kakigoriiii !
La chaleur avait pris ses quartiers d'été sur Tokyo. Depuis plusieurs semaines déjà, elle s'était installée, indolente et alanguie, prenant chaque jour un peu plus ses aises en s'étirant lascivement jusque dans les moindres recoins de la ville. Elle couvrait de ses bras brûlants les parcs et les jardins, les rues et les habitations, embrassant de son souffle chaud et humide jusqu'au moindre caillou ou brin d'herbe. Le taux d'humidité flirtait dangereusement avec les 100% et il était juste impossible de ne pas remarquer sa présence, pesante et moite, où que l'on se trouvât dans la ville. Chacun tentait donc de lui échapper au mieux en se calfeutrant dans les endroits climatisés, et rares étaient les passants dans les rues de Shinjuku. Elles demeuraient désertes, attendant le moindre piéton qui viendrait animer un tant soit peu leur morne quotidien.
C'est pourquoi la petite robe verte qui traversa rapidement la route en voletant légèrement à chaque pas de sa propriétaire sembla soudain apporter un joyeux souffle de vie dans le paysage. Le tissu blanc à l'imprimé printanier était si fluide et léger qu'il se soulevait au moindre mouvement pour découvrir les genoux de la jeune femme. Le vêtement se cintrait ensuite autour de la taille pour en souligner la finesse avant de repartir en plis souples jusqu'aux épaules, sur lesquelles il achevait sa course en un petit nœud d'où s'échappaient, de part et d’autre, deux petites pointes qui s'étalaient sur les épaules comme deux minuscules ailettes. Elles ondulaient en cadence, au même rythme que la jeune femme qui marchait d'un pas alerte, dans la chaude lumière de l'après-midi. Elle aurait préféré éviter cette heure pour sortir, mais la journée avait été chargée et Miki voulait absolument la voir.
Ainsi, légère et court vêtue, notre Kaori défiait la chaleur et l'humidité étouffante pour se rendre au Cat's. Elle ne marchait pas depuis très longtemps mais cela avait suffi pour couvrir son corps d'une très fine pellicule de sueur, ce qui expliquait qu'elle fixât, loin devant elle, la devanture du café comme s'il s'agissait d'une oasis en plein désert. Elle allongea le pas et, finalement, quelques minutes plus tard, elle eut enfin le bonheur d'entendre tinter la clochette de la porte d'entrée et de respirer un air plus frais, sec et surtout moins étouffant.
Le café était plein, comme d'habitude depuis le début des chaleurs. Avisant un tabouret libre à côté de deux femmes d'un certain âge, Kaori se dirigea directement vers le comptoir face à la barmaid qui s'activait sereinement derrière le bar.
-Je suis à toi dans deux minutes, l'informa Miki en finissant de préparer un cocktail, avant de relever la tête et de se mettre à rire doucement en découvrant Kaori, oh ma pauvre, j'ai l'impression qu'il fait vraiment chaud dehors !
-Oh oui, je ne pensais pas que cela pouvait être possible, mais il fait encore plus chaud qu'hier !
-Laisse-moi deviner, tu as besoin de te rafraîchir. Et donc... commença la barmaid en se tournant vers les étagères.
-C'est tout à fait ce dont j'ai envie, répondit Kaori à la question silencieuse, question qui était plutôt une affirmation silencieuse.
-Alors c'est parti ! s'exclama Miki en se retournant pour déposer devant elle une belle machine en fonte bleue, ce sera comme d'habitude pour mademoiselle Makimura !
En découvrant le robuste appareil posé sur ses quatre pieds et son imposante manivelle sur le côté, Kaori ne put réprimer un petit frisson de plaisir.
-Kakigoriiii ! s'écria-t-elle alors joyeusement en tapant des mains, tandis que ses deux voisines de comptoir sursautaient à ce cri de ralliement qui montait délicieusement dans les aigus.
-Je vais t'envier, tu sais, lâcha-t-elle cependant en sortant un grand bol de derrière le bar, avant de lui adjoindre une bouteille emplie d'un liquide vert ainsi qu'une petite boîte en plastique qu’elle déposa méthodiquement sur le comptoir. Il y a beaucoup trop de monde en ce moment et je n'ai pas le temps de faire une pause, mais je meurs d'envie d'un kakigori aussi, confessa-t-elle.
-J'avoue que c'est ce qui m'a convaincue d'affronter la chaleur pour venir jusqu'ici, répondit malgré elle la nettoyeuse en fixant amoureusement le bloc de glace translucide que Miki venait de poser sur une assiette. En plus de l'incommensurable plaisir de te voir ma chérie ! s'empressa-t-elle d'ajouter en levant la tête pour découvrir celle que faisait son amie.
-Je préfère ça, s'amusa celle-ci en plaçant le bol sous la machine et le gros glaçon arrondi dans le réceptacle prévu à cet effet, n'oublie pas qui fait fonctionner ceci !
-Je ferai tout ce que tu voudras, mais par pitié fais-moi tourner cette manivelle ! s'exclama Kaori sur le même ton.
-Tout ce que je veux ?? Vraiment ? l'interrogea la mercenaire, interrompant brusquement le mouvement circulaire qu'elle venait d'amorcer.
-Miki ! s'écria Kaori, déconfite. Et devant la lueur d'intérêt qui brillait soudain dans son regard, elle ne put s'empêcher de penser qu'elle venait de commettre une grossière erreur.
-Hmmmm, attends.... Puisque j'ai un atout en main, il ne faudrait pas que je le gaspille bêtement.... Que vais-je bien pouvoir te demander ? la taquina-t-elle en faisant aller et venir la manivelle sans pour autant enclencher son fonctionnement. Oh ! Je sais !!! s'écria-t-elle soudain, avant de se pencher vers Kaori et de lui chuchoter d'un air entendu :
-Et si tu me racontais où vous en êtes avec ce cher Saeba ?
-Mikiii !! s’étrangla cette fois Kaori, les joues en feu.
-Bah quoi Mikiii ? J'ai bien vu que quelque chose avait changé entre vous deux depuis le mariage, insista la jolie brunette dont le regard pétillant de malice démentait l'air innocent qu'elle affichait.
-Y a rien à dire... éluda Kaori, fuyant le regard inquisiteur tout en essayant d'empêcher son teint de rougir plus encore. Elle rencontra alors celui de ses deux voisines qui, l'air de rien s'étaient un peu penchées dans leur direction pour mieux entendre ce qui se disait. Surprise, elle reporta son regard vers la barmaid pour lui signifier de changer de sujet.
-Alleeeeeez.... Kaooooooo ! insistait celle qui n’avait pas conscience de l’intérêt que leur portaient les deux femmes. Elle la fixait au travers du bac transparent, qui déformait son visage et lui donnait un regard de hibou. Regarde ce petit bloc de glace qui ne demande qu'à se transformer en dessert et qui risque de terminer en flaque d'eau !
-Hum ! Ça suffit Miki ! la rabroua son mari qui passait derrière le comptoir à ce moment-là, il y a du monde, cesse d'ennuyer Kaori !
-Pffff t'es pas drôle Nounours, bouda la jeune femme prise en faute, tandis que le géant se figeait devant les regards interloqués que lui retournaient les clientes. Effectivement, il était peu courant d'entendre une armoire à glace se faire appeler Nounours et elles n'avaient pu cacher leur étonnement, malgré leurs tentatives pour rester discrètes.
-Je vais chercher des assiettes dans la réserve, marmonna-t-il en faisant demi-tour pour s'éclipser rapidement, mais n'en profite pas pour harceler Kaori, ce qui se passe entre eux ne te regarde pas...
-Oui Nounours... tu as raison Nounours, promit-elle, faussement penaude en le suivant du regard, avant de se retourner brusquement vers Kaori dès qu'il eut passé la porte :
-Bien ! Où en étions-nous ? Ah oui, tu étais sur le point de tout me raconter sur toi et ton partenaire ! Allez ! Cela fait plus de cinq mois maintenant depuis le mariage ! Ne me dis pas qu'il ne s'est toujours rien passé entre vous, je ne te croirais pas.
Tout en parlant, elle avait repris son jeu avec la manivelle et Kaori ne savait plus si elle devait se sentir mal à l'aise ou amusée devant tant de curiosité. Par contre, ce dont elle était sûre c'est qu'elle n'avait pas, mais alors pas du tout envie de partager son histoire avec toutes les commères du quartier. C'est pourquoi elle lança un regard peu amène à celles qui se trouvaient à ses côtés, commères qui piquèrent aussitôt du nez dans leurs tasses pour donner le change, avant de revenir à son amie et de lui répondre le plus innocemment du monde en commençant à se lever :
-Il y a vraiment beaucoup de monde aujourd'hui et je te prends tout ton temps... Je vais te laisser travailler...
Prenant conscience qu'elle avait peut-être poussé le bouchon de la curiosité un peu trop loin, Miki se reprit aussitôt.
-Non non ! Kao, tu ne bouges pas ! J'arrête de t'embêter et je te prépare ton kakigori immédiatement, s'excusa-t-elle en amorçant la manivelle.
Souriant d'avoir ainsi réussi à esquiver l'attaque frontale, la rouquine, pour toute réponse, se rassit tranquillement et se laissa happer avec plaisir par le bruit caractéristique de la lame qui rasait finement le bloc de glace. Le spectacle pouvait commencer.
Kaori adorait regarder Miki préparer les kakigoris. Elle avait ce petit "je ne sais quoi" dans la gestuelle qui donnait l'impression d'assister à un rituel sacré. Effectivement, concentrée et étonnamment silencieuse, la barmaid faisait tourner l'imposante manivelle à un rythme lent et régulier, jusqu'à raser la moitié du bloc de glace. Comme à chaque fois, Kaori était quasiment hypnotisée par le ballet des fines particules qui tombaient légèrement dans le bol comme autant de flocons de neige flottant dans le vent. D'un geste qui pourrait paraitre séculaire, Miki attrapa ensuite le sirop vert pour en verser une légère dose sur la glace fine. Dès qu'elle ouvrit la bouteille, Kaori reconnut l'odeur douce-amère du thé matcha et commença d'instinct à saliver. Miki remit ensuite le bol sous la machine et le recouvrit encore d'une bonne dose de fine neige, jusqu'à ce que le dôme blanc atteigne presque la lame.
Elle reprit alors le sirop et en versa encore un peu pour qu'il recouvre et colore de vert l'ensemble de la glace. Elle ouvrit ensuite la petite boite et y plongea une cuillère pour prendre un peu de cette pâte de haricots rouges sucrée que Kaori affectionnait tant. En la voyant déposer la petite portion de pâte anko sur le bord du bol, la jeune femme sourit de gourmandise. Elle admirait les couleurs qui se complétaient dans le bol et anticipait les sensations gustatives qu'elles lui procureraient. Mais la barmaid n'en avait pas encore fini. Sous le regard de la rouquine et de ses voisines qui avaient délaissé leurs tasses, elle disparut quelques secondes sous le comptoir pour en ressortir avec un pot de glace.
Ouvrant l'opercule avec un petit bruit sec, elle laissa apparaître le vert de la crème glacée au matcha, qu'elle vint ramasser avec une cuillère à glace pour en faire une jolie boule, qu'elle posa ensuite délicatement sur le dessert, réussissant comme par miracle à ne pas faire écrouler le fragile dôme gelé.
Kaori n'en pouvait plus d'attendre mais elle savait qu'elle n'en avait plus pour très longtemps à patienter.
Effectivement, Miki attrapa une conserve qui était restée cachée derrière la bouteille de sirop et y plongea une petite cuillère, qu'elle enroba d'une belle quantité de lait concentré sucré dont elle se servit pour décorer le dessert d'un joli liseré blanc nacré.
Elle jeta alors un dernier coup d’œil satisfait sur son œuvre avant de pousser le bol vers Kaori, qui affichait une mine à la fois reconnaissante et ravie. Miki se savait désormais pardonnée.
La nettoyeuse allait plonger sa cuillère avec gourmandise dans le bol quand elle entendit clocheter joyeusement la porte d'entrée. Elle reconnut immédiatement l'aura débile qui déboulait vers le comptoir et anticipa ce qui allait suivre. Jetant un regard navré à sa cuillère, elle la reposa et attrapa le plateau qui se trouvait sur le comptoir pour le lever à la verticale, juste au moment où Mick plongeait vers Miki, le stoppant ainsi net dans son élan. Le nettoyeur vint donc naturellement se fracasser contre le plateau, avant de glisser mollement jusqu'au sol, sous le regard éberlué des clientes qui éloignèrent d'instinct leurs tabourets de la nettoyeuse. Tout en gémissant et se frottant l'appendice nasal, Mick s'apprêtait à vertement manifester son mécontentement envers son agresseur quand, en tournant la tête, il découvrit les fines chevilles dudit agresseur.
Les yeux exorbités, il remonta le long des gambettes et s'arrêta de respirer lorsqu'il découvrit qu'elles se prolongeaient par des cuisses fuselées, que dissimulait à peine une légère petite robe verte.
-Je veux mourir, gémit-il.
-Allons bon ! Qu'est-ce qu'il nous fait maintenant, celui-là ? demanda Miki en se penchant par-dessus le comptoir pour vérifier l'état du nettoyeur. Tu vas t'en remettre Mick, relève-toi !
Sans répondre, Mick ramassa péniblement son corps pour s'asseoir en tailleur aux pieds de Kaori.
-Arrête-ça tout de suite, lui intima la nettoyeuse. Se sentir ainsi reluquée sans même qu’il ne la regardât dans les yeux était à la fois malaisant et inquiétant. Mais Mick n'entendait plus rien et il paraissait seulement obnubilé par sa petite robe, tendant la main dans sa direction…
-Oui, mourir.... et me réincarner... en petite robe verte, parvint-il à articuler avant que ses doigts n'atteignent l'imprimé printanier pour le caresser.
Quelques secondes plus tard, Kaori retirait son pied de la figure de l'américain qui geignait de nouveau contre le carrelage et retournait s’asseoir sur son tabouret, face à son bol.
-Avec tes bêtises mon kakigori a commencé à fondre ! maugréa-t-elle.
-Qu'est-ce que tu manges ? s'enquit le nettoyeur en se relevant comme si de rien n'était.
-Un kakigori, répondit Kaori, sans le regarder.
-Mais encore ?
-Tu ne connais pas ? s'étonna-t-elle. C'est de la glace rasée finement, avec du sirop dessus. C'est très rafraîchissant, surtout par une chaleur pareille.
-Oui, enfin, la coupa Miki, ceci n'est pas n'importe quel kakigori. C'est la version Cat's Eyes, avec un sirop fait maison, dont je garde la recette secrète !
-Y a de l'alcool dedans ?
-Mais non Mick !
-Alors aucun intérêt !
-N'importe quoi ! répliqua Kaori, tout ne tourne pas autour de l'alcool Mick ! Tu devrais essayer, je t'assure. Même Ryo apprécie.
-Ah oui ? Tu as converti Saeba aux desserts ? s'intéressa la barmaid en revenant aussitôt vers elle. Ce n'est pourtant pas son genre. Il a beaucoup changé, insinua-t-elle avec un petit sourire entendu. C'est fou ce qu'un homme peut faire pour faire plaisir à celle qu'il ai...
-Ryo ne ferait jamais rien de ce genre pour faire plaisir, tu le sais très bien. De plus, il ne fait jamais rien pour ME faire plaisir. S'il aime les kakigoris, c'est justement parce que c'est différent des desserts habituels. C'est très peu sucré et très rafraîchissant. Il aime bien après une séance d'entraînement intensif.
-Oui oui, insista Miki, mais tu ne m'enlèveras pas de l’idée que tu me caches quelque chose concernant Saeba !
-Quelle idée ? Quoi Saeba ? s'inquiéta soudain Mick en se tournant vivement vers la rouquine, pourquoi elle parle de Ryo ? Cacherais-tu quelque chose à ton plus grand amour ?
-Tu n'es pas mon plus grand amour ! objecta celle-ci en levant les yeux au ciel. Et ma glace va fondre !
-Tu n'as pas répondu à Mick, Kao.
-Miki, je crois qu'Umi t'appelle, ironisa la nettoyeuse alors que son amie regardait avec inquiétude la porte de la réserve derrière elle. Et Mick, si tu t'inquiètes à propos de Ryo, tu n'as qu'à lui poser directement la question !
-Sauf que je préférerais qu'il mange moins de desserts et qu'il prenne un peu plus soin de son pote ! renifla Mick. Ça fait des mois qu'il a toujours un truc à faire quand je lui propose de venir faire la bringue ! Du coup, Kazue commence à s'habituer à me voir tous les soirs à la maison. Tu vas voir que bientôt je vais m'y habituer aussi ! Dis-lui qu'il doit absolument me sortir de là avant que je devienne accro aux émissions historiques et que j'aille me coucher à dix heures du soir avec un livre et une camomille !
-Que veux-tu que j'y fasse ? répliqua Kaori en haussant les épaules, si Ryo te dit qu'il a un truc à faire, c'est sûrement que c'est le cas ! Laissez-moi tranquille maintenant, j'ai un kakigori à déguster !
Coupant court à la conversation, elle plongea sa cuillère dans le bol. Les yeux brillants, elle se dépêcha de l'enfourner avant que quelqu'un d'autre ne l'en empêche et ferma les yeux en souriant d'extase.
Que c'était bon !! La glace fondait littéralement en bouche en délivrant la juste touche de douceur. L'amertume légère du matcha était contrebalancée par le sucre de l'anko et l'ensemble offrait l'équilibre parfait entre fraîcheur, force et douceur. Une seule bouchée et elle oubliait tout le reste. Malgré elle, elle laissa échapper un premier petit gémissement de volupté gourmande, qui fut suivi d'un deuxième quand l'exquise sensation se prolongea en un petit frisson de plaisir. Elle avait toujours aimé les kakigoris, mais depuis que Miki lui avait fait découvrir son sirop et sa recette maison, c'était devenu son péché mignon ; elle le savourait à chaque fois avec délectation et bonheur. Elle attendit que le dernier petit flocon ait fondu et coulé au fond de sa gorge pour retirer doucement la cuillère et la poser sur le bar en souriant, puis, émergeant lentement, elle émit un petit claquement de langue satisfait et rouvrit les yeux... pour rencontrer le visage amusé de Miki, les regards intrigués de ses voisines et, surtout, les yeux exorbités de Mick.
Allons bon, qu'est-ce qu'il lui faisait encore ? Il semblait à la fois choqué et ébloui par ce qu'il venait de voir.
-Oh my Gosh... balbutia-t-il comme envoûté.
-Quoi encore ? s'inquiéta Kaori.
-... une cuillère...
-Quoi une cuillère...
-Je veux être une petite cuillère...
-Euhh ? tu me fais peur...
-... me réincarner... en petite cuillère...
-Mick non ! tenta de l'arrêter Miki en devinant la pente mokkorienne vers laquelle glissait irrémédiablement l'américain. Mais il n'écoutait plus. Cette expression de la plus profonde extase sur le visage de Kaori, son sourire, ses soupirs de volupté, aucun homme n'aurait pu résister à cette image. Complètement bouleversé, il n'était plus maître de ses pensées, et chacune d'elle était interdite aux moins de 18 ans... Il se rêvait petite cuillère pour que les lèvres douces et sensuelles de la jeune femme viennent se refermer sur lui...
Il était évident que c'était une mauvaise idée, mais il ne pouvait garder cette pensée pour lui :
- Je veux... finir dans ta bouch.....
Les deux voisines de Kaori, qui s'étaient de nouveau rapprochées, amortirent la chute de Mick lorsqu'il s'envola au travers du comptoir pour atterrir sur leurs genoux. Criant de surprise, elles lui balancèrent sans réfléchir un coup de sac sur le crâne et s'apprêtaient à manifester leur mécontentement quand elles découvrirent l'énorme massue que reposait au sol la jeune femme en robe verte. Devant son air furibard, elles ravalèrent aussitôt leurs récriminations. Les joues cramoisies et les yeux brillants de colère, elle paraissait en proie à une vive émotion, sûrement suite à la phrase très grivoise que lui avait sortie le grand blond avachi sur leurs cuisses. Choquée elle-même, l'une des deux petites vieilles en profita pour lui remettre un deuxième, puis un troisième petit coup de sac quand il voulut protester.
Mais le courroux de la rouquine sembla brusquement soufflé par quelque chose d'autre car elle fixa soudain le comptoir... et se retourna aussitôt vers elles pour fusiller sa victime du regard, une étrange petite veine palpitant sur son front.
-Mick... gronda-t-elle... regarde mon bol ! Tu as renversé mon kakigori !!!
-Kao, ma douce, se défendit le nettoyeur que les clientes venaient de repousser face à la furie rousse, il fait trop chaud pour s'énerver... C'est pas bon pour le cœur tu sais... Ah oui, tiens, ta glace est renversée, constata-t-il en jetant un œil sur le comptoir où le kakigori finissait de goutter par terre tandis que Miki nettoyait ce qu'elle pouvait.
-Qu'est-ce qui se passe encore ici ? demanda Falcon en émergeant de la réserve, on dirait que le café vient de s'écrouler.
-Umi, sauve-moi plaida le nettoyeur.
-Qu'est-ce que t'as fait encore toi ?
-Il a renversé ma glace, l'informa Kaori en accusant Mick du regard.
-Mais c'est qu'une glace ! se défendit celui-ci.
-Ce n'est pas n'importe quelle glace ! réfuta-t-elle d’un geste bref de la main, c'était MON kakigori. Et je ne t'ai jamais invité à venir me pourrir mon moment que je sache ! ajouta-t-elle, acerbe.
-Mais c'est même pas moi ! C'est quand tu m'as frappé ; dans le mouvement, il y a eu un malheureux geste de bras, deux ou trois moulinets et paf...
-Je t'en foutrais des "Et paf" moi ! maugréa Miki qui finissait de nettoyer, tu mets le bazar depuis ton arrivée et tu vas finir par faire fuir les clients !
-Ne cherche pas Mick, si la petite le dit, c'est que c'est forcément de ta faute...
-Un si bon kakigori... se lamentait Kaori qui s'était rassise devant le bol encore renversé.
-Je t'en offre un autre pour me faire pardonner, Kao chérie ! proposa Mick en ouvrant de grands yeux de biche, et je te fais même un petit bisou en prime si tu v... Ok, non tu ne veux pas... Miki, tu...
-Je n'ai plus le temps, refusa la nettoyeuse, dépitée. Au cas où tu l'aurais oublié, vous venez tous manger à la maison ce soir et j'ai encore une foule de choses à faire.
-Ah oui c'est vrai. Sorry Kao, really.
-C'est bon, ça va, s'adoucit la demoiselle en vert, touchée par l'usage de l'anglais que Mick utilisait souvent quand il était vraiment ennuyé. Comme tu l'as dit, ce n'était qu'une glace...
-Promis, la prochaine fois je te laisserai finir ton iceberg tranquillement.
-Idiot, pouffa Kaori malgré elle. Bon allez, ajouta-t-elle en se repoussant du comptoir avec un filet de regret dans la voix. Tant pis pour la pause fraîcheur ! J'y vais ! A ce soir !
Se relevant brusquement, elle adressa un dernier signe de la main à ses amis et elle se dirigeait vers la sortie quand Miki la rappela :
-Kaori ?
-Oui ? demanda celle-ci en se retournant dans un geste qui fit virevolter la fluide petite jupette, au grand dam de Mick qui eut toutes les peines du monde à se contenir mais voulait rester sage.
-Tu n'as pas oublié quelque chose ? demanda la barmaid en posant une deuxième bouteille de sirop sur le comptoir.
-Ah mais oui, s'écria-t-elle en revenant vivement vers elle pour attraper la bouteille, qu'elle regarda amoureusement. Elle se pencha ensuite spontanément par-dessus le bar pour enlacer son amie. C'était pour ça qu'elle lui avait dit de passer au Cat's. Elle venait juste de refaire sa réserve de sirop au matcha et elle lui en avait réservé une bouteille.
-Merci Miki, merci beaucoup, la remercia-t-elle chaleureusement, avant de lui murmurer au creux de l'oreille : "Et tu as raison, il y a des choses à dire".
Devant le regard éberlué de la mercenaire, elle se mit à rire doucement en s’écartant d'elle puis, sans lui laisser le temps de réagir ou de répondre, elle attrapa la précieuse bouteille et s'enfuit d'un pas léger vers la chaleur de l'extérieur.
-Je le savais ! s'écria Miki en reprenant ses esprits quand la porte se referma derrière elle... Mais tu ne perds rien pour attendre Kao... ajouta-t-elle en souriant malicieusement. Puis, ignorant Mick, elle se tourna vers les deux clientes qui la regardaient fixement depuis leur tabouret, comme si elles attendaient pour commander :
-Je vous sers quelque chose, mesdames ?
-On veut la même chose qu'elle ! s’exclamèrent-elles d'une seule voix en désignant la porte du menton.