Pourquoi es-tu Riario !
Chapitre 4 : Tu le feras, dis ?
2782 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 20/03/2020 23:47
Dans une taverne du centre-ville, qui embaumait les pappardelle sulla lepre, un jeune homme aux cheveux d’ange expliquait à Leo : « Je te jure ! Il est entré ici comme ‘il avait le diable aux trousses . Il te cherchait et le faisait savoir à tout le monde. Alors, je lui ai dit que j’étais ton ami, qu’on s’était rencontré une fois. Il s’est rappelé vaguement et je lui ai donné ce qu’il demandé, l’adresse de la Villa Della Rovere.
— Je me sens fautif, Nico, dit Leo en pianotant sur la table : tous deux ont perdu le sens des réalités ! Riario l’embrasse en pleine Piazza della Signoria et voilà que Will court se jeter dans la gueule du tigre ! J’ai encouragé cette rencontre sans penser aux conséquences.
— Oui, eh bien, donne moi des nouvelles plus fraîches, Maestro : depuis qu’on se connaît, c’est ta façon à toi de forcer le destin.
— Je sais. Inutile de frapper encore sur la tête du clou. Mais pourquoi je fais ça ? Il donna un coup de poing sur la table. C’est comme ces gens qui laissent des mots s’échapper de leur bouche sans les avoir bien pesés : après, ils explosent à la figure d’un membre de la famille ou d’un ami ! Je suis si…
Le grand homme que Leo avait vu au feu d’artifice l’interrompit :
— Je dois parler à l’homme qui était avec vous au bal des Medici, un certain Will Graham.
— Oh, il vous faudra le chercher ailleurs, mon ami… mais vous pouvez aussi me laisser un message pour lui.
Giovanni n’aimait pas que des étrangers jouent au « mon ami » avec lui et son ton le fit bien comprendre :
— Dites-lui que je n’aime pas les fouineurs qui viennent semer le désordre dans ma famille, Da Vinci. Dites-lui que je compte bien me débarrasser de lui d’une façon définitive.
— Wow ! C’est direct, hein ! Détendez-vous donc un peu, mon brave, les colé…
L’autre s’empara si prestement du col de sa chemise qu’il n’eut pas le temps de le voir. Il en fut bien plus secoué que par la menace en soi :
— La ferme, l’artiste ! Contente-toi de transmettre le message à qui de droit si tu tiens à tes phalanges !
Et sur ce, il leur tourna le dos et quitta l’auberge.
— Tu as vu ça ? fit Leo, hagard.
Nico fronçait les sourcils :
— Hm ! De la menace sous sa forme la plus claire.
— Non, pas ça ! La vitesse de son geste… Je n’ai pas eu le temps de le voir ! Je décompose à l’oeil nu les battements d’aile des oiseaux, comment n’ai-je pas pu…
— Et c’est ça que tu retiens de la scène ? Leo… Nico jeta un regard à la ronde, les gens se remirent à manger et à parler. Maestro, il vient de t’annoncer on ne peut plus ouvertement qu’il va s’en prendre à ton ami et tu t’inquiètes de la rapidité de ses mouvements ?
— Oh ! … Oui, bien sûr. Tu as raison. »
Mais il se mit à agiter le menu devant ses yeux et le jeune juriste sut qu’il fallait attendre que la confusion passe avant d’en tirer une pensée sensée.
En attendant… Comment avertir Will Graham ? Et Riario ? Comme tous ici, il détestait Della Rovere et sa clique, mais pas le Comte : il était brillant, intelligent, ça le mettait à l’abri des décisions et déclarations obtuses qu’affectionnait Le Pape.
Néanmoins, il restait l’ennemi. Était-il au courant des plans de cette armoire à glace ? Sans doute pas. L’homme avait dit « Je n’aime pas les fouineurs », pas « Nous ». Il devait s’agir là d’une démarche personnelle…
Della Rovere était-il d’accord avec ça ? Non. Le patron devait au contraire se réjouir d’avoir un agent du FBI à se mettre sous la dent — comme source d’information ou comme monnaie d’échange. La mort de Graham le desservait dans l’immédiat.
De toute façon, il fallait faire quelque chose tout de suite. D’abord, prévenir le supérieur de Will Graham et aussi dire au maire qu’un crime particulièrement nuisible à sa réputation se tramait dans sa ville. Ça, il s’en chargeait. Ayant été élu au conseil, il serait entendu par Lorenzo de’Medici sur l’heure ou, à défaut par Giuliano, son frère.
« Jack Crawford ! »
Nico sursauta.
Leo s’était réveillé et, comme il ne faisait pas dans la discrétion — jamais, il devait le faire savoir au monde entier !
Nico hocha la tête mais lui livra son plan.
Ils se mirent en route tout de suite. L’un vers l’hôtel de Will et Jack, l’autre vers le Palazzo Vecchio, où Lorenzo avait dû s’attarder avec ses invités les plus prestigieux.
Beaucoup d’affaires se traitaient lors de la « troisième mi-temps » des réceptions florentines.
***
Ils s’étaient engagés profondément dans le parc, à la lueur d’une lampe torche que Tommaso avait apportée à Girolamo.
« J’ai un refuge de longue date, expliqua-t-il, laconique, personne n’y vient jamais. »
L’allure de la marche n’avait rien à voir avec leur manque de souffle. Ils s’engouffraient dans un tunnel qui ne semblait pas avoir de fin. Long comme l’attente. Noir comme l’absence de douceur. Le froufrou des feuilles mortes n’évoquait plus que des froissements de vêtements, des frottements de corps à corps.
Du coin de l’oeil, Will aperçut un cerf, cet animal qui avait hanté ses délires aux moments les plus sombres de sa maladie. Il le chassa.
(Pas maintenant, la bête. Pas maintenant.)
Il se focalisa sur le Comte, devant lui, toujours vêtu de son costume noir de Commandeur. Mais à peu de choses près, ce n’était pas vraiment un déguisement, Will le savait. En bon scorpion, Riario devait aimer s’habiller de noir.
Comment il connaissait le signe astrologique de son compagnon ? C’est simple, cela faisait partie des choses qu’il intégrait après avoir côtoyé une personne ne serait-ce qu’une demi-heure.
Et dans le cas présent, la rencontre était déterminante, remarquable, vitale. Il ne s’agissait pas d’un contact avec un suspect ou un simple confrère. Cet homme, devant lui, était le coeur de son avenir.
« Nous y sommes ! » dit Riario avec un bref éclat de rire. Il ouvrit une porte rustique qui ne grinça même pas.
À l’intérieur, il tendit la main droite vers un chandelier, puis en trouva un autre à la lueur des premières bougies et un autre encore, sur la cheminée.
Les quinze bougies révélèrent un lieu plus chaleureux que tous ceux qu’il avait été donné à Will de voir à ce jour, à part. sa propre maison. Il n’y manquait que quelques chiens.
« Voila, sourit Riario, en se penchant sur un feu tout préparé, il ne manque que quelques chiens et chats !
— Tu lis les pensées ? sourit Will, mains dans les poches, à nouveau prisonnier des yeux de l’autre.
— C’est ce que j’ai toujours ressenti. J’aimerais vraiment vivre ici.
— Au milieu des livres et devant un jeu de go, dit Will, s’obligeant à observer l’intérieur… Ce n’est pas très différent de chez moi.
Le feu grandit dans l’âtre et jeta un reflet d’or dans le brun des yeux du Comte. Il se redressa et vint plus près pour étreindre et embrasser son invité :
— S’il te plaît, ne disparais pas ! Je ne veux pas me réveiller et réaliser que tout ceci n’est que chimère…
— Je suis là.
Will posa une main dans son dos et l’autre dans sa nuque pour resserrer l’étreinte et renouer le baiser profond de la Piazza, auquel Girolamo s'abandonna passionnément.
— Tu es sûr de vouloir risquer ça ? Zo a raison, tu sais, je t’entraîne vers une mort certaine.
Mais son regard suppliait « ne dis pas non ».
— Je n’ai jamais été aussi vivant, Girolamo, murmura-t-il en déboutonnant le col de la tunique noire.
Le Comte leva les bras pour lui permettre de l’ôter puis saisit les bandes de la chemise de son compagnon et, d’un coup sec, en fit sauter tous les boutons. Il se pencha pour lui mordre le cou.
Will gémit de désir, pencha la tête pour s’offrir plus encore puis, sans douceur, poussa Riario dans le club de cuir derrière lui, par-dessus l’accoudoir.
Comme une liane, il se glissa de tout son poids sur toute la longueur du corps à sa merci pour aller prendre une nouvelle fois cette bouche qui lui faisait oublier sa fragilité, sa solitude et la malveillance du cerf.
***
« Partons ! Viens avec moi à Baltimore… plaidait Will.
Girolamo sourit en caressant son épaule :
— Je ne te croyais pas optimiste… Tu parles de Baltimore alors que nous savons à peine comment te faire sortir d’ici !
— Avec des vêtements appropriés, je peux passer pour un livreur, un jardinier ou, mieux, un braconnier, non ?
— Un braconnier, hein ?Quel genre de gibier braconniez-vous donc dans ce parc, Agent Graham ?
— Une bête !
Girolamo éclata de rire :
— Mais encore ?
— Un vampire : les morsures sont là pour en témoigner.
— Bonne réponse. Oui, j’irai avec toi à Baltimore.
— À quoi tient une fugue amoureuse ! Une mauvaise réponse et tu m’aurais remis dans l’avion à coups de pied.
D’un mouvement un peu brusque pour les ressors du petit lit, Riario se dégagea de leur étreinte pour le chevaucher et lui prendre la bouche une dernière fois, puis le pressa en se levant lui-même :
— Maintenant, tu dois partir, Amore. Il est dix heures et demie, la Villa va bientôt s’animer.
Will soupira, mais s’assit au bord de la couche.
Il regarda chaque meuble, chaque objet autour d’eux, puis se leva à contre-coeur pour faire tous ces vilains gestes qui l’éloigneraient d’ici.
***
À midi, dans la grande salle d’accueil de l’Hôtel de Ville, à présent dépouillée de ses voiles et des tables somptueuses chargées de coupes et de plats, Jack Crawford tentait de convaincre Leonardo de lui dire où se trouvait Will Graham.
Le ton montait et Lorenzo de’ Medici essayait de calmer le jeu, avec l’aide de Niccolo Machiavelli.
Giuliano de’Medici regardait la scène d’un air amusé, se tenant le menton pour s’empêcher de rire trop ouvertement. Il appréciait à sa juste valeur toute occasion où l’arrogant Da Vinci trouvait son maître en matière de joute verbale. Il lui avait si souvent lancé à la figure son prétendu manque d’intelligence !
« Bon dieu de bon dieu, Da Vinci, vous semblez oublier qui je suis ! grondait Crawford, sans même prendre la peine de crier.
— Je ne peux l’oublier, Agent Crawford, vous le répétez à toute occasion ! Mais je vous dis, moi, que Will est mon ami et que je ne trahirai pas son secret… Par votre faute, il a failli passer sa vie en hôpital psychiatrique. Je ne fais nullement confiance à votre jugement en ce qui le concerne.
— Vous voulez que je vous mette la police aux trousses ? Ce sera facile, il n’y a pas un délit mineur que vous n’ayez commis !
— Doucement, Agent Crawford, intervint Lorenzo, vous parlez d’un de mes plus valeureux citoyens ! Modérez vos ambitions. Nous ne sommes pas aux États-Unis et bien des délits que vous reprochez à Leonardo n’en sont pas ici !
Crawford se tourna vers lui :
— C’est vrai, mais comprenez-moi, Monsieur le Maire : Will Crawford est essentiel à mon enquête et se trouve en outre être mon ami !
— Ha ! votre ami ? dit Leo. Avec des amis comme vous on n’a pas besoin de se chercher d’ennemi ! »
Il y eut alors quelques éclats à la grande porte aussi et Nico pâlit en voyant entrer l’homme de la taverne, Giovanni della Rovere, en compagnie de quelques patibulaires.
« C’est lui ! glissa-t-il à l’oreille de Lorenzo.
— Je viens, comme promis demander à parler à l’agent Will Graham, fit l’homme, droit comme le « I » d’impétueux.
— Monsieur Della Rovere ! L’Hôtel de Ville n’étant pas une auberge, je me demande pourquoi vous pensez le trouver ici ! dit Lorenzo.
Mais l’homme n’eut pas l’occasion de répondre. Will surgit en courant :
— On m’a dit que vous vous dis… »
Il stoppa net en voyant le blason des Della Rovere cousu aux uniformes de Giovanni et ses acolytes.
Leonardo courut s’emparer de la première arme à sa portée — l’une des rapières d’un ancêtre de Lorenzo.
Giuliano sortit un couteau de sa poche.
Nico vola une lance à l’un des gardes du Palazzo et, voyant la réaction des autres, Jack Crawford posa la main sur son revolver.
Les deux groupes étaient à présent face à face. Seul Lorenzo n’avait rien pour se défendre.
« Attends ! … Attendez ! fit Will en levant les bras et en s’approchant. Nous ne sommes pas au Far West, il doit y avoir un moyen raisonnable de s’entendre ! Si j’ai bien compris la rumeur de la rue, vous vouliez me parler, Monsieur della Rovere ?
— Je veux vous étriper ! corrigea Giovanni.
— Peut-on savoir pourquoi ?
— Vous avez trouvé un moyen de vous faufiler dans la vie de mon cousin Riario et de ma famille… ça ne se fait pas, agent Graham, pas quand on appartient au FBI.
— C’est vrai, Will ? demanda Jack Crawford.
Will lui lança, de côté, un regard furieux et reporta son attention sur Giovanni :
— Alors vous voulez me tuer ?
— C’est exact.
— Qu’en dit votre oncle ? J’ai cru comprendre qu’il trouve une relation entre Girolamo et moi plutôt intéressante. Ne craignez-vous pas sa colère ?
— Je crains moins sa colère que l’effet de votre présence dans notre organisation.
— Tu parles ! s’exclama Leo. Vous êtes tous mort de trouille devant lui ! "
Un Della Rovere ne pouvait tolérer une telle insulte de la part d’un Da Vinci. Giovanni dégaina son arme. Will tenta de s’interposer mais l’homme visa et tira.
Avec Will devant lui, Leo ne vit rien. La balle l’atteignit au front . Il s’effondra.
Quelques secondes de stupeur, puis un « Non ! » désespéré de tous.
Will connut alors l’un de ces moments où la conscience se débarrasse du corps et se détache pour tout voir de plus haut, avec une netteté inouïe. Il se saisit de la rapière tombée des mains de Leo et, comme un éclair, embrocha Giovanni della Rovere, le visage livide, mais déformé par une expression mêlant profond dégoût et éclatant triomphe.
***
Hannibal s’isola dans la pièce voisine pour ouvrir le télégramme quand il en vit a provenance. D’ailleurs, il n’y avait plus guère que son ami italien pour encore utiliser ce moyen de communication… Et, vu ce qu’il s’attendait à lire, il l’en remerciait : il est des nouvelles qu’on ne peut apprendre par mail ou SMS, de celles qui vous tordent les tripes et vous lacèrent le coeur… Pas le sien, non, mais celui de l’homme couché dans le salon qu’il venait de quitter.
Après sa lecture, il prit deux ou trois inspirations profondes, puis regagna la pièce où Will, assommé par une forte dose de sédatif, tentait d’oublier sa peine, sa culpabilité et les frayeurs concernant le sort de Girolamo Riario.
Il fallait l’éveiller pourtant.
Hannibal lui caressa le visage puis le secoua un peu en l’appelant. Au bout d’une interminable minute, il ouvrit les yeux.
« J’ai reçu des nouvelles d’Italie.
Will lut ses traits et déglutit :
— Ils l’ont tué, hein ? dit-il, au bord d’un cri.
— Oui. Je suis désolé, Will.
Mais le jeune homme lui tourna le dos :
— Tu voudras bien en faire de même pour moi ? Je voudrais éviter le mélo du poison… Tu le feras, dis ?
— Je le ferai, Will, je te le promets.
— Merci, mon ami.»