CONFINEMENTS

Chapitre 1 : Ça s'arrête ainsi, d'un coup.

896 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/04/2020 19:15

Ça s’est arrêté tout d’un coup, la vie.

J’espère que dehors, on veille encore au nécessaire, parce qu’ici, sur le bateau, les agents de sécurité et hôtesses ne veulent rien nous dire d’autre que « NOUS ATTENDONS DES NOUVELLES. »

Eux aussi sont secoués par la rupture soudaine des habitudes et de la bonne marche des choses. La politesse n’est plus de mise, nous ne sommes plus que des marchandises, priées de rester là où nous sommes. Pas question de quitter la cabine.

Le « Gibara Sails » s’est arrêté soudain au large de Barcelone. J’ai un mauvais pressentiment.

J’ai hâte qu’on me rende mon portable pour pouvoir parler à Leo. Lui me dira ce qu’il en est.

D’ailleurs, pourquoi nous avoir pris nos téléphones ?


***


« C’est Will, Jack ! Vous deviez passer me chercher pour un briefing sur la nouvelle enquête, vous vous rappelez ?

— Vous êtes seul ?

— Vous le savez bien que je suis seul ! Avez-vous jamais vu personne d’autre que mes chiens lors de vos visites ?

— Je sais que vous cachez Lecter quelque part, Graham, inutile de m’en conter… Mais là n’est pas le seul problème pour l’instant. Nous sommes tous confinés, dans tout l’État. Soixante-quinze pour-cent des États-Unis ont pris la même mesure ce matin et partout dans le monde les frontières sont fermées… Plus d’avions ni d’autres transports internationaux.

— Donc… Me direz-vous pourquoi ou dois-je deviner ?

(Jamais droit au but avec lui, ce serait trop simple !)

— Un virus d’une virulence jamais vue. Les gens tombent comme des mouches dans les rues et les lieux publics. Quand ils ont vu ça, là-haut, ils ont décidé de tout boucler.

— Et de nous boucler par la même occasion ! Shit !

— Vous aviez prévu une sortie ?

— Le sarcasme me perce le tympan à travers le téléphone, Jack. J’attendais un ami… et inutile de fantasmer, pas celui auquel vous pensez. Hannibal Lecter est mort.

— Mouais ! Bon. Je vous conseille de ne pas décoller l’oreille de la radio, mais d’éviter les réseaux sociaux et la TV : les gens pètent les plombs, inutile d’exposer votre empathie naturelle à ça.

— Les chiens sentent que quelque chose n’est pas comme d’habitude.

— Ils le savaient peut-être même avant nous… Ne venez pas en ville, Will, on met sous les verrous tous ceux qui osent défier le mot d’ordre.

— Je n’ai aucune raison de me rendre en ville.

— Tant mieux ! Je vous recontacte demain. »

Bip.

(Il n’y a que pour conclure une conversation qu’il sait être bref. Aucune civilité !)


***


Dans sa petite maison toscane, Leonardo pestait contre Zo, qui avait encore oublié de jeter les reliefs de son repas nocturne. Il détestait trouver une table jonchée d’assiettes sales, de verres à moitié pleins, d’os rongés, laissés là à même la nappe et de morceaux de pain déchiquetés pour le plaisir.

Heureusement, il repartait cet après-midi ! 

Si les qualités de Zo étaient inchangées, ses défauts, eux, avaient tendance à s’accentuer sous l’effet d’une frustration que Leonardo comprenait, mais contre laquelle il ne pouvait offrir aucun remède. Il ne pouvait pas réciproquer les sentiments que Zo nourrissait pour lui. Il était son ami et ne serait jamais davantage. L’amour de Leonardo était tout entier pour Girolamo. 

Bien sûr, il avait des aventures et, de son côté, le Comte entretenait une liaison suivie avec le beau Will Graham, là-bas, à Baltimore et si cela ne posait aucun problème, précisément, c’était parce que ce qui existait entre eux était indestructible, inaltérable. Rien ne pouvait l’égaler.

Zo dévala les escaliers alors qu’il continuait de débarrasser ses maudits déchets :

« T’as entendu ?

— Très bien, merci, Zo, et toi ?

Le grand gaillard ébouriffa ses cheveux noirs, remodelant la pagaille d’oreiller en quelque chose de plus hirsute et le regarda bouche et yeux grand ouverts :

— Comment, ça, très bien, merci ?

— J’ai très bien dormi, merci.

— Tu n’as pas entendu ?

— Ton « bonjour, Leo » ? Non.

— Merde ! Comme si c’était important ! On est enfermés chez nous, Leo ! Confinés. Plus question de mettre le nez dehors.

Leo leva les yeux au ciel :

— Qu’est-ce que c’est encore comme genre d’excuse !

— Pas question de ça ! Mets ta ruine de TV, tu verras bien, monsieur Je-sais-tout !

Leo fit claquer dans l’évier les bols et assiettes sales puis revint et alluma au passage un téléviseur-dinosaure des années soixante-dix — l’un des derniers modèles en noir et blanc qu’il avait acheté à prix plus qu’intéressant. Il tapa une fois sur le dessus, du plat de la main, seule condition à laquelle la bête condescendait à ronronner.

À partir de là, et ce fut la première chose qui lui vint à l’esprit en entendant les nouvelles, il sut que Zo était là pour rester.

— Fuck !

— Oui, hein ? »

Zo ne comprit pas pourquoi son ami soupira entre les dents et le regarda soudain comme s’il avait lui-même créé et propagé le virus.


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