kakigoriiii !
-Mick ! Miki !! bredouilla Kaori en quittant précipitamment la cuisine pour débarquer dans le salon où se trouvaient ses deux amis... Mais… Vous êtes en avance !
Mick, déjà prêt à s'élancer pour voler un baiser à la belle rouquine, s'arrêta net en la découvrant face à lui. Échevelée et les joues roses, le regard fuyant tandis qu'elle tirait sur sa robe comme si elle cherchait à la remettre en place, il émanait d'elle une aura de sensualité et d'abandon que ne pouvait dissimuler sa nervosité apparente.
-Je... Oui... Non... Que ? parvint-il juste à balbutier tandis que le bas de sa mâchoire se désolidarisait pour pendre lamentablement vers le sol. Il avait toujours trouvé Kaori désirable, mais là, là.... Il restait sans voix.
-On dérange ? demanda Miki qui, elle, n’était visiblement pas sans voix. Et pourquoi es-tu trempée comme une soupe ? ajouta-t-elle en levant un sourcil intrigué. L’état de sa tenue, ces mèches humides qu’elle tentait de cacher en les plaquant derrière ses oreilles, tout cela était effectivement étrange compte tenu de la chaleur qui régnait toujours en cette fin de journée. Interloqué devant la pertinence de ces remarques, Mick reprit enfin ses esprits et son regard s'attarda sur la robe de Kaori, cette petite robe verte qui lui avait fait perdre la tête plus tôt dans l'après-midi et qui, maintenant, avait gagné en transparence et laissait entrevoir la couleur de sa peau.
-Euh… Oui, c’est vrai ça, qu’est-ce qui s’est passé ici ? parvint-il à demander après que Miki lui ait mis un taquet derrière la tête pour l’arracher à sa contemplation des courbes de Kaori.
-Houlaaaa… un truc dingue… commença celle-ci en réfléchissant à toute vitesse. Elle n’avait que quelques secondes pour pondre une réponse qui soit crédible et qui expliquerait son état et celui de la cuisine. Quand les importuns les avaient dérangés, elle avait aussitôt repoussé Ryo pour quitter la pièce, sans même prendre le temps de décider ce qu’ils allaient pouvoir raconter. Avec la neige qui jonchait le sol de la cuisine, elle était dans le pétrin là…
-Bon alors, Kaori !! beugla Ryo depuis la cuisine, elle arrive cette clé à molette !?! Vite !!
-Hein ?! lança-t-elle bêtement en se tournant instinctivement vers l’origine de la voix.
-Bon sang ! reprit-il avec impatience, je t’ai dit : « Dans le placard, derrière le mur, la trousse rouge », magne ! Ça urge, là !!!
La rouquine fila alors sans demander son reste en direction du placard, soulagée que son partenaire semblât avoir trouvé un subterfuge. Pendant ce temps, la curiosité poussait les deux invités en direction de la cuisine… cuisine dans laquelle ils découvrirent un véritable chaos, digne d’un champ de bataille navale, bataille pour l’instant visiblement perdue par Ryo. Allongé sous l’évier, il tentait de contenir tant bien que mal un geyser qui giclait à gros bouillons depuis la tuyauterie.
-Alors !!! Tu la trouves ou tu la fabriques cette clé à molette !?! Dépêche ! brailla-t-il en s’essuyant le visage, ce qui lui permit de découvrir les deux visages ébahis qui le fixaient sans comprendre…. Ah ! Vous êtes là ? Vous avez vu Kao ?
-Mais qu’est-ce qui s’est pa… commença Miki en embrassant du regard la cuisine, sur le sol de laquelle l’eau ruisselait, emportant avec elle toutes les preuves de ce qui s’y était passé.
-C’est bon Ryo, je l’ai ! la coupa Kaori en déboulant dans la cuisine, clé à molette à la main.
Mais à peine avait-elle posé le pied sur le carrelage qu’elle glissa sur le sol trempé et, surprise, bascula en arrière. Elle ne dut son salut qu’aux puissants bras de Mick qui la rattrapèrent in extremis. Elle s’en extirpa rapidement et avança avec plus de précautions vers son partenaire, jetant un regard effaré à la cuisine. Elle hésitait entre le soulagement qu’il ait trouvé une solution à leur problème et hurler devant la catastrophe qu’il avait orchestrée. Sans ciller, Ryo prit l’outil qu’elle lui tendait, le regard rivé sur Mick et son sourire extatique, et se retenait de lui balancer ladite clé… Il était quasiment sûr qu’il avait tenté de la peloter quand il l’avait rattrapée. Heureusement pour le blondinet, il y avait plus urgent : il fallait resserrer ce boulon qu’il avait dévissé en entendant sa partenaire bafouiller un pitoyable début d’explication et ce, avant que l’inondation ne devienne incontrôlable.
Un tour de clé plus tard, il émergeait de sous le meuble, dégoulinant d’eau des pieds à la tête mais satisfait : vu la tête des deux témoins, personne ne soupçonnerait qu’il ait pu se passer ici autre chose que ce qu’il semblait, à savoir un anodin problème de plomberie. La cuisine avait pris cher, mais aux grands maux les grands remèdes !
-Attends Kaori, je vais t’aider ! proposa Miki en la voyant prendre un seau et une serpillière. La barmaid envoya valser au loin ses chaussures avant de la rejoindre pour attraper un deuxième seau.
-Moi aussi ! Moi aussi j’arrive ! s’écria alors Mick, pieds nus et pantalon retroussé jusqu’aux genoux en sautant dans l’eau comme un gamin. Je vais t’aider mais je veux un bisou d’abord ! quémanda-t-il en se tournant vers la nettoyeuse, la bouche en cœur.
« Splotch »
La serpillière balancée par Ryo lui atterrit en pleine face et s’étala tel un poulpe aux larges tentacules sur son visage, ses cheveux et ses épaules.
-Oh pardon mec ! Je voulais l’envoyer à Kaori ! s’excusa faussement Ryo, un petit sourire en coin.
-Pourquoi la donner à Kaori ? le rabroua Miki, tandis que Mick hoquetait de dégoût en se débarrassant de la serpillière détrempée, tu n’as qu’à t’en servir toi-même !
-Tu m’as bien regardé ? Il faut que je me change, sinon je vais attraper la mort, contra Ryo, en montrant sa chemise et son pantalon dégoulinants. D’ailleurs Mick va venir m’aider à choisir ma nouvelle tenue, ajouta-t-il en attrapant le blondinet par le col de sa chemise et en le tirant à sa suite. Hors de question qu’il reste auprès de Kaori sans surveillance.
-Mais je veux pas, moi ! protesta l’américain en se débattant comme un beau diable pour échapper à l’emprise de Ryo, j’ai pas du tout envie de te voir en caleçon !! No way !!
-Mais si, chuchota alors discrètement son comparse en se penchant vers lui, surtout que je viens de recevoir le nouveau catalogue d’automne de « Bunnies lovers ». Intéressé ou tu préfères toujours écoper la flotte ?
-Ah mais oui mon pote ! s’écria alors Mick, soudain bien plus enthousiaste, allons choisir ton plus beau boxer pour la soirée !
-Hey ! s’écrièrent les deux filles ! Ne croyez pas que vous allez nous laisser ranger ça toutes seules !
-Oh mais on a toute confiance en vous, on sait que vous vous en tirerez bien mieux sans nous dans les pattes, ricanèrent les deux acolytes en s’enfuyant de la cuisine.
-Et puis c’est plutôt un travail de filles non ? murmura furtivement Ryo, en appuyant ses dires d’un sourire hilare à un Mick tout acquis à sa cause.
Le seau qui lui percuta violemment le crâne résonna bizarrement dans la cuisine et Ryo s’étala lamentablement par terre. Lui qui pensait avoir été discret ne l’avait visiblement pas été assez. Mais Mick le ramassa rapidement et l’aida à courir vers les escaliers pendant que Kaori, les poings sur les hanches et une petite veine significative palpitant sur la tempe hurlait :
-Revenez ici tout de suite bande de flemmards !!!
Si elle fulminait Ryo, lui, jubilait en grimpant les escaliers quatre à quatre. Il avait réussi à les sortir d’un sacré mauvais pas. Bien malin qui pourrait deviner que quoi que ce soit ait évolué entre eux. Mais il allait falloir faire attention : la soirée ne faisait que commencer.
Une heure plus tard la cuisine était rangée, encore une fois, les vêtements changés et les invités tous arrivés. Umibozu, Saeko, le Doc et Kazue avait rejoint la petite troupe et tout ce petit monde avait filé un coup de main pour nettoyer. Même les deux compères avaient manié seaux et serpillières, contraints et forcés certes, mais tout de même. Ils avaient quand même réussi à prendre la tangente en proposant d’aller chercher à manger dans un petit restaurant du coin, histoire de soulager Kaori de la préparation du dîner.
Le groupe était donc attablé et devisait gaiement autour du repas, selon un protocole réglé comme du papier à musique. Les filles se racontaient leur quotidien, tandis que le redoutable trio formé par Ryo, Mick et le Doc agissait comme à son habitude et était aussi efficace que du poil à gratter pour agiter la soirée. Le groupe passait donc du rire aux baffes avec une facilité et une rapidité déconcertantes pour qui ne les connaitrait pas.
Mais, pour une fois, ils n’étaient pas les seuls à avoir une idée fixe en tête. Une des convives n’avait pas oublié l’objectif qu’elle s’était donné plus tôt dans la journée, à savoir réussir à tirer les vers du nez de sa copine concernant l’évolution de sa relation avec Ryo. Malheureusement, le sort s’acharnait car elle n’avait pas encore réussi à se retrouver seule avec elle. Quand les deux nettoyeurs s’étaient carapatés vers l’étage, Kaori avait aussitôt couru à leur poursuite et le reste du groupe était arrivé dans la foulée. Elle n’avait donc pu aborder le sujet tant attendu. Le timing n’était décidément pas bon et la soirée touchant bientôt à sa fin, elle risquait de repartir avec toutes ses questions. Mais il lui restait encore une carte à jouer :
-C’était bien bon, commença-t-elle en récupérant sur la table les cartons vidés de leur contenu, mais après ce frugal repas, rien ne me ferait plus plaisir qu’un petit dessert !
-Un dessert ? s’étonna Kaori.
-Frugal ? s’offusquèrent les deux livreurs, mais ce menu n’avait rien de frugal, regarde le nombre de boites vides !
-Ah ça, parlons-en, des boites ! répliqua la barmaid en finissant d’empiler la bonne dizaine de cartons vides. Tu parles de celles que tu t’es enfilées à la suite comme un goinfre ?? Heureusement que Falcon a réussi à nous passer les plats une fois ou deux, histoire qu’on ne meure pas de faim !
-C’est pas trop grave que Kaori jeûne un peu, elle a de la réserve, ricana Ryo en mimant des bourrelets autour de sa taille, mais toi ma Miki d’amour, je suis désolé que tu aies manqué. Si tu veux, je peux te nourrir d’amour et d’eau fraîche, continua-t-il soudain bien plus sérieusement, en coulant un regard charmeur sur la mercenaire. D’ailleurs je peux nourrir chacune d’entre vous si besoin, hein ?
Debout, le torse bombé et l’aura fougueuse, il se tournait vers chacune des convives, exceptée sa partenaire bien entendu, et tout le monde avait bien conscience que son mokkori était à un frémissement de s’inviter à la soirée.
-Nounours… appela simplement Miki, le sourcil arqué sur un regard blasé.
« Clic » fit alors le bruit d’un chien qu’on arme et il n’y avait qu’à regarder la tête de Ryo, qui fixait Umi avec inquiétude, pour deviner qui tenait l’arme et ce qu’elle visait.
-Euh… Oui oui, un dessert, ce serait une bonne idée, ajouta-t-il d’une toute petite voix de fausset en se rasseyant bien vite.
-Ah super ! Je vais t’aider Kaori ! proposa alors la brunette en suivant celle-ci vers la cuisine.
Bien entendu, Miki était tout à fait rassasiée et n’avait nullement besoin d’un dessert, d’autant plus que les japonais n’ont pas pour habitude de terminer ainsi un repas. Si elle avait totalement surjoué la scène dans le salon, c’est qu’elle tenait surtout à amener Kaori dans ses filets. Après tout, aucune meilleure amie ne pouvait garder ce genre de secret quand elle se trouvait en tête à tête avec sa best friend ! Elle comptait bien jouer là-dessus pour découvrir le pot aux roses, quitte à le fracasser, ce pot.
-Qu’est-ce que tu nous proposes, Kaori ? commença-t-elle en déposant rapidement les boites dans la poubelle avant de de s’appuyer au plan de travail, à côté de la rouquine, penchée dans le frigo ouvert.
-Je cherche… mais je ne sais pas trop, répondit la jeune femme depuis les tréfonds du réfrigérateur, avant l’inondation j’avais surtout prévu un curry… Donc je peux te proposer des carottes, du porc pané, une pomme de terre. Tu crois qu’avec un peu de sucre ça ira ? s’amusa-t-elle en lui présentant un petit tubercule rond et charnu.
-Ou alors on la congèle et on met un peu de chantilly dessus ! s’amusa la brunette, je connais un morfal qui ne ferait sûrement pas la différence avec une boule de glace. Son cerveau doit d’ailleurs ressembler un peu à cette patate !
Son rire était tellement communicatif que Kaori ne put se retenir et l’accompagna dans son hilarité, avant de s’arrêter soudain.
-Mais suis-je bête ! Je sais comment finir le repas ! s’exclama-t-elle en lançant la pomme de terre à Miki. Celle-ci regarda la nettoyeuse ouvrir la partie congélateur du réfrigérateur et elle réussit à contenir le petit sourire de satisfaction qu’elle sentait naître sur ses lèvres.
-Un, deux, trois, quatre…
Le contenu du congélateur devant les yeux, Kaori comptait le nombre de blocs de glace qu’il contenait. Quelques secondes plus tard, elle émit un petit claquement de langue dans lequel Miki perçut une once de déception, mais si déception il y avait, Kaori n’en laissa rien paraître car elle reprit d’un ton enthousiaste :
-Six, c’est bon, il y en a assez pour tout le monde ! En dessert, nous aurons donc des kakigoris !
-Ah chic ! Excellente idée ! s’exclama Miki, avec la chaleur qu’il fait, c’est impeccable ! Par contre, nous ne sommes pas six, mais sept.
-Six ça ira très bien, moi je n’ai plus faim du tout. Et puis, tu as entendu Ryo, j’ai des réserves, ajouta-t-elle en affichant un sourire désabusé.
L’air de rien, une espèce de duel de faux-semblants se jouait entre les deux amies. L’une cherchait à amener un certain sujet sur le tapis, tandis que l’autre mettait en avant les mauvais côtés de son partenaire, histoire de montrer qu’il était toujours le même à son égard. Kaori avait bien conscience que la petite phrase qu’elle avait lâchée au Cat’s dans l’oreille de Miki avait dû avoir l’effet d’une bombe et qu’elle devait trépigner d’impatience d’en savoir plus. Le hic, c’est qu’elle n’était pas très sûre d’avoir envie de partager ce secret pour l’instant. Après tant d’années d’attente, elle en savourait chaque seconde et elle craignait que cela n’ait plus la même intensité une fois que toute la bande serait au courant.
C’était ridicule, elle en avait conscience. Et Ryo n’était pas d’un grand secours, car il n’abordait jamais ce sujet-là avec elle. L’annoncer ou pas au reste du groupe semblait être le cadet de ses soucis. Il était, comme à son habitude, très peu loquace et ne semblait pas porter une grande considération aux questionnements de Kaori : sommes-nous officiellement un couple, pouvons-nous nous afficher ensemble, construisons-nous quelque chose de durable ? Heureusement que l’intensité qu’ils partageaient dans l’intimité lui permettait de se rassurer car, pour le reste, il lui arrivait parfois de se demander si elle n’avait pas rêvé tout ce qui s’était passé depuis le mariage. Ceci expliquait aussi ses réticences à s’épancher. Elle ne voulait pas avoir l’air d’en faire trop pour quelque chose qui, peut-être, ne durerait pas.
-Ne me dis pas que tu tiens encore compte de ce qu’il dit ? s’agaça Miki en jetant à la petite pomme de terre un regard meurtrier. Ce n’est qu’un crétin et toi tu es magnifique !
-Oh ne t’inquiète pas, je le lui ferai payer demain en le mettant à la diète, rétorqua Kaori, je lui dirai que j’ai l’intention de perdre du poids et que nous ne mangerons plus que du melon d’eau et des brocolis pendant quinze jours !
Les deux amies éclatèrent de rire en imaginant la réaction de Ryo, qui n’était pas un grand amateur de fruits et légumes. Tout en se moquant du nettoyeur, elles préparaient les ingrédients et le matériel pour les kakigoris. Miki, à l’affut de ce sentiment d’intimité avec Kaori, sentit alors que le moment était propice.
-Dis-moi, tu te souviens de ce que tu m’as dit cet après-midi ? tenta-t-elle, avant de préciser car Kaori faisait mine de ne pas comprendre, tu as laissé entendre qu’il y avait eu du changement entre Saeba et toi.
-Hmmm ? Ah oui, je me souviens… Tiens, prends les bols sur l’étagère.
-Il y a eu rapprochement alors ?
-Rapprochement, rapprochement… tout est relatif, éluda la rouquine, attrape la machine s’il te plaît.
-Relatif ? objecta la barmaid en lui passant l’appareil, vu d’où vous partez, un simple compliment peut être considéré comme un rapprochement… J’ose espérer mieux que ça quand même !
-Disons que c’est compliqué, commença Kaori en plaçant le bloc de glace dans le bac et en commençant à actionner la manivelle.
-Mais non ce n’est pas compliqué, la coupa Miki, c’est très simple, voire carrément binaire : bisou or not bisou, mokkori or not mokkori !
-On croirait entendre Ryo ! se moqua la nettoyeuse, t’es un peu énervée sur le sujet quand même, tu ne trouves pas ?
-C’est possible, reconnut la brunette, amusée à son tour par ses propres réactions, mais c’est parce qu’il s’agit de toi. Personne ne mérite plus que toi ce bonheur d’être aimée, affirma-t-elle en se rapprochant d’elle jusqu’à la pousser légèrement de l’épaule, et j’aimerais tellement savoir que tu y goûtes enfin !
-Merci, sourit son amie, sans quitter la manivelle des yeux.
-Et même si c’est un crétin, Saeba peut vraiment te rendre heureuse.
Elle sentit qu’elle avait fait mouche. Kaori était visiblement émue et baissait doucement mais sûrement les armes. Effectivement, celle-ci succombait de plus en plus à l’envie de partager ses émotions, ses doutes et ses joies avec son amie.
-Tu as raison, ce crétin me rend heureuse, reconnut-elle enfin en se tournant vers elle.
Les deux femmes se regardaient avec une affection sincère et Miki oublia un instant le but de cette conversation. Elle se rappelait juste à quel point elle appréciait Kaori et tout le bonheur qu’elle lui souhaitait. Mais sa curiosité reprit vite le dessus.
-Alors, dis-moi tout, vous en êtes où ?
-Ah… Aaaaah… fut tout ce que put répondre Kaori en riant nerveusement, prise de court et rouge pivoine.
-Ne me dis pas que… s’emballa Miki en comprenant soudain devant la réaction de la nettoyeuse que plus qu’un pot aux roses, il y avait peut-être carrément anguille sous roche, ne me dis pas que vous avez fait mok…..
-Kak-igoriiiiiiii ! s’exclama Ryo en pénétrant soudainement dans la cuisine, ahhhh ça c’est une excellente idée ! Ça va nous rafraîchir ! Bah alors, Miki ! Tu as l’air toute crispée. Tu as déjà froid ? Tu veux que je te réchauffe de mon corps, ma douce ? proposa-t-il en se rapprochant d’elle et en l’enlaçant d’un geste vif. Il avait été particulièrement rapide et aucune des deux femmes n’avait eu le temps de le repousser. Miki voyait déjà ses lèvres se rapprocher dangereusement des siennes.
-Bas les pattes Saeba ! le rabroua-t-elle vertement en lui enfonçant dans la bouche la patate qui traînait sur le plan de travail. Totalement synchrone avec la mercenaire, Kaori fracassa le tout d’un coup de massue net et précis.
- T’es pas chentille ! Che te propojais juste mes cherviches , marmonna Ryo qui s’extrayait péniblement de la masse de bois en recrachant purée et dents.
-J’ai pas besoin de tes services, j’ai déjà tout ce qu’il me faut à la maison, alors reste loin de moi Saeba !
-Berk, je ne veux pas penser à Tête de poulpe en train de te tenir chaud. C’est dégoûtant !
-Alors fais comme d’habitude et ne pense pas. Allez, attrape-ça Patate, et emmène-le à table, décréta Miki en lui posant derechef un kakigori dans les mains.
Une fois le nettoyeur parti en boudant, elle s’apprêtait à reprendre sa conversation avec Kaori, mais elle voyait bien que la magie de l’instant avait disparu. Kaori était de nouveau concentrée sur sa machine et, de toute façon, elle avait à peine ouvert la bouche pour tenter une nouvelle approche que Ryo était déjà de retour.
-Kak-igoriiiiiii !
-Saeba ! grinça-t-elle en se tournant vers lui, tu es rapide dis-donc !
-Ne sois pas grossière Miki, s’offusqua-t-il, je te prouve le contraire quand tu veux ! Toute une nuit d’amour et tu verras si je suis rapide !
-Mais tu es déchaîné ce soir ! ne put s’empêcher de rire Miki. Tiens, le kakigori suivant, et sors de cette cuisine !
-Tout ce que tu veux, douce Miki, je serai « rapidement » de retour, tu me manques déjà, susurra le nettoyeur en disparaissant derrière l’encadrure de la porte.
-Quel idiot, je ne vois pas ce que tu lui trouves, tenta Miki, avec cette énergie du désespoir qu’elle savait vaine. Et effectivement, Kaori allait lui répondre quand :
-KAAAkigoriiiii ! s’écria Ryo, en glissant sur le carrelage de la cuisine tel un danseur de jazz.
-Bon sang, Saeba !
-Oui Miki ? interrogea Ryo, une fausse innocence brillant dans les pupilles.
-Rien, abdiqua la mercenaire en remarquant que Kaori versait déjà du sirop sur la dernière glace, je retourne au salon. Elle avait perdu la partie, il fallait bien le reconnaître. Entre Kaori qui s’était refermée comme une huître et Ryo toujours dans ses pattes, ce ne serait visiblement pas aujourd’hui qu’elle en saurait plus.
Elle attrapa donc les deux kakigoris que la rouquine avait déjà préparés et sortit sans se retourner. Ce faisant, elle ne vit pas le léger sourire victorieux qui étirait les lèvres du nettoyeur tandis qu’il la regardait s’éloigner. Il avait bien compris ses intentions, mais il n’était pas certain que Kaori les partageait. Il avait même l’impression de savoir pourquoi.
Il coula un regard anxieux sur sa partenaire qui rangeait sa précieuse machine. Il percevait parfois de l’inquiétude dans le noisette de ses yeux lorsqu’elle l’observait à la dérobée et qu’elle pensait qu’il ne la voyait pas. Il sentait bien qu’elle attendait quelque chose de lui sans pour autant oser demander. Il ne s’en préoccupait pas trop en temps normal, parce qu’il ne maîtrisait pas trop ces trucs de fille et que ça avait tendance à lui filer la migraine, mais il connaissait Miki. Il savait qu’elle pouvait être tenace et il ne voulait pas qu’elle pousse Kaori dans ses retranchements. Il les avait donc suivies, prétextant une envie pressante pour quitter la table, et en entendant le doute voiler les réponses que Kaori avait données à la mercenaire, il avait décidé de jouer les trublions. Il ne savait pas trop pourquoi mais cela avait été plus fort que lui.
Kaori, sentant son regard, se retourna et lui lança un petit clin d’œil assorti d’un grand sourire, où flottait malgré tout une légère fêlure. Elle prit ensuite la dernière coupe et sortit à son tour en éteignant la lumière derrière elle, persuadée que Ryo lui emboîterait le pas. Mais celui-ci ne bougea pas. Il resta immobile, dans le silence et la pénombre de la cuisine, les yeux rivés sur l’encadrure de la porte où elle venait de disparaître. Quelques secondes plus tard, il prit une profonde inspiration puis, empli d’une résolution nouvelle, il rejoignit à son tour le brouhaha et la lumière du salon.