Jezabel - Detroit : Become Human
Jezabel essuya d’une main le miroir devant elle afin d’en chasser la buée formée lors de sa douche. La surface de mercure lui renvoya le reflet d’une jeune femme aux yeux d’un bleu azuré que l’on disait trop grands pour son visage. Doucement, elle se pencha davantage vers son double et s’examina sous tous les traits. Écartant une mèche de cheveux noirs, elle tira la peau de ses joues pour grimacer un instant. Elle répéta le manège en étirant plusieurs parties de sa peau, cherchant la moindre imperfection sur ses traits.
Ma pauvre, arrête de te torturer. T’as 23 ans, t’as pas de rides. Pas encore.
La chasse à la vieillesse terminée, Jezabel poussa un soupire las avant de filer à l’unique chambre à coucher de son petit appartement, situé dans le cœur de Detroit. Ouvrant son walk-in, ses yeux fouillèrent parmi les pièces de vêtements usés qu’elle collectionnait depuis déjà bien trop longtemps. Elle tira une blouse vermillon et la jaugea d’un air mitigé.
Très 2028, ton truc.
Elle lança le vêtement derrière son épaule et opta plutôt pour une blouse d’un blanc cassé ainsi qu’un veston gris charbon. Classique, sobre. Ennuyeux… S’il y avait un adjectif que l’on pouvait bien lui attitrer, c’était celui-là. Elle enfila donc un pantalon assorti et se retourna dans l’optique de quitter la pièce. Ses pieds s’emmêlèrent néanmoins dans les morceaux de linges au sol et elle s’étala de tout son long sur la pile de vêtements voisine.
Ennuyeuse et maladroite… pensa Jezabel en se relevant péniblement. Elle s’observa une dernière fois dans le grand miroir de sa chambre, posant ses mains sur ses hanches, jugeant sa taille trop petite pour le métier, sa poitrine que sa meilleure amie décrivait de « petite mais mignonne », sa longue chevelure de jais qu’elle ne manquait pas de ramener en chignon bien strict la plupart du temps, sa peau qui peinait à prendre du soleil.
On la trouvait mignonne, et c’était bien ça le problème lorsqu’on exerçait le rôle de détective. Du haut de ses 5 pieds 3, Jezabel Anderson n’intimidait personne autant par sa taille que par sa personnalité réservée. Beaucoup s’étonnaient, collègues comme amis, qu’elle ait réussit à passer les tests pour obtenir le rang de détective au sein du sixième precinct de la ville. Les mauvaises langues préféraient dire que son oncle, le lieutenant Hank Anderson, avait fait jouer ses cartes. Si seulement ils savaient qu’elle était en réalité très perspicace et pragmatique. Son sens du devoir et son sérieux lui avaient valu sa promotion, deux semaines auparavant. Fière de son exploit, elle savait cependant qu’elle devrait faire ses preuves dans les prochains temps, surtout avec l’épidémie de déviants qui faisait rage depuis les derniers jours.
En effet, plusieurs androides de tous les milieux avaient présenté des anomalies comportementales que les dirigeants de Cyberlife avaient qualifiés de déviances. Ces androïdes affichaient alors des comportements allant de l’étrangeté jusqu’à la violence. Pour empêcher que davantage d’incidents ne se produisent, il fallait mettre la main sur l’un de ces déviants et l’analyser. Malheureusement, la plupart des spécimens pris en chasse s’étaient sois auto détruits ou encore échappés. Elle savait que son oncle, posté au precinct du sud-ouest, était déjà affecté à l’enquête. Elle avait même entendu, à travers les branches, qu’on lui avait attribué un androïde RK800 en guise de partenaire.
Sur cette pensée, Jezabel frissonna alors qu’elle entrait dans son véhicule. En activant le pilotage automatique avec son lieu de travail pour destination, elle grimaça de malaise à l’idée de côtoyer ces créatures. Bien qu’elle ait eu tout le « loisir » d’en fréquenter au cours de sa vie, que ce soit dans les restaurants, les cinémas, comme employés d’entretien, les androïdes lui donnaient froid dans le dos. Ils étaient si parfaits, si performants dans tous ce qu’ils entreprenaient, si… si… si je-ne-sais-quoi ! Ce n’était pas vraiment une peur, mais plutôt une gêne, un malaise qu’elle ressentait à leur présence rapprochée. Bien sûr, elle se gardait bien de le laisser paraître publiquement ! Qu’est-ce que les officiers diraient d’elle s’ils apprenaient que la petite Jez était intimidées par des androïdes…
Elle parvint à chasser ces pensées désagréables en regardant par la fenêtre. Malgré la pluie qui tombait depuis plusieurs jours, la ville était en effervescence. Les manifestations anti-androïdes battaient leur plein. Jezabel ne put s’empêcher de penser que ces événements étaient de plus en plus fréquents depuis le début des problèmes de déviances. Tout ce qu’elle espérait, c’était d’éviter la guerre civile. Si Detroit plongeait dans le chaos, elle ne donnait pas cher de la peau… ou plutôt des circuits des créatures humanoïdes en services. Même avec une force supérieure à celle des humains, les androïdes seraient rapidement dépassés en nombre et leur programme de passivité les empêcheraient de pouvoir se défendre.
Tu ne vas pas te donner trop d’empathie pour des machines, ma pauvre Jez…
Elle soupira une nouvelle fois alors que sa voiture se garait dans le stationnement du commissariat. En marchant vers les portes d’entrées, Darren, un collègue, la rattrapa pour marcher à sa hauteur.
- Hey ! Jez ! Pas mal, le chignon. C’est moi où il est plus serré que d’ordinaire ? Ton cerveau peut respirer, avec ça ?
La détective grinça des dents mais ne répondit pas tout de suite. Darren était lui-même détective avec une dizaine d’années d’expérience. Son ancienneté dans le poste ne lui avait malheureusement pas apporté la sagesse d’agir en adulte envers les bleus.
- On n’est pas à l’école, Darren… Agit donc selon ton âge, okay ?
- Ouh là ! Apprends à rigoler, ma p’tite !
Il l’a dépassa alors pour entrer avant elle. Il lâcha, sans lui tenir la porte avant de disparaître :
- C’est sûrement pour ça que personne ne veut bosser avec toi !
Encore une pointe qu’elle se garderait bien de dénoncer à son supérieur… Jezabel n’avait pas envie d’être la geignarde du poste, déjà que sa réputation n’allait pas bon train.
En s’engouffrant dans l’établissement, la jeune femme piqua directement vers la machine à café, lieu de rassemblement des amateurs de ce savoureux nectar dont elle-même un grand fan. Fouillant dans les armoires, elle constata bien vite qu’on avait encore pris sa tasse personnelle. Offerte par Hank, la tasse noire affichait en lettres blanches #1 Niece. Du gros cliché bien gâteux, mais bon… Comme Hank était le seul parent toujours à proximité, elle se gardait bien de jeter ses petits cadeaux.
À défaut de se servir de ce dernier, Jez attrapa une tasse commune et se servit donc son traditionnel café. Cinq sucres, trois laits, une pincée de cannelle. De quoi rebuter les puristes de la caféine ! Elle appelait d’ailleurs ce mélange : le jezéine. Personne ne trouvait ça drôle. Non, personne. D’ailleurs, son petit gloussement solitaire attira sur elle les regards mitigés de ses collègues qui, comme s’ils craignaient d’attraper un virus, s’éloignèrent de la machine à café et, de ce fait, d’elle.
T’as encore eu l’air d’une belle tarte… Bravo, ma puce.
- ANDERSON ! s’écria une voix familière au loin.
Manquant renverser sa tasse brûlante, la jeune détective fit volte-face pour apercevoir son capitaine. Le grand Noir braqua un index sur elle pour lui faire signe de venir dans son bureau. Une boule dans la gorge, Jezabel se mit donc en marche, zigzaguant entre les bureaux de ses homologues. Qu’avait-elle encore fait ? Passant en revue les possibilités d’erreurs, allant de l’oublie d’un rapport à la confusion d’horaire, elle ne vit cependant aucune anomalie à sa conduite. Y avait-il eu un décès ? Hank allait-il bien, à l’autre precinct ? Non… si quelque chose était arrivé à son oncle, on aurait traité l’annonce avec plus de tact. Du moins, elle l’espérait.
Les jambes lourdes, Jezabel pénétra dans le bureau vitré du capitaine. Immédiatement, un frisson lui glissa de la nuque au coccyx quand elle constata un troisième individu dans la pièce. Comme à son habitude, elle l’analysa en détail. 6 pieds 2, musculature modérée, cheveux châtains coiffés vers l’arrière, yeux gris acier, mâchoire découpée. Malgré les traits avantageux du personnage, Jezabel contint douloureusement le malaise qui monta soudainement en elle lorsqu’elle perçu la diode située sur la tempe droite de l’homme. Ou plutôt… de l’androïde.
Son regard erra alors sur l’uniforme du spécimen. Blouse blanche, veston gris aux brassards bleu fluorescent, le code de son model inscrit dans le haut de son dos.
VK700. Ce type d’androïde ne lui était pas familier.
Jezabel se mordilla la lèvre inférieure en dévisageant l’androïde, si bien qu’elle ne se rendit pas compte que ce dernier la jugeait également, les mains croisées dans le dos.
- Un problème ? demanda-t-il soudainement d’une voix à la fois claquante et veloutée.
Écarlate, Jez serra les dents en secouant frénétiquement la tête. Heureusement pour elle, son capitaine vint involontairement à son secours en coupant net le malaise qui s’installait.
- Anderson, vous connaissez le model RK800, non ?
- Quoi ? Heu, oui ! Oui… Le model « Connor », celui qui travaille présentement avec mon oncle.
- Exact. Le VK700 est un model « voisin ». Moins de dentelles, plus réaliste au niveau d’un agent de terrain, plus fort physiquement, plus rapide, bla bla bla… Bref, votre opposé.
Perdue, Jezabel fit faire à son regard l’aller-retour entre l’androïde et son patron. Sous son regard, la machine humanoïde arqua un sourcil accompagné d’un sourire en coin pourvu de ce que Jez aurait pu qualifier… d’arrogance ?
- Je comprends, capitaine, mais… Quel lien y-t-il avec moi ?
- Le lien, c’est que vous manquez cruellement d’envergure dans vos enquêtes.
De son stylo, le géant désigna l’androïde.
- C’est votre nouveau coéquipier.
- QUOI ?!