Code Quantum : les voyages oubliés
Chapitre 1 : 16 Juillet 1977, horizon incertain
1788 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/10/2022 14:44
Cette histoire participe au défi Défi QUELQUES GOUTTES D’O.S. DANS L’OCEAN (mars avril 2022) en seconde chance de fanfictions.fr
Horizon incertain
16 juillet 1977
Voyager dans le temps, c'est un peu comme un saut en parachute : il faut toujours se préparer à l’atterrissage. Et l’atterrissage est toujours moins désagréable sur la terre ferme. Je ressentais encore les picotements électrostatiques de ma transmutation quantique qu’un détail non négligeable s’imposa à moi : je n’étais pas sur la terre ferme. Accroupie, le nez dans un placard avec un thermos dans la main, je fus surpris par la houle puis me retrouvais rapidement sur les fesses.
-Bah alors Dan, la nuit a été longue ?
Je me trouvais dans la cabine d’un bateau, et je venais d’être rejoint par un type large d’épaules, serré dans sa chemise à carreaux, une casquette de baseball délavée enfoncée sur le crane, un visage brulé par le soleil encadré par une barbe grisonnante hirsute.
-Heu, oui, commençais-je alors qu’il m’aidait à me relever. Pariant sur le contenu de ce que j’avais en main, j’ajoutais : j'ai bien besoin d’un café.
Le barbu traversa la cabine, se dirigeant vers les quelques écrans à gauche d’un vieux gouvernail en bois. La petite pièce était entourée de larges vitres me renvoyant mon reflet. Je venais prendre la place d’un jeune afro-américain, dénommé Dan a priori, un t-shirt blanc sur un torse peu musclé. Au-delà de mon reflet, l’océan. Tout autour de moi s’étalait une large étendue bleue sur laquelle le soleil du matin projetait des reflets rougeoyants. Pris au dépourvu, je n’ai pu retenir un : « Ho bravo… »
Ce qu’il vous faut savoir, c’est qu'en réalité, je suis le docteur Sam Becket, et tout a commencé à l’époque où je dirigeais une expérience de voyage dans le temps appelée Code Quantum. Lors de cette expérience, une horloge cosmique déréglée me fit passer de l’état de physicien à celui de pilote d’essai. Ce qui aurait pu être amusant si j’avais su piloter. Heureusement, je suis aidé par Al, mon ange gardien qui me suit depuis le début. Malheureusement, Al est un hologramme et je suis le seul à pouvoir communiquer avec lui. Bref, je me promène à travers le temps, passant de la peau d’un personnage à un autre, en essayant de réparer les erreurs du passé et j’espère chaque fois que mon prochain saut dans le temps me ramènera chez moi et me rendra enfin mon vrai visage.
Après mettre fait couler un café bien chaud dans le bouchon du thermos, je pris appuis sur l’encadrement de la porte en bois de la cabine pour observer mon nouvel environnement. La chaleur du café, et du soleil matinal apaisait la fatigue du corps dans lequel j'avais atterri. À l’arrière de notre embarcation se trouvait une longue potence au pied de laquelle était installée une sorte de gros enrouleur. Au-dessus des larges filets en pagaille sur le pont se trouvait un visage familier. Al faisait les cents pas dans le vide, traversé de temps à autre par le sol. Sa projection holographique était fixe, le bateau, lui, ne l’était pas.
-J’en ai rien à faire Gooshie ! Hurlait-il dans le vide. Tu me synchronises avec ce foutu rafiot, ou je dégobille dans le simulateur !
Voyager d’un individu à l’autre avait sur ma mémoire des effets désastreux. Je ne savais plus depuis combien de temps je déambulais au travers le temps, et certains aspects de mon propre passé m’échappaient complètement. Mais Al était mon point de repère. Et un point de repère des plus visibles. Enfin, visible est une façon de parler, étant le seul à pouvoir le voir. Sur sa chemise jaune à motif géométrique rouge et vert, retombée une cravate en PVC transparente. Il vociférait tout en s’empoignant d’une main la tignasse grisonnante de ses tempes, comme s'il allait s’arracher les cheveux. De l’autre main, il secouait son éternelle télécommande multicolore, qui, une fois encore, ne fonctionnait que de manière aléatoire.
-T’es sûr de toi, Gooshie? Intima-t-il dans le vide en agitant, rageur, sa télécommande. Sinon j’arrive et je t’enfonce cet engin dans… Il disparut aussi soudainement qu’il était apparu.
Ils allaient en avoir pour un moment, il m’incombait donc d’aller seul à la pèche aux informations.
-Alors ? Demandais-je à tout hasard, feignant de savoir ce qui trottait dans la tête du barbu penché sur les écrans.
Il tapa du plat de la main sur l’un des appareils, et commenta calmement :
-On a à peine dérivé, on sera sur site d'ici à deux heures. Il ajouta de sa voix grave : Rien de méchant.
Je hasardais un :
-C’est bon signe alors ?
Ouais, on sera de retour à Kailua-Kona dans la nuit.
Ce nom me disait quelque chose… J'eus le tort de réfléchir à voix haute :
-Kailua-Kona… Hawaï ?
-C’est bien mon gars, tu sais encore où t’habite ! Lança le bonhomme, accompagnant sa moquerie d’une grande tape sur l’épaule. Vas réveiller mon trainard de fils. Après, Kyle et toi, vous commencerez à installer le chalut. Quatre nœuds, c'est vite parcouru !
Je laissais celui que je soupçonnais être le capitaine à ses écrans et sa navigation puis me mit en quête d’une troisième personne.
Juste à droite en sortant de la cabine, une trappe ouverte dans le sol donnait sur une petite échelle qui descendait vers la cale. Mes yeux s’habituèrent rapidement à l’obscurité. Il faisait frais en bas, et pour cause : de larges caisses étaient remplies de pains de glaces. Les semelles de mes chaussures en tissus clapotaient dans les flaques d’eau. Sous une couverture, appuyait contre une poutre, un jeune homme était endormi, bercé par le mouvement du bateau. Beaucoup moins imposant que son père, les cheveux noirs gominés et une fine moustache entretenue, Kyle ronflait doucement. Je tentais de le réveiller du bout des doigts :
-Kyle, réveil toi, on doit mettre le chalut en place…
Le jeune grogna :
-Ouais, tu me donnes cinq minutes, je te rejoins.
Couvrant mes yeux du dos de ma main, je repris la petite échelle, pour me retrouver de nouveau à l’extérieur. Les bras croisés dans le dos, Al était de retour, tourné vers l’océan. Je m’approchais tranquillement de lui pour ne pas éveiller les soupçons du barbu dans la cabine, et m’accoudais à côté de mon vieil ami.
-Ça me rappelle de sacrées souvenirs, Sam. Commença-t-il, comme apaisé. Ce n’est pas un porte-avion, mais quel plaisir ça fait de se retrouver en pleine mer, si tu savais… Tu veux me faire plaisir : Prend une grande inspiration, tu veux ?
Alors que je m’exécutais, il continua :
-Hologramme, ç'a des avantages et des inconvenants. Tu as de la veine de pouvoir en prendre plein les poumons !
-Je vois que Gooshie a réglé ton problème de synchronisation.
-Oui, après que j’ai eu vomi sur ses godasses.
Al était tellement perdu dans ses pensées que je dû le rappeler à la réalité :
-Pas que je veuille me plaindre, mais je ne suis pas là seulement pour la vue.
-Non, excuse-moi, bredouilla mon ami en pianotant sur sa télécommande multicolore. Tu t’appelles Daniel Beaufort, 21 ans. Il ajouta jovial : On est au large d’Hawaï ! Tu te rends compte ?
-Oui, ça je le savais. Mais qu’est-ce que je fais là ?
Al se ressaisi de nouveau, cherchant les infos dans son appareil :
-Oui, hum… Amélia va couler… C’est qui Amélia ?... »
Il tapota quelques touches, puis eu un air grave :
-Sam, le Amélia, c’est le chalutier : vous n’allez pas revenir. Vous serez pris ce soir dans une tempête, et votre bateau ne sera jamais retrouvé.
Après réflexion, je proposais :
-On fait demi-tour ? Maintenant ?
Mon ami resta silencieux. J’ajoutais :
-Quelque chose me dit que c’est trop tard.
-Même en reprenant la route maintenant, vous serez trop prêt des cotes lorsque la tempête tombera. Aucune chance de vous en sortir. Le mieux, c’est de rester en haute mer, et de tenir la barre.
À la vue de mon regard inquiet, Al ajouta :
-Il y a quelque chose qui ne colle pas. Le Amélia et son équipage ont déjà affronté des tempêtes, et en sont toujours revenus…
Son regard inquiet était plongé dans son écran à la recherche d’indice :
-Sam, c’est tragique : Teresa, la fiancée de Daniel, attend un enfant. À son décès, elle va se retrouver seule…
Al savait mieux que quiconque ce que la perte de l'être aimé pouvait infliger. Il ajouta :
-Elle s'en sortira, mais ne s'en remettra jamais totalement.
Il marqua une pause avant de résumer, après ressaisi :
-Fais en sorte que ce chalutier rentre au port, Sam.
Nous n'avions pas terminé notre discussion qu'une voie m'interpella :
-Dan !
Kyle sorti de la cale, et fonça droit sur moi. Il plaqua son poing fermé contre ma poitrine et en relâcha un petit objet brillant qui tomba sur le plancher. Heureusement, par réflexe, je le ramassais rapidement, avant qu'il ne roule à l'eau. C'était un anneau doré, une bague.
-Tu comptais garder ça pour toi ? S'emporta le jeune pêcheur. Où tu comptais nous l'annoncer au dernier moment ?
-Ho ho, commenta Al. Ça ne sent pas bon ça.
-C'est sa décision, Kyle, s'interposa son père en sortant de la cabine. On en a discuté hier soir, c'est sa dernière tournée.
-Oui, hasardais-je. Merci, heu...
Al le souffla à l'oreille, en frappant du plat de la main sa calculatrice récalcitrante :
-Il s'appelle Roscoe.
-Merci Roscoe.
Puis j'ajoutais à l'attention de Kyle, avec toute la détermination dont j'étais capable :
-Ma décision est prise, si tu veux discuter, on peut en discuter, mais ça ne changera rien.
Devant l'ambiance électrique, Al pianota sur son appareil, et une large porte lumineuse s'ouvrit dans son dos. Il se voulut rassurant :
-Je vais à la pêche aux informations et je reviens. En attendant, essais de calmer le jeu.
Dans un grincement métallique, l'ouverture se referma sur mon ami.