Nouveaux horizons
Garance ne fut pas surprise lorsque Maxime se présenta à sa porte un samedi en fin de matinée. Elle fut presque amusée de voir l’expression de son visage : il avait l’air à la fois d’une détermination sans faille et complètement apeuré, s’attendant presque à ce qu’elle lui claque la porte au nez. Il est vrai que si sa mère ne l’avait pas prévenue qu’elle comptait parler à Maxime elle aurait certainement été moins réceptive.
L’idée ne l’avait pas enchantée. Elle ne faisait pas confiance à Maxime pour ne pas dénoncer son père à la police. Mais elle ne pouvait pas empêcher sa mère de lui parler, elle avait bien compris à quel point c’était important pour Clémentine. Et si elle était honnête avec elle-même ça la soulageait presque, ce secret était lourd à porter et elle n’avait jamais souhaité faire mal à Maxime délibérément comme son père l’avait fait.
Maxime entra dans le petit studio qui n’était pas encore entièrement meublé ni décoré mais déjà à l’image de sa locataire : coloré, original et un brin fouillis. Garance invita le jeune homme à s’assoir sur le canapé-lit qu’elle dépliait chaque soir au moment de se coucher. La table basse devant eux était encombrée des vestiges de ce qui semblait être une soirée ordinaire entre jeunes étudiants : bouteilles de bières vides et cartons de pizzas souillés de graisse. Ça n’étonna pas Maxime de voir que Garance avait déjà su se faire des amis si peu de temps après sa rentrée à Toulouse : elle était douée pour ça. Garance était visiblement bien installée dans ces quelques mètres carrés et profitait pleinement d’être indépendante, même si ses parents l’aidaient pour le loyer et les charges courantes.
« Je te sers un café ? proposa-t-elle.
— Volontiers oui, merci, répondit Maxime. Tu te plais ici ? J’imagine que c’est mieux que chez tes grands-parents !
— Grave ! La fac est juste à côté et c’est génial d’avoir un chez soi ! »
Elle tendit une tasse à Maxime et se rassit à côté de lui, tenant une autre tasse dépareillée dans ses mains pour elle-même.
« Tu n’es pas venu jusqu’ici pour faire du tourisme, je me trompe ? demanda-t-elle. »
Du Garance tout craché. Elle ne perdit pas de temps à tourner autour du pot et obligea Maxime à assumer d’emblée les raisons de sa présence.
« Je suis au courant, commença-t-il. Pour le faux kidnapping de ton père.
— Ouais… Pas un de ses meilleurs moments je te l’accorde. Je suis désolée pour tout ce qu’on t’a fait subir. Ce n’était pas juste pour toi d’être interpellé et même si sur le moment j’avoue que ça ne me gênait pas de te voir en galère je me rends compte maintenance que c’était n’importe quoi. Malgré tout ce que tu as fait à notre famille tu ne méritais pas ça, c’était vraiment dégueulasse. Mais il faut que tu comprennes que j’ai vraiment cru que mon père était mort. C’était horrible et je me raccrochais à ce que je pouvais. Quand il s’est manifesté et m’a avoué ce qu’il avait fait j’étais dégouttée. Jamais je n’avais imaginé qu’il puisse faire quelque chose comme ça. Mais en même temps j’étais si heureuse qu’il soit en vie, je n’aurais pas supporté qu’il aille en prison. J’avais besoin de le sentir près de moi et même si c’est tordu quelque chose en moi espérait juste qu’on puisse faire en sorte de revenir comme avant, comme si rien ne s’était passé. Et si ça faisait de toi une victime collatérale, eh bien tant pis. Je sais que je ne peux pas t’empêcher d’aller voir la police si c’est ce que tu veux faire. C’était sûrement naïf de croire qu’on s’en sortirait comme ça. Je ne sais pas comment réagira mon père si tout ça sort. Il essaiera sûrement de se défendre et ça risque de ne pas être joli joli. »
Elle avait tout déballé d’une traite, visiblement préparée à aborder le sujet. Maxime apprécia la franchise de Garance ; c’était bon d’échanger avec elle sans qu’aucun des deux ne saute à la gorge de l’autre. Ça n’était pas arrivé depuis longtemps et ça l’encouragea pour la suite.
« Franchement les états d’âme de ton père c’est le cadet de mes soucis. S’il n’y avait que lui je l’enverrais moisir en prison sans le moindre scrupule, dit Maxime avec un ton qui ne laissait aucun doute sur ses sentiments envers Olivier. Je ne lui pardonnerai jamais et il vaut mieux qu’on continue à s’éviter pendant encore un bon moment. Je ne promets pas de réussir à être cordial si jamais je le croise, si tu vois ce que je veux dire. Mais ce n’est pas de lui que je suis venu te parler.
— J’imagine.
— Garance, il faut que tu comprennes que ce qu’on a vécu ta mère et moi ce n’est pas une simple aventure. Je ne sais pas comment te convaincre que c’était sérieux. J’ai quitté le lycée pour elle, je me suis fâché avec ma famille, des amis m’ont tourné le dos, je l’ai suivie à l’autre bout de la France pour sa rééducation. Et elle ! Elle a tout perdu : ses amis, son mari, sa crédibilité en tant que prof. Mais tout ça on était prêts à le surmonter. Il n’y a que contre toi que je n’ai pas pu lutter.
— Maxime… je sais tout ça.
— Clémentine m’a dit que vous avez beaucoup parlé toutes les deux ces dernières semaines, ce n’est pas à toi que je vais apprendre qu’elle ne va pas bien.
— C’est le moins qu’on puisse dire, confirma Garance. Quoiqu’il y a du mieux quand même, tu l’aurais vu quand on a débarqué ici juste après son enlèvement, c’était vraiment difficile à gérer. Heureusement que c’est une femme forte ma mère, je suis sûre qu’elle va réussir à surmonter ça, avec du temps.
— Du temps et du soutien, renchérit Maxime. Tu sais qu’elle n’a pas beaucoup d’amis à Sète, surtout depuis notre histoire. Et je ne crois pas qu’elle pourra trouver beaucoup de réconfort auprès de ses collègues au lycée, pas avec Olivier dans les parages. Alors si tu es d’accord j’aimerais être là pour elle. Je sais que je peux l’aider, j’en suis convaincu ! Après l’accident quand elle était en fauteuil j’ai su trouver les mots pour l’encourager et je suis sûr que je pourrais encore le faire. J’ai bien conscience que je dois faire mes preuves pour qu’elle me fasse de nouveau totalement confiance mais elle ne me laissera pas la moindre chance si elle pense que ça peut nuire à sa relation avec toi. Alors voilà, c’est pour ça que je suis là : est-ce que tu veux bien me laisser faire partie de la vie de Clémentine ? »
Maxime avait posé cette question d’un air suppliant. Il ne souhaitait pas montrer sa nervosité à Garance mais c’était plus fort que lui, il avait l’impression que sa vie allait se jouer dans les minutes suivantes. Tout dépendait de la réponse que la jeune femme lui ferait. Il sentit son cœur battre dans sa poitrine comme s’il venait de faire un tour de stade à pleine vitesse. N’y tenant plus il se leva et entreprit de faire les cent pas (ce qui n’était pas facile vu la taille de l’appartement, il avait plutôt l’impression de tourner en rond) en attendant qu’elle veuille bien lui répondre.
« OK.
— OK ? répéta Maxime, incrédule.
— Par contre quand tu dis « faire partie de sa vie » tu veux dire « partager sa vie » n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
— Euh…
— ça va, dis-moi si c’est le cas !
— Eh bien je ne te cache pas que j’ai toujours des sentiments pour elle. Très forts même. J’ai essayé de l’oublier je te jure, je croyais y être parvenu. Mais depuis qu’on s’est reparlés… Je pense à elle sans cesse, ça me rend dingue de savoir qu’elle ne va pas bien. Mais de là à partager sa vie… ça ne dépend pas de moi en fait, avoua Maxime. A vrai dire je n’ai absolument aucune idée de ce qu’elle ressent pour moi, nous n’avons pas du tout évoqué notre relation.
— Pas étonnant, après tout ce qu’elle vient de vivre je ne suis pas sûre que se mettre en couple soit sa principale préoccupation.
— Exactement. Mais ça ne change rien pour moi. Quand je te dis que je veux l’aider c’est sincère. Même si on n’a pas d’avenir ensemble en tant que couple je serai toujours là pour elle, tant que c’est ce qu’elle veut. »
Maxime s’était rassis, calmé mais pas encore tout à fait sur d’avoir l’approbation de Garance.
« Bon, je ne vais pas te mentir, ça ne me plait toujours pas de t’entendre dire que tu kiffes ma mère, dit-elle. Ce que vous vous trouvez tous les deux m’échappe complètement et je ne comprendrai probablement jamais. Mais je suis prête à accepter, si ça permet à Maman d’aller mieux.
— Vraiment ? s’étonna Maxime.
— Ouais enfin je ne vais pas vous encourager non plus hein ! Je m’engage juste à vous laisser tranquille. Et je le fais uniquement parce que je pense que tu as raison, tu peux contribuer au bonheur de ma mère et ça serait égoïste de ma part de l’en priver.
— Merci merci merci, tu n’imagines pas à quel point c’était important pour moi d’avoir ton soutien !
— Nan mais j’ai réalisé que c’était dans mon intérêt que vous sortiez ensemble en fait, avoua Garance.
— Comment ça ? demanda Maxime, surpris.
— Bah je peux sortir avec n’importe quel mec ma mère ne pourra jamais rien me dire si ça ne lui plait pas ! »