Yui.
Chapitre 1 : My dear beloved.
1920 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 08/11/2016 13:22
Il y a bien longtemps que je souhaitais retrouver mon fidèle stylo, ainsi que mes fidèles feuilles de papier. Caresser le grain fin de ma feuille avec la pointe encrée de mon stylo favori m’avait énormément manqué. Avec tous les évènements s’étant produits récemment, je n’avais plus de temps pour moi. Tous ces événements… si prévisibles. J’aurais pu tous les prévoir à l’avance. Tout était sous le contrôle d’une force si mystérieuse – mystérieuse et puissante ! ; pourtant, tout était si familier. Ces événements, ces scènes, ces champs narratifs… Je sais désormais pourquoi tout m’était si familier.
C’est ce que je fais quand je prévois tout à l’avance.
Ah ! J’oubliais de préciser, au cas où une âme bienveillante tomberait sur ces écrits, je suis écrivaine. Yui, voilà mon prénom ainsi que mon pseudonyme (astucieux, n’est-il pas ?).
Aaah… Que dire. Je perds mes mots ! Je suis une écrivaine qui perds ses mots et ses critiques ! Je ne sais plus quoi penser. De Tout. Je suis totalement perdue. J’essaye de trouver une lumière, un repère, une flamme légèrement tremblante sous le souffle d’une âme charitable voulant bien m’apporter son aide. Mais je sais que tout cela est peine perdue, je sais très bien que je suis seule, et que seul le Seigneur peut m’apporter son Salut divin qui saura me sortir de cette torpeur. De ce cauchemar sans aucune fin heureuse.
Bien évidemment, je sais que c’est impossible. J’ai touché un démon, et ce démon m’a touché. Vous savez, quand nous sommes touchés par un démon, c’est comme si nous étions touchés par le revers de la main de Dieu. D’une certaine façon, on se sent glorifié. Glorifié par la souffrance. Et cette souffrance, je la glorifie également. Je l’aime, tout comme j’aime le démon m’ayant touché. Enfin, je crois ? Je ne suis plus sûre de rien depuis qu’il a osé touché ma chair ainsi que mon sang du bout de ses lèvres, de sa langue et de ses canines. Je dois certainement être masochiste ! Aimer une créature que le Seigneur déteste autant, sans me soucier des représailles autant que je ne le devrais… Je sais que ce que vous pensez, vous qui lisez ces lignes : Vous pensez que je suis une sorte de folle, sans aucun esprit critique, une inculte ne voulant pas voire plus loin de ce que les textes sacrés lui ont enseigné. Je sais ce que vous pensez cela, mon ami. Et cela ne me gêne pas. Je connais la limite très ambigüe séparant la Croyance avec la Vérité.
Tout ça pourquoi ? Pourquoi est-ce que j’écris tout cela ? Pourquoi est-ce que me pose autant de questions qui ne sont vraisemblablement aucunement porteuse d’un intérêt quelconque pour ce démon, ainsi que la relation que j’entretiens avec lui ?
Peut-être que la mystérieuse visite de cet homme m’a encore plus bouleversée que ce que je pensais… Il est décidément trop tard pour m’attirer ses louanges et remonter dans son estime. J’aime cet homme, il m’a élevé comme sa propre fille. Il m’a aimé. Mais… C’est un idiot. Un grand idiot. Penser que je suis un esprit démoniaque ayant pris l’apparence de sa fille morte… Il faut être fou, ou délirant pour penser de tels sottises. Ces pensées, hurlées avec une telle férocité dans sa voix résonnante encore entre les murs de cette église, ont transpercé mon cœur. Ainsi que mon esprit, et mon âme. J’ai pris conscience qu’il m’aimait autant que je l’aimais, mon très cher Père. Père adoptif. Tu as pris soin de moi quand personne ne le voulait alors que j’étais au seuil des Portes de la Mort. Si jamais tu tombes sur ces écrits, sache que ta très chère fille t’aime, malgré que tu n’approuves pas la relation amoureuse qu’elle mène avec un démon.
Vous, voyageur, ami, frère ou sœur, artiste, scientifique, rêveur, ou que sais-je encore. Sachez que, bien que je me sente extrêmement épanouie au côté de mon fiancé, notre relation est emplie d’une délicieuse et obscène souffrance continue, permanente. Je sais que je terminerai en Enfer pour avoir osé touché une créature détestée par Dieu, et cette créature aussi me suivra pour avoir tué, violé, blessé, touché, un bon nombre de mortels – de tout âge et de tout sexe – avant moi. Mais rester dans le monde des vivants est certainement bien plus horrible que la mort, dans les conditions dans lesquelles je vis. Bien que je vive avec la personne que mon cœur a choisie… je ne peux me permettre de continuer à cohabiter avec les autres démons qui composent sa famille, son entourage. N’ayant plus aucun entourage humain à qui me confier, je suis obligée de donner de mon sang – et parfois même de ma chair ! – à tous ces démons ! Et bien sûr… Mon bien aimé n’est au courant de rien. Il est parfois vraiment très idiot, il ne voit que ce qu’il souhaite voir, mais je ne veux pas lui ouvrir les yeux sur l’horripilante souffrance que j’endure en compagnie des autres créatures aussi hideuses (à l’intérieur de leur âme bien sûr !) que machiavéliques qui composent sa famille. Je ne veux pas qu’il tue sa famille… car je tuerais pour retrouver mes géniteurs ainsi que ma bien-aimée fratrie. Ce n’est pas la solution. Pourtant, donner de mon sang à une seule personne est déjà éprouvant… mais alors à une douzaine de personnes… Mon corps ne pourra plus le supporter bien longtemps. Je ne peux rien dévoiler de plus, sinon ce sera au tour de mon esprit de lâcher la prise sur mon corps.
Je souhaiterai rapidement ouvrir les Portes des Enfers, m’y engouffrer en compagnie de mon bien-aimé, retrouver les âmes des personnes défuntes qui me sont chères, et rester pour l’Éternité en compagnie de cette souffrance si agréable, si délicieuse, si aphrodisiaque. Ce démon est mon âme-sœur. Mais mon père, la famille de mon bien-aimé, et le Seigneur s’y oppose. Tout ce qui compose notre relation est néfaste, je l’ai bien compris. Ce n’est néfaste que pour eux. Je vais périr à cause de leur égoïsme, je l’ai bien compris. Il vaut mieux s’enfuir vers la Mort, je sais que là-bas ils ne nous poursuivront pas. Je veux m’y engouffrer… toujours plus profondément… jusqu’à ne percevoir que la lumière se reflétant dans ses yeux luisants, si primitifs, si hypnotisant. Je veux… caresser les mèches de cheveux tombant devant ses yeux, et les décaler d’un geste tendre derrière ses oreilles. Je veux l’embrasser dans ces ténèbres sans fins, sentir son corps contre le mien, et ne plus le quitter une seule seconde.
Je ne peux le faire. Tout était déjà prévu à l’avance. J’étais la petite souris, et je suis tombée naïvement dans un piège aussi enfantin que le raisonnement des personnes l’ayant créé. Mais n’étais-ce pas moi l’immature dans toute cette histoire ? Rien de tout cela ne serait arrivé si j’avais eu un peu plus de jugeote. Un peu plus de perspicacité… Malheureusement, ces qualités appartiennent à l’une de mes défuntes sœurs – paix à leurs âmes.
Il n’y a rien d’autre à dire. Je ne peux pas vivre sans mes sœurs. Je ne peux pas vivre sans elles, ni sans mon bien-aimé. Je ne peux plus vivre dans le monde des vivants si je suis aussi seule sans mes défuntes sœurs.
Je suis si égoïste.
Je vais tuer mon amour à cause de mon égoïsme. Tout ça pour retrouver ma propre famille, et l’arracher de la sienne. Il va mourir par ma faute. Mais… est-ce si grave ? Il a volé une grande partie de ma vie. Il m’a TOUT volé. Alors je lui volerai sa liberté. Je l’emprisonnerai avec moi dans le monde des morts, tout comme il m’a emprisonné dans le monde des vivants – bien que parfois, c’était inconscient de sa part. Je souhaitais juste raconter mon histoire. Ou du moins, une infime partie. Très infime même.
Ah. Mon âme-sœur arrive. Je vais le rejoindre.
Continuons encore un peu cette valse infernale, mon amour. Dans un futur beaucoup plus proche qu’on ne le croit, c’est moi qui mènerai la danse.