L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 6 : Le départ

Chapitre final

1141 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/11/2019 14:16

Le doux brouillard de Toscane enveloppait les cavaliers aux trois-quarts endormis sur leur selle. Les montures de Zo et de Leonardo, plus accoutumées à la cadence des lendemains de ripaille, mesuraient leur pas, alors que le jeune Frison de Riario retenait sa fougue habituelle de très mauvaise grâce. Parfois, la maîtrise lui échappait, il prenait le trot sans prévenir et réveillait son maître de manière un peu abrupte. "Tout doux, Dante !" grommelait alors Girolamo et le cheval, pris en défaut, s'arrêtait pour se laisser rejoindre par les autres et calquer son rythme sur le leur.

Florence avait disparu depuis longtemps dans la brume, que seuls franchissaient des chants et cris d'oiseaux, des bêlements ou meuglements de bêtes de ferme.

Dans cette ambiance cotonneuse, le trot d'un cheval qui venait à leur rencontre tranchait suffisamment pour réveiller nos trois cavaliers. Zo et Riario furent surpris d'entendre Leo crier "Qui va là ?". Après tout, ils étaient tous trois hommes d'épée et un cavalier seul ne pouvait les inquiéter ?

"C'est bien moi, Maestro ! répondit une voix bien connue.

  • Nico ! s'exclamèrent en même temps Zoroastre et le Comte.

Nicolo Machiavelli mit pied à terre pour venir saluer ses amis, qui descendirent eux aussi de cheval. Le jeune homme étreignit avec enthousiasme ses deux compagnons de toujours et hésita, tout sourire mais un rien embarrassé devant le Comte. Ce dernier fit la démarche pour lui et lui donna l'accolade :

  • Dieu, comme tu as changé en un an seulement, mon jeune ami !
  • Vous aussi, Monseigneur, et de façon plus spectaculaire encore ! Je vous ai vu la dernière fois sous votre forme...
  • Du "Monstre d'Italie", c'est bien ça... Je suis heureux que le changement te saute aux yeux... Mais... Tu te rends à Florence ?
  • Non, je ne suis plus le bienvenu à Florence, Lorenzo de Medici me l'a bien fait comprendre... D'autres aussi. Je... je veux vous remercier pour la démarche que vous avez faite en ma faveur.

Girolamo lança un regard de reproche à Leonardo mais sourit à son vis-à-vis :

  • Je n'aurais plus pu t'appeler mon ami si je n'avais pas tenté quelque chose. Mais alors, si tu ne vas pas à Florence...
  • Je vous accompagne en France, dit le jeune homme, emballé. Nos expéditions au bout du monde me manquent et puis... je veux être là au cas où vous feriez une mauvaise chute, conclut-il sur le mode de la plaisanterie.

Le Comte rit de bon coeur :

  • Tu vois bien que je te devais la vie ! ***
  • Le maître ne vous aurait pas abandonné, dit Nico en les regardant tour à tour. S'ensuivit un échange de regards qui avertit Nico du stade où en étaient leurs relations... Oui... C'est bien ainsi que j'avais imaginé la suite, ajouta-t-il avec un sourire.
  • Bon, si on reprenait notre longue route ? suggéra Leo.
  • Longue ? s'étonna Nico. Livorno n'est qu'à six heures !
  • Au trot, oui, peut-être, mais...
  • Ah ! Je vois. Vous avez abusé du bon vin et de la bonne table de la locanda !
  • Ouais... Pas seulement." marmonna Zo en remontant en selle.


En cours d'après-midi, il fallut se rendre à l'évidence : plus personne, hormis Nico, n'était frais et dispos. Ils décidèrent donc de s'arrêter à mi-chemin, dans une auberge de San Miniato, au sommet d'une colline boisée, auréolée de douceur et de lumière toscane. La brume reviendrait ce soir, mais à cette heure, de là-haut ils pouvaient encore se régaler d'un paysage plein de mélancolie et de paix.

À se retrouver là tous les quatre, ils se remémoraient les tons crus et la chaleur étouffante de la forêt amazonienne, ses splendeurs et ses dangers, la multitude de cris d'animaux et les espoirs ou personnes qu'ils avaient dû y abandonner. Riario préféra renoncer à cette contemplation pour aller se recueillir dans l'église toute poche. Zita le hantait, même s'il n'en parlait à personne.

Nico le suivit de peu. Il savait, car il l'avait connue plus que les autres, que sa bienveillance avait fait des miracles autour d'elle. Lui-même avait chéri les moments qu'elle avait passés à ses côtés, à évoquer sa vie d'esclavage et les espoirs que son affranchissement lui permettait de nourrir. Elle aimait le Comte plus que quiconque et plus que tout au monde. Elle possédait une sagesse qu'auraient enviée bien des érudits, la sagesse qui se forge dans une vie insignifiante et âpre, mais aussi dans l'expérience et l'observation des autres.

Il se tint loin de son compagnon de voyage pour ne pas troubler sa prière, pria lui-même pour elle et pour lui, puis ressortit pour l'attendre sur le parvis. Il savait que Leo et Zo ne comprenaient pas la foi, mais ne la condamnaient pas, il les avait fréquentés assez longtemps pour aimer cette libre-pensée à laquelle ils avaient adhéré car elle ne réprouvait pas d'office ceux qui préféraient écouter et respecter Dieu.

A l'époque de leurs aventures au bout du monde, ils l'avaient quitté athée à Florence pour le retrouver croyant dans le cachot de la "Cité Sacrée".

Quand Riario ressortit, il s'approcha pour demander :

"Monseigneur, vous m'avez appris au cours de notre voyage à faire face à l'adversité dans la vie de tous les jours et j'ai dompté ma couardise en mer, à vos côtés... Pourtant, j'ai besoin d'autre chose encore venant de vous. Pourriez-vous m'aider à m'améliorer dans le maniement des armes ? Je peux me battre avec les poings, mais sur un champ de bataille je ne vaux rien, ou pas grand chose...

  • Ne crains-tu pas de blesser Leo en me demandant cela à moi ?
  • Non... Le maître n'est pas bon instructeur, il n'en a pas la patience. Il sera heureux que je vous l'aie demandé à vous.

Le Comte posa une main sur son épaule et lui fit un clin d'oeil :

  • Dans ce cas, ce sera un plaisir pour moi. Surtout si, en échange, tu tentes de ne plus m'appeler Monseigneur. Nous avons traversé suffisamment de choses ensemble pour que tu utilises mon prénom, je crois. Et puis... et puis, merci d'avoir pensé à elle.
  • Oh !
  • Je t'ai entendu entrer, malgré ta discrétion, et je sais qu'elle était avec toi aussi."

Trop ému pour répondre, le sourire un peu brouillé, Nico se contenta d'un vigoureux hochement de tête.

Ils reprirent les rênes de leurs chevaux pour gagner en silence l'écurie de l'auberge, d'où leur parvinrent des éclats furieux...

Zo et Leonardo réglaient quelques comptes.



*** Lors de leur expédition vers ce qui ne s'appelait pas encore l'Amérique, Nico s'était révolté contre l'idée de laisser Riario, grièvement blessé, mourir dans la forêt amazonienne.

Laisser un commentaire ?