Cendrillon, ou la Petite Patte de Lapin

Chapitre 1 : Cendrillon, ou la Petite Patte de...

Chapitre final

3075 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/05/2021 17:46

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfiction.fr : « Le coup du lapin » (avril-mai 2021).

 

Alors que les dernières neiges fondaient et que les routes du Royaume n’étaient plus recouvertes que d’une fine pellicule d’eau rendant tous les chemins boueux et instables, la petite Cendrillon séchait les dernières larmes versées à la mémoire de son père. Celui-ci l’avait quittée pour l’autre monde quelques mois plus tôt, l’abandonnant au cruel foyer de sa nouvelle épouse et de ses deux filles.

Employée comme domestique dans sa propre demeure, l’adolescente devait servir les trois locataires à toute heure de la journée et pourvoir à la moindre de leurs demandes. Comble de son malheur, ce soir-là, on donnait un bal en l’honneur du Prince, au château du Roi, mais la maîtresse des lieux avait rendu manifeste le fait que la jeune fille n’était pas conviée. Elle passerait donc sa journée à préparer les tenues de ses belles-sœurs pour une soirée dont elle était injustement privée. 

Au chant du coq, elle se leva, s’habilla et sortit rejoindre le marché pour faire des emplettes.

Arrivée à un étal qui proposait des viandes et des volailles, elle se mit à réfléchir au menu du jour, tandis que ses pieds s’enlisaient dans la gadoue.

- Alors mademoiselle, l’interpella le boucher ambulant, qu’est-ce que je vous mets ?

La jeune fille hésitait toujours.

- C’est pour un ragoût ? questionna encore le commerçant.

Elle acquiesça. Comme elle ne parvenait pas à se décider, elle se mit à réfléchir à voix haute :

- Allons, les filles auront faim... Partons sur un civet de... Oh, non. Deux poulets, s’il vous plaît !

Le marchand lui présenta la volaille contre ses pièces de monnaie et elle repartit. 

A chaque pas qu’elle faisait, elle peinait à décoller ses souliers crottés de boue, aussi ne remarqua-t-elle pas immédiatement l’homme au tablier enfariné qui brandissait son rouleau à pâtisserie comme une épée de combat tout en s’égosillant :

- Au voleur ! Au voleur ! Arrêtez-le !

Elle eut juste le temps de lever les yeux pour voir un jeune garçon passer en courant devant elle, un énorme pain de campagne sous son coude, à une vitesse telle qu’il la reversa au passage. Perdant l’équilibre, Cendrillon manqua de tomber sur un monsieur qui avançait près d’elle. Celui-ci la rattrapa au vol, et de sous sa moustache la gronda gentiment :

- Eh la ! Attention ! Tombez pas dans la boue !

- Je vous remercie bien, Monsieur.

- Rattrapez-le ! Rattrapez-le ! s’égosillait toujours le mitron.

- Oh, on ne le rattrapera plus, celui-là, ajouta l’homme à la moustache. Il a détalé comme un...

Mais l’homme n’eut pas le temps de finir sa phrase car Cendrillon se fit à nouveau bousculer, cette fois-ci par deux gendarmes qui s’étaient élancés à la poursuite du brigand. 

À nouveau secourue par le passant, celui-ci ne put s’empêcher d’ajouter en ricanant :

- Il faudrait voir à travailler votre équilibre ! 

Et, soulevant son chapeau, il s’éloigna. 

Quand le voleur et les policiers furent hors de sa vue, Cendrillon reprit ses esprits et se remit en route. L’incident lui avait permis de se distraire, chose qui était rare, mais l’avait aussi mise en retard.

Elle se pressa donc jusqu’à la maison, malgré la boue et la bruine qui commençait à tomber, puis se précipita aux cuisines pour rapporter les courses.

- Tiens, ma petite Cendrillon, susurra le marmiton d’une voix mielleuse. Tu es resplendissante aujourd’hui !

Cendrillon déposa les sacs en l’ignorant.

- Prépare-nous un ragoût avec la volaille et les légumes, Édouard, ordonna-t-elle. Mais pas trop épicé cette fois-ci !

- A tes ordres, ma princesse ! répondit Edouard en se rapprochant d’elle pour récupérer les aliments.

 Elle tourna les talons pour ressortir des cuisines, mais sentit au même moment la main d’Edouard lui frôler la hanche. Elle fit immédiatement volte-face et s’écria avec fureur :

- Edouard ! Si tu continues avec tes impertinences, je te jure que c’est toi que nous mangerons dans le ragoût de ce soir !

Le cuisinier éclata d’un grand rire et se détourna d’elle sans rien ajouter.

Elle sortit d’un pas furieux, et une fois dans le hall, se mit à grommeler :

- Celui-là alors, quelle immonde vermine ! C’est vraiment un chaud...

- Cendrillon ! 

Son estomac se contracta aussitôt.

Sa belle-mère avait fait irruption au sommet de l’escalier et la toisait de toute sa hauteur.

- Tu en as mis, du temps ! aboya la marâtre. Edouard a-t-il commencé à préparer le déjeuner ?

- Oui, mère, murmura Cendrillon.

- Qu’as-tu pris ?

- Du poulet, Madame.

La femme renifla.

- Bon. Ça ira. As-tu trouvé nos robes ?

- Oui, mère. Elles arrivent ce matin.

- Et les chaussures que je t’ai demandées ?

- Je suis allée les récupérer chez le cordonnier hier.

- Bien. Occupe-toi du linge-sale et nettoie le petit salon aujourd’hui.

- Bien madame.

- Ah, et donne un bain au chat, ajouta la maîtresse des lieux, il empeste ! 

- Bien madame.

Une fois la patronne retournée à sa chambre, Cendrillon repartit s’atteler à ses tâches. Elle apporta à ses sœurs et sa mère leurs tenues de soirée complètes et repassées, puis partit au lavoir s’occuper seule de leur linge-sale. Après coup, elle se rendit au petit salon qu’elle récura de fond en comble pendant des heures.


Plus tard, tandis que sa belle-famille, tout apprêtée et parée de ses plus beaux vêtements, montait dans le carrosse qui les conduisait au bal, elle s’en alla chercher l’animal de compagnie pour le laver. 

Elle plongea le félin dans la bassine d’eau tiédie sur le feu et profita de cet instant de calme pour souffler.

- Tu es sûrement le seul chat du royaume à aimer les bains, soupira-t-elle à l’attention du chaton qui prenait toujours un plaisir infini dans l’eau.

Éreintée de fatigue et étourdie par les odeurs de savons et de produits d’entretien qu’elle avait respirées durant son ménage, elle commença à s’assoupir.

- Eh mon chaton, soupira-t-elle en regardant le chat d’un air rêveur, tu ne voudrais pas m’amener au bal toi ?

Le chat redressa la tête et la fixa avec curiosité.

- Tu pourrais être un beau cheval blanc, avec une crinière soyeuse... et moi une jolie princesse avec une longue chevelure dorée...

Le chat l’observait de plus belle.

- Et là... 

Elle renifla.

- Et là… le Prince nous verrait… Il viendrait me voir, et il me sauverait d’ici... 

Le petit chat continuait de fixer la jeune fille qui continuait de lui parler la voix pleine de sanglots :

- Et alors… Tous mes problèmes seraient résolus d’un seul coup ! Je n’aurais besoin de personne d’autre que lui, et je serais heureuse pour toujours...

Abli chabiluda ?

- Mhh ?

Cendrillon rouvrit les yeux sur le chat qu’elle venait d’entendre prononcer ces syllabes incompréhensibles.

Dadabi, chablubli ! insista le chat.

- Mais... quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?

- Je dis que tu n’as pas besoin de ce prince pour être heureuse, répondit simplement le minet. Tu trouveras bien une solution par toi-même !

Cendrillon s’éveilla alors en sursaut. Les vapeurs s’étaient peu à peu dissipées et son hallucination prit fin.  Le chat ne la regardait plus et se complaisait toujours dans son bol d’eau. Complètement revenue à elle, elle se redressa et déclara :

- Ressaisis-toi, Cendrillon ! Allons, Chérubin. C’est l’heure de sortir maintenant.

Elle attrapa le chat mais celui-ci se mit à pousser des miaulements contestataires.

- Chérubin ! gronda-t-elle. Pas de caprice ! Tu sors maintenant !

Il miaula de plus belle mais elle l’agrippa fermement et le souleva hors de l’eau tout en grognant :

- Décidément avec toi, en plus de lever un chat on lève un…

Mais elle s’interrompît d’elle-même, soudain traversée par une idée qui retint toute son attention.

Le ragoût était sur le feu, sous la surveillance d’Édouard, tous les habitants étaient sortis et elle avait rempli l’ensemble de ses obligations. Dans l’excitation de sa soirée, sa belle-mère n’avait pas pensé à lui en donner autant que de coutume.

« Je pourrais atteler Hubert, sortir discrètement et faire un tour au Château, puis revenir avant que les filles ne soient rentrées. Personne n’en saurait rien ! ».

Elle reposa le chat qui s’enfuit aussitôt et elle se précipita dans sa chambre. Elle sortit de sa penderie une robe offerte par son père un an plus tôt – la seule dont ses sœurs ne l’avaient pas délestée ne la trouvant pas à leur goût. Elle s’habilla aussi vite que possible, du jupon jusqu’au corsage, et ressortit.


Elle attela Hubert, son cheval et ami de toujours, et sortit discrètement par l’arrière du jardin pour s’épargner les remarques indiscrètes d’Edouard, ou encore de Pierre, l’intendant de la maison. Une fois sortie, elle partit au galop vers le Château royal d’où résonnait déjà l’orchestre et les conversations des invités.

Lorsqu’elle arriva, une foule immense allait et venait déjà aux portes. Le bal avait commencé. La musique, les rires et les tintements de verre résonnaient dans tous les alentours. Emerveillée de la somptuosité des hommes et des femmes qu’elle croisait – leurs habits, leurs bijoux, leurs couvre-chefs emplumés et leur courtoisie très singulière – elle comprit rapidement qu’elle ne pourrait jamais se fondre dans un groupe aussi élégant que celui-ci, et regretta presque d’être venue. 

Elle attacha Hubert et s’écarta de la foule en se hasardant dans les jardins. Certains invités s’y baladaient par deux pour y respirer l’air frais, mais la quasi-totalité des convives se précipitait plutôt à l’intérieur, dans l’espoir d’apercevoir le roi ou de croiser le Prince.

Elle se promena seule pendant de longues minutes, ne sachant trop ce qu’elle espérait trouver dans cette errance. Elle s’y sentait cependant si bien qu’elle ne cherchait plus à se mêler à l’assemblée qui n’aurait jamais voulu d’elle et de sa robe faite de mauvais coton et dépourvue de tout motif ou de broderie. 

Elle s’assit prêt d’une fontaine où un jeune homme la rejoignit silencieusement quelques instants plus tard. Quand celui-ci remarqua enfin la présence de Cendrillon, il sursauta en grimaçant, apparemment très gêné d’être aperçu ici.

- Mademoiselle, je vous souhaite le bonsoir. J’espère que vous profitez au mieux des divertissements de cette fête. Mais… Vous êtes seule ? Vous n’avez pas de chaperon ?

A ces mots, Cendrillon devint rose comme une pivoine.

- Bien le bonsoir, Monsieur. C’est que… Ma mère et moi nous sommes perdues de vue dans la salle de bal. J’espérais la retrouver dans un endroit moins peuplé, comme ici.

- Permettez-moi dans ce cas de vous reconduire à votre mère !

- C’est inutile, c’est…

Cendrillon était maintenant toute rouge. Elle aurait souhaité disparaître sur place, et pour autant ne pouvait plus quitter le jeune homme du regard. Il était galant et incroyablement beau, plein de manières aimables et de douceur. Lui aussi semblait la fixer avec une grande attention.

- Pardon, je ne voulais pas vous importuner, ajouta l’homme.

Cendrillon resta muette. De l’instant de silence qui suivit monta peu à peu le La des violons qui s’accordaient pour la première valse. Au bout de quelques instants, l’homme se leva et lui demanda très poliment :

- M’accorderiez-vous cette danse ?

Ne pouvant plus détacher son regard du sien, Cendrillon prit sa main et accepta son invitation sans hésiter. Ils se mirent alors à danser au rythme des chordes qui les berçaient depuis le château, et ne s’arrêtèrent plus. Cendrillon se sentait heureuse et légère. Il lui semblait n’avoir plus aucune contrainte. Elle ignorait jusqu’au nom de ce galant homme qui l’avait invitée à danser et aurait souhaité faire durer ce moment toute la nuit. 

Au bout d’un temps, ils cessèrent de danser et décidèrent de se promener au milieu des fleurs, dans la fraîcheur du soir. Elle apprit alors que son cavalier se prénommait Guillaume et qu’il était à la cour du roi. Elle lui parla brièvement d’elle, du décès de son père et de l’étroitesse de sa vie au sein de sa maison depuis cet événement – sans préciser qu’elle en était désormais la servante. Lui, racontait toute sorte d’histoires sur sa vie au château.

- Ce jour-là, concluait-il après une longue anecdote de chasse à cours, j’ai compris que toute ma vie je pourrais compter sur mon ami Bertrand sans équivoque. Il m’a sauvé la vie d’une façon héroïque, brave comme un…

- Mon Dieu ! l’interrompit Cendrillon dans un cri.

- Que se passe-t-il ?

- Je dois absolument rentrer à la maison ! Je vois que les carrosses des invités commencent à repartir. Je dois impérativement faire de même !

- Non ! s’écria Guillaume. Je veux dire : ne pouvez-vous pas rester encore un peu ?

- Je regrette, mais c’est impossible.

- Alors, je vous en prie, accordez-moi un rendez-vous ! Retrouvons-nous demain à la clairière du bois, à cinq heures.

Cendrillon se tordit les doigts quelques instants, puis finit par concéder :

- C’est entendu. Rendez-vous demain à la clairière !

- Merci, Mademoiselle. Merci infiniment !

Elle tourna les talons et s’empressa de retrouver Hubert qui la ramena à domicile.

Lorsqu’elle arriva chez elle, sa belle-famille n’était heureusement pas encore revenue. Elle retourna dans sa chambre en toute discrétion, sans que personne n’ait rien su de son escapade. 


Le lendemain matin, elle se leva à l’heure habituelle pour réaliser ses tâches quotidiennes. Elle devait travailler plus dur et plus vite si elle voulait honorer son rendez-vous avec Guillaume, dont elle avait rêvé toute la nuit. 

Pourtant, sa belle-mère ne lui rendit pas la tâche facile. De ce que Cendrillon put comprendre, le bal avait en fait pour objectif caché de faire rencontrer au jeune prince les jeunes filles à marier du royaume, et aucune de ses belles-sœurs n’avait visiblement fait mouche. Le prince avait jeté son dévolu sur une roturière, totalement inconnue à la cour, provoquant un scandale absolu. 

Elle passa donc la journée entière à rouspéter, tempêter, battre Cendrillon à la moindre occasion, et à lui donner du travail pour épancher toute sa colère. 

En peine, fatiguée et le corps endolori, Cendrillon pouvait pourtant endurer tous les coups ce jour-là. Toutes ses pensées revenaient à Guillaume et à l’heure de leur prochaine rencontre. 

Quand elle parvint à terminer son travail, il était déjà cinq heures passées. Malgré son épuisement, et pourtant persuadée qu’un homme suivant si bien l’étiquette ne tolérerait pas un tel retard, et aurait bien mieux à faire que de l’attendre, elle prit tout de même son courage à deux mains et sortit atteler son cheval pour rejoindre la clairière au galop. En cours de route, elle s’aperçut qu’elle avait oublié de quitter sa tenue déchirée et crasseuse de travail. Dans un accoutrement pareil, si tant est qu’il l’ait attendue, Guillaume ne resterait sûrement pas plus d’une minute à ce rendez-vous. 

Mais quand celui-ci la vit arriver, ses yeux s’illuminèrent.

Et quand Cendrillon l’aperçut pour la seconde fois, elle sentit son cœur battre de toutes ses forces. Elle se sentait éprise de ce beau jeune homme qui l’avait patiemment attendue et qui lui adressait à présent un regard plein d’espoir et de transports. Ils accoururent l’un vers l’autre mais ne surent d’abord pas quoi dire. Gênés, ils se mirent à rire confusément, tout en se prenant les mains. 

Rempli de joie et de soulagement, Guillaume finit par lui dire simplement :

- Cendrillon... Je suis si heureux, si heureux de te revoir ! J’ai... J’ai cru que tu m’avais posé un lièvre !

 Tout aussi émue, elle lui répondit avec toute son affection :

- Je crois qu’on dit poser un lapin !

Ils éclatèrent à nouveau de rire, et s’en allèrent main dans la main, sous le regard interloqué d’une fratrie de lapereaux cachés dans un fourré. 

Au même moment, à la cour du roi, l’agitation et l’affolement régnaient de toute part : le jeune Prince avait disparu ! La rumeur disait simplement qu’il était parti retrouver la roturière rencontrée la veille, pour un mystérieux rendez-vous à cinq heures. 

Mais vous savez, les rumeurs, ça ne vaut pas un pet de lapin.

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