Tends la main

Chapitre 1 : One-shot

Chapitre final

9904 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 11 mois

Petites notes:

• Selon M. Gaiman, les anges ont comme genre "ange", j'ai fait de mon mieux pour rester neutre pour ceux qui n'ont jamais quitté le paradis (ou l'enfer, les démons comptant pour des anges déchus pour moi). Mais cela ne concerne plus ceux qui ont été sur Terre - Comme Aziraphale et Rampa - car les humains ont, nous l'avons déjà souvent constaté, la fâcheuse tendance à déteindre sur les braves créatures envoyées pour les corrompre ou les sauver.

• Les êtres éthérés et occultes sont constitués d'une essence, qui équivaut plus ou moins à une âme humaine. Pour descendre sur Terre, on leur fournit un corps humain (qu'ils nomment souvent "corporation") dans lequel ils glissent leurs essences.

Bonne lecture.


...............


'C'est vrai qu'il n'y a pas de nuit ici', réalisa Aziraphale, alors qu'il fixait depuis un certain temps le ciel sans nuages à travers la baie vitrée.

Ça n'avait pas toujours été comme ça. Il se souvenait des nuits d'un noir profond, magnifique, piqueté des plus belles étoiles et planètes de l'univers, qui apparaissaient chaque soir au-dessus du domaine de Dieu. Mais après la Chute, elles avaient été supprimées, car il ne devait pas rester le moindre soupçon de ténèbres au paradis. Tout y devint d'un blanc sans mélange, arrogant et froid... Et malheureusement, cela ne concerna pas que les locaux.

Mais même si le soir tombait encore ici, cela n'aurait rien changé pour lui. Les anges en général n'avaient pas besoin de dormir, et apparemment, les archanges suprêmes n'avaient pas non plus besoin de pauses. Il regarda, non sans une légère animosité, les Ordres, les comptes-rendus, les autorisations à signer, les demandes de rectifications, les circulaires et autres dossiers qui formaient des tas plus ou moins haut autour de lui. Ceux qu'il avait traités s'évanouissaient d'eux-même vers les bureaux concernés, mais il y en avait toujours plus qui apparaissaient, avec ce petit bruit de miracle qu'il détestait déjà. Il joua distraitement avec le stylo qu'il tenait. Il devait absolument terminer ce texte pour la réunion prévue dans une demi-heure avec le quatorzième comité des Vertues, mais les mots lui échappaient. C'était pourtant l'attribution qu'il préférait. Il était revenu pour cela, pour changer les choses de l'intérieur, alors être nommé dès son retour comme LE référent en matière d'humains avait été un honneur. De fait, tous les anges avaient comme consigne de prendre son avis à la moindre clause les concernant. Il était très heureux de pouvoir aider le Ciel à mieux comprendre les Hommes, même si cela se traduisait par tellement de réunions d'informations, de corrections de dossiers et de conseils à donner qu'il n'avait pratiquement pas le temps de faire autre chose. Saraqael, Mickaël et Uriel s'étaient fort aimablement répartis ses attributions en attendant qu'il soit parvienne à assumer pleinement son titre. Il se retrouvait à faire leur administratif, apposant sa signature sur leurs décisions, mais il fallait en passer par là avant de pouvoir donner directement les ordres de façon éclairée. Il devait impérativement s'habituer à cette charge de travail, lui avait-on dit. Gabriel en abattait deux fois plus et il avait trouvé le temps d'aller pactiser avec l'ennemi, avait même souligné Mickaël avec une certaine acidité la seule fois où il avait demandé de l'aide. Le Métatron, qui prenait à présent activement part aux décisions et aux réunions des archanges, estimait qu'il se débrouillait très bien, même s'il lui répétait souvent qu'il avait encore beaucoup à apprendre et que pour l'instant, il n'était pas encore prêt pour le "Second Avènement". Et on ne discute pas les suggestions de la Voix de Dieu, n'est-ce pas ? Il remua sur sa chaise. Il ne devait pas se laisser aller aux doutes ou aux regrets s'il souhaitait être un Archange digne de ce nom. Tout se déroulait parfaitement. Il œuvrait pour le Grand Bien, n'est-ce pas ? Alors les choses - toutes les choses - finiraient forcément pour le mieux. C'était cette conviction qui le portait depuis son départ, qui l'aidait à faire ce qu'il fallait, et même à sourire à Muriel lors de ses rapports mensuels. Oui. Il avait fait le bon choix... Même si le manque continuait à pulser dans sa poitrine comme un cœur têtu. Il avait beau se répéter toutes ses bonnes raisons, se rappeler que ce n'était pas pour toujours, qu'il serait plus libre lorsqu'il aurait bien son poste en main, rien n'y faisait. Il avait eu tellement de travail qu'il n'avait pratiquement pas pu penser à ce qui c'était passé, et pourtant, il lui suffisait d'entendre une voix qui ressemblait à la sienne, d'apercevoir des cheveux roux au détour d'un couloir pour avoir la gorge serrée. Il baissa la tête et se força à se concentrer sur son exposé. Il devait continuer. Mais il fallait dire que le fait que le thème du jour était les importantes nuances dans les actions humaines ne l'aidait pas vraiment.

- Votre Grandeur?

Aziraphale faillit sursauter quand la voix aigre de son secrétaire résonna dans le bureau. Il se retient à temps et les papiers entassés sur presque toute la surface de sa table de travail bougèrent à peine. Il s'éclaircit la gorge et fixa au hasard un point devant lui, puisque l'ange que l'on avait chargé de gérer son emploi du temps ne prenait pas la peine de se donner une réalité physique. Une habitude très impolie, aurait dit Aziraphale si on lui avait demandé son avis.

- Oui, Esaliah ?

- La réunion avec les Vertues est annulée, votre Grandeur. Ils ont eu une urgence sur Terre.

Aziraphale grommela dans sa barbe. Et lui qui s'acharnait sur ce texte depuis des heures. Il s'efforça de gommer son agacement de sa voix : les émotions négatives n'étaient jamais vues d'un bon œil par les anges.

- Oh. Très bien. Quand est-ce qu'elle est reportée ?

- Je ne sais pas encore, votre Grandeur. La quatorzième compagnie se consacre à l'écologie, alors...

- Alors Dieu seul sait quand ils pourront Remonter. Les pauvres. Les humains ne leurs facilitent pas la tâche.

- Comme vous le dites. Si vous n'avez besoin de rien d'autre, je vous laisse, votre Grandeur.

Et Esaliah repartit trop vite pour qu'Aziraphale puisse lui demander quoi que ce soit. Le silence revient dans son immense bureau. Il posa son stylo et fit disparaître d'un mouvement de poignet le texte de la réunion dans le dossier correspondant. Il avait donc trois bonnes heures qui venaient de se libérer, et cela... Et bien, cela ne lui était pas arrivé depuis qu'il avait repris le poste. Il aurait dû en profiter pour prendre de l'avance, bien sûr. Sauf qu'il n'avait absolument aucune envie de faire davantage de paperasse. Son regard dériva à nouveau vers l'immense baie vitrée qui s'étalait sur tout le mur d'en face, mais elle ne donnait que sur un ciel vide, comme si on avait pris soin de lui réserver la vue la moins distrayante possible. Il le ramena sur son bureau surchargé, et tomba sur ce qui se rapprochait d'un téléphone ici, posé près d'une pile particulièrement haute de réclamations. Et aussitôt, il pensa à appeler Rampa.

Le simple fait de formuler à nouveau son nom dans sa tête fit naître en lui une bouffée d'images, d'émotions et de sensations, si vives qu'il dut fermer les yeux. Éviter de penser au démon lui avait permis de faire son devoir, oui, mais cela n'avait rien atténué. Il ne savait pas s'il devait le regretter ou non.

Quand il les rouvrit, il avait déjà le téléphone dans la main. Peut-être que c'était une mauvaise idée. Que c'était trop tôt et qu'on pourrait se demander vers qui son cœur se tendait réellement. Mais maintenant qu'il l'avait évoqué, Rampa reprenait sa place en lui comme s'il n'avait jamais dû l'en écarter et il ne trouva pas la force de le repousser si vite. Le temps avait un peu gommé l'amertume de leur dernière dispute et il ne se souvenait que de ce qu'ils avaient partagés de doux. Ce qui ne voulait pas dire qu'il n'allait pas revenir sur le... L'incident dans sa librairie. Rampa était vraiment allé trop loin. Mais il fallait qu'ils arrangent les choses entre eux, comme ils l'avaient toujours fait. Aziraphale n'aimait pas savoir qu'ils étaient en froid. Et peut-être que lorsqu'ils auraient renoué, avec plus de temps pour réfléchir à ses arguments, il parviendrait à le convaincre d'accepter sa proposition ? Il savait qu'il s'y était très mal pris la première fois. La faute à l'urgence, sans doute. Et à l'excitation. Être ensemble, sans le moindre risque ni pour lui ni pour Rampa, était un rêve inaccessible qu'il n'avait jamais osé effleurer. Se le voir offert soudainement avait été un peu... étourdissant. Il l'avait à peine écouté tant, il avait hâte qu'il accepte de venir avec lui, et il fallait le dire, il avait sérieusement manqué de délicatesse. Il ne comptait pas refaire cette erreur.

Il se concentra pour jeter un coup d'œil dans les environ avec toute la clairvoyance dont il disposait. Mais aucun scribe ne se dirigeait vers son bureau avec un énième formulaire à remplir, la file d'anges quotidienne attendant pour lui poser des questions tarabiscotées sur les humains avait enfin disparu et il savait qu'aucun des trois autres archanges n'avait rendez-vous pour lui faire signer des documents qu'il avait à peine le temps de lire. Il était bel et bien libre. Il capitula. L'envie, le manque étaient trop fort, l'occasion inespérée. Et puis... Le Métatron lui avait seulement dit que « travailler » avec Rampa serait irrégulier. Il ne lui avait pas explicitement interdit de le fréquenter de façon amicale, n'est-ce pas ? La joie au cœur, il n'eut qu'à penser au téléphone portable du démon et la connexion avec la Terre se fit tout de suite.

En écoutant les tonalités de ce qui était l'équivalent d'un téléphone au ciel, Aziraphale se sentit devenir un peu nerveux. Cela faisait quand même... Il réfléchit un instant. Trois ans, réalisait-il. Déjà trois ans depuis leur triste différent dans sa boutique. C'était... Beaucoup, surtout sans lui donner le moindre signe de vie alors que le démon n'avait aucun moyen de le contacter au Paradis. Habituellement, c'était lui qui reprenait contact sous un prétexte idiot. Prétexte auquel Aziraphale n'était que trop heureux de croire afin de pouvoir l'avoir à nouveau près de lui. Une pointe de culpabilité le traversa. Qu'avait fait Rampa pendant ses années ? Est-ce qu'il allait bien ? Aziraphale était sûr que oui. Il connaissait et respectait sa force morale. Et il devait l'avouer, comptait beaucoup dessus. Rampa s'était relevé de bien pire! Aucune raison qu'il souffre encore ou qu'il lui garde rancune de son refus. Il lui pardonnerait, comme il le faisait chaque fois.

Il y eut enfin un déclic et la voix tant aimée retentit dans le téléphone :

- Salut ! Ici Terrence Rampa. Euh, je…

- Rampa! Quel plaisir de t'entendre, très cher! s'exclama Aziraphale un peu trop fort. Comment...

- ... ne suis pas disponible et ne le serait plus jamais. Ce n'est pas la peine de me laisser un message, de venir, ou je ne sais quoi d'autre. Et je ne vais pas vous rappeler, parce je ne serais pas en mesure de savoir que vous avez cherché à me joindre. Ciao!

Il y eut un silence, alors qu'Aziraphale restait figé par la stupeur. Un bip aigu retentit, et il comprit : ce n'était pas Rampa qui le rabrouait, mais bien un simple répondeur automatique. Il rappela immédiatement sur sa ligne fixe. Après plusieurs tonalités dans le vide, le même message se lança avec le même ton amer, les mêmes mots tranchants. Aziraphale éteint son téléphone inutile d'une pensée. Il le posa sur son bureau et resta assis bien droit avec l'impression d'avoir reçu un seau d'eau glacée. Il commença à s'inquiéter, puis se secoua sans ménagement. Non, le démon ne voulait pas être dérangé car il devait dormir. Il aimait tellement ça. Voilà. Il lui suffisait de prendre le petit globe terrestre qui flottait dans le coin droit de son bureau, version miniature de celui qui servait au transport des anges sur Terre, et de vérifier qu'il était bien en train de faire la sieste. Il tendit aussitôt la main, toucha l'Angleterre et zooma, en essayant d'ignorer la mélancolie qu'il ressentit en voyant à nouveau les rues qu'il avait longées tant de fois. Il retrouva facilement l'appartement du démon, parvenant à voir jusqu'à la forme familière de sa corporation allongée sur son lit.

Mais il ne sentait pas son essence.

Il étendit sa perception plus loin pour parcourir Londres, puis l'Angleterre, et enfin balayer toute la planète, une fois d'abord, incrédule, et après une autre fois, beaucoup plus minutieusement, alors que la panique montait en lui comme une envie de hurler. Il y avait très peu de raisons qui pouvaient expliquer que Rampa ne soit plus dans sa corporation humaine, et aucune n'était une bonne nouvelle. Il ne voulut pas se faire peur tout de suite, il se trompait peut-être. Mais il eut beau se concentrer aussi intensément qu'il le pouvait, il ne le retrouva pas ailleurs. L'image de la chambre du démon restait obstinément fixée sur la surface tremblotante. Il lâcha le globe, qui roula sur le bureau et tomba sans qu'il ne fasse un geste.

Rampa n'était plus là.

C'était impossible ! Il avait toujours été sur Terre. Et il devait toujours... Il devait y rester. Aziraphale avait besoin de le penser en bonne santé et heureux, besoin de l'imaginer en train de l'attendre. Sinon, comment supporter de l'avoir laissé derrière lui?

Il se leva et arrangea nerveusement sa veste impeccable. C'était peut-être une épreuve, un test de sa loyauté. Et même si cela ne l'était pas, les autres archanges jugeraient sans pitié sa réaction. Mais trop d'hypothèses rebondisaient dans sa tête, toutes plus insupportables les unes que les autres et il était tout simplement incapable de continuer à travailler avec l'idée que Rampa était en ce moment même retenu en Enfer. Ou qu'il était mort et qu'Aziraphale ne le savait pas. Mort. Effleurer à peine cette possibilité fit monter une voix terrifiée dans sa tête et il dut arrêter d'y penser tout de suite.

Il claqua des doigts, pour aussitôt réapparaître directement à l'intérieur de l'appartement de Rampa. Il avait presque oublié ce que cela faisait d'être enfermé dans un corps humain, sensation à la fois un peu étouffante et réconfortante, comme s'il mettait à nouveau un vêtement très aimé. Son nouveau statut lui épargnait d'avoir à demander auprès de quiconque une corporation et l'autorisation de descendre sur Terre. C'était la première fois de toute son existence et s'il avait été moins préoccupé, il se serait certainement senti un peu coupable.

Seul le silence l'accueillit dans l'entrée, rendant le martellement de son nouveau cœur presque bruyant. Des odeurs de renfermé et de vin aigre lui sautèrent au visage quand il pénétra dans le salon. Avec la lumière du crépuscule qui filtrait des volets fermés, il vit l'épaisse couche de poussière qui recouvrait tout, les meubles renversés, les bouteilles vides sur le sol et les plantes desséchées. La peur fit bondir son cœur dans sa poitrine. Il chercha la Bentley d'une pensée et la trouva dans le parking de l'immeuble, les pneus dégonflés, sale et à l'abandon. Rampa n'aurait jamais laissé volontairement ses affaires dans cet état. Aziraphale était maintenant sûr que le démon avait eu des ennuis. Il traversa aussi vite que possible la pièce à vivre aux haut murs gris, pour arriver devant la porte de la chambre et la pousser. Le grand lit occupait le centre de la pièce, sa majesté disputée seulement par une immense armoire vitrée qui couvrait tout le mur gauche. Malgré la pénombre froide qui baignait la chambre, il vit très bien Rampa, allongé tout habillé sur un lit impeccablement fait. Son corps était raide et blafard comme un gisant d'église et son visage était figé dans une expression dure. Aziraphale avait vraiment espéré ne pas avoir réussi à le détecter parce qu'il ne maîtrisait pas assez bien ses nouvelles capacités, mais il sentit tout de suite que sa première impression avait été la bonne. L'essence de Rampa, ce qui faisait de lui un être aussi délicieux que pénible, n'était plus dans sa corporation humaine.

Il n'eut pas le courage d'allumer et fit quelques pas dans la pièce, en essayant très fort de se rappeler que ce n'était pas un cadavre. "Une corporation vide," se dit-il. "C'est seulement une corporation vide." Mais alors, où est son essence ? L'angoisse prit le dessus et son esprit commença à le noyer de questions terrifiantes. "Et si l'Enfer avait profité que Rampa soit seul sur terre, sans aucune protection ou ressources, pour le récupérer ? Et s'il y était enfermé depuis trois ans, lui qui ne supportait pas l'En-bas et n'y retournait que lorsqu'il était obligé ? Et si... S'ils lui avaient fait du mal pendant que j'étais au Ciel? Assez pour... S'ils l'avaient tué... " Aziraphale s'arrêta brutalement et s'assit sur les draps frais, y tomba plutôt. Son regard papillonna dans la chambre sans savoir où se poser, alors que son esprit essayait désespérément de trouver d'autres raisons, d'autres solutions, refusant d'accepter ce qui semblait évident. Il finit par le regarder à nouveau. Il avait stupidement envie de se pencher pour enfouir son visage dans sa veste qui sentait encore comme lui, de le secouer, de l'appeler si fort que le démon se réveillerait forcément. Il avait tellement besoin de le voir se lever et agir comme avant que ça lui faisait mal. Pour se réconforter, pour se raccrocher à quelque chose, il avança la main avant de réussir à s'en empêcher. Par habitude, il n'osa pas se laisser aller à caresser son visage ou arranger ses cheveux en arrière, mais il effleura ses doigts. C'était un geste si discret et pourtant, il ne se l'était que peu permis. Comme cela le blessait de ne le faire que maintenant, alors que... Il fronça les sourcils. Sa peau est chaude, constata-t-il après lui avoir serré une autre fois les doigts pour vérifier.

Ce qui voulait dire que son corps était en vie.

"Bien sûr qu'il est vivant", pensa-t-il en reposant sa main avec précaution. "Sinon il se serait décomposé depuis longtemps, vieil imbécile !" Dans sa panique, il avait oublié que les corporations qu'on leur donnait mourraient comme des corps humains.

Mais jamais l'Enfer n'aurait kidnappé Rampa en prenant gentiment la précaution de conserver son corps, dans son appartement sur Terre qui plus est. Ce n'était pas leur genre. Aziraphale le savait bien, ayant malheureusement expérimenté leurs méthodes pour le moins expéditives. De la même façon, si le démon était mort, ou y avait été arraché de force, sa fragile corporation serait aussi noire et recroquevillée que les malheureuses plantes qu'il y avait partout. Non, la seule explication était que Rampa lui-même avait gardé son corps en état. Maintenant qu'il y prêtait attention, il pouvait même sentir le lien tenu entre la corporation et l'essence du démon. "Il est vivant", pensa Aziraphale avec un immense soulagement. "Sans corps, mais vivant, quelque part dans l'univers."

Et il s'y était rendu de son plein gré.

Son sourire vacilla.

Il n'avait jamais pensé que Rampa quitterait la Terre. Il savait bien qu'il aimait l'espace, mais il croyait que c'était comme on apprécie quelque chose de beau, comme on rêve d'un lointain pays, vaguement, pour avoir quelque chose à imaginer. Le démon aimait tellement la vie parmi les humains, et tout particulièrement le siècle actuel. Qu'est-ce qu'il irait faire là-bas ? Certes, depuis la première tentative de fin du monde, ils n'avaient plus eu d'Actions à accomplir pour leurs Côtés respectifs et s'ils n'avaient pas été ensemble, peut-être que cela aurait été vraiment triste et solitaire... Aziraphale se figea. Un doute immonde commençait à prendre forme dans son esprit et il regarda à nouveau son visage tendu, sa chambre poussiéreuse. Lui revint en mémoire toutes les bouteilles vides qui avaient roulé contre ses pieds quand il avait traversé le grand salon, assez pour être ivre à s'en rendre malade pendant des jours. Et tout le mobilier cassé... Il pinça tristement les lèvres en s'en souvenant, car chaque meuble lui était familier. Rampa lui parlait de tout ce qu'il achetait de neuf avec l'orgueil émerveillé de celui qui a enfin le droit d'avoir quelque chose à lui. Sans oublier sa précieuse voiture laissée à rouiller dans le noir, les plantes mortes, le message sur le répondeur... Ses yeux s'écarquillèrent. Est-ce que Rampa aurait pu croire qu'il le quittait définitivement ? L'idée lui remua le cœur. Non ! Bien sûr que non, il ne le laisserait jamais de cette façon cruelle, sans un mot d'explication, sans un adieu !

Mais peut-être que le démon ne le savait pas. Peut-être qu'il l'avait regardé monter dans l'ascenseur en croyant vraiment qu'Aziraphale ne reviendrait plus.

Est-ce qu'il avait quand même attendu un signe de lui, vu les mois passer sans que rien ne vienne, et finalement fermés les volets pour ne plus voir le ciel ? Et après ? Il l'imagina seul ici, complètement saoul, en train de saccager ce qu'il avait choisi avec tant de soins et il sentit la tristesse lui piquer les paupières. Il la chassa sans pitié, crispant les poings sur ses genoux. Ce n'était pas le moment de se laisser aller. Si Aziraphale s'était trompé sur ça...

Sur quoi s'était-il trompé d'autre ?

Le souvenir de sa bouche, dure et tremblante, lui revient immédiatement. Et s'il y avait eu dans son baiser bien plus que le désir de le forcer à rester en lui offrant quelque chose de nouveau ? Rampa l'avait toujours asticoté pour qu'il essaye les plaisirs humains, mais jamais il n'avait été aussi furieux et blessé quand il ne cédait pas.

Alors ce n'était pas une tentation un peu cruelle, comme il l'avait pensé.

Il s'entendit prendre une inspiration heurtée alors que les autres souvenirs suivaient le premier, profitant de la brèche. Il n'avait rien oublié, bien sûr. Toutes ces choses si douloureuses avaient seulement été reléguées dans un coin de sa tête pour qu'il demeure fonctionnel, avec tout ce qu'il n'avait pas pu se laisser aller à ressentir alors qu'il devait répondre au Métatron, ni après, avec tout le travail, et son souhait coupable de ne plus faillir comme il l'avait tant fait sur Terre. Il y était forcé à présent. Et sans l'urgence, sans l'euphorie, l'évidence lui sauta aux yeux.

C'était un malentendu.

Un horrible, et très stupide malentendu. Ils... Ils n'avaient pas parlé de la même chose au même moment ! Et ce, par habitude, réalisait-il avec un lourd sentiment de culpabilité. Il valait mieux ne pas parler de ce qui ne pouvait pas exister, alors ils avaient s'étaient toujours exprimés de façon détournée. Et le moment venu, le seul où ils auraient dû être vraiment francs l'un avec l'autre, ils n'en avaient pas été capables. Oh, il aurait dû... Il aurait dû le retenir, le serrer, lui dire autre chose que ce trop simple "j'ai besoin de toi" qui lui avais tant coûté. Oui, il avait besoin de lui. Mais pas seulement pour alléger le travail ou pour profiter des plaisirs terrestres. Ça n'avait jamais été que ça, malgré toutes les précautions, ce qu'il avait dû taire, et tout ce qu'il fait pour garder une façade d'ange respectable. Il avait essayé d'être aussi honnête qu'il le pouvait... L'habitude l'avait retenu, l'habitude et la terreur de savoir le Métatron juste de l'autre côté de la rue.

Il avait cru que Rampa comprendrait à demi-mot, comme il le faisait toujours. Qu'il attendrait qu'il revienne vers lui, qu'il saurait...

Il s'était trompé. Comme pour le souligner, la dernière image qu'il avait de Rampa revient le poignarder. Le démon, qui s'emportait facilement et qui faisait toujours de grands gestes dramatiques, de petites moues expressives, en train de le fixer, adossé à la Bentley et la bouche serrée en une ligne amère. Un appel. Cela avait été un appel, un dernier geste désespéré pour qu'Aziraphale revienne vers lui. Et lui, qu'avait-il fait ? Il lui avait tourné le dos. Il serra les mâchoires, furieux contre lui-même. Son désir de faire le Bien avait tout occulté, et ensuite, le travail avait été une échappatoire bien pratique pour ne pas penser à ce qui s'était passé, pour ne pas avoir mal. Il avait complètement négligé Rampa, alors qu'il se prétendait son ami. Qu'il... tenait à lui.

Il ébaucha un geste vers lui, mais laissa retomber sa main aussitôt. Rampa était trop loin pour être réconforté et de toute façon, il avait été assez égoïste comme cela.

- Je suis désolé, chuchota-t-il doucement, la gorge serrée de dire cela si tard.

Il se leva lentement les yeux et vit par la large fenêtre au-dessus du lit que la nuit tombait. Son chagrin se teinta d'une pointe de peur. Pourtant, il ne pouvait revenir au Paradis tout de suite, même si c'était probablement imprudent. Il fallait qu'ils se voient et qu'ils parlent à nouveau. Rampa avait assez souffert.

Avant de partir, il fit un petit miracle pour tout nettoyer, réparant aussi ce qui avait besoin de l'être, remplaçant même les plantes mortes. En voulant rajouter des protections pour que personne ne puisse approcher de l'appartement et de Rampa, il se rendit compte que le démon avait déjà pris ses précautions. Sans pourtant l'inclure, lui, dans la liste de ce qui ne pouvait pas entrer. Il faillit espérer, mais il savait au fond de lui que c'était parce que Rampa ne pensait pas qu'il chercherait à le retrouver. Et cette perte de confiance lui fit très mal.

Sans vouloir perdre davantage de temps, il se pencha pour reprendre sa main, délicatement, afin de sentir le lien jusqu'à son essence. Aziraphale parti dès qu'il sut où aller pour le retrouver.

......


'Il était parti tellement loin,' remarqua Aziraphale quand il arriva enfin.

Il n'avait jamais été dans ses deux magnifiques galaxies auparavant, celles que les humains ont appelé les galaxies des Antennes, et il ne put que remarquer leurs couleurs qui s'enlaçaient glorieusement. Mais il ne resta pas à les regarder : il avait déjà perdu trop de temps à venir sans miracle pour ne pas attirer l'attention. Il plongea à l'intérieur, suivant toujours la trace de Rampa. Il pouvait le sentir de plus en plus à présent, et le soulagement desserra quelque chose de douloureusement noué en lui. Il était bien là. Aziraphale sourit sans même y penser et ralentit brutalement pour descendre à une vitesse raisonnable vers l'énorme planète couverte de végétation qui s'étalait devant ses yeux. Quelques instants plus tard, il posait le pied sur ce qui ressemblait à s'y méprendre à un Jardin d'Eden taille XXL. Son corps humain n'était pas fait pour respirer ce genre d'atmosphère très riche en oxygène, sans que cela constitue un réel problème pour lui, évidemment. La forêt aux arbres gigantesques était très belle, mais plus il approchait de Rampa, moins il parvenait à penser à autre chose qu'à la perspective de le retrouver. Il arriva près d'un cours d'eau traversant une petite clairière, et il l'aperçut. Cela fut difficile de ne pas se précipiter vers lui après avoir eu aussi peur.

Sans corps humain à porter, son essence était vraiment nue et cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu ainsi. Contrairement aux anges qui n'avaient de réalité physique qu'au Paradis, l'essence des démons ne ressemblait pas à des répliques transparentes d'eux même. Ils étaient à la fois plus solides et plus malléables, et ils avaient tendance à prendre l'aspect qui correspondait le mieux à leur état d'esprit du moment. Rampa se reposait et il avait sa forme de serpent, celle qu'il préférait pour cela. Ses lourds anneaux noirs et rouges étaient entortillés sur la plus grosse pierre couverte de mousse, près du murmure de l'eau, et il dormait dans la flaque de lumière qui tombait d'une trouée de la canopé. Il avait l'air tellement serein. Aziraphale, la poitrine serrée par l'anticipation, s'avança doucement dans un froissement de feuilles mortes, sans oser l'appeler. Parvenu devant lui, il tendit la main vers la jolie tête triangulaire qui reposait sur le reste de son corps en pensant le réveiller gentiment. Mais Rampa ouvrit brutalement les yeux et son premier réflexe fut de contracter son corps en arrière pour fuir son contact.

- C'est moi, mon cher... souffla Aziraphale dans un sourire.

Le démon recula encore et se laissa glisser de l'autre côté de la pierre. Aziraphale le vit ensuite s'éloigner entre les cailloux ronds et le bois mort.

- Rampa! appela-t-il d'une voix où perçait son incompréhension, sa peur presque. Reviens, espèce d'exaspérant serpent! Je sais que tu m'as reconnu, et je n'ai pas fait tout ce chemin pour que tu me tournes le dos !

Rampa s'arrêta alors qu'il était presque parvenu à la lisière des arbres. Son corps s'étira, s'allongea, et en quelques secondes, il avait repris l'aspect humain qu'il lui connaissait si bien, veste noire, pantalon moulant, bottines en cuir... Et lunettes de soleil sur un visage fermé. Il s'adossa contre le tronc d'arbre le plus proche, bras croisés. Toute dans son attitude hurlait qu'il ne ferait pas le moindre effort. Aziraphale savait que c'était lui qui devait se faire pardonner, mais cette réaction le bâillonna mieux qu'un nœud coulant. Un moment passa ainsi, pendant lequel Aziraphale chercha ses yeux à travers les verres opaques, le suppliant quand même de faire un pas vers lui. De lui tendre si délicatement la main comme il le faisait toujours pour qu'il n'ait pas à dire ce qui était si difficile. Mais Rampa resta immobile. Et au bout d'un moment sans qu'Aziraphale n'ouvre la bouche, il tourna tout simplement les talons.

Aziraphale ne réagit pas tout de suite. Rampa partait régulièrement après une dispute, et il avait souvent regardé son dos aux épaules crispées disparaître loin de lui. C'était comme cela qu'ils faisaient, parce qu'ils ne pouvaient pas se dire la vérité, parce qu'ils étaient orgueilleux tous les deux et qu'au fond, ils étaient certains qu'ils reviendraient toujours l'un vers l'autre. Ce n'était plus le cas. Aziraphale pressentait que s'il ne faisait rien pour le retenir cette fois, le gouffre entre eux s'élargirait encore jusqu'à devenir infranchissable.

Il s'élança maladroitement, trébuchant dans les branchages, la peur au ventre et le nom de Rampa coincé dans la gorge. Le démon n'était pas allé loin. Il marchait droit devant lui, la tête baissée. Aziraphale le rattrapa et l'appela encore pour l'arrêter. Ce que fit Rampa, non sans tressaillir de surprise. Aziraphale s'arrêta aussi et brossa son gilet, remis en place son nœud papillon dérangé par sa course, pour enfin relever les yeux vers le démon à quelques pas de lui qui, Dieu merci, s'était retourné. Par habitude, il essaya de sourire d'une façon engageante, mais il vit tout de suite sur le visage de Rampa qu'il aurait dû éviter. Il redressa quand même le menton et se força à parler, malgré le fait qu'il le sentait le fusiller du regard.

- Est-ce que tu aurais un moment, s'il te plaît ?

Le sourcil gauche de Rampa s'éleva au-dessus de ses lunettes. Il fourra ses mains dans ses poches et, après quelques instants de silence inconfortable, détourna les yeux pour cracher d'une voix terriblement rauque, comme s'il n'avait pas parlé depuis longtemps :

- Ça dépend pour quoi.

Aziraphale arrêta de se forcer à sourire.

- Je voudrais... Je voudrais qu'on reparle de ce qui s'est passé devant ma boutique. Je crains que tu aies mal interprété mon geste.

- Il n'y a rien à dire. Tu es parti. Fin de l'histoire.

Il amorça un geste pour se détourner à nouveau, et Aziraphale eut l'impression qu'on lui empoignait le cœur. Il ne l'écoutait pas ! Il partait, il... La panique lui arracha les mots de la bouche, trop fort, trop vite.

- Attends ! Ce n'était pas un adieu !

- Uniquement parce que tu n'as pas eu le courage de le dire, siffla froidement Rampa.

- Non, je t'assures que non. Nous n'avons pas pu correctement nous parler la dernière fois, et...

- Et quoi, Aziraphale ? jeta le démon en se tournant agressivement vers lui. Qu'est-ce que tu aurais fait ? Garder encore plus le silence radio ?

- Pardon ? Je n'ai gardé aucun silence volontairement. J'ai seulement eu beaucoup de travail, mais dès que je l'ai pu, je t'ai appelé.

- Ah. About de trois ans. Tu m'as - juste - appelé au bout de trois ans. C'est normal de se souvenir de ceux qu'on abandonne en arrière au bout de trois fichues d'années ?

- Mais... Je ne t'ai pas abandonné, enfin ! Je... Ce n'est pas moi qui ai demandé tout cela. Je voulais seulement faire au mieux, pour le Paradis, pour les humains... Et pour nous ! Avec l'attention que nous avions attirée...

- ... À cause de toi !

- .... À cause d'un malheureux concours de circonstances, je ne pouvais qu'être infiniment reconnaissant de me voir proposer cela au lieu d'être tout simplement déchu.

Le visage de Rampa se vida d'expression à une vitesse alarmante.

- Quelle chance, oui. Donc tout va pour le mieux. Pourquoi tu es là, alors ?

La conversation... Ne prenait pas la direction de la réconciliation qu'il avait espérée. Aziraphale, de plus en plus nerveux, commença à se tordre les mains sans s'en rendre compte.

- Je te l'ai dit, pour t'expliquer...

- Merci, mais je savais déjà ce que tu viens de me dire.

- Alors tu aurais dû aussi savoir que je reviendrai vers toi !

- " J'aurais dû...?" répéta-t-il, s'étouffant avec la fin de la phrase. Il ouvrit les bras comme s'il prenait la forêt à témoin. Bien sûr, c'est évident ! J'ai mariné dans la peur pendant tout ce temps, mais c'était de ma faute ! J'aurais dû deviner que ton petit regard méprisant en montant dans l'ascenseur, ça voulait dire " Je reviens vite." J'aurais dû savoir si tu n'as pas répondu à ma conf... Mon geste dans ta boutique, c'était parce que tu tenais à moi ! Et avant, si tu sautais sur chaque occasion pour me laisser tomber, c'était aussi par amour ?

Le dernier mot sembla résonner dans l'air humide.

Ils ne parlaient pas d'eux comme ça. Aziraphale, en tout cas. Il s'était toujours interdit d'y penser, avait écrasé sans pitié la moindre envie qui sortait du rôle qu'il devait tenir. L'entendre évoquer ce qu'il y avait entre eux aussi crûment lui donnait une réalité presque insoutenable. Une expression vaguement effrayée passa d'ailleurs sur le visage de Rampa, mais il carra les épaules, refusant de faire comme s'il n'avait rien dit une nouvelle fois.

- Tu sais très bien pourquoi je ne pouvais pas faire plus, répondit lentement Aziraphale, les yeux baissés sur ses mains rougies.

- Oh, oui, je sais.

- Alors pourquoi me le reproch...

- Tu as honte. Boire, discuter avec moi, tu es d'accord. M'aider, ou accepter que je te sorte des ennuis où tu te fourres à cause de ta stupide gentillesse, pas de soucis. Mais reconnaître que tu as quelque chose d'autre avec un démon !

Son corps changea comme s'il voulait lui rappeler sa vraie nature. Il reprit cet aspect d'ange déchu à peine remis de sa Chute, pieds nus, les ailes noires immenses frémissant dans son dos, sa toge sombre et effilochée, ses cheveux bouclé encadrant son visage maigre. Et ses yeux... Le jaune vibrant recouvrait tout le globe, à peine fendu de noir, et criait ce qu'il était. Rampa leva le menton pour le regarder avec arrogance, comme s'il en était fier, comme si ce n'était pas une de ses apparences qu'il évitait le plus possible.

Autour d'eux, les oiseaux se turent, et un bruit de lourdes pattes prenant précipitamment la fuite se fit entendre.

- Je...

Aziraphale prit une inspiration tremblante. Il cherchait ses mots, hésitait, alors qu'il devait être ferme et apaisant.

- Je n'ai pas honte de toi, Rampa.

- Arrête. Tu n'étais même pas capable de reconnaître que l'on était simplement amis pendant des siècles.

- Je ne le pouvais pas ! C'était dangereux !

- Dangereux, mon c...

- Oui, dangereux ! répéta-t-il si fort qu'il lui arracha une expression surprise. Penses-tu que j'ai oublié cette fois, en 1872, où l'Enfer t'a rappelé alors que je te tenais ? Je te tenais ! Et... Le sol s'est ouvert, tu es tombé sans que je ne puisse te retenir... Et je ne t'ai pas revu pendant des années !

- 1872, reprit le démon avec un mouvement d'ailes dédaigneux. C'était il n'y a pas si longtemps.

- Mais cela n'as fait que renforcer ce que je savais déjà ! Nous prenions tant de risques, à seulement nous... Fréquenter professionnellement, que nous ne pouvions pas avoir autre chose ! Alors il valait mieux faire comme si ça n'existait pas.

- Attends... Tu veux dire que si tu as fait la sourde oreille pendant trois mille ans, si tu as ignoré royalement toutes mes, euh... Approches? Oui, Approches. Bref, c'était uniquement pour nous protéger de nos Côtés respectifs ?

- Oui! s'exclama Aziraphale avec un sourire, persuadé d'avoir enfin crevé l'abcès.

Maintenant, il allait devoir s'excuser d'avoir pris cette décision seul. Il se rendait compte qu'il aurait dû en discuter avec lui, qu'il avait été peut-être un peu trop égoïste, en voulant éviter une discussion triste et inconfortable. Mais ce n'était pas trop tard et ce serait une nouvelle clause à leur Accord. Tout allait s'arranger. Rampa ne serait plus autant en colère, il reviendrait sur Terre, il lui sourirait à nouveau, il...

- Conneries.

Le mot fit l'effet d'une gifle à Aziraphale. En face de lui, Rampa avait resserré ses bras autour de lui et il parla si bas entre ses dents serrées que l'ange aurait eu du mal à le comprendre s'il n'avait pas eu toute son attention braquée sur lui.

- Je ne te crois pas. Depuis qu'on se connaît, tu as passé ton temps à me balancer nos natures à la figure, et la seule fois où tu as accepté, non, vaguement envisagé qu'on puisse être ensemble, c'est à la condition que je redevienne un ange. Un ange. Comme si... Comme si je pouvais avoir envie de revenir après avoir été jeté comme ça.

Des marques apparurent sur lui en rongeant son aspect du Jardin d'Eden, comme un mirage affreux impossible à oublier. La lumière tronquée de son auréole mourante éclaira ses cheveux brûlés jusqu'à la racine. Et ses yeux aveugles, écarlates et débordants de larmes, ses ailes cassées aux plumes roussies et la chair rongée de son visage, de ses bras, de tout son corps détruit par la Chute. Aziraphale devina que ses brèves transformations n'étaient pas faites sciemment. Rampa avait toujours soigneusement éludé toutes ses questions et par politesse, Aziraphale avait cessé de demander qu'il lui dise ce qui lui était arrivé. Alors voir soudain apparaître sur son corps la réalité de toute cette souffrance qu'il éludait à chaque fois d'un simple haussement d'épaules... L'ange se sentit soudain très petit et très minable. Il écrasa la main sur sa bouche pour retenir son envie de pleurer et s'obligea à reprendre contenance au plus vite.

- Je suis tellement navré, Rampa. Je n'ai jamais voulu te blesser ainsi, dit-il doucement, étouffant de tristesse et de compassion.

Il avança en tendant la main vers son poignet pour l'effleurer, alors que Rampa, dont l'apparence était à nouveau uniforme, tournait vers lui un regard prudent.

- Et je sais que tu ne voulais pas faire de mal avec tes suggestions, continua-t-il. Mais les voies de Dieu...

- Surtout, ne te vient pas me dire, à moi, qu'elles sont impénétrables ! s'exclama le démon en repoussant sa main d'une claque. J'ai... Je m'en suis assez rendu compte, merci.

Aziraphale ne répondit pas. Aucun des mots qui lui vinrent à l'esprit ne lui sembla juste. Il aurait voulu pouvoir le réconforter, mais ses paroles semblaient tomber toujours à côté. Le toucher aussi, même s'ils ne le faisaient que rarement, pour retrouver cette familiarité si douce qu'ils partageaient avant. Mais Rampa refusait son contact et détournait les yeux. C'était nouveau. Et terriblement angoissant. Il se retrouvait démuni, alors qu'il le sentait glisser loin de lui, s'éloigner de plus en plus, sans savoir quoi faire car tout était trop différent de la façon dont ils fonctionnaient depuis des milliers d'années.

Il commençait à avoir vraiment peur.

La question sortit de lui avant qu'il ne puisse la retenir, sa voix serrée par l'angoisse.

- Tu ne redeviendras pas un ange, n'est-ce pas ?

Il réalisa avec un temps de retard à quel point cela était stupide et égoïste de le lui demander après ce qu'il venait d'apprendre. Il se tendit, s'attendant à d'autres mots durs. Mais Rampa ne dit rien, ne bougea pas. Il reprit seulement son apparence humaine, aux lunettes de soleil si pratiques. Aziraphale savait depuis longtemps qu'elles ne servaient pas qu'à dissimuler ses yeux aux humains. Elles représentaient surtout une barrière entre Rampa et le monde, et Aziraphale fut blessé qu'il ait besoin de les remette devant lui.

- Non, laissa enfin tomber le démon, le visage dur mais las, comme si Aziraphale l'avait tellement déçu qu'il n'arrivait même plus à être en colère. Pour rien au monde.

"Pas même pour toi", entendit Aziraphale comme s'il le lui avait hurlé au visage.

La certitude que rien de ce qu'il pourrait faire ne le ferait accepter de revenir au Ciel s'imposa à lui. Et Seigneur, il l'avait tellement espéré. Il avait été convaincu qu'il parviendrait à lui faire changer d'avis, s'était accroché à cette idée comme un idiot. Cela rendait son départ acceptable, si ce n'était qu'une courte absence avant qu'ils ne se retrouvent. Il n'était pas un salaud qui était parti sans se retourner.

Mais il savait maintenant qu'il s'était trompé.

La panique enfla dans sa gorge, fit tressaillir ses mains. Le besoin physique de se rapprocher de Rampa le jeta en avant et il fit un pas vers lui. Il le perdait. Il le voyait disparaître aussi sûrement que cette horrible fois où la terre s'était ouverte pour l'avaler et l'amener hors de sa portée.

Le démon le regardait, raide et hostile. Sa bouche se tordit.

- Ah. On dirait que tu viens de comprendre que rien ne dure éternellement.

Ces quelques mots l'arrêtèrent. C'était cruel, mais Rampa savait l'être, surtout quand il estimait qu'il mettait trop de temps à réaliser certaines choses.

- Et je sais que ce n'est pas la peine de te demander d'abandonner ton titre pour rester avec un démon minable dans mon genre. J'ai compris la leçon, à force.

Aziraphale, encore trop secoué, fut incapable de répondre. C'était impossible. Il ne pouvait pas renoncer... Son devoir... Les attentes...

- Bien sûr, ricana Rampa comme s'il l'avait entendu penser.

Il fit quelques pas en arrière, mis ses mains dans ses poches.

- Tu devrais y retourner. Il ne faudrait pas qu'ils apprennent que tu t'offres de petites visites dans l'espace.

- Je ne veux pas que l'on se quitte, balbutia-t-il, le cœur si serré que ça faisait mal, sans savoir s'il parlait de maintenant ou de quelque chose de plus lointain. Les deux lui semblaient si définitifs qu'ils emmenaient des larmes aux coins de ses yeux.

Rampa frémit comme s'il avait été frappé.

- C'est déjà fait, idiot.

- Non ! On peut encore... S'appeler, se voir de temps en temps... Quand j'aurais moins de trav...

- Ouais, génial. Une relation au rabais. Tentant, vraiment, après avoir été ensemble et libres pendant quatre ans, siffla-t-il. Mais pour combien de temps ? Je te rappelle quand même que la guerre approche, Ô Archange Suprême Aziraphale. Alors, combien de petits rendez-vous clandestins pensez-vous pouvoir m'accorder, avant que le Ciel ne décide de mettre la Terre à feu et à sang pour savoir qui à la plus grosse dévotion ?

- P... Pardon?

- Tu n'as pas assez de Bibles dans ta collection pour savoir ça ? Le deuxième Avènement, Aziraphale ! La fin du monde orchestrée par le Paradis! Il n'y aura plus jamais de nuances de gris après. Bye bye la Terre, le temps, les humains et les démons, bonjour l'éternelle félicitée aux mains du Ciel!

- Qu'est-ce que tu inventes encore... Ce n'est pas possible que le Bien veuille cela ! Une chose si grave...

- Je l'ai vu. Un enregistrement, je veux dire. Quand je suis Monté avec ce petit ange qui croit se faire passer pour un flic. C'est Mickaël en personne qui en parlait, alors que la Terre s'embrasait devant eux et que tout le monde disait amen. Littéralement. C'est pour ça qu'ils ont fichu Gabriel dehors, parce que monsieur avait décidé que c'était, je cite " un nah". Du coup, ils l'ont rétrogradé au plus bas et ils ont essayé d'effacer sa mémoire. La suite, je n'ai pas besoin de te la raconter.

Aziraphale fronça les sourcils.

- Mais pourquoi tu ne m'as rien dit?

- Je l'ai fait.

- Tu l'as... Alors, c'est ce que signifiait ton " Lorsque le Paradis mettra fin à la vie sur Terre, celle-ci sera tout aussi morte que si l'Enfer l'avait fait" ? Comment aurais-je pu comprendre que ...

- Tu avais tout sous le nez, le coupa sèchement le démon. C'est toi qui refuses systématiquement de voir ce qui ne te plaît pas.

- Mais tu n'es pas entré dans les détails. Tu es resté vague, et cela, volontairement, Rampa! Pourquoi ? Tu m'as laissé partir en me cachant la moitié des choses !

Cette fois, le démon eut l'air pris en défaut. Il grommela quelque chose qu'Aziraphale n'entendit pas.

- Comment ?

Silence. Aziraphale se passa une main nerveuse sur le visage.

- Rampa... J'ai besoin de comprendre, dit-il d'une voix pressante.

Le démon croisa les bras. Regarda fixement ailleurs, les mâchoires serrées. Puis finit par avouer à contre-cœur.

- Je ne voulais pas que tu viennes avec moi uniquement parce que le Ciel n'en vallait plus la peine.

Aziraphale eut l'impression de recevoir un coup, tant la réalisation lui fit mal. Rampa avait voulu être choisi. Après avoir piétiné des milliers d'années de non-dits, le démon avait vraiment souhaité qu'il tranche entre lui et le Paradis. Qu'il choisisse entre pouvoir faire son devoir mieux que jamais ou partir avec lui se mettre à l'abri. Et il avait choisi, sans écouter, sans comprendre, persuadé que le Ciel valait tout leur confort terrestre et qu'ils se retrouveraient de toute façon En-Haut.

C'est lui qui les avait séparés. Non, pire que cela. Il avait détruit leur relation lui-même, comme s'il avait mis les mains autour de son cou et serré jusqu'à la fin.

- Mais je ne pouvais pas refuser leur offre. Je ne le pouvais pas ! répéta-t-il plus fort, comme si cela pouvait l'absoudre.

Étrangement, l'expression de Rampa s'adoucit une seconde.

- Je sais. Pourtant, tu vois, je l'ai espéré quand même.

Il détourna la tête.

- Écoute, le mieux, c'est qu'on arrête de se voir. On sait tous les deux qu'il n'y a rien à faire de plus. Là, on est seulement en train de remuer le couteau dans la plaie.

Son visage à moitié tourné devient terriblement neutre comme si le démon voulait effacer ce fugace moment de vulnérabilité. Et puis les mots pénétrèrent l'esprit malmené d'Aziraphale, et il oublia la prudence, la politesse, et cette distance qu'il avait maintenu entre eux. Son rythme cardiaque accéléra très vite, trop vite, l'adrénaline embrouillant ses pensées et faisant trembler ses mains.

- Non! Je...

Sa voix s'étrangla, il força sur sa gorge serrée pour continuer à parler.

- Je n'ai jamais voulu ça, je te le jure !

- Peut-être. Mais ça n'y change rien.

- S'il te plaît...

Cette fois, c'est Rampa qui cria un "Non !" Assez fort pour faire s'envoler les oiseaux qui restaient autour d'eux.

- Ne me demande pas autre chose, Aziraphale ! J'ai déjà dû accepter ta peur, ton dédain, pardonner à chaque fois et me taire et étouffer pendant des centaines d'années. Je n'en peux plus ! Il faut...

- Je t'aime.

La vérité s'arracha maladroitement à lui avant qu'il ne puisse réfléchir. Sa voix fut trop aiguë, il balbutiait presque, mais il était sincère et c'était la première fois qu'il osait formuler ce qu'il ressentait vraiment pour Rampa. Il fallait qu'il lui dise. Peut-être que s'il savait, il ne partirait pas ? Pitié, Faites qu'il renonce à partir...

- Je suis amoureux de toi, dit-il plus fort pour faire taire la terreur, avançant vers lui en ouvrant les bras.

Il avait douloureusement besoin de ressentir la fermeté rassurante de son corps contre le sien. On aurait dit que maintenant que le premier aveu avait passé ses lèvres, tout ce qu'il avait si fermement retenu se précipitait à sa suite et il ne pouvait, et surtout ne voulait pas s'arrêter.

- Rampa, je t'aime. Je t'aime tellement, et depuis longtemps, depuis la première fois où l'on s'est rencontré. Je...

Mais Rampa recula, son visage se tordit affreusement, et il esquissa un geste comme s'il voulait se boucher les oreilles. Ses mains malhabiles accrochèrent les branches de ses lunettes, qui tombèrent et disparurent avant de toucher le sol.

- Tais-toi. Tais-toi, TAIS-TOI ! Tu n'as pas le droit... Pas maintenant. Il ne faut pas me dire ça maintenant...

Aziraphale avait toujours été têtu et égoïste. Il ne le sera jamais plus comme cela. Il continua à avancer vers lui en lui disant combien il l'aimait, à moitié ivre d'angoisse et d'amour, le regard suppliant, l'espoir au cœur. Rampa était là, il était encore accessible, il pouvait changer d'avis. Tout pourrait s'arranger, n'est-ce pas ? Il savait que le démon l'aimait aussi, il lui avait assez souvent prouvé. Il suffisait juste qu'il parvienne à...

Rampa leva la main et un mur de feu infernal s'éleva entre eux. Les flammes, assez hautes pour lui caresser le menton, dansèrent docilement autour du démon et vinrent l'entourer sans qu'une seule étincelle n'embrasse le bois épais autour d'eux. Aziraphale s'arrêta brutalement. Le visage de Rampa... Sa voix claqua dans le lourd silence qui tomba entre eux, métallique, alors qu'un mépris froid rendait son regard écrasant.

- Je ne veux pas entendre ça. C'est trop tard. Et tu sais pourquoi ?

L'ange ne trouva pas le courage d'ouvrir la bouche. Rampa, tout son corps, toute son attitude révélait une colère immense, douloureuse et amère qui ne lui permettait pas de parler.

- Parce que je t'ai vu partir définitivement en souriant... EN SOURIANT, AZIRAPHALE! Comme si on n'avait RIEN, comme si je ne venais pas de T'EMBRASSER pour la putain de PREMIÈRE fois!

Ses ailes se manifestèrent dans son dos, s'ouvrant agressivement au-dessus de lui et Aziraphale recula par instinct. C'était un geste d'intimidation, peu utilisé entre anges, et jamais entre eux. Jamais.

Le démon continua plus bas, le regard brûlant, des crocs de serpent claquant dans une bouche plus tout à fait humaine. Mais chacun de ses mots résonnaient clairement dans le silence surréaliste de la clairière et frappaient Aziraphale comme des poignards.

- C'était la dernière fois que tu me tournais le dos. La dernière. Tu as fait ton choix, et moi, je n'en peux plus de crever à petit feu, de quêter un geste, un mot qui pourrait être une preuve que tu tiens à moi malgré tout. De tout supporter. D'attendre. Je l'ai fait pendant six mille ans et maintenant, c'est fini. Je ne vais plus t'attendre, plus jamais, alors ne me cherche pas. Je ne veux plus te voir. Il faut que ça s'arrête une bonne fois pour toutes, ou je vais devenir fou. Ça fait trop mal.

Ses mots résonnèrent une autre fois entre eux, et pourtant Rampa ne criait plus. Peut-être que c'était seulement dans l'esprit d'Aziraphale qu'ils se répétaient encore et encore, lui clouant les pieds au sol et la langue au palais, lui interdisant de penser, cassant douloureusement plein de choses en lui sans qu'il ne parvienne vraiment à en saisir le sens. Fini ? Comment, qu'est-ce qui était fini, que..?

Rampa se redressa sans le regarder, étouffant d'un coup sa colère et retrouvant une attitude terriblement neutre. Il fit un vague signe de la main pour éteindre le feu infernal, les yeux ailleurs, la bouche crispée.

- Je devrais sûrement te souhaiter bonne chance, pour le Second Avènement, tout ça. Tu m'excuseras, mais je n'irai pas jusque-là.

Il se retourna et disparu trop vite pour qu'Aziraphale ne puisse le retenir à nouveau, son essence devenant une traînée de lumière éblouissante disparaissant dans le ciel immense.

Les bruits de la forêt autour de lui se firent assourdissants alors qu'Aziraphale resta planté là, hébété, les pensées pleines de supplications inutiles. Les jambes soudain flageolantes, il dut s'asseoir sur le tronc d'un arbre mort tout proche. Il avait l'impression étrange que des petits morceaux de lui-même étaient en train de tomber dans le tapis de feuilles marron autour de ses pieds et que s'il bougeait trop fort, le reste allait casser aussi. Alors il se crispa de tout son corps et attendit. Il savait qu'il devait retourner au Paradis, que chaque instant passé ici augmentaient le risque qu'on s'aperçoive qu'il n'était plus dans son bureau. Pourtant, il était incapable de se lever. Ce ne fut que lorsqu'il goûta les quelques larmes qui glissèrent sur sa bouche qu'il réalisa qu'il pleurait. Son premier réflexe fut d'essayer d'arrêter et il se mordit les lèvres pour étouffer les sanglots qui montaient dans sa gorge. On lui avait assez reproché sa sensiblerie, Là-Haut, assez dit que les anges n'avaient pas besoin de ressentir les mêmes émotions que les humains. Mais cette fois, il n'y avait pas d'Ordres, pas d'enjeux célestes et personne n'attendait plus rien de lui. Alors il laissa tomber son visage dans ses mains et pleura, cria à s'en casser la voix, comme on fait saigner une blessure infectée. Il ne sentait que maintenant combien il avait été labouré par tout ce qu'il n'avait pas pu exprimer et que c'était la douleur de trop, celle qui faisait craquer le barrage si difficilement construit. Il resta recroquevillé longtemps, à essayer de se calmer, le souffle court, la mâchoire douloureuse puis à repenser à une phrase assassine, une expression amère de Rampa, ou au contraire à un moment chaleureux comme ils en avaient eu tant. Alors les pleurs recommençaient et la souffrance d'avoir brisé leur relation noyait à nouveau tout le reste.

Plus tard, quand il n'eut plus de larmes et que les battements de son cœur se furent un peu calmés, il essuya les traces sur son visage. Il se sentait fatigué, endolori et il faut le dire, vaguement honteux. Mais il devait retourner à son poste, alors il se recomposa soigneusement une expression calme puis se leva. Un seul revers de main distraite suffit à faire disparaître les taches de boue et de bois pourri sur son pantalon blanc. Il quitta ensuite la forêt bruissante sans un regard en arrière. Il y laissa ses espoirs et tout ce qu'il y avait de vulnérable en lui, les rêves qu'il n'avait pas osé laisser s'épanouir, le souvenir de celui qui l'avait rendu meilleur et surtout, il y abandonna ses sentiments, inutiles maintenant beaucoup, beaucoup trop douloureux.

Il avait perdu Rampa pour avoir l'opportunité de faire mieux son devoir. Il ne lui restait plus que cela à présent, alors il allait s'y consacrer avec la dernière chose qu'il possédait : sa vie. Il changerait les choses. Il rendrait le Ciel meilleur et protégerait les humains. Une détermination dure et froide emplit le vide affreux dans son essence. Peu importait ce qu'il devrait encore tuer en lui, ceux qu'ils devraient écarter ou combattre, ce qu'il faudrait faire tomber. Il y arrivera, il fera tout pour cela.

Et peut-être que le jour où il aura tout arrangé, enfin, il arrivera à croire que sacrifier son amour était vraiment le bon choix à faire.



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