et des petits diamants incrustés. La foule d'Agrabah firent un accueil chaleureux à cette déesse des sables qui fut applaudi tout comme ses danseuses qui la précédaient.

Arrivé devant les portes du palais, Balki, Reine de Saba, descendit de son carrosse. Elégante avec sa chevelure flottant dans le vent, elle rejoignit le Sultan d'Agrabah qui accourut devant elle. Il embrassa la main délicate de la Reine de Saba.

-Vous nous illuminez par votre présence, Madame. Dit-il envouté par la jeune femme.

Balki regarda le Sultan avec amusement, attendrie par sa galanterie. Aladdin ne resta pas insensible au charme de la blonde car sa beauté ne faisait aucun doute à celui qui croisait son regard de jade. Balki resta silencieuse et se baissa pour baiser le front du vieux sultan d'Agrabah qui pendant un instant se sentit pousser des ailes.

-Merci de nous accueillir dans votre Palais, noble Sultan. Déclara la reine.

Elle passa devant Aladdin et Jasmine qui s'inclinèrent. Elle s'arrêta devant le jeune couple et leur sourit.

-Vous êtes magnifique, Princesse Jasmine. Dit-elle.

-Je vous remercie, votre Majesté. Répondit Jasmine.

Les roses du désert se saluèrent de nouveau et la Reine de Saba se tourna vers Aladdin auquel elle porta un certain intérêt.

-Alors voici le fameux Aladdin. Dit Balki langoureusement.

Sentant le regard de Jasmine et les yeux verts de la Reine de Saba sur lui, Aladdin frémit un court instant et répondit maladroitement :

-A votre service, votre Altesse.

Cela fit rire la blonde et fit grimacer son épouse.

-On m'a conté vos exploits, héros d'Agrabah. Le récit de vos combats et aventures ont dépassé les frontières de votre province. J'adorerais écouter vos histoires par votre propre bouche.

Aladdin resta bouche bée devant Balki qui lui faisait les yeux doux alors que Jasmine observait ,impuissante, son époux défaillir.

-Eh …Eh bien … bégaya le vaurien. Je ne sais … pas … si …

-Vous avez bien dit que vous étiez à mon service ? rappela la blonde moqueuse.

-Je le ferais, répondit finalement Aladdin, rouge, en détournant le regard.

La Reine de Saba partit en gloussant, suivie par ses suivantes alors qu'Aladdin soutenait le regard sombre de Jasmine.

-Elle peut te mener par le bout du nez, réprimanda la Princesse à son époux

-Elle est assez … intimidante … tenta de se justifier Aladdin.

Jasmine ne répondit pas et détourna son attention de son mari qui fit tout pour tenter de se pardonner auprès d'elle.

Les tambours annoncèrent l'arrivée de l'Emir d'Arwa, Fayiz Sakhri. C'était un guerrier qui avait traversé de nombreuses guerres et vu maintes batailles : Un homme de haute stature et de forte carrure au visage sévère comme taillé dans la pierre, à la barbe grisonnante et aux yeux sombres. Il menait de tête son escorte sur son cheval à la robe noire comme la nuit. Ce géant menait une longue escorte de cavaliers portant tous des armures en plaques sombres, des boucliers et des casques dénués de pierres et de fanfreluches. L'Emir Fayiz était réputé dans les Sept Déserts pour être un seigneur de guerre redoutable. Il ne fallait pas penser qu'il était belliqueux mais il entendait protéger son Emirat d'Arwa en exacerbant les craintes des autres souverains. Son attitude froide et distante conjuguée à la discipline qu'il exigeait de son armée décourageait ceux qui tentaient de s'en prendre à sa province. Pourtant certains tentèrent de s'attaquer à lui. Ils le payèrent amèrement.

Fayiz Sakhri et ses cavaliers piétinèrent le sable de la grande avenue d'Agrabah laissant derrière eux un nuage de poussière. A leur passage, certains habitants les saluaient et les acclamaient mais ils n'obtenaient aucune réponse de la part de l'Emir ou de ses hommes. Ces derniers ne détournaient pas les yeux de leur chemin, leurs faces étaient impénétrables et elles déroutèrent par leur absence de sentiments. Certains enfants se cachèrent derrière leur parent lorsque le Titan d'Arwa passa devant eux, tant son allure et son aura intimidait et effrayait. L'Emir Fayiz avait hérité de ce surnom il y a quelques années et l'avait détesté dès qu'il avait entendu.

Au seuil du Palais, Aladdin discernait les chevaux et les cavaliers dont les lances d'acier étincelaient au soleil. Leurs armures formèrent des cliquetis alors ils montaient les escaliers menant à la demeure du Sultan. Arrivé au sommet des marches, l'Emir Fayiz mit pied à terre et tendit son casque à un de ses hommes. Arborant sa barbe sombre taillée comme une arme acérée, il se dirigea à pas lourds vers le Sultan qui l'accueillit à bras ouverts.

-Je vous souhaite la bienvenue à Agrabah, Emir Fayiz !

Le Titan d'Arwa ne serra pas la main qui lui tendit le Sultan. Détaché, il s'inclina légèrement et répondit sur un ton neutre :

-Je vous remercie de votre hospitalité, Sultan Tayeb.

-Avez-vous fait bon voyage ? Demanda le Sultan.

-Mes cavaliers ont voyagé avec hâte durant toute la nuit. Le voyage fut bref, ce qui est tout aussi agréable.

Il passa avec sa suite de guerriers devant Aladdin et Jasmine. La Princesse fut saluée avec respect mais l'ancien malfrat fut parfaitement ignoré. Les petits yeux de Fayiz s'étaient posés brièvement sur lui et Aladdin n'avait pu y voir que dédain et mépris. Ils passèrent les portes du palais et le Sultan s'approcha d'Aladdin.

-Ne t'en fais pas pour ça, mon garçon. Murmura-t-il. Fayiz est un homme hautain. Il n'accorde son respect qu'à une infime partie d'individus. Et il a ses propres critères pour juger une personne.

Aladdin sourit à la remarque du Sultan, Jasmine ajouta en serrant le bras de son époux :

-Tu as vaincu des monstres et des adversaires bien plus impressionnants que lui.

-Tu te débrouilles très bien, mon garçon, reprit Tayeb. Je suis fier de toi, tu feras un grand Sultan si tu continues ton apprentissage.

-Merci Sultan, répondit Aladdin dont le cœur venait de sauter dans sa poitrine. Je crois avoir pris un peu de confiance.

Même Jasmine semblait avoir oublié le petit incident avec la Reine de Saba lorsqu'elle posa un baiser sur sa joue. Le Sultan reprit sa place alors que le dernier souverain était attendu.

Des trompettes sonnèrent à l'entrée de la ville pour annoncer la venue du Prince Marchand de Nawal. La Province de Nawal était différente de tous les autres royaumes formant les Sept Déserts. Elle était dirigée par un triumvirat de trois dirigeants. On les appelait les princes marchands. Cette appellation leur convenait car Nawal était une province riche en ressources et matières premières et ses dirigeants étaient choisis parmi les familles les plus riches de la contrée. Les marchands de Nawal parcouraient le monde à la recherche de nouvelles richesses à exploiter et vendre.

Cependant plus les trois princes marchands gagnaient en prestige et en fortune et plus ils commençaient à se jalouser. Ainsi depuis une vingtaine d'années, Nawal était en état de guerre civile parce que le Prince Marchand Achraf avait tenté d'assassiné la Princesse Zayn sous son propre toit. Le pays avait sombré dans le chaos lorsque le troisième dirigeant de Nawal, le Prince Ghâlib, décida de lever une armée pour éliminer ces deux rivaux. Ce conflit toucha les petites gens de Nawal, les plus pauvres, les faibles qui subirent de plein fouet l'horreur et les atrocités de cette guerre. L'activité commerciale de la contrée diminua et déstabilisa l'économie autrefois puissante de Nawal pour le mener peu à peu vers la ruine. La guerre civile perdura pendant maintes années et Nawal se replia sur elle-même dans une autarcie totale.

Deux ans plus tôt, des nouvelles s'échappèrent des frontières de Nawal. La guerre civile était terminée et les leaders de chaque faction avaient été vaincus par un groupe armé populaire appelé « les Enfants de Nawal ». Il rétablit la paix dans la paix et calma les tensions. Leur leader devint l'unique Prince Marchand gouvernant le pays. Selon les rumeurs, Nawal commençait à retrouver sa gloire et sa prospérité d'antan après un long sommeil empli de cauchemars et de ténèbres.

L'invitation du nouveau dirigeant de Nawal au sommet des Sept Déserts était une main tendue des autres souverains vers cette nation pour ramener l'ordre et créer un immense réseau commercial entre les sept royaumes. Officiellement, c'est ce qui avait été dit mais officieusement, c'était pour pouvoir rencontrer ce fameux leader qui avait retourné la guerre civile de Nawal à son avantage pour s'imposer comme unique dirigeant. Nawal n'était pas une contrée à se mettre à dos, surtout si elle était prête à offrir de rares richesses.

Ainsi vint le Prince Marchand Munir. Précédés par des musiciens jouant à l'unisson une mélodie d'allégresse, un convoi d'une cinquantaine de chameaux passa les portes d'Agrabah. Certains cavaliers portaient des cimeterres à leurs ceintures, certains n'avaient aucune arme. Cette escorte ressemblait plus à une gigantesque caravane plutôt qu'à la suite d'un grand prince. Mais sur chaque chameau, des paniers étaient disposés des deux côtés de l'animal. Ces paniers contenaient une matière qui attira les yeux de tous. Ils débordaient d'or.

Dès leur entrée dans Agrabah, les cavaliers commencèrent à lancer les pièces d'or contenues dans leurs paniers. A la vue de l'or qui volait dans leur direction, les gens d'Agrabah s'agitèrent et remuèrent. Les cris de surprise s'échappèrent de la foule alors que les acclamations doublèrent en force. Plus les habitants d'Agrabah hurlaient leur joie, plus les cavaliers balançaient le contenu de leurs paniers dans la foule. Ils portaient différentes tuniques de couleurs et on pouvait apercevoir leurs grands sourires alors que la foule les saluait et les applaudissait. Pendant quelques instants, les soldats d'Agrabah eurent beaucoup de difficultés à contenir le peuple d'Agrabah qui se battait presque pour atteindre les pièces d'or, certains tentèrent même de passer outre les soldats pour se servir dans les paniers. Même les gardes qui protégeaient la grande rue n'hésitaient pas à rompre le rang pour ramasser deux ou trois pieces d'or qui gisaient à leurs pieds.

La clameur monta jusqu'au palais et le Sultan s'étonna d'entendre une telle euphorie de la part des habitants d'Agrabah pour un souverain qui n'était pas le leur.

-Ils sont très enthousiastes ! Dit-il naïvement.

L'escorte du Prince Munir fut portée aux nues jusqu'à sa montée des marches du palais. Le Sultan chercha du regard où pouvait être le souverain de Nawal parmi tous les monteurs de chameaux aux nombreuses tuniques colorées. Le cavalier qui menait le convoi descendit de son cheval et enleva son turban vert pour dévoiler ses cheveux courts sombres bouclés. Il avait un long manteau vert sur des vêtements blancs. Il était jeune et beau avec des yeux verts et un sourire immaculé. Il émergea de la cohorte de chameaux et s'approcha du Sultan :

-Prince Munir, à votre service, Sultan d'Agrabah !

Tayeb écarquilla les yeux devant le jeune qui venait de mettre genou à terre pour s'incliner devant lui. Le vieil homme sourit jusqu'aux oreilles et invita le prince marchand à se relever.

-Vous devez être le fameux Prince Munir. Bienvenue à Agrabah ! C'est un plaisir de vous rencontrer.

-Tout le plaisir est pour moi, votre Altesse.

-Je dois avouer, concéda le Sultan, que je vous aurais cru plus vieux …

Le Prince Munir éclata d'un rire franc et reprit :

-Je suis jeune et j'ai énormément de choses à apprendre. J'espère apprendre énormément à votre contact.

-Ho ho ho ! Je ne voulais pas vous froisser. Je suis sûr que nous nous entendrons très bien.

Le Sultan et Munir s'arrêtèrent devant Aladdin et Jasmine.

-Voici ma fille Jasmine et son époux Aladdin. Annonça Tayeb.

Le Prince Marchand saisit délicatement la main de la princesse et fit un baisemain.

-Les rumeurs sur votre beauté ne vous rendent pas suffisamment justice, Princesse Jasmine. Dit-il.

-Et que disent les rumeurs ? Demanda-t-elle en souriant.

-Elles disent que vous êtes magnifique et gracieuse. Mais votre beauté rayonne comme un second soleil.

Jasmine était habituée aux compliments des grands dignitaires étrangers qui venaient s'attirer ses faveurs ainsi que celles de son père. Elle n'y accordait la plupart du temps que peu d'importances car elle y voyait les manœuvres politiques et les frasques du protocole. Mais le Prince Munir avait prononcé ses mots d'un ton léger, non forcé et ses paroles semblaient pleines de sincérité. Elle le remercia d'un signe de tête silencieux alors que le Prince Marchand se tourna alors vers Aladdin.

-Aladdin ! J'ai tant entendu parler de vous ! dit-il en serrant la main de l'ancien voleur. C'est un plaisir de vous rencontrer enfin.

-C'est un plaisir réciproque, Prince Munir. Répliqua Aladdin à l'aise avec ce Prince plus amical qu'intimidant.

-Je suis heureux de vous voir ici. Dit-il. Je pensais que vous seriez parti pour une de vos grandes aventures comme on me l'a conté dans mon pays.

Aladdin ne sut quoi répondre.

-Disons que les aventures se font plus rares, ces derniers temps …

Le Prince Munir acquiesça avec un sourire et se reporta sur le Sultan.

-Votre Altesse ! J'ai apporté d'innombrables cadeaux pour Agrabah et son peuple ! De la soie de l'Orient lointain et de la fourrure apportée des froides terres de l'Ouest. Des fruits cultivés dans les îles tropicales du Sud et des poissons que l'on ne peut trouver que dans les Océans au-delà du Soleil.

Le Sultan afficha un sourire jusqu'aux oreilles et invita son invité à le suivre.

-Tout cela me semble merveilleux, mon jeune ami ! Mais nous verrons tout ça en temps et en heure ! Je présume que votre voyage fut long depuis Nawal. Vous devez avoir faim assurément. Et pour cela j'ai le remède ! Un festin nous attend ! Remplissons-nous la panse et ensuite nous pourrons discuter de nos affaires.

Le Prince et le Sultan passèrent les portes du palais suivis par Aladdin et Jasmine qui parlaient à voix-basse.

-Ton père semble bien aimer le Prince Munir.

-Je ne m'imaginais pas qu'il serait aussi jeune, enjoué et euphorique.

-Comment ça ?

-Je m'attendais à quelqu'un de plus sévère, âgé et qui s'apparenterait à un guerrier, ou à un seigneur de guerre. Il a mis fin à une guerre civile qui ravageait son pays depuis vingt ans et pourtant il n'est pas plus âgé que toi ou moi. C'est assez étonnant …

-Il cache peut-être son jeu, dit Aladdin en souriant. En tout cas, il me plait bien …

-Evidemment, répondit Jasmine en riant. Il ne tarissait pas d'éloges sur toi. Tout comme la Reine de Saba.

-Ah …

-On aurait dit un enfant qui avait fait une bêtise et qui tentait de le cacher. Tu ne pouvais aligner aucun mot face à elle. Dit-elle pour taquiner son époux. Mais tu n'es pas le seul à flancher devant Balki, Reine de Saba. Elle fait le même effet à tous les hommes qu'elle croise.

-Je ne défaillirais pas une seconde fois, lui promit Aladdin.

-Les Sultans ne doivent pas flancher devant une belle plante blonde.

-Je préfère les belles brunes … dit-il en se rapprochant d'elle.

-N'essaie pas de te faire pardonner, répliqua-t-elle tout sourire. Tu n'es pas encore sorti d'affaire. Le repas sera une plus grosse épreuve pour toi, apprenti Sultan.

Le banquet fut servi dans la salle du trône au milieu du tapis rouge qui reliait le trône à la forme d'éléphant doré aux grandes portes de la salle aux parois bleues azur. La grande table était en U, dos au trône et ouvert à la porte. C'était une table faite d'un bois rare dans le désert et dont la couleur jaunâtre faisait penser à de l'or. Sur celle-ci étaient disposés de somptueux mets. Un plateau d'argent présentait des côtes d'agneau saupoudrées d'épices à côté d'une grande corne d'abondance de fruits qui semblait ne pas avoir de fond. Deux amphores de vin étaient séparées par un grand poisson aux écailles étincelantes et encerclés par de nombreux fruits de mer sur un lit de citron. Des loukoums parsemaient chaque coin de la table dans de petits plats de verre et de chaque côté de la table deux poulets farcis se faisaient face comme des chevaliers avant une joute bien que la leur ne débuterait jamais. Tant de plats qui défilaient devant les dirigeants des Sept Déserts grâce aux serviteurs et domestiques du Sultan qui transitaient entre les cuisines et le banquet.

Le Sultan était assis à côté du Roi Hassan sur la petite partie de la table en U et les deux souverains plaisantaient comme à leur habitude. D'un côté de la table, Aladdin était encadré par le Prince Munir et l'Emir Fayiz. Ce dernier n'avait aucune conversation et restait enfermé dans un mutisme profond dégustant simplement tout ce qui lui était servi. Munir était presque tout le contraire, il s'adressait aux domestiques qui venaient le servir et le remerciait avec un mot gentil. Il suivait attentivement une conversation entre Tayeb et Hassan forte animée, appelant fréquemment une jeune domestique pour qu'elle remplisse sa coupe de vin. Aladdin s'ennuyait à mourir. Il pensait que Munir et lui auraient pu discuter durant le repas mais voilà qu'il l'ignorait totalement. Il regarda à la table parallèle face à lui, Jasmine était entourée par Balki, la Reine de Saba et Warda, la Reine Régente de Cirine. Les trois femmes conversaient calmement, Aladdin ne discernait aucune de leurs paroles. Parfois, il vit Jasmine tourner légèrement les yeux vers lui avec un léger sourire de réconfort dans ce repas qui lui semblait déjà durer une éternité.

Aladdin se réinstalla sur son coussin et prit la coupe de vin qui trainait devant lui. Il porta le liquide rouge à ces lèvres et le but lentement en portant le regard sur la salle. Il ne s'était toujours pas habitué au gout du vin et fit tout pour dissimuler cela aux autres invités.

Un versant de la salle du trône était ouvert et donnait sur les jardins du Palais. Une légère brise passait entre les épais piliers de marbre et caressait le dos d'Aladdin avant de ressortir à l'autre bout de la salle par l'immense balcon qui donnait sur Agrabah. Dans les jardins, toutes les suites des dirigeants des Sept Déserts avaient pris quartier autour de la grande fontaine. Aladdin repensa à Abu et Rajah qui ne pourraient pas faire leur balade quotidienne dans les jardins à cause des invités. Il ne les avait pas vu de la journée et s'attendait presque à voir surgir son comparse simien de sous une table pour chiper un fruit ou une friandise.

Munir, Hassan et le Sultan éclatèrent de rire et attirèrent l'attention de tous les convives sur eux.

-Mon cher Munir, vos anecdotes sont hilarantes ! S'esclaffa Hassan Adil.

-Cela fait bien longtemps que je n'avais pas ri ainsi, dit le Sultan.

-Je pourrais partager d'autres anecdotes lorsque le vin aura ravivé certains de mes souvenirs enfouis. Expliqua Munir.

-Prince Munir ! Votre venue dans notre petit cercle restreint est une bénédiction. Vous semblez de la même trempe que Tayeb et moi. Répliqua le Roi Hassan en levant sa coupe, hilare.

-Je ne m'avancerai pas là-dessus.

L'Emir Fayiz venait de rompre le silence à la stupéfaction de tous. Le Titan d'Arwa essuya sa bouche et fixa Munir de ses yeux sévères.

-Je suis certain que vous n'êtes pas de la même trempe que ces deux-là. Dit-il en désignant Tayeb et Hassan. Vous êtes quelqu'un d'autre.

Munir contint le regard accusateur de Fayiz, jusqu'à ce qu'il questionna :

-Alors qui suis-je, Emir Fayiz ?

Le ton joueur du jeune Prince Marchand déplut au guerrier d'Arwa qui commença son explication :

-On entend de nombreuses choses depuis la fin de la guerre civile à Nawal. Je ne sais rien de vous, Prince Munir. (Il prononça ce nom comme s'il lui écorchait la bouche). Mais j'ai entendu des rumeurs sur ce que vous avez fait pour accéder au pouvoir à Nawal. Je n'ai jamais porté le Prince Achraf en estime. C'était un être puant qui incarnait la décadence chaque minute qu'il passait sur cette terre. Il était incapable de bouger son corps obèse et passait son temps à se bâfrer dans l'opulence et la luxure. On raconte que vous et vos hommes l'avez pendu à la plus haute tour de son palais et qu'il fallut trois cordes pour le soutenir. Les rumeurs sont pourtant sombres et nébuleuses. Pour le Prince Ghâlib, on m'a murmuré que vous l'avez enfermé dans son palais et que vous l'avez incendié. Mais les rumeurs sont sombres et nébuleuses. Je n'éprouvais aucune affection que ce soit pour Achraf et Ghâlib. Je n'ai pas pleuré la mort de ces deux êtres indignes. Et pourtant avec les rumeurs concernant leurs morts, j'ai appris énormément sur celui qui les a renversés et les a remplacé à la tête de Nawal. Vous souriez, vous vous comportez comme un fanfaron. Mais c'est un rôle, un masque que vous portez. Vous n'êtes pas celui que vous voulez montrer alors je vous le demande à vous … Qui êtes-vous ?

Le sourire du Prince se mua en un rictus. Il soupira et toisa le regard agressif de l'Emir Fayiz.

-Je suis quelqu'un comme vous. Répondit-il. Quelqu'un prêt à tout pour protéger son peuple.

Munir reprit une gorgée sous l'œil sceptique de l'Emir.

-Vous avez jeté un froid sur notre festin, cher Fayiz. Annonça Balki. Ne donnons pas d'importance aux rumeurs qui parcourent nos royaumes par les bouches des serpents et les oreilles des singes.

-Vous avez raison, appuya le Sultan. Profitons que nous soyons tous réunis pour célébrer la paix enfin revenue dans les Sept Déserts.

-La fin de la guerre civile à Nawal ouvre une nouvelle ère pour nous tous après de bien sombres épreuves. Rajouta la vieille Warda alors que les derniers mots s'étouffèrent dans sa bouche.

Aladdin vit qu'elle regardait le redoutable émir avec des yeux teintés de tristesse et de colère. Ignorant la régente de Cirine, Fayiz gardait son attitude distante et sa stature de pierre.

-Le dernier conseil entre les chefs des Sept Déserts s'est déroulé, il y a plus d'une trentaine d'années, fit remarquer Balki. Et celui-ci se termina en un bain de sang …

-Prions pour que l'histoire ne se répète pas, lança le Roi Hassan en levant son verre.

La sublime Reine de Saba lui rendit le geste et les invités firent de même. Aladdin se força à finir son verre quand Munir se tourna vers lui.

-Maintenant, j'aimerais beaucoup que vous me racontiez quelques-unes de vos aventures.

Aladdin, pris au dépourvu, faillit recracher son vin. Il déglutit et répondit :

-Je ne sais pas par où commencer.

-Celle qui vous vient à l'esprit, dit Balki intéressée.

-Il y en a tellement, ajouta Jasmine pour soutenir son époux.

-Tu as participé à ces aventures, Jasmine. Déclara le Roi Hassan. Tu peux surement nous en dire quelque chose.

-Je ne les connais pas toutes, se ravisa soudainement la Princesse alors que tous les regards se tournaient vers elle.

Seul l'Emir Fayiz et la Régente Warda semblaient ne pas accorder de grande importance aux récits héroïques d'Aladdin. Le militaire ne les écoutait que d'une oreille continuant de manger ce qui se trouvait devant lui tandis que la vieille femme observait la conversation nonchalante et détachée.

-Il y a cette fois, où j'ai combattu une chimère qui s'était attaqué à Agrabah en pleine nuit.

Aladdin retenait à présent toute l'attention de l'assistance.

-C'était une créature à tête et corne de lion, aux cornes de bouc et avec un serpent venimeux pour queue. Ce n'était pas une bête très grande mais elle était bigrement rapide et filait entres les ruelles d'Agrabah terrorisant tout sur son passage.

Le Sultan et Hassan buvaient ses paroles tels des enfants à l'écoute d'une geste héroïque.

-Comment l'avez-vous arrêté ? demanda Munir.

-Il fallait capturer cette chimère avant qu'elle ne fasse d'autres dégâts donc nous avons décidé de lui tendre un piège. J'allais appâter la bête pour la mener directement dans notre guet-apens. Je connais Agrabah comme ma poche et ça n'a pas été difficile pour amener le monstre exactement où je le voulais. Après l'avoir mener dans une impasse, Génie l'a enfermé dans une cage …

-Attendez un instant, interrompit Munir. Vous avez bien dit « Génie » ?

Sentant qu'il en avait surement dit trop, Aladdin se stoppa dans son récit et sembla moins prompt à poursuivre.

-Vous avez un génie ?! S'exclama le Roi Hassan.

-Ou … oui c'est exact …, dit Aladdin.

-Et vos trois vœux ? Demanda vivement l'Emir Fayiz qui trouva un soudain intérêt pour la conversation.

Les yeux sévères de l'Emir percèrent les pupilles d'Aladdin qui se crut victime d'un interrogatoire.

-Il a utilisé ses trois vœux, il y a bien longtemps, répondit à sa place Jasmine. Il a libéré ce Génie avec son dernier souhait.

Les visages des dirigeants des Sept Déserts affichèrent un étonnement et une certaine surprise à cette nouvelle.

-C'est stupéfiant … souffla le Roi Hassan.

-Cela ne m'étonne pas de la part du héros d'Agrabah, répliqua Munir.

-Vous auriez également en votre possession un tapis volant, selon les dires. Dit la vieille Warda sans sourciller.

-C'est vrai ?! S'exclama Hassan en écarquillant les yeux.

-Oui. C'est un sacré voltigeur et un compagnon hors-pair. Répondit le Sultan en se remémorant les quelques péripéties aériennes qu'il avait partagé avec ce tapis magique.

-Tu m'avais caché cela, Tayeb ! s'indigna Hassan.

-Tu n'avais jamais eu l'occasion de le rencontrer. Expliqua l'autre.

-Pouvons-nous voir votre génie et votre tapis ? demanda Munir à Aladdin.

-Malheureusement, ils sont partis en voyage, il y a quelques mois.

L'entrain concernant ces deux êtres magiques disparut aussitôt parmi les convives. Le Prince Munir affichait un air déçu tandis qu'Hassan grimaçait. Fayiz et Warda n'en furent pas troublés et Balki rompit le silence avec sa voix langoureuse :

-Le héros d'Agrabah a énormément de ressources.

Elle but le vin contenue dans sa coupe en jetant un regard charmeur à l'ancien vaurien. Jasmine vit que la Reine de Saba accordait bien trop d'intérêt à son jeune époux. Elle décida de relancer la conversation :

-Ils reviendront surement sous peu. Dit-elle à Hassan. Nous nous ferons une joie de vous les présenter.

Aladdin ne put s'empêcher de penser que si le Génie était parmi eux, il leur ferait un show de magie dont lui seul avait le secret. Le Tapis aurait été égal à lui-même discret et fiable. Il aurait fait quelques cabrioles pour certains invités sur demande. Le Tapis et le Génie avaient deux personnalités totalement opposés et pourtant leur entente était parfaite. C'est pourquoi le Génie décida de prendre le Tapis comme compagnon de voyage lorsqu'il partit pour un second tour du monde. Partis depuis six mois, Aladdin espérait les voir revenir à tout moment pour changer la monotonie de ces derniers temps. Comment se serait passé les choses si le Génie et le Tapis n'étaient pas partis ? Aladdin continuait de s'interroger.

-Maintenant, la question qu'on peut se poser c'est quelle est la part de mérite de ce Génie et de ce Tapis Magique dans vos exploits ? grogna l'Emir Fayiz.

Aladdin sentit les yeux inquisiteurs du Titan d'Arwa sur lui durant tout le reste du repas. Tous les mets qu'on lui servit eurent alors un goût amer.

***

Shang ne pouvait détourner son regard du corps. Il reposait sur une grande table, allongée sur des fleurs de lotus roses pâles. Autour de lui, étaient disposés des bâtons d'encens qui se consumaient lentement laissant des fils de fumées grises s'élevant dans les airs tels des dragons avant de disparaitre. Le corps portait une armure et des épaulettes d'écailles en or. Son épée et son fourreau avaient été placé à ses côtés. Son casque reposait entre ses pieds, brillant et luisant à la lumière des lanternes.

Le temple était lugubre, simplement éclairé par quelques lanternes blanches accrochés à certains piliers. La pâleur du cadavre jurait avec l'obscurité qui régnait dans le sanctuaire. Ses cheveux avaient été coiffés, il avait été rasé pour ne laisser apparaitre que sa petite moustache noire. Ses yeux étaient clos et ses mains jointes reposaient sur son thorax où son cœur ne battait plus.

Le général Li Shang prit une grande inspiration. Il serra les dents alors qu'il sentit son ventre se nouer. Ses yeux s'humidifièrent et il se frotta les yeux avec ses doigts avant de reprendre de nouveau une profonde inspiration. Il sentit une main se poser sur son épaule. C'était le général Sun Wei, un homme à forte carrure, âgé, aux cheveux grisonnants et aux sourcils broussailleux, portant la même armure que le défunt. Ses yeux fatigués croisèrent les pupilles sombres du jeune général Li et lui fit un sourire réconfortant.

-Comment vous sentez-vous, mon garçon ? demanda-t-il.

Shang ne put répondre immédiatement tant l'émotion le submergeait.

-Je ne saurais l'expliquer … répondit-il.

-C'était un ami proche à ce que je sais.

Shang porta de nouveau son regard sur le cadavre.

-Chao a été mon mentor, commença-t-il. Il m'a tout appris à l'Académie Impériale. Il m'a soutenu dans toutes mes épreuves. C'était un véritable ami, un compagnon d'armes, un frère …

Le général Sun contempla le corps du défunt général Huan Chao et sa bouche se tordit.

-Il est malheureux de voir de remarquables hommes partir avant les vieillards gâteux qu'ils sont censés remplacer. Dit-il.

Shang observa le visage attristé du général Sun. Celui-ci avait été dans la même promotion que son père à l'Académie Impériale. Ils avaient été tous les deux nommés Généraux d'Empire en même temps car ils étaient les meilleurs et qu'ils avaient fait leurs preuves lors des invasions barbares. Mais c'était il y a une trentaine d'années et aujourd'hui, le général Sun Wei sentait que son âge touchait à sa fin. Et pourtant, il se trouvait devant la dépouille d'un jeune général, fauché au zénith de sa vie.

-J'ai été un de ses professeurs à l'Académie, expliqua Sun. C'était un élève brillant, juste et impétueux, voire peut-être trop impétueux. J'ai toujours su que Huan Chao irait loin. Mais partir maintenant … Quel gâchis ...

Huan Chao avait été tué alors qu'il revenait d'une mission d'inspection dans le nord, non loin de la Grande Muraille. Son escorte empruntait un chemin de montagne en pente à travers la forêt dense. Les troupes avançaient en file indienne sur le sentier lorsqu'ils furent attaqués en embuscade par des bandits. Les flèches fusaient sur les troupes du général et de nombreux traits percèrent ce dernier, le désarçonnant de son cheval. Les quelques survivants réussirent à ramener sa dépouille à la Cité Impériale afin qu'il reçoive les derniers honneurs dues à un des quatre Généraux d'Empire.

Shang accorda un dernier regard à son ancien ami avant de quitter le temple avec le général Sun Wei. Les deux généraux empruntèrent la longue promenade qui liait le sanctuaire au palais. La cité impériale était illuminée par les nombreuses lanternes multicolores qui pullulaient dans les rues. C'était une nuit froide et de sombres nuages cachaient les étoiles. Le vent qui balayait la promenade donna des frissons dans le dos des deux généraux. Shang restait toujours plongé dans sa mélancolie suite à la mort de son frère d'armes.

-Cet acte ne restera pas impuni, Shang. Dit Sun Wei. Huan Chao sera vengé.

-Ces attaques de bandits ont été nombreuses durant l'hiver, ajouta Shang. Des villages et des fermes ont été attaqués et pillés. Mais en s'attaquant à l'armée, ils ont voulu montrer leur puissance et prouver qu'ils n'ont pas peur de l'Empereur.

-Ces bandes de brigands ne peuvent rien contre la plus puissante armée d'Orient. Répliqua le vieux général. Tout est une question de temps avant qu'ils payent pour leurs crimes.

Ils arrivèrent enfin au pied des escaliers du palais impérial. Alors qu'ils allaient passer les portes, une silhouette émergea de derrière le socle d'une gigantesque statue et les interpella :

-Général Li. Général Wei.

Les généraux se tournèrent vers l'homme svelte qui se rapprocha d'eux le sourire aux lèvres.

-Général Tian. Déclara Shang en reconnaissant l'individu.

Meng Tian portait la même armure que Shang et Sun Wei. L'armure dorée des généraux d'Empire. Son visage était fin arborant un bouc et des cheveux noués sombre. Ses petits yeux rusés étaient sombres et son sourire moqueur.

-Qu'est-ce que vous faites ici, Tian ? demanda Sun Wei.

-Je suis venu rendre les honneurs qui sont dus au général Chao. Répliqua-t-il en conservant le sourire.

-Je vous croyais à l'est à surveiller le littoral. Dit Shang.

-La mort du Général Chao a obligé l'Empereur à me rappeler du front de l'est.

-Pourquoi souriez-vous ? Questionna Sun Wei en fronçant les sourcils. Vos divergences avec Huan Chao étaient connues de tous mais je n'aurais jamais pensé que vous seriez heureux pour son trépas.

-Ne vous méprenez pas, Général Wei, répondit Tian. Feu le général Chao et moi avons eu auparavant des différents mais je n'irais pas jusqu'à me réjouir pour la mort d'un compagnon d'armes.

-Alors effacez ce sourire de votre visage, ordonna Sun Wei.

Le ton de Sun Wei avait été sévère. Mais elle ne perturba pas Meng Tian qui sourit jusqu'aux oreilles devant l'air renfrogné du vieux général.

-En ces temps difficiles, je préfère garder le sourire plutôt que de me morfondre et de sombrer dans la morosité. L'âge vous rend amer, Wei.

Shang vit les narines du général Wei se dilater sous la colère. La provocation de Tian avait touché le vieux général dans son estime. Shang allait se préparer à intervenir quand Tian reprit :

-Trêve de bavardages, je suis venu vous informer que l'Empereur nous demande expressément pour tenir un conseil d'urgence.

-Vous auriez dû commencer par cela, pesta Wei qui avait repris son calme.

-Je l'aurais fait si vous ne m'aviez pas fait perdre mon temps, général. Répondit Tian en passant les immenses portes du palais impérial.

Le visage de Wei passa au rouge tant le vieil homme fulminait intérieurement de rage. Shang posa sa main sur l'épaule du général pour l'apaiser et celui-ci retrouve de nouveau son calme pour qu'ils puissent assister au conseil.

Les trois généraux impériaux se retrouvèrent quelques minutes plus tard dans une grande salle au haut plafond soutenue par de monumentaux piliers de bois peints en rouge. Le sol était recouvert de magnifiques tapis ornés de fils d'or et les murs d'étendards ou étaient brodés de flamboyants dragons. Au centre de cette salle, une table sur laquelle était représentée une carte de la Chine, séparait les généraux et leur Empereur

L'Empereur était un homme d'un âge avancé, vêtu d'une longue tunique dorée et portant un petit chapeau aux bords noirs. Sa longue et fine barbe blanche rendait son visage sage. Ses petits yeux noirs étaient perçants et ses sourcils immaculés. Sa stature était droite et sublime tant son aura imposante émanait dans toute la pièce. Il s'installa à un haut siège, surplombant la table face aux trois généraux qui s'inclinèrent devant lui. Il les examina longuement d'un regard soutenu.

-Nous sommes profondément attristés d'apprendre la mort du jeune général Huan Chao. Cette perte nous affecte profondément tant la valeur du général Chao reste inégalée. Il sera pleuré et célébré.

Un silence solennel s'en suivit où l'Empereur prit quelques instants pour se recueillir alors que les généraux d'Empire gardèrent la tête baissée.

-La mort du Général Chao nous permet d'entrevoir la montée d'une nouvelle menace. Commença l'Empereur. Notre Empire abrite des brigands sèment la désolation dans toute la Chine. Le meurtre du général Chao est le dernier affront que nous pourrions supporter. Ces bandits doivent être arrêtés.

-La situation est plus complexe que cela, votre Altesse. Expliqua Sun Wei. Ces malfrats sont bien organisés. On compte de nombreux déserteurs de l'armée dans leurs rangs. Mes informateurs parlent d'un ancien gradé de l'armée qui serait à leur tête : le capitaine Gao, un homme qui était sous mon commandement et qui a déserté, il y a une quinzaine d'années. Ses connaissances militaires peuvent expliquer l'ingéniosité et la témérité dont font preuve ces bandes organisés.

-Dans ce cas, il vous faut arrêter cet homme au plus vite avant qu'il ne récidive.

-Je reviens des frontières de l'ouest, votre Altesse. Poursuivit Wei. On m'a appris que de petits groupes de Huns et de Mongols ont traversé la Grande Muraille durant tout l'hiver. Ils se terreraient dans les montagnes et attaqueraient et pilleraient les voyageurs et les villages aux alentours.

-Comment ont-ils pu passer la Grande Muraille avec tant de facilité ? Questionna l'Empereur.

-Je crois bien qu'ils ont été aidés, votre Excellence. Et je m'avance en disant que les malfrats qui pillent la campagne y sont pour quelque chose. Les militaires connaissent les chemins qui permettent de passer les défenses du Mur. Il en est de même pour les déserteurs qui ont rejoint le camp des malfrats.

L'Empereur pesa toutes les paroles de son plus ancien général. Il frotta sa longue barbe et conclut :

-Ce sont des nouvelles très alarmantes, Général Wei.

-Le peuple a peur, votre Excellence. Coupa Li Shang. L'hiver a été rude et il a été précédé d'un été où les récoltes ont été mauvaises. Les réserves de nourriture sont presque vides et le riz manque dans de nombreux villages. Les plus pauvres cherchent à subsister et les plus riches font tout pour protéger leurs propres réserves. Les tensions sont palpables dans les campagnes.

Le vieil Empereur continua de frotter sa longue barbe en portant son regard sur la carte de la Chine sculptée à même le bois de la table à ses pieds.

-Nous devons faire parvenir une part des réserves impériales dans les provinces en manque de nourriture. Mais nous devons le faire en toute discrétion. Nous ne voulons pas créer de remous dans notre Empire. Assignez des hommes de confiance à cette tâche, des agents qui savent se mêler au peuple et qui connaissent les routes dissimulées pour faire parvenir les convois de nourriture sans encombre et rapidement.

Il se leva et s'approcha de la table sculptée.

-Général Wei, vous irez avec vos troupes au nord. Dit-il. Vous transportez une partie de nos réserves aux villages dans les montagnes et vous traquerez les bandits et nos éventuels envahisseurs.

-Ce sera fait selon vos désirs, votre Excellence. Dit Sun Wei.

-Votre Altesse, commença Meng Tian, je dois également vous avertir de la menace qui s'annonce à l'ouest.

L'Empereur porta un regard intrigué au général Tian.

-Quelle est cette menace, général Tian ?

-Je possède des nouvelles provenant d'informateurs au-delà de la mer. Expliqua Meng Tian. Le Japon prévoit une attaque contre la Chine. Les clans se sont rassemblés, ils construisent de gigantesques navires et stationnent leurs armées au Sud sur l'île de Kyûshû. Ils créent une flotte afin de débarquer sur nos terres.

L'Empereur garda le silence, son visage prit un aspect sévère.

-Ces informations sont-elles avérées ?

Meng Tian baissa les yeux et poursuivit :

-J'avais envoyé quatre hommes au-delà de la mer Jaune pour obtenir des informations parmi les troupes japonaises. Un seul en est revenu avec de nombreuses lettres destinées au haut commandement japonais.

Tian sortit de sous sa cape rouge, un long cylindre en bambou. Toujours agenouillé, il tendit l'objet des deux mains au-dessus de sa tête. L'Empereur s'approcha de Tian et récupéra le cylindre de bambou. Il remarqua qu'il y avait un couvercle au sommet de l'objet. Il l'ouvrit et déversa son contenu sur la table adjacente. De petits parchemins s'en échappèrent et roulèrent sur le bois sculpté. L'Empereur en saisit un et le déroula entre ses fins doigts ridés. Il parcourut le parchemin de ses yeux perçants avant de le remettre sur la table et d'en saisir un nouveau.

-Ce sont de très sombres nouvelles que vous me rapportez. Annonça-t-il sèchement.

-Ce n'est pas tout, malheureusement, Excellence. Continua Tian. Les Japonais ont découvert que mes agents avaient infiltré leurs rangs. Ils ont trouvé mes hommes et les ont exécutés. Le dernier de mes agents a pu fuir avec les informations qu'ils avaient amassées et me les a rapportés, il y a trois jours. Les Japonais savent que nous sommes au courant de leur invasion. Ils vont accélérer leurs plans. Avancer leur attaque pour que nous ne puissions pas préparer notre défense.

L'Empereur laissa le dernier parchemin rouler sur la table et ordonna aux trois généraux de se relever. Shang, Wei et Tian se remirent debout, leur casque doré dans leurs mains. Le vieil homme s'arrêta devant le général Tian.

-Ce sont là de sombres nouvelles, mais des nouvelles capitales. Déclara-t-il. Que préconisez-vous, général Tian ?

-J'ai prévu cette éventualité depuis de nombreuses années, Excellence. Répondit Meng Tian avec un sourire. J'organise la défense du littoral est depuis des mois. Les Japonais frapperont en un seul endroit par un coup puissant et terrible. Selon mon instinct, ils passeront par la mer Jaune pour entrer dans la mer de Bohai pour être au plus proche de la capitale. C'est là qu'ils sont censés débarqués. La Mandchourie est plus proche des terres Japonaises mais ils ne se sont pas préparés pour une longue campagne. Laissez-moi préparer notre contre-attaque, Excellence. Laissez-moi les rejeter à la mer.

L'Empereur maintint ses yeux sur le général puis lui tourna le dos.

-Nous vous faisons confiance général, défendez nos côtés et repoussez ces envahisseurs.

-Ce sera avec plaisir, votre Excellence. Répondit Tian.

Shang observa Meng Tian à sa gauche qui affichait un sourire satisfait tandis qu'à sa droite le vieux Sun Wei fusillait Tian du regard. L'Empereur se posa derrière la table face à ses généraux.

-Cette réunion est terminée. Annonça l'Empereur. Vous pouvez partir, votre devoir vous appelle. Sauf vous général Li.

Shang vit les yeux de l'Empereur se poser sur lui. Il voulait s'entretenir avec lui personnellement et s'interrogea sur les raisons du vieil homme. Alors que les deux généraux allaient sortir de la salle, Wei s'adressa à l'Empereur :

-Votre Altesse, la mort de Huan Chao laisse vacant une place de général d'Empire. Qui allez-vous nommez à sa place ?

L'Empereur regarda déconcerté le général Sun Wei auquel il répondit sèchement :

-La défense de la Chine passe avant cette nomination, général. Cela peut attendre.

Sun Wei baissa les yeux, presque honteux que sa question ait déplu à l'Empereur. Meng Tian ricana dans sa barbe et les deux hommes sortirent de la salle, laissant Shang et l'Empereur seul.

Le jeune général s'approcha de la table et posa la question :

-Que puis-je pour vous, Altesse ?

L'Empereur se racla la gorge.

-J'ai une requête à vous formuler, Général.

***

Loin des déserts d'Arabie et de la Cité Impériale de Chine, à l'Ouest, dans un pays reculé, un manteau de neige recouvrait une vallée sauvage d'arbres et de sapins. L'hiver était toujours vivace dans cette région et le froid mordant obligeait les villageois à se réfugier dans leurs chaumières en l'attente de jours meilleurs.

Peu osaient affronter les vents gelés qui soufflaient sur les plaines et les vallons. Excepté deux voyageurs qui étaient descendus du nord à la recherche de l'aventure et animé par la découverte de nouvelles contrées.

Ils avaient acheté un chariot pour continuer leur périple. Toute la journée, le cheval, tirant le chariot, piétina l'épaisse neige avec ses lourds sabots alors que les deux voyageurs étaient assis à l'arrière, emmitouflés dans des manteaux chauds. L'homme tenait les rênes du cheval et la femme était assoupie, la tête sur ses larges épaules. Elle avait de longs cheveux rouges qui juraient avec les couleurs froides et pâles qui les entouraient. Les arbres et les sapins ployaient sous l'épaisse neige qui recouvrait leurs branches et leurs feuillages. Le ciel était bleu avant de virer à un gris terne cachant le soleil qui amorçait sa descente vers l'Ouest.

L'homme qui tenait les rênes du cheval avait des cheveux bruns et des yeux bleus perçants. Il regardait toujours devant lui. La neige recouvrait le chemin et ils désiraient tout deux ardemment rejoindre un village avant la tombée du jour pour pouvoir profiter d'une nuit de repos dans une auberge.

Malheureusement, le destin en avait décidé autrement. Alors que le soleil commençait à se cacher derrière le haut des arbres, le chemin longeait le versant d'un précipice donnant sur l'immensité de la vallée. Ce fut à ce moment précis qu'une roue se détacha de leur chariot pour chuter dans la fosse et disparaitre parmi les buissons en contrebas. Le chariot s'affaissa en un éclair et le couple faillit presque tomber dans le gouffre.

-Je crois que nous n'irons pas plus loin, déclara l'homme en observant l'étendue des dégâts.

-Il n'y aucun moyen de le réparer ?

-A moins qu'il ne faille descendre dans ce précipice pour récupérer notre roue, je crois qu'il nous faut continuer à pied, jusqu'au prochain village.

Ils prirent les sacoches et sacs qu'ils transportaient avec eux. Ils étaient partis en quête d'aventure et cela incluait de voyager léger et de ne pas se charger inutilement. Leur voyage avait débuté il y a un mois d'un commun accord entre les deux. Elle désirait voir le monde, découvrir toutes les terres émergées et les merveilles d'en haut. Lui, désirait l'accompagner dans son périple et espérait qu'une aventure survint sur leur chemin.

L'homme prit le grand sac sur son dos et laissa la femme aux cheveux rouges porter une sacoche en bandoulière de cuir. Ils abandonnèrent leur chariot au froid et suivirent le chemin enveloppés dans leurs manteaux de voyage. Le soleil glissa derrière les montagnes et ils durent allumer leur lanterne pour pouvoir distinguer le chemin entre les arbres sinueux et les escarpements rocheux. Ils marchèrent pendant une heure et le vent se leva, mordant et frigorifiant. Plus ils s'enfonçaient dans la forêt, plus les éléments semblaient s'acharner contre eux. Les ténèbres les entouraient, le vent les mordait et au loin, résonna un long cri nocturne qui se répercuta sur les monts sombres.

Le jeune couple n'y porta aucune attention. Ils s'inquiétaient surtout de trouver un abri pour la nuit et contre le froid. La fatigue les rattrapait. La jeune femme semblait faiblir à chaque pas.

-Pouvons-nous nous arrêtez quelques instants pour reprendre notre souffle ? demanda-t-elle.

Le jeune homme s'approcha d'elle l'encouragea à continuer :

-Il ne faut pas s'arrêter, il faut poursuivre notre marche. Cet endroit n'est pas sûr, nous ne devons pas nous reposer avant d'avoir trouvé un refuge.

Leurs pupilles se croisèrent et ils reprirent courage. Un autre long hurlement émana de la forêt profonde et plusieurs cris lui répondirent. L'homme et la femme sentirent soudainement qu'ils étaient observés entre les troncs des arbres. Des pas rapides et des grognements étouffés parvinrent à leurs oreilles. Puis des yeux jaunes émergèrent de l'obscurité.

-Derrière moi. Ordonna l'homme à la jeune femme en tirant son sabre de son fourreau.

Elle se plaça dans son dos et sortit un poignard de l'intérieur de son manteau. Les yeux jaunes se multiplièrent et se rapprochèrent d'eux. L'homme et la femme continuaient d'avancer lentement, les armes dégainées prêts, à toute éventualité. Une créature au poil sombre se hissa sur un rocher dénudé et ses yeux d'or croisèrent ceux du couple. Il s'arqua sur ses pattes et le chef de meute fit un long grognement plaintif annonçant le début de la chasse.

Sans se dire un mot, le couple s'enfuit par-delà le chemin alors que les loups les traquaient sur leurs talons. Dans leur course, ils entendaient les grognements et les râles affamés de la meute à leurs trousses. Le chemin serpentait entre les arbres et le manteau peu épais de neige sur le sol leur permettait de maintenir une bonne allure. Mais tôt ou tard, la fatigue et le froid les rattraperait et leurs poursuivants n'auraient alors aucune pitié.

Profitant d'être caché par un rocher, l'homme emmena la femme hors du chemin. Il sauta dans un fossé en contrebas du sentier et tous deux, ils se collèrent à la paroi. L'homme cala son index sur sa bouche et sa femme garda le silence.

Ils entendirent les pas rapides et effrénés des loups sur le sentier ainsi que quelques reniflements et des glapissements. Le vent soufflait dans les branches sinueuses et cadavériques des arbres et la meute poursuivit sa traque sur le chemin. Pendant que les hurlements disparaissaient au loin, le couple se prépara à sortir prudemment de leur cachette.

Quand soudain, un loup survint sur le rebord au-dessus de leurs têtes, les babines retroussées et les yeux assassins. La femme étouffa un cri de surprise alors que le loup gris se jeta sur eux. L'homme fit danser son sabre et l'animal gémit et tomba sur la neige, mort. Le dernier cri de la bête rameuta sa meute qui reprit en chasse leurs proies à travers la forêt.

La neige était plus épaisse que celle qui recouvrait la route et leurs pieds s'enfonçaient dans le manteau blanc ralentissant leur course. Le couple dut éviter les racines dissimulées sous la neige et les troncs morts qui leur barraient la route. La femme aux cheveux rouges regarda par-dessus son épaule dans sa course et aperçut les yeux jaunes des loups se mouvoir entre les arbres.

-Eric ! Ils nous rattrapent !

Le couple passa par-dessus un tronc arraché et couché par le vent et les hurlements revirent à leurs oreilles. La jeune femme vit soudain une ombre filer vers eux par la gauche. L'homme ne l'avait pas remarqué et la créature l'attaquait avec ses crocs acérés. La jeune femme eut le réflexe de fouiller dans sa sacoche. Le loup sauta à la gorge de l'homme qui ne le vit que trop tard.

Un coup de feu retentit dans la vallée et tous les animaux frémirent à l'entente de ce son fatal. Le loup mourut sur le coup et s'affaissa sur Eric. La meute se stoppa dans son élan alors que le canon du pistolet de la jeune femme laissa s'échapper une fine fumée. Une balle, un tir, elle n'aurait pas une seconde occasion de l'utiliser. Elle rangea son pistolet fumant dans sa sacoche et aida son époux à se relever.

-Merci. Dit-il.

-Il faut continuer !

La peur s'était insinuée dans les rangs de la meute. Ils geignaient et se retranchaient derrière les arbres pour se dissimuler de l'arme crachant le feu et la mort. Le couple ne tarda pas à reprendre la fuite en s'enfonçant plus profondément dans les bois enneigés. Les loups ne les suivaient plus depuis un moment alors ils décidèrent de se reprendre leur souffle près d'un gigantesque arbre mort.

-On les a semés ? demanda la jeune femme.

-Le coup de feu les a effrayés, répondit Eric. Mais je doute qu'ils aient abandonné la traque.

-Ce sont des leups ? C'est ça ? demanda-t-elle haletante.

-Des loups, Ariel, des loups. Répondit-il en reprenant son souffle avec un sourire.

Leur halte prit fin lorsque les grognements de la meute résonnèrent au loin. L'épaisse neige les ralentissait et ils étaient tous deux exténués. La traque touchait à sa fin et leurs chasseurs se rapprochaient. Eric aperçut soudainement à travers les arbres, un immense mur de marbre blanc.

-Par-là !

Il prit Ariel par la main et ils bifurquèrent vers la muraille. C'était un grand mur sans fenêtres sans portes qui s'étendaient le long de la forêt sur leur gauche et à leur droite. S'il y avait un mur, c'était pour protéger des personnes des dangers de la forêt. Ils devaient trouver une porte et vite. Ils longèrent le mur sur une certaine distance. La neige était moins épaisse prouvant qu'il y avait un chemin proche des murailles qui entouraient tout le domaine.

La lune s'était levée dans le ciel sombre mais elle était dissimulée par une brume fantomatique. Ils continuèrent leur course redoublant d'efforts tandis que les loups filaient entre les arbres à leur poursuite.

Ils arrivèrent enfin devant un grand portail en fer forgé. Ariel et Eric se jetèrent dessus et tentèrent de l'ouvrir. Le portail était ancien et usé. Ils tirèrent sur les poignées peintes d'un jaune d'or mais les portes restèrent fermées. Les loups les entouraient. Ils n'avaient aucune échappatoire. Eric s'élança sur le portail et la porte s'ouvrit à la volée. Ariel passa la porte en un éclair et la referma. La porte fut secouée par la meute qui grogna et aboya montrant les crocs. Ariel et Eric restèrent au sol haletant, à espérer que le portail tiendrait contre la furie des loups. Après quelques minutes, quelques yeux jaunes disparurent dans la forêt tandis que les plus enragés des loups restaient au portail avec leurs babines retroussées et leurs estomacs vides.

Eric et Ariel se relevèrent et regardèrent autour d'eux. Ils étaient dans une petite cour pavée et face à eux s'étendait un long pont en pierre qui fendait le brouillard. Au-dessus du pont, ils crurent distinguer à travers la brume de longues tours qui s'élevaient vers le ciel. C'était un grand château monté sur un gros monticule de pierre au cœur de la vallée.

-Où est-ce que nous sommes tombés ? dit Eric à haute-voix.

Les loups décidèrent de battre en retraite et disparurent dans les tréfonds de la forêt. Affamés et exténués, Eric et Ariel s'engagèrent alors sur le pont de pierre en direction du sombre et lugubre château.

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