Vol au jardin botanique
Chapitre 1 : Vol au jardin botanique
7799 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 01/04/2023 17:14
Vol au jardin botanique
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Dansons sous la pluie - (mars avril 2023).
Ran rajusta sa sacoche en toile décorée d’une orchidée tandis que le métro approchait de l’arrêt. Lorsque les portes s’ouvrirent, elle ne s’attarda pas et quitta la station sans regarder derrière elle. Un courant d’air frais lui indiqua qu’elle atteignait bientôt l’extérieur, et elle continua donc sa route d’une démarche insouciante.
Rien ne la mettait d’aussi bonne humeur qu’une séance shopping avec sa mère dans le quartier très branché de Shibuya. Bon, cela aurait été encore mieux si elle avait enfin réussi à convaincre Eri de revenir vivre avec son mari – elle essayait de toutes ses forces pourtant –, mais malgré un nouvel échec, elle ne désespérait pas de rabibocher ces deux-là qui s’aimaient secrètement comme au premier jour, elle le savait.
Ses pas la menèrent hors de la station sans qu’elle ne le réalisât. Une goutte d’eau s’écrasant contre sa joue, puis une autre au coin de son œil l’extirpèrent de ses pensées. Elle releva la tête, et afficha une expression ennuyée en constatant le ciel, pourtant bleu quelques heures plus tôt, devenu gris. Même si la forme de certains nuages lui rappelait celle des pétales d’une plante, elle n’appréciait pas la pluie plus que cela, surtout que cette intempérie la prenait de court : la météo affirmait un temps radieux pour toute la journée, ce qui signifiait que l’adolescente ne transportait pas de parapluie avec elle. Quelle déveine.
Elle se demanda si, de son côté, sa mère, qui devait retourner au bureau après leur promenade lèche-vitrine, rencontrait également une averse.
– Je crois que je vais m’abriter en attendant que ce mauvais temps passe, décida-t-elle à voix haute.
Le vent qui se levait lui fouettait le visage et lui envoyait avec force chaque millimètre d’eau qui tombait, aussi pivota-t-elle sur ses talons afin de retourner dans la bouche de métro de laquelle elle était sortie quelques instants plus tôt, croisant en chemin un jeune garçon impatient d’offrir à sa copine sans doute le joli bouquet de tulipes dans ses bras. Elle arrivait presque au sec, lorsqu’une voix au timbre féminin dans son dos l’interrompit.
– Au voleur ! Mon porte-monnaie !
L’adolescente se retourna, surprise. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’elle aperçut un individu courir vers elle. Elle distingua qu’il s’agissait d’un homme, plus âgé qu’elle d’une trentaine d’années au moins. Il courait dans sa direction, et l’éclat argenté brillant dans sa main permit à la brune de réaliser qu’il tenait une arme. Elle se trouvait sur sa route, et devina d’emblée qu’il comptait utiliser son couteau pour la menacer, et alors elle risquait de manger les pissenlits par la racine. Ce devait être le criminel qui avait dérobé l’argent de la personne qui avait crié.
Et dans ce cas…
… il ne s’en sortirait pas si facilement.
Le poignard tendu devant lui, il se rua vers elle, décidé à lui porter un coup. La lame frôla le tissu de ses vêtements, passant à quelques centimètres à peine de sa poitrine ; elle pouvait remercier ses excellents réflexes. Et maintenant que l’agresseur se trouvait tout près d’elle, à ce point qu’elle sentait son eau de Cologne à la lavande, elle pouvait riposter.
D’un geste sec, elle tapa avec le bord de sa main sur le poignet de son adversaire, afin de le forcer à lâcher son arme, qui tomba au sol dans un bruit sourd. Profitant de l’effet de surprise, elle enchaîna en enfonçant de toutes ses forces son coude gauche dans les côtes de son assaillant, lui coupant le souffle ; elle ne lui laissa pas le temps de récupérer, et lui décocha un puissant coup de genou entre les jambes qui lui arracha un cri de douleur, avant de conclure avec un magistral coup de pied retourné qui l’envoya valser contre une poubelle sous un porche à proximité – ses cours de karaté, qu’elle pratiquait depuis des années, payaient toujours autant –, sous le regard médusé des quelques passants qui osaient sortir malgré le mauvais temps.
Trempée, Ran se dirigea néanmoins vers l’individu, tandis que l’une des personnes présentes appelait la police. De la glycine grimpait le long du pilier en pierre contre lequel ladite personne s’adossait, mais l’adolescente n’y prêta pas attention, et s’agenouilla à la hauteur du voleur, encore dans les vapes. Sa main mouillée attrapa le morceau de cuir qui dépassait de la poche de son manteau.
– Je crois que ceci ne vous appartient pas, remarqua-t-elle, les sourcils froncés. Il doit retourner à son propriétaire légitime.
La texture à la fois rugueuse et douce du matériau chatouilla ses doigts tandis qu’elle se relevait. Ce porte-monnaie, dont la couleur mauve égalait celle du lilas, appartenait bien à quelqu’un, mais elle ignorait qui. Alors qu’elle décidait d’attendre l’arrivée de l’agent sollicité au téléphone par le témoin afin de lui confier l’objet, la réponse lui apparut sous la forme d’un carré de plastique qui tomba au sol, devant ses pieds. Lorsqu’elle le ramassa, elle l’identifia aussitôt.
– Tiens, mais c’est une carte d’identité. Et cette personne me dit quelque chose… constata-t-elle lorsque son regard se posa sur la photo du possesseur.
Quelques secondes plus tard, elle se redressa d’un bond lorsqu’elle se rappela pourquoi ce visage lui paraissait si familier.
– Eh, s’il vous plaît, rendez-moi mes affaires… !
En entendant cette voix, Ran effectua une volte-face, pour apercevoir une fille de son âge passer devant un massif de géraniums en courant, et s’arrêter devant elle, une mains sur les genoux et à bout de souffle.
– Merci d’avoir… arrêté ce criminel… Je vous en dois une–
Sa phrase s’interrompit lorsqu’elle releva la tête, et croisa le regard bleu irisé profond de son interlocutrice. Leurs yeux à l’une comme à l’autre s’écarquillèrent, et elles s’exclamèrent d’une même voix surprise :
– C’est toi ?!
***
Ran rajusta sa sacoche en toile décorée d’une orchidée tandis qu’elle se retrouvait dans la cour extérieure du jardin botanique. Il s’agissait de sa première visite dans cet endroit, et ce qu’elle en gardait comme souvenir tenait au porte-clefs en forme d’œillet rouge offert par son meilleur ami tandis qu’ils regardaient l’exposition. Mais comme à son habitude, celui-ci avait disparu, et l’adolescente ignorait où. Peut-être dehors, ce qui expliquait pourquoi elle marchait à présent dans ce patio, en espérant le croiser, mais parmi les passants aux paniers remplis d’amaryllis, cosmos et autres, elle n’en reconnut aucun qui correspondait à son camarade de classe qu’elle affectionnait tant.
Sa main glissa vers son sac, qu’elle ouvrit et duquel elle sortit le plan du bâtiment, déterminée à se diriger vers la sortie pour y attendre son compagnon. Quelle idée qu’il l’invitât ici pour ensuite se volatiliser !
Pour ne rien arranger, les nuages s’amoncelaient, et à peine le réalisa-t-elle que la pluie s’abattait sur terre avec force. Elle regretta de ne pas avoir emporté son parapluie à motif de primevères qu’elle appréciait, mais elle n’avait pas escompté un aussi mauvais temps. Son esprit se remettait avec difficulté de tous ces termes floraux anatomiques : pistil, corolle, étamine, androcée, sépale, pédoncule, carpelle, périanthe et tant d’autres qui lui conféraient une migraine, mais passionnaient Shinichi – ce maniaque des énigmes, mais que fabriquait-il à la fin ? Si elle lui mettait la main dessus, il l’entendrait !
Quelqu’un la percuta tandis qu’elle venait de trouver l’itinéraire à emprunter. Le malotru ne s’excusa pas malgré le cri de protestation de la jeune fille, qui secoua la tête d’un air résigné, et rangea sans y penser son dépliant pour éviter que l’eau ne l’abimât.
– Au voleur ! Mon porte-monnaie !
La voix, adulte et masculine, résonna aux oreilles de l’adolescente qui, surprise, releva la tête et se retourna sans se méfier. Elle aperçut l’espace d’un instant un poing prêt à lui casser le nez fondre vers elle, puis elle entendit un bruit sourd, un objet défila à toute vitesse devant elle, et elle retrouva un champ de vision dégagé, comme si rien ne venait de se produire.
– Eh bien. On dirait que je suis arrivé à temps.
Interpellée, la karatéka, tourna la tête vers l’origine de ce timbre familier. Un garçon, protégé par un parapluie plus bleu que du myosotis, s’approcha d’un pas rapide, contournant une jardinière où fleurissaient passiflores et poinsettias. Quelques mèches de sa tignasse brune, de laquelle se détachait cet épi si caractéristique, retombaient sur ses prunelles dont la couleur rappelait celle de la mer.
– Tout va bien, Ran ?
Une vive inquiétude transparaissait dans chacun de ses mots, comme s’il craignait de la perdre et ne plus jamais la revoir. Cherchant une réponse intelligente, elle parvint juste à balbutier.
– Shinichi… ?
– Mets-toi à l’abri, tu risques d’attraper froid sinon.
Il lui saisit doucement le bras, l’invitant par ce geste à se rapprocher de lui pour se préserver du déluge au-dessus de leur tête.
– Merci beaucoup… murmura-t-elle.
Ses joues rouges comme des pivoines trahissaient les émotions qu’elle ressentait en cet instant. Son bras à elle enroulé autour du sien, elle le sentit glisser sa main dans la sienne et la plonger dans la poche de son anorak vert comme les tiges des pavots, sans doute pour la réchauffer, ce qui accentua la chaleur de ses pommettes. Pour un peu, elle s’imaginait presque effeuiller une marguerite pour savoir à quel point il l’appréciait… Mais elle chassa cette image de son esprit en songeant qu’il n’existait aucune raison pour laquelle leur relation dépasserait le stade de l’amitié. Ils s’entendaient bien, se fréquentaient depuis l’enfance, inutile de chercher autre chose.
– Que– Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle en posant ses yeux bleus sur lui.
– Ça, c’est ce que j’aimerais bien savoir. Ce type était sur le point de te frapper en plein visage.
Elle sentit le corps de son plus proche ami se crisper et le ton de sa voix s’assombrir alors qu’il prononçait cette phrase, et il serra davantage ses doigts. Incrédule, elle reporta son attention devant elle, où son agresseur gisait au sol, à côté d’un sac de graines de crocus. Il portait des vêtements assez luxueux – à présent un peu salis – et la montre à son poignet valait aussi son pesant d’or. Un cadre d’entreprise ou un investisseur, sans doute.
Et tandis qu’il se relevait avec difficulté, la sportive comprit : son camarade avait tapé dans ledit sac en toile de jute rempli à ras-bord, pour empêcher cet individu de la blesser. Il jouait au football depuis tout petit, et participait même à des compétitions avec son équipe, à l’époque. La précision de son tir ne la surprenait donc pas.
Heureusement qu’il avait été là.
Devant eux, l’homme, dans la cinquantaine mais aux cheveux déjà grisonnants, à présent de plus en plus trempé, et dont les dents serrées lui conféraient un air de ressemblance avec les dionées, regarda la brune d’un air furieux, avant d’éructer :
– Rends-moi mon argent, sale voleuse !
– Mais de quoi parlez-vous ?!
Il pointa un index fripé menaçant dans sa direction.
– Mon porte-monnaie ! Je sais qu’il est dans ton sac !
Les deux étudiants de Teitan ne retinrent pas un cri de surprise. Dans la foulée arriva un autre homme plus jeune, mais bien habillé, qui tenait un parapluie en main et appela l’aîné « monsieur Kurosawa ». Son assistant, semblait-il, qui, soucieux, se se plaça à côté de lui afin de les préserver du grain.
– Vous vous trompez, je ne vous ai rien pris ! protesta la lycéenne.
Comme il n’en démordait pas, le brun se tourna vers elle.
– Tu veux bien vérifier, s’il te plaît ?
Leurs regards se croisèrent. Elle ne résista pas au sourire désarmant qu’il lui adressa, et hocha la tête, avant de regarder à l’intérieur de sa sacoche. Elle ne devait pas s’inquiéter, il n’existait aucune raison pour qu’on l’accusât du moindre délit.
Elle devint blanche comme un lys lorsqu’elle remarqua le carré de cuir logé parmi ses affaires, et qu’elle ne reconnaissait pas. À l’aide d’un mouchoir, elle l’extirpa de sa besace, sous le choc. De style plutôt chic, il ne lui appartenait pas. Mais que fabriquait-il au milieu de ses effets personnels ? Elle n’y comprenait rien, et l’angoisse croissait en elle comme lorsque les monardes de sa voisine dont elle s’occupait lorsque celle-ci s’absentait fanaient alors qu’elle les arrosait avec soin.
Surtout, que penserait son ami d’enfance, d’elle, maintenant ?
– Tu permets ?
Tirée de ses pensées, elle réalisa qu’il lui désignait d’un mouvement de tête l’objet dans sa main.
– Oui, bien sûr.
– Merci. C’est bien le vôtre ? demanda-t-il en se tournant vers la victime pour lui présenter le bien, qu’il tenait à présent dans son propre mouchoir orné d’hortensias.
– Oui, en effet ! Et cette petite chapardeuse va payer pour cet acte odieux !
Furieux, le quinquagénaire s’approcha d’elle d’un air menaçant, prêt à la frapper une nouvelle fois – pour un porte-monnaie ? Il charriait dans les bégonias. Son instinct lui indiqua de reculer, mais avant même qu’elle ne s’exécutât, Shinichi étendit aussitôt avec fermeté son bras devant elle pour la protéger.
– Je vous déconseille de vous en prendre encore à elle. Vous le regretteriez beaucoup.
Puis, les traits de son visage se décrispèrent, et son corps se détendit, tandis qu’il ajoutait dans un sourire à la limite de l’insolence :
– Vous ne voudriez pas perdre l’occasion de savoir l’identité du vrai coupable ?
Son interlocuteur s’arrêtât, désarçonné par ces propos. Le moins âgé des deux en profita pour chuchoter à l’oreille de sa partenaire anxieuse :
– Ran, tu as foi en moi, n’est-ce pas ?
La question la prit au dépourvu par sa réponse évidente : elle lui vouait une confiance aveugle depuis toujours.
– Bien sûr que j’ai foi en toi Shinichi, mais pourquoi–
– Ne t’inquiète pas. Je sais que tu n’es pas la coupable, et je vais le prouver !
L’émotion la gagna tandis que le vent transportait jusqu’à elle le parfum des massifs d’arums, de nivéoles et de cyclamens situés non loin. Il comptait découvrir le pot aux roses et exposer la vérité. Elle le connaissait : quand une énigme se présentait à lui, rien ne l’arrêtait.
– Qu’est-ce que tu racontes, gamin ? Mon porte-monnaie se trouvait dans son sac, c’est évident qu’elle m’en a dépouillé–
– L’avez-vous vu faire, monsieur Kurosawa ?
– Quand j’ai remarqué le vol, j’ai vu une fille aux cheveux bruns s’enfuir au courant. Je l’ai perdue de vue un moment, mais j’ai fini par la retrouver !
– Vous n’avez pas aperçu son visage, donc.
Sur le point de répondre, l’homme, piqué au vif comme s’il avait touché une épine de ronce, entrouvrit la bouche, avant de baisser la tête, songeur. Au moins il lui restait assez d’honnêteté pour ne pas affirmer des faits qu’il ignorait.
D’après ses propos, son assistant effectuait des achats pour lui à la boutique – cupidones, églantines et digitales – tandis qu’il l’attendait à l’extérieur. Le crime s’était déroulé à ce moment-là : il avait senti la main du coupable au moment où celui-ci achevait de retirer la bourse de la poche de son manteau, et poursuivi le malfaiteur.
– Et toi, Ran ? Tu te rappelles quelque chose ? s’enquit l’étudiant en se tournant vers elle.
– Hmm, pas vraiment – elle toucha de l’index sa boucle d’oreille en forme de pensées. Oh, attends ! Une personne m’a percutée tout à l’heure. Je pense qu’il s’agissait d’une fille, parce qu’elle portait une jupe.
– Je crois que nous tenons notre criminelle. Elle a profité du choc pour cacher la bourse subtilisée à monsieur Kurosawa dans ton sac.
Ses yeux se posèrent sur le morceau de cuir entre ses doigts, orné d’une partie métallique représentant une julienne, et il l’inspecta de près, conscient qu’il s’agissait de l’unique preuve à sa disposition. Il remarqua d’emblée le bout blanc filandreux coincé dans la fermeture éclair, et approcha l’objet de ses yeux pour l’apprécier davantage. Impossible de se tromper, il s’agissait d’un brin de tissu coincé dans le mécanisme. Mais que fabriquait-il dans un endroit aussi incongru ? Se pouvait-il que… ?
Il demanda à sa partenaire le plan des lieux – drôle d’idée de la part de l’établissement de choisir un glaïeul comme emblème, au passage –, qu’il observa avec attention, repérant la position de plusieurs points stratégiques, avant de le lui rendre et de scruter l’espace autour de lui. Un sourire étira ses lèvres.
La situation lui apparaissait plus claire, à présent.
– Tu veux bien me le tenir quelques instants, s’il te plaît ? demanda-t-il en lui tendant le parapluie.
– Mais tu vas être trempé… souligna-t-elle, inquiète, en attrapant le manche.
Avec une immense affection, il posa ses mains sur les siennes, et plongea ses yeux dans les siens.
– Ça va aller, je n’en ai pas pour long, je te le promets.
La tendresse débordait de chacun des mots qu’il prononçait. Tant d’assurance se dégageait de lui qu’elle n’insista pas ; elle savait qu’il résoudrait ce mystère.
Capuche sur la tête contre la pluie, il s’approcha d’un vigile, le plus proche de lui à l’abri sous une pergola près d’un pot rempli de reines-des-prés, et lui délivra quelques indications ; le surveillant hocha la tête et partit sur-le-champ. Le garçon se retourna ensuite vers le quinquagénaire.
– Monsieur Kurosawa, la voleuse n’est pas Ran, affirma-t-il en s’avançant vers lui pour lui retourner sa bourse. Par contre… elle est bien parmi nous !
– Hein ?! Mais de quoi tu parles, gamin ?!
Une nouvelle fois, il détailla les alentours. Il comptait plusieurs personnes, en plus de lui, Ran, et monsieur Kurosawa et son subalterne : un des gardiens se trouvait à proximité d’une porte fermée surmontée d’une arche couverte où grimpait du liseron, une fille brune retirant les pétales d’un bouton-d’or se trouvait assise sous une tonnelle près d’une jardinière dans laquelle poussaient des narcisses et des jonquilles, une autre portant un collier représentant un iris jouait avec des pervenches et des jasmins se développant dans le pot juste en face d’elle, et la dernière rajustait sa montre dont l’image d’un tournesol égayait le cadran. La teinte de leurs vêtements rappelait celle des jacinthes. Par la couleur et la longueur de leurs cheveux, elles ressemblaient à son amie, il comprenait pourquoi la victime confondait sa charmante camarade avec elles.
– L’issue est bloquée, n’est-ce pas ? lança-t-il à l’attention du garde près de la porte, qui lui répondit par l’affirmative. Et c’est la seule échappatoire possible, sinon, il faut retourner sur ses pas. Personne n’a pu sortir, le coupable est forcément l’une de vous trois !
L’eau glissait le long de ses vêtements, auxquels se collèrent des pétales de scabieuses. Kurosawa se retourna vers les trois adolescentes, perdu, avant de reporter son attention sur le lycéen.
– Comment peux-tu affirmer une chose pareille ? Tu ne les connais même pas !
– Vous voyez cette fibre ? demanda son interlocuteur en pointant l’objet en question. La suspecte portait des gants, et la laine s’est coincée lorsqu’elle a manipulé la fermeture éclair.
Le criminel en portait sans doute pour éviter de laisser ses empreintes sur le cuir, même s’il paraissait improbable que la police investiguât en profondeur pour un simple vol. Cela dit, si le lycéen leur demandait, il ne doutait pas que son voisin, le célèbre scientifique Agasa, ou bien l’inspecteur Megure, effectueraient des analyses poussées.
Les vigiles surveillaient les seules issues, donc aucune des filles ne pourrait partir. Elles comprirent vite l’importance de coopérer et s’avancèrent vers le centre du patio, déclinant chacune leurs noms.
– Ce n’est pas moi, alors, commença l’une d’elles – Atsuko, la seule sans parapluie – en sortant les mains de son manteau pour les exhiber à la vue de tous. Je n’en ai pas. Par contre, pour les autres…
Son regard se posa de manière ostentatoire sur sa voisine, Ayame, dont la laine recouvrait la moindre parcelle de peau des ongles jusqu’au poignet. Remarquant l’attention et la suspicion qu’on lui portait, elle afficha une expression paniquée.
– Je n’y suis pour rien ! protesta-t-elle, tandis que la toile de son parapluie mauve comme les violettes claquait sous l’effet du vent. J’ai enfilé des moufles pour sortir, mais je n’ai lésé personne !
– D’habitude, je me protège du froid avec des mitaines, mais je les ai oubliées chez moi, déclara la troisième, Himawari, en rajustant son bijou.
La première ne retint pas un petit rictus suffisant.
– Eh bien, nous savons qui est la coupable. Il ne reste plus qu’à appeler la police.
– Je suis tout à fait d’accord, répondit l’autre.
– Mais je n’ai rien fait ! Je suis innocente, je vous assure ! protesta Ayame.
– C’est exact. Vous n’êtes pas la coupable.
Tous les regards se tournèrent vers l’adolescent, toujours encapuchonné et les mains dans les poches, alors que la pluie continuait de couler le long de ses vêtements.
– Mais enfin, vous avez-vous-même dit que le tissu blanc était celui de gants et elle est la seule à en porter– argua Atsuko.
– Justement. Réfléchissez un peu, soupira Shinichi. Le coupable savait que si on trouvait des gants en sa possession, on le démasquerait tout de suite. Pourquoi les conserver, dans ce cas ?
– Pour détourner les soupçons ! Elle a eu le même raisonnement que vous, et s’est dit que les garder la disculperait.
Son interlocuteur secoua la tête.
– Non, la responsable s’est débarrassée du butin dans le sac de la première personne sur son chemin par peur que monsieur Kurosawa ne la rattrape. Je ne pense pas qu’elle ait autant prémédité son coup.
Il inspira, avant de poursuivre. Une suspecte éliminée ne l’autorisait pas pour autant à se reposer sur ses lauriers.
– Ce qui ne laisse que deux personnes. Et je peux d’ores et déjà affirmer que vous êtes responsable du méfait !
Son index désigna Atsuko, à la stupéfaction de tous. Elle fronça les sourcils, feignant l’indignation.
– Moi ? Ne soyez pas ridicule. Je ne suis pas la seule qui n’en porte pas !
Une nouvelle fois, Shinichi soupira.
– Ran, tu peux me rappeler ce que tu as dit ? À propos de la personne qui t’a bousculée ?
– Oui, j’ai dit que pensais qu’il s’agissait d’une fille parce qu’elle portait une jupe– oh.
Tous les regards se concentrèrent sur l’accusée, pour constater qu’en effet, une longue jupe plissée à motif de pétunias recouvrait ses cuisses et ses genoux, contrairement à Himawari, elle en jean et baskets.
– Ah ah, c’est ridicule. Vous n’avez pas la moindre preuve ! protesta-t-elle en éclatant de rire, mais la colère déformait ses traits.
– Monsieur, j’ai trouvé ce que vous cherchiez ! Exactement à l’endroit où vous l’aviez dit !
Le surveillant du jardin parti à la demande de l’adolescent réapparut dans la cour à bout de souffle, tenant entre ses mains une paire de gants blancs, arrachant en conséquence un cri de surprise à toutes les personnes présentes, sauf le lycéen, qui poursuivit :
– Une fois votre méfait commis, vous deviez vous débarrasser de cette preuve. Avec monsieur Kurosawa sur vos talons, vous aviez peu de temps ; le plus simple était de la jeter dans une poubelle. Selon le plan, il n’y en a qu’une seule sur le chemin entre le lieu du vol et le patio.
Ses mains plongèrent à nouveau dans les poches de son anorak, et le ton de sa voix devint plus ferme tandis qu’il s’adressait à la criminelle.
– Si vous persistez à nier, j’ai quelques amis qui accepteront avec plaisir de réaliser des analyses et prouveront que les empreintes digitales à l’intérieur correspondent aux vôtres.
Un silence pesant s’installa. Acculée, au pied du mur, Atsuko serra les dents, ses ongles s’enfonçant dans sa peau, avant d’avouer, les yeux baissés.
– Bien joué… C’était moi, en effet.
– Espèce de– commença la victime, mais l’adolescent l’interrompit.
– Pourquoi avoir fait ça ?
Elle haussa les épaules, tripotant sa bague dorée surmontée de ce qui ressemblait à une campanule.
– Par besoin d’argent. Vous avez vu les vêtements chics de ce type ? Je me suis dit qu’il devait avoir de l’espèce sur lui, et que ça ne changerait rien à sa vie, alors que moi, je galère à payer les factures.
– Comment oses-tu ?! Tu vas payer pour ton geste, sale insolente ! J’ai le bras long !
– Faites ce que vous voulez, je m’en fiche, rétorqua-t-elle. Vous ne pouvez rien contre moi, de toute façon.
Le brun fonça les sourcils. Impossible de le nier, ils ne disposaient d’aucun réel moyen de pression contre cette petite chapardeuse. Maintenant que le porte-monnaie retrouvait les mains de son propriétaire légitime, il ne s’agissait plus d’un vol ; les gardes ne pouvaient pas l’arrêter. Les policiers considéreraient l’affaire close et refuseraient de sanctionner la coupable.
– Allez, je me tire, lança celle-ci avec nonchalance.
Elle agita la main en direction de Shinichi qui se mordit la lèvre, contrarié. Il ne s’agissait pas de son premier coup, et si elle partait, elle recommencerait avec une autre victime, non ? Il refusait cela, mais il ne disposait de rien pour l’accuser du moindre délit. En plus, ce monsieur Kurosawa, prompt à perdre son sang-froid, ne lui paraissait pas irréprochable non plus.
– Tiens-moi ça, s’il te plaît.
Le manche froid du parapluie appuya contre ses doigts. L’instant d’après, il remarqua l’expression déterminée de Ran, une expression déterminée qu’il ne connaissait que trop bien. Avant même qu’il ne réalisât le moindre geste, elle se précipita vers la voleuse, et lui attrapa le poignet.
– Attends !
La concernée s’arrêta, se retourna, et réalisant la situation, plissa les yeux, énervée.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
Son interlocutrice relâcha sa prise et baissa le regard, marquant une légère pause.
– Est-ce que je pourrais avoir… ton numéro de téléphone ?
L’incompréhension frappa tout le monde dans la salle, l’ami d’enfance de la brune le premier. Pourquoi sa camarade se mouillait-elle – dans tous les sens du terme – pour cette parfaite inconnue ?
– Pour quoi faire ? rétorqua cette dernière sur un ton désagréable.
– J’aimerais vraiment…
Son interlocutrice releva la tête d’un geste vif.
– … faire ta connaissance et devenir ton amie !
En la voyant ainsi, affronter ces trombes d’eau, juste pour lui saisir le bras et lui poser une seule question qui pourtant lui paraissait si importante, Atsuko, incrédule sentit les larmes affluer à ses yeux, et dut user de toute sa volonté afin ne rien montrer des émotions qui l’assaillaient.
Pour la première fois, quelqu’un se souciait d’elle.
– Tu as de quoi noter ? demanda-t-elle, essayant de paraître aussi nonchalante que possible.
Étonnée puis ravie, Ran sortit de sa sacoche un calepin dont l’image sur la couverture représentait un edelweiss, et un crayon décoré d’un dessin de chrysanthème. La jeune fille griffonna sur le papier avant de lui rendre son matériel.
– Tiens. Et ne va pas t’imaginer des choses, prévint-t-elle, avant de se retourner et d’emprunter la porte pour quitter l’endroit.
Le regard de la brune, un peu perdu, se porta sur l’inscription sous yeux. Un nom et un prénom – Sata Akko – suivaient le numéro de téléphone. Un diminutif… cela témoignait-il de leur amitié ?
Un éternuement et son corps frissonnant la ramenèrent à la réalité : une pluie torrentielle s’abattait sur elle, et imprégnait ses vêtements ou ruisselait sur sa peau, l’obligeant à ranger ses affaires et se frictionner les bras en quête de chaleur.
– Ran.
Soudain, elle sentit une ombre au-dessus d’elle, et plus aucune goutte ; en levant la tête, elle réalisa que la toile d’un parapluie la protégeait, et osa un regard sur sa gauche pour voir Shinichi enlever son écharpe dont le chatoyant dégradé de couleur évoquait celui des dahlias.
– Tu vas attraper froid si tu ne te protèges pas, déclara-t-il en nouant le vêtement autour de son cou. Viens t’abriter.
D’un geste précis, il l’approcha près de lui, et elle se retrouva collée contre son torse chaud, ses yeux bleus incapables de se détacher des lèvres du jeune homme. L’envie de se rapprocher encore plus et de les effleurer d’un doux baiser la brûlait–
– Dîtes donc, vous n’êtes pas un garçon banal ! lança monsieur Kurosawa derrière eux.
Ah. Le destin paraissait beaucoup s’amuser à interrompre leurs moments intimes.
– Vous êtes qui, exactement ?
– Shinichi Kudō, détective lycéen, annonça-t-il non sans un pointe de fierté.
Sans plus lui prêter d’attention, il échangea un regard avec sa meilleure amie pour savoir s’ils pouvaient partir. Assuré de la réponse, son parapluie toujours en main, il quitta le patio avec elle, sous le regard éberlué du quinquagénaire, et celui un peu envieux des deux autres filles, fascinées par ce couple qui cheminait ensemble sous la pluie, prêt à affronter toutes les épreuves du monde.
***
Ran rajusta sa sacoche en toile décorée d’une orchidée tandis qu’Atsuko s’amusait à quitter le large espace couvert qui constituait leur refuge, puis à y revenir aussi sec. On distinguait à peine le motif fleuri – de la valériane – de son chemisier, dont le bas dépassait de sous son manteau.
– Arrête, tu vas tomber malade sinon, protesta la karatéka en la tirant avec douceur vers elle.
– Ah, tu as raison, désolée. C’est juste que ça m’amuse beaucoup.
Cette adolescente ne ressemblait en rien à celle dont la fille d’Eri se souvenait, et elle le constatait un peu plus à chaque seconde. Elle arborait un carré blond qui lui seyait bien, et, au niveau du mental… elle se comportait de façon plus épanouie et moins méprisante. Elle reprenait sa vie en main, et aidait des associations.
– J’aime bien la pluie, affirma-t-elle en étendant le bras, et en regardant l’eau humidifier sa chair et ses vêtements. Ça me rappelle notre rencontre. Il tombait des cordes, aussi, ce jour-là.
En effet, son interlocutrice s’en rappelait dans le moindre détail. Elle portait d’ailleurs les mêmes vêtements, comme le remarqua son amie. Elle ne regrettait rien de ce qui s’était déroulé ce jour-là. Et voilà que le hasard les réunissait à nouveau, des mois après.
– Dis…
Interpellée, la sportive la regarda, et, sentant l’importance de qui allait suivre, l’invita sans un mot à continuer.
– Pourquoi tu m’as sauvée ?
Face à l’expression perdue de la brune, Atsuko détourna le regard, avant de s’expliquer.
– À l’époque, je comptais voler ce porte-monnaie, mais je l’avais mis dans ton sac, et ce gars avait failli te frapper, à cause de moi. Et malgré tout… tu voulais quand même devenir mon amie. Pourquoi ?
L’averse se poursuivait, dans un bruit très fort. La concernée observa les grosses gouttes s’écraser au sol, songeuse.
– Ma mère est avocate, et mon père travaillait comme policier avant de devenir détective privé. J’ai vu beaucoup de vies brisées par haine, vengeance ou jalousie…
Ses yeux se posèrent sur le bougainvillier et les magnolias de l’autre côté de la rue.
– Je voulais t’épargner ça avant qu’il ne soit trop tard. Et puis… faut-il vraiment une raison pour aider quelqu’un ?
C’était ce que quelqu’un avait demandé, une fois… Elle baissa la tête.
– Par la suite, j’ai essayé de t’appeler plusieurs fois, mais tu ne répondais pas. J’ai laissé des messages, mais j’ai fini par penser que je t’importunais peut-être, alors…
Bonjour Akko, c’est Ran !
Après notre rencontre hier, je voulais savoir comment tu allais, mais tu dois être occupée, donc je ne vais pas m’éterniser.
Ma mère est passée tout à l’heure, elle m’a offert un magnifique pot de camélias et de colchiques. Je t’indiquerai mon adresse pour que tu puisses venir les voir, et on pourra prendre le thé ensemble, si tu veux.
À bientôt !
En entendant le bip couper le message, l’attention de Ran, focalisée sur le portable orné d’un sticker d’hibiscus qu’on agitait sous sa main, se concentra sur la figure d’Atsuko, dont les iris brillaient d’une manière particulière et pourtant si familière alors qu’elle souriait.
– Je les ai gardés, tu sais. Je les ai tous gardés. J’ai jamais osé te rappeler parce que rien qu’y penser me gênait, et je voulais remettre de l’ordre dans ma vie mais…
Un souffle de vent emporta les larmes qui perlaient à lisière de ses yeux et vinrent se mêler à la pluie.
– … merci beaucoup pour tout ce que tu as fait pour moi, Ran.
– Akko…
La jeune fille, mains croisées dans le dos, tourna la tête pour observer l’eau tomber, sans jamais perdre son sourire.
– C’est ironique, non ? La voleuse qui se fait voler. Heureusement que tu étais là.
Un léger rire s’échappa des lèvres de son amie. Dit comme ça… Les ressemblances entre le vol d’aujourd’hui et celui quelques mois plus tôt se multipliaient.
– Au fait, l’interpella la blonde en se retournant vers elle. Tu n’es pas avec ton copain ?
– Mon copain ? répéta son interlocutrice, sans comprendre.
– Oui, le mignon garçon brun qui t’accompagnait et qui jouait les enquêteurs en herbe, ton petit ami.
Le visage de la lycéenne s’empourpra comme jamais.
– Ah, tu trompes complètement ! Nous ne sommes pas du tout ensemble voyons.
– Pourtant vous paraissiez bien vous entendre.
La concernée baissa la tête, les yeux rivés au sol, mais le rouge de ses joues demeura intact.
– Nos parents se connaissaient déjà avant notre naissance. On a fréquenté les mêmes établissements alors on a sympathisé, rien de plus. Tu sais comment c’est…
Suspicieuse, Atsuko s’approcha d’elle, son visage à quelques centimètres de celui de la brune, l’examinant sous toutes les coutures.
– Tes joues en feu te trahissent… répliqua-t-elle d’un ton taquin.
– Je t’assure que tu te trompes, ce n’est pas du tout–
– Ran !
La voix, bien qu’enfantine, réussit à porter malgré le bruit de l’onde qui ne s’arrêtait pas. Les deux filles se tournèrent vers l’origine du son, pour voir un petit garçon courir tant bien que mal dans leur direction. Le vent qui venait de face balayait sa tignasse brun foncé à l’arrière de laquelle se détachait un petit épi, les gouttes parsemant le verre de ses lunettes à la monture noire brouillaient quelque peu sa vue, et seul son parapluie dont la blancheur rappelait celle du muguet le protégeait contre l’intempérie.
– Conan ! s’étonna la sportive tandis qu’il les rejoignait à l’abri. Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
– J’ai vu que tu n’avais pas pris ton parapluie, et avec ce mauvais temps, je me suis dit qu’il valait mieux que je vienne te le donner.
Tandis qu’il s’affairait à essuyer l’eau des binocles, Atsuko, perplexe, reporta son attention sur son amie.
– Vous vous connaissez ?
– Il s’appelle Conan Edogawa. Ses parents voyagent à l’étranger, alors je m’occupe de lui en attendant–
– Encore vous ?!
Surprise, les deux filles regardèrent le petit garçon, qui, lunettes propres et sur le nez, venait de s’exclamer, et dévisageait la blonde, mi-surpris, mi-contrarié, comme s’il réalisait quelque chose. Celle-ci posa ses mains sur ses hanches et fronça les sourcils.
– Comment ça « encore moi » ? On se connaît ?
L’attitude de l’enfant changea du tout au tout, et il agita les bras devant lui, paniqué.
– Hein ? Euh, non non ! Je voulais dire « Force à nous ! », parce que euh, rentrer alors qu’il tombe des cordes, ça va demander une sacrée énergie…
Pour accentuer ses mots, il afficha un sourire innocent tout en passant une main dans ses cheveux.
– Maintenant que j’y pense, tu me rappelles quelqu’un… déclara l’ancienne voleuse en s’abaissant à sa hauteur, songeuse.
De grosses gouttes de sueur perlaient au front de l’écolier tandis qu’elle essayait de se remémorer la personne en question, mais sans succès. Contrainte d’abandonner, elle se redressa en soupirant.
– Non, j’ai dû me tromper.
Puis, à Ran :
– Bon, je dois y aller. Merci encore pour tout. On reste en contact !
Elle déploya son parapluie tandis que la brune hochait la tête, et quitta l’abri, passant à côté d’un bac de renoncules.
– Conan.
L’interpellé, soupirant de soulagement – il l’avait échappé belle –, tourna la tête, pour voir Ran enlever son écharpe dont le lumineux dégradé de couleur évoquait celui des mimosas.
– Tu vas attraper froid si tu ne te protèges pas, déclara-t-elle en nouant le vêtement autour de son cou.
D’une main, elle lui prit le parapluie, et de l’autre le poignet, avec beaucoup d’affection, avant de se redresser quelque peu. Ils s’observèrent un long moment, perdu dans leur monde, le regard noyé dans celui de l’autre.
– On y va ?
En guise de réponse, il acquiesça, les pommettes brûlantes, et, tous les deux sous le parapluie, serrés l’un contre l’autre, ils avancèrent d’un même pas, prêts à affronter toutes les épreuves du monde.
Et lorsque, surpris par l’intensité de la pluie qui baissait, ils relevèrent ensemble la tête, des pétales de fleurs de cerisiers ou sakura, qui rappelaient tant à Ran sa rencontre avec Shinichi, tourbillonnaient autour d’eux, et les rayons d’un timide soleil resté pendant trop longtemps caché jouaient avec les gouttes de pluie pour dévoiler le plus sublime des arcs-en-ciel.