Ne m'attends pas

Chapitre 1 : Au cœur de la nuit

Chapitre final

3022 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 31/05/2021 00:51

(POV Yumi)


Je ne parviens pas à trouver le sommeil. Je me tourne, me retourne, réalise toutes les positions possibles, compte les moutons imaginaires qui survolent ma tête... En vain. Mes yeux refusent de se fermer.

Je n'arrive toujours pas à croire que je vais tout quitter comme ça, aussi vite. Mes amis, mon collège, mes habitudes, ma vie. Je suis sur le point de tout perdre. Lui y compris...

Mon cœur se resserre dans ma poitrine lorsque son visage apparaît dans mes pensées. Il est tellement beau, avec ses petits yeux de couleur noisette qui me font fondre telle une glace en plein désert.

J'ai déjà du mal à accepter le fait que nous soyons séparés par quelques mètres seulement, alors aurai-je la force de survivre lorsque nous serons séparés par des kilomètres ?

Des larmes embuent mes yeux. Je n'ai qu'une seule envie à cet instant : être dans ses bras.


 {Hey... t'es là ?}

 {Oui.}

 

Je suis surprise du peu de temps qu'il a mis pour répondre à mon message. J'en conclus qu'il ne dormait pas non plus.

Dois-je le faire ? Dois-je lui faire comprendre qu'il me manque affreusement ? Je pense lui avoir assez caché mes sentiments. Dans quelques heures, je ne pourrai plus jamais le revoir, alors autant en profiter pour clarifier les choses. Et puis, de toute façon, même si je le voulais, je serais incapable de résister à l'envie de le voir. Pas cette nuit.

 

➣ {Rejoins-moi dans le parc s'il te plaît.}



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Je me pose silencieusement sur le banc le plus proche de l'entrée, refroidi par la fraîcheur de la nuit, et m'abandonne à cette atmosphère nocturne qui m'apaise tant.

Sentir l'air léger s'infiltrer dans ma peau, apprécier le vent délicat qui fait virevolter mes cheveux, entendre le bruit sourd des branches et des feuilles qui se balancent... et, surtout, ne plus penser à rien. Pouvoir seulement profiter du moment présent. Il ne manque plus que lui pour que ce soit parfait.

D'ailleurs, ça m'étonne qu'il ne soit toujours pas là. Le parc est bien plus proche de Kadic que de chez moi. Enfin, chez moi pour l'instant.

Lorsque j'y pense, j'ai à nouveau la boule au ventre et une irrépressible envie de m'effondrer en larmes. Mais je n'y cède pas, comme j'ai toujours si bien su le faire. Du moins, pas maintenant.

Je me perds de plus en plus dans mes réflexions au fur et à mesure que les minutes passent. Quelque chose me dit que cette soirée ne s'achèvera pas comme je l'imaginais dix minutes plus tôt et que ce sera, une fois de plus, par ma faute. Au fond, je le sais ; mes chances avec Ulrich sont réduites à néant. J'y croyais déjà difficilement au vu de nos prises de têtes incessantes, mais là, vu la situation, il n'y a plus à douter.



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(POV Ulrich)


J'effectue les cinq derniers pas qui me manquent pour atteindre l'entrée du parc dont le portail est entrouvert.

J'ignore quel sentiment décrirait le plus mon état à cet instant car je suis tout à la fois : heureux, stressé, énervé, triste, mais par-dessus tout impatient de la voir, de pouvoir la toucher et la sentir contre moi, car j'en ai grandement besoin.

Je ne tarde pas à reconnaître sa silhouette au loin. Même plongée dans l'obscurité, j'arrive à deviner cette expression imperméable qu'elle manifeste souvent. Cette fille est si intrigante.

Je m'avance, mains dans les poches, le souffle coupé. Je me pose déjà un milliard de questions alors que rien n'a commencé. Je ravale ma tristesse car je sais qu'elle ne changera rien à la situation et que, au contraire, elle ne ferait que la compliquer davantage.

 

— Yumi ?

 

Elle lève la tête instantanément, un mélange de surprise et de soulagement dans son regard, tandis que je prends place à côté d'elle.

Un petit sourire étire ses jolies lèvres, ce qui la rend encore plus belle qu'elle ne l'est déjà. Aucun de nous ne prononce un mot pendant environ une quinzaine de secondes. Je vois bien qu'elle ne sait pas par où commencer. Moi non plus, d'ailleurs.

Elle baisse légèrement la tête et commence à jouer nerveusement avec ses mains.

 

— Pendant un moment, j'ai cru que tu n'allais plus venir...

 

Malgré son agitation, elle est plutôt calme dans ses propos.

 

— Je n'allais quand même pas te faire déplacer au beau milieu de la nuit pour ensuite te laisser en plan.

 

Je fixe un instant devant moi, le temps de me perdre dans mes pensées, et je lui demande :

 

— Pourquoi tu n'arrivais pas à dormir ?

— Pour la même raison que toi... je suppose.

 

Toujours aussi énigmatique, à ce que je vois. Elle soupire tout en faisant glisser ses mains le long de sa cuisse.


— C'est dingue... ! Jamais j'aurais cru qu'un jour, je serai dans un parc, en pleine nuit, avec toi, sans personne d'autre et que ce serait la dernière fois...

— Dis comme ça, on se croirait dans un film d'horreur dans lequel tu as l'intention de me tuer avant de cacher mon corps dans les buissons !



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(POV Yumi)

 

Mon rire sonne tellement faux. Je vois bien qu'il essaye désespérément d'apporter un peu de gaieté à l'ambiance.

Je me sens frustrée. J'ai tant à lui dire mais aucune syllabe ne parvient à franchir mes lèvres. Et ces moments de silence entre nous toutes les deux secondes ne me sont pas d'une grande aide. Il faut que je trouve un sujet, n'importe lequel !

 

— Mais ça va, tu dois plutôt être contente de retourner au Japon... Je veux dire...

 

Dieu, merci, il m'a devancée !

 

— Tu vas revoir ta famille. Elle doit te manquer quand même.

 

Me manquer ? Pas plus que toi quand tu ne seras plus près de moi... Mais enfin, Ulrich, qu'attends-tu pour me prendre dans tes bras ?!



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(POV Ulrich)

 

Elle me fait une petite grimace et reste pensive, comme si elle n'approuve pas ma remarque.

 

— Mouais, c'est... super.

 

Son ton morne n'est pas ce qu'il y a de plus convaincant, mais j'évite de faire un quelconque commentaire et préfère poursuivre la discussion.

 

— Après tout, c'est quand même ton pays d'origine.

— Mais je n'y ai pas grandi. Et puis, ma famille, comme tu le dis, je ne la connais pas tant que ça…

— Ouais, je vois.

— C'est vrai, ça me fait plaisir d'y retourner, mais...

 

Les yeux dans le vide, elle s'interrompt. La mélancolie se peint de plus en plus sur son magnifique visage que je désire tant prendre entre mes mains.

Ce soir, elle expose plus ses sentiments que d'habitude. J'apprécie énormément ce côté secret d'elle, ce côté où elle laisse tomber sa carapace et se libère, émotionnellement parlant. Et j'aurais aimé y avoir droit plus souvent.

 

— Mais quoi ?

— Beaucoup de choses vont me manquer ici… et certaines personnes aussi.

— Comme qui ?

— Oh, je ne sais pas, il y en a tellement ! Comme Jim, par exemple ! Ou bien madame Hertz, monsieur Delmas, le concierge... Ou encore Sissi, tiens !

 

Quelles questions bêtes je peux poser, moi aussi ! Elle secoue la tête de droite à gauche avec son air de dire « Je n'en peux plus de toi ! » ou encore « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? ». J'aimerai lui répondre de m'emmener avec elle au Japon !

 

— Je sais, je sais ! C'était bête comme question !

— Oui, très bête.



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(POV Yumi)

 

Je plaisante avec lui mais, au fond, je suis au plus mal. Des frissons me parcourent le corps à chaque fois que je le regarde, comme s'il ne faisait pas assez frais comme ça. 

Il est concentré à fixer devant lui pour je ne sais quelle raison. Cherche-t-il à fuir mon regard ? Je veux pourtant qu'il me regarde, qu'il lise dans mes yeux ce que je n'arrive pas à exprimer avec des mots.

 

— Ulrich ?

 

J'ai l'impression de perdre de plus en plus le contrôle de mes émotions. Plus je parle, plus j'ai la voix tremblotante. Reprends-toi, Yumi !

 

— Tu sais pourquoi je t'ai demandé de venir, n'est-ce pas ?

— Je... je ne sais pas, fin... Je ne pense pas savoir.

 

Mes joues deviennent chaudes. Heureusement que la sombreur du ciel masque la couleur rosée qu'elles prennent.

 

— J'avais vraiment besoin de te voir, Ulrich. Je n'arrêtais pas de penser à toi...

 

Les battements de mon cœur doivent se faire entendre à des kilomètres tant il bat la chamade. 

Je le sens tourner un peu plus son corps vers moi pour mieux me faire face. Il me sourit et à l'expression de son visage, je comprends que mon aveu ne l'a pas laissé indifférent. Et encore heureux, j'ai envie de dire.

 

— Moi aussi, je faisais que penser à toi, Yumi.



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(POV Ulrich)

 

Elle paraît un peu dubitative alors qu'elle ne le devrait pas. Déménagement ou pas, je pense toujours à elle. Il ne se passe pas une journée sans que je ne l'aie au coin de la tête. Tout ce que je fais et dis me ramène à elle, alors ce soir est loin d'être une exception.

 

— Comment je vais faire ? Sans toi, à mes côtés, je...

 

Elle se coupe la parole et sa mine se renfrogne. J'y reconnais aussitôt la Yumi réservée et inaccessible que j'ai toujours connue.

 

— Non, désolée ! Je me suis mal exprimée...

— Euh... Comment ça ? Je ne vais pas te manquer, c'est ça ?



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(POV Yumi)

 

Qu'est-ce que je disais ? Il faut toujours que je gâche tout à être indécise dans ce que je dis, mais c'est plus fort que moi ! Je n'ai pas l'habitude d'être directe pour exprimer ce que je ressens... ni l'envie, à vrai dire.

 Je m'empare de sa main dans la hâte de rattraper ma bêtise, ce qui lui arrache un sursaut.

 

— Bien sûr que si, voyons ! T'es la personne qui va le plus me manquer !

 

Il plonge ses yeux dans les miens et me laisse sans réponse. Il n'est pas obligé de m'en donner une, de toute façon, car peu importe ce qu'il dira, la suite sera la même. C'est sûrement mieux qu'il ne dise rien, en fin de compte.



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(POV Ulrich)


Je ne sais jamais où me positionner avec Yumi. Un coup c'est oui, un coup c'est non. Un coup c'est blanc, un coup c'est noir. Un coup c'est le jour, un coup c'est la nuit. Elle me fait perdre la tête !

Elle relâche doucement ma main en soupirant. Je lis l'hésitation à travers ses gestes maladroits et j’ai le pressentiment que ce qu’elle s’apprête à me dire par la suite ne me laissera pas sans séquelles.

 

— Mais... c'est impossible.

 

Je me retrouve entre l'incompréhension et une profonde déception. Pourquoi cherche-t-elle toujours la complication là où elle n’y est pas ?

Je déglutis, ne sachant plus où donner de la tête.

 

— Qu'est-ce qui est impossible ? J'ai du mal à te suivre.

 

Ses yeux commencent à luire. Elle bafouille, murmure, tente vainement de s'expliquer pour éviter de me blesser encore plus, bien que ce soit inutile.

 Je ferme les yeux. Je sais parfaitement où elle veut en venir, mais la raison m'échappe.

 

— Yumi, je ne t'oublierai jamais. Tu le sais, ça ?

 

Une pointe de douleur accompagne mes paroles. Elle semble atteinte, mais sans pour autant donner l'air de vouloir revenir sur les siennes. Bien au contraire...

 

— Et pourtant tu le dois, Ulrich.



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(POV Yumi)

 

Il refuse de voir la vérité en face alors qu'il sait que j'ai raison de lui demander de m'oublier.

Les relations à distance, je n'y crois pas. La majorité du temps, elles se vouent à l'échec ou sont douloureuses. Je ne veux pas vivre ça ni lui faire vivre ça. Même si, pour commencer, il faudrait déjà que nous ayons une « relation ».

 

— Mais... pourquoi ? Et... et si je n'en ai pas envie ? Et si je ne peux tout simplement pas ?

 

Ça me fait mal de lui faire mal, mais comme le dit le proverbe, « c'est un mal pour un bien ».

Je guide ma main vers lui et la pose délicatement sur sa joue. Sentir sa peau contre la mienne me procure toujours autant de frissons. Mais je romps aussitôt le contact de mes doigts sur son visage et esquisse un triste sourire qu'il feigne de me rendre.

 

— Tu y arriveras...

 

Il secoue la tête faiblement, comme pour me contredire.

 

— C'est vraiment ce que tu veux ? Que je t'oublie ?

 

Mon regard s'accroche au sien et sa question me laisse dans l'embarras.

 

— Bien sûr que non ! Je... Ulrich, enfin...



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(POV Ulrich)

 

C'est bien ce que je disais : elle ne sait pas ce qu'elle veut. Elle est constamment dans l'indécision, l'incertitude, alors que les choses sont plus simples qu'elle ne pense.

Distance ou pas, rien ne nous empêche de rester en contact et de continuer à... s'aimer. Mais elle s'entête à se persuader le contraire et c'est ça qui est douloureux, qu'elle puisse penser que mon amour n'est pas assez fort pour supporter la distance alors que j'ai déjà supporté pire pour elle.

 

— Toi comme moi savons parfaitement qu'on ne risque pas de se revoir avant super longtemps, voire plus jamais. Et je ne veux pas que tu sois là à m'attendre.

 

J'ai appréhendé ce genre de discours. Ces paroles, je les ai tellement craintes avant de mettre le pied dans ce maudit parc.

J'essaye de raisonner à sa façon, j'essaye de me mettre à sa place, mais c'est peine perdue. Nous sommes loin d'être sur la même longueur d'onde.

 

— Tu comprends ? C'est pour nous que je te dis ça.

— Non, je ne comprends pas. Tu me demandes de t'oublier et ça, c'est impossible.

 

Elle se fait du mal toute seule, elle est littéralement au bord des larmes. J'ai envie de la serrer fort contre moi, de lui dire qu'elle n'a pas à se mettre dans des états pareils puisque nous ne devrions même pas avoir ce genre de discussion. Elle le sait qu'elle a tort sur toute la ligne, mais elle se voile la face.

Je craque intérieurement. Le paysage autour de moi devient flou, je ne peux plus contenir ma peine.

 

— J'ai besoin de toi.

 

Mon ton prend plus l'aspect d'un supplice que d'un aveu. Je ne veux pas qu'elle me laisse, qu'elle s'en aille loin de moi, seulement je ne peux rien faire pour empêcher ça. C’est une véritable torture d’avoir à ressentir un tel déchirement.

Elle se lève du banc, me tirant de mes pensées, et m'incite à faire de même. Et là, sans que je ne m'y attende, elle éclate complètement en sanglots et s'effondre dans mes bras. Je sens ses pleurs mouiller peu à peu mon tee-shirt, mais je m'en fiche pas mal. L'essentiel c'est qu'elle soit dans mes bras et nulle part d'autre.

Je glisse une main dans ses cheveux tandis que l'autre enchaîne des petits mouvements dans le bas de son dos. Je n'ai aucune envie de la lâcher. J'en profite pour humer sa délicieuse odeur qui risque de rentrer encrée dans mes narines.  

Je l'entends me murmurer entre deux sanglots avant de caler sa tête contre mon cou :

 

— Tu vas tellement me manquer !

 

Elle pleure absolument toutes les larmes de son corps. Je suis horriblement attristé de la voir dans cet état... même si elle reste très belle. Ce n'est plus la Yumi renfermée sur elle-même que j'ai en face de moi, c'est une Yumi beaucoup plus fragile, qui n'a pas honte de montrer ses faiblesses. Qui a besoin qu'on la rassure, qu'on la réconforte, qu'on la protège.

 

— Toi encore plus...

 

Notre étreinte dure assez longtemps, le temps qu'il me faut pour réaliser que sans cette fille, je ne trouve plus aucun sens à ma vie. Comment vais-je faire, sans elle ? Elle est ma raison de vivre. Je me sens comme un miroir qu'on vient de briser en mille morceaux.

Yumi se défait doucement de moi. C'est les yeux rougis et la figure baignant dans les larmes qu'elle m'accorde un dernier regard dans lequel elle reflète plus de la culpabilité qu'autre chose.

 

— Mais je ne reviendrai pas sur ce que je t'ai dit, Ulrich. Tu dois m'oublier. Ne m'attends pas.

 

Elle ne me permet même pas d'en placer une qu'elle s'approche à nouveau mais pour déposer un baiser sur ma joue, cette fois.

 

— Rentre bien... et fais attention à toi.

 

Elle se force à me sourire un minimum et commence à s'éloigner.

Je ne me suis jamais senti aussi vulnérable. Une larme se met à couler le long de mon visage tandis que ma gorge se noue. 

Elle s'enfonce progressivement dans les profondeurs de la nuit. Je la vois se retourner une dernière fois dans ma direction puis... plus rien. Je ne saurai dire si c'est un « au revoir » ou un « adieu », mais ce qui est sûr, c'est qu'elle est partie.  

Je me sens déchiré de l'intérieur. Je me sens délaissé, incompris, rejeté. Je suis tellement impuissant que j'ignore si j'aurai la force de rentrer.

Je veux juste me réveiller dans mon lit et qu'on me dise que tout ça n'est qu'un mauvais rêve, qu'elle ne partira pas et que nous continuerons à nous voir tous les jours. Si seulement...




Fin

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