Wedding Bells
Chapitre 1 : Une information à mettre au conditionnel, mais il semblerait bien que je vous...
5143 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 08/03/2023 17:24
Les paroles de la chanson "Conditionnel” sont la propriété de Tristan NIHOUARN.
"La vie est comme un arc-en-ciel, il faut de la pluie et du soleil pour en voir les couleurs." - Jules Renard
Vous trouverez l’intégralité de la chanson ici : https://youtu.be/NMM02AO7mE8
Et une jolie présentation de cette fiction par là : https://forum.fanfictions.fr/t/city-hunter-fanfiction-wedding-bells/4974?u=angel-dust
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J'ai passé tant de nuits à briller sous mille soleils
A butiner les fleurs de ma bohème
Et pour rien au monde, je n'changerai le goût de ce miel
Mais voilà, vous me posez un sérieux problème
Non pas que vous ayez changé la couleur de mon ciel
Mais les choses aujourd'hui ne sont plus les mêmes
Et c'est non sans regrets que j'ai eu vent de la nouvelle …
Une information à mettre au conditionnel,
Mais il semblerait bien que je vous aime.
Mon costume me serre tellement que je n'arrive pas à redresser les épaules et le col de ma chemise m'étrangle. Mon gilet m'empêche de respirer et mon pantalon emprisonne mes cuisses. Les semelles trop fines de mes chaussures ne m'isolent pas assez du sol froid et mes orteils souffrent le martyre ainsi compressés les uns contre les autres. Comment peut-on porter des godasses pareilles, franchement ? Qu'on ne vienne pas prétendre que les rangers sont inconfortables ! J'échangerais ces chaussures ignobles pour mes bons vieux godillots en moins de dix secondes, si je le pouvais. Mais je ne peux pas, je sais que tu ne me le pardonnerais jamais.
Je soupire. Et, en faisant ça, j'ai l'impression que les coutures de ma chemise amidonnée vont craquer. Et pourtant, j'en aurais bien besoin, de respirer fort. Je vais avoir besoin de souffle pour prononcer les mots que j'ai à te dire ... Je m'apprête quand même à te dire oui, à te promettre de veiller sur toi, à te jurer fidélité, "jusqu'à ce que la mort nous sépare" ...
Je n'ai pas toujours été cet homme patient qui t'attend, le dos tourné à l'assemblée, ne sachant ni comment se tenir ni quelle expression afficher. Pour moi, la patience est une qualité qui sert à l'anticipation des combats, à l'élaboration des plans, à la construction de stratégies, à l'observation de l'ennemi. Aujourd'hui, il n'est pas question de ça. Pour la première fois de ma vie j'attends juste parce que ... j'attends. Je n'ai rien à préparer, rien à calculer, ni plan A, ni plan B ou C.
Je n'ai pas jamais été cet homme que les murmures des invitées féminines qualifient de "romantique" ...
"Romantique" ... Tout ça parce que je m'apprête à afficher aux yeux de tous les sentiments qui nous unissent. Et pourtant ... s'il y a bien une chose que je n'ai jamais su montrer, c'est bien mes émotions et mes sentiments. Peut-être parce qu'ils suggèrent l'existence d'une douceur ou d'une délicatesse dont mon corps est incapable. Trop monumental, trop puissant, trop large, presque démesuré, je ne sais pas quoi faire de ma carcasse en dehors des combats. Je ne sais pas quoi dire pour être délicat, "romantique" ou tout simplement gentil. Du coup, je n'aime pas ça. Je perds mes moyens quand je vois les émotions apparaître sur le visage des autres ... même les tiennes.
Je n'ai pas toujours été cet homme mal à l'aise sous le regard des autres. J'ai brillé sur les champs de bataille, j'ai mené des hommes, dirigé des bataillons, formé de nouveaux combattants, fêté des victoires, encaissé des défaites et compté nos morts. Mais aujourd'hui plus que jamais, je sens mes joues et mon crâne s'embraser sous le feu de la gêne d'être le centre de l'attention collective. Il est temps que tu arrives, afin que leurs yeux se portent enfin sur toi et qu'ils me lâchent !
Oui, je suis mal à l'aise car je n'ai clairement pas la gueule de l'emploi. Moi, Hayato Ijuin, Falcon ou Umibozu, quel que soit le nom qu'on me donne, moi, dans un costume trop serré, attendant sagement que toi, la belle et lumineuse Miki, me rejoignes pour prononcer des vœux devant tout le monde ! Ridicule, parfaitement ridicule. Et Ryo qui se bidonne dans mon dos confirme cette impression.
En somme, j'ai bien conscience de ne pas avoir le profil. Mon profil à moi, c'est : tueur, combattant, soldat, camarade, mercenaire, tueur à gages, hors la loi. Tout ça ... Si un jour, un illuminé m'avait dit ça ... que je me retrouverais en jeune marié "romantique" en costard trois pièces et godasses italiennes, je lui aurais ri au nez ! ... Ou bien je l'aurais descendu !
Et pourtant, c'est bien ce que je m'apprête à faire ...
Il est vrai que tu as sacrément chamboulé mes plans quand nous nous sommes rencontrés il y a presque vingt ans.
Comment s'attendre à ça ? Comment s'attendre à toi, jeune fille perdue dans la jungle, abandonnée de tous, seule et triste ? Une orpheline de guerre parmi tant d'autres. Une orpheline dont j'avais peut-être tué les parents. Comment savoir ? Tout était alors si compliqué et si flou à cette période, dans cette terrible jungle ... Pour moi, les jours, les mois, les gens, les ennemis, les alliés ... tout avait le même goût, un goût âcre et métallique, un goût de sang ... un goût de mort.
Je m'y étais tellement habitué que j'étais prêt. La Grande Faucheuse, comme ils l'appelaient là-bas, ne me faisait pas peur. Je l'attendais même, acceptant le destin qui était le mien. Donner la mort et la recevoir en échange, c'était somme toute assez banal en cette période. Surtout depuis que je savais que, peu à peu, ma vue perçante qui m'avait valu le surnom de Falcon, ne ferait que décliner depuis que Ryo m'avait blessé aux yeux.
Si j'avais survécu à sa barbarie, contrairement à mes camarades, si mes yeux étaient sauvés, ils ne le seraient pas pour toujours. L'obscurité m'attendait patiemment et chaque jour, je m'en approchais inexorablement. A l'époque, je me disais souvent qu'entre vivre dans le noir absolu et disparaître, il n'y avait pas grande différence. J'en avais donc conclu que vivre n'avait plus vraiment la même importance qu'auparavant.
Et puis tu es arrivée, surgie de nulle part au milieu de ce village en ruines et tes yeux m'ont transpercé.
Cela faisait bien longtemps qu'on ne m'avait pas dévisagé comme ça alors même que j'étais resté dissimulé derrière mes habituelles lunettes noires. Quelque chose m'a poussé à m'agenouiller près de toi et c'est alors que j'ai compris ce qui m'avait paru si étrange : dans tes iris encore humides de larmes refoulées, il y avait évidemment de la tristesse, de le fierté et de la détermination ... oui, c'était ce qui frappait en premier mais ensuite ...
Il y manquait quelque chose que j'avais alors tellement l'habitude de voir que son absence m'avait frappé en plein cœur : la peur. Tes grands yeux sombres étaient parfaitement dénués de peur en me voyant :
- "Tu vas me tuer ?" M'avais-tu demandé.
J'avais simplement secoué la tête. Contre toute attente, tu m'avais souri et tu avais ajouté, comme si nous rencontrer, moi soldat armé jusqu'aux dents et toi, adolescente sans peur, avait été parfaitement logique et naturel :
- "Je m'appelle Mikaela. Et toi ?"
Je me souviens t'avoir souri en retour et ça faisait tellement longtemps que ça ne m'était pas arrivé qu'un de mes camarades l'avait souligné en éclatant bruyamment de rire.
J'ai repensé à ce moment il y a quelques mois, quand le Professeur a examiné mes yeux, juste avant qu'ils ne sombrent définitivement dans l'obscurité, il m'a dit :
- "La vie est comme un arc-en-ciel, il faut de la pluie et du soleil pour en voir les couleurs."
Sur le coup, j'avais failli lui rétorquer qu'il pouvait bien se garder sa philosophie à deux balles et que je ne verrai plus jamais d'arc-en-ciel, pluie ou soleil, que pour moi, tout ne serait que nuit sombre, alors, les arcs-en-ciel, il pouvait bien se les *** là où je pense. J'avais bien sûr gardé mes réflexions pour moi, me contentant de lui grogner un truc habituel.
Mais je réalise maintenant qu'il avait bien raison, ce vieux débris. Je m'attendais à continuer ma vie dans le noir mais je n'avais simplement pas encore réalisé que tu y avais déjà apporté des couleurs inattendues. Tu étais devenue mon soleil, une première fois quand nous nous sommes rencontrés, une deuxième fois en revenant ici. Pour moi.
"La vie est comme un arc-en-ciel, il faut de la pluie et du soleil pour en voir les couleurs." Cette phrase nous résumerait beaucoup mieux que : “Jusqu'à ce que la mort nous sépare ... Jusqu'à ce que la mort nous sépare ... Jusqu'à ce que la mort nous sépare.”
Est-il vraiment nécessaire de le préciser, ce stupide : “Jusqu'à ce que la mort nous sépare ?”
Comment la Mort pourrait-elle nous séparer ?
Pourquoi envisager ce moment funeste maintenant ?
Comme si j'avais besoin de prononcer ces mots pour que tu en sois assurée. Inutile !
Comme si c'était nécessaire que je veille sur toi. C'est toi qui veilles sur moi, oui !
Heureusement que je ne peux pas voir le curé qui se trouve juste devant moi. Caché derrière mes lunettes noires, comme les mômes, je tente de me convaincre que si je ne le vois pas, il ne me voit pas non plus et qu'il ne remarque ni ma gêne, ni mon malaise, ni mon appréhension. Rien.
Je tourne le dos à nos amis qui se trouvent ici, avec nous, dans cette petite chapelle perdue au milieu de nulle part pour tenter de leur cacher la même chose. En vain.
Les filles sont toutes émues et j'en ai marre de les entendre murmurer entre elles : "trop chouuuu", "si beau", "si émouvant" ... Quelle horreur ! N'importe quoi ! J'ai conscience depuis bien longtemps que je suis loin d'être "chou" ! Je sais à quoi je ressemble, merci. J'ai envie de leur crier de la fermer mais je sais que ça sera mal pris. Loin de moi l'idée de vouloir gâcher ta fête. Notre fête.
Quant aux gars ... il n'y a que le Doc, Mick Angel, et Ryo ... Le vieux reste plutôt discret mais je perçois les rires contenus et les moqueries des deux guignols. Je note dans ma tête ce que je vais pouvoir leur dire, à ces deux imbéciles ... Je ne peux me retenir de sourire en songeant que, dans pas longtemps, ils y passeront aussi ... D'une manière ou d'une autre. Oh, oui ! Ils y passeront aussi et je les attends au tournant. Je trouverai une façon de me venger. Pas de doute là-dessus.
Ça y est ... Les cloches sonnent.
Je les ai plus souvent entendues lors d'enterrement lorsque j'étais en Amérique. C'est étrange. Je pensais que le son des cloches, c'était le son des cloches, mais non. Celles-ci sont bien différentes. Je sais que tu vas bientôt arriver mais le temps s'écoule, poisseux, épais ... lent. Les oreilles en alerte, le cœur battant dans ma poitrine au rythme des cloches, je guette le bruit de tes pas. Nous allons prêter serment ... Bientôt. "Jusqu'à ce que la mort nous sépare."
Je sais très bien ce que tous ceux-là, là-derrière, me diraient si j'osais exprimer mes doutes. Ils me diraient de ne pas m'inquiéter, que penser ce genre de choses est normal en ce moment et autres paroles creuses qui ne changeraient rien.
Car oui, je doute.
Comme souvent, je doute d'être celui qu'il te faut pour t'accompagner dans cette vie.
Comme souvent, je doute de te mériter, moi qui ne vaux pas mieux qu'un criminel.
Comme souvent, je doute de parvenir à te rendre heureuse moi qui ne sais rien faire de mieux que tuer, disposer des pièges et placer des explosifs ; je ne fais que détruire.
Comme souvent, je doute de tout ça et, à cet instant, c'est encore pire que d'habitude.
Je doute aussi d'être capable de faire ... ce que tu fais. Vivre comme tout le monde tout en restant toi. Moi, même si j'essuie parfaitement la vaisselle, je ne suis pas taillé pour le monde normal.
La preuve : la seule chose que j'ai réussi à te transmettre alors que tu n'étais qu'une gamine innocente, c'est l'art du combat et de la guerre. Je t'ai appris la violence, la mort et la tristesse. Tu as baigné dedans, tu as grandi dedans et tu auras beau prétendre tout ce que tu veux, tu resteras toujours ce que mon commando et moi avons malheureusement fait de toi : un soldat et non une jeune femme "normale".
A l'époque, je pensais simplement te permettre de survivre dans le milieu qui était le nôtre. J'étais persuadé que pour s'en sortir, il fallait se battre, qu'on soit jeune ou vieux, homme ou femme, orpheline ou pas. Mon monde n'était fait que de soldats. Mais j'aurais dû veiller à trouver une famille pour toi, des parents aimants qui t'auraient appris à chanter, à danser ou à te coiffer, qui t'auraient accompagnée à l'école et qui t'auraient lu des histoires avec des princesses, des chevaliers et des princes charmants, le soir pour t'endormir... peut-être même aurais-tu eu des frères et soeurs.
- "Ce qui est fait est fait." Voilà ce que tu me réponds à chaque fois que nous évoquons cette période.
Ce qui est fait est fait ...
Peut-être as-tu raison, peut-être était-ce inévitable mais cela ne m'a pas empêché de me sentir coupable pendant très longtemps.
Et même si la rumeur se fait de plus en plus belle
Et qu'elle crie sous mon toit que vous êtes une crème
S'il devient évident que vous semblez être celle
J'ai le cœur enchaîné à mon vieux théorème
C'est à mon grand regret que je n'peux que vous l'énoncer comme tel
Une information à mettre au conditionnel,
Mais il semblerait bien que je vous aime.
Voilà maintenant que je me sens de plus en plus mal à l'aise.
Comment deux personnes pourraient être plus mal assorties que toi et moi, hein ? Combien de fois me suis-je posé cette question ?
Il y a certaines choses que même un aveugle peut voir ... et je ne l'ai pas toujours été ... Et, alors que je t'attends, nerveux et impatient, toute l'assemblée ici présente peut s'en rendre compte :
Je suis grand, lourd et balourd. Tu es belle et étincelante.
Je ne sais pas me lier aux autres et me comporter en société. Toi, on dirait que tu as fait ça toute ta vie.
Je provoque la crainte et la gêne. Tu attires la sympathie.
Je serai bientôt vieux. Tu es une jeune femme de dix ans de moins que moi.
Je suis handicapé. Tu est parfaite.
Je m'efforce de veiller sur toi. Finalement, c'est toi qui veilles sur moi.
Je te le répète souvent. Jamais tu ne m'écoutes.
A chaque fois que je t'ai fait part de mes réticences, j'ai senti ta colère vibrer autour de nous, j'ai pu parfaitement m'imaginer que tu me fusillais de tes grands yeux sombres en serrant les poings alors que tu m'ascénais sèchement :
- "Combien de fois faudra-t-il que je te le dise ? Moi seule ai le droit de décider avec qui je vais passer le reste de ma vie. Je veux être ta partenaire et rester auprès de toi et je le ferai. Point final."
Comment objecter à ça ?
Je ne le peux pas.
Je ne le veux pas ...
Je ne le veux plus.
Quand je abandonnée au Mexique il y a presque quinze ans maintenant, je prenais ton projet de devenir ma partenaire de travail pour des caprices de gamine, une utopie bancale construite du haut de tes dix-sept ans. Je considérais tes sentiments pour moi comme un béguin d'ado meurtrie par la guerre. Alors je suis parti, en te laissant derrière moi comme je laissais mes camarades et mes soldats.
Parce que c'était ce que tu étais pour moi. Rien de plus qu’un soldat.
Je me disais que tout ça passerait avec le temps, que vivre normalement dans le vrai monde finirait par effacer ce soldat en toi et que tu m'oublierais par la même occasion. Tu redeviendrais alors la gamine que tu aurais dû être et chacun suivrait sa route. Mais aujourd'hui... Aujourd'hui tu n'es plus la même jeune fille, tu es une femme et je ne suis plus un homme étouffé par sa culpabilité d'avoir fait les mauvais choix. Enfin, un peu moins... C'est que tu es sacrément déterminée et obstinée quand tu t'y mets...
Ce qui est fait et fait ...
La seule chose que je peux changer, c'est ce que je vais faire maintenant.
Je veux être cet autre homme que je n'arrive malheureusement pas encore à définir et à envisager. Je ne sais pas comment tu as réussi à te trouver, à te transformer, mais je vais essayer de le faire aussi. Parce que je veux rester à tes côtés. Oui, ça j'en suis sûr.
J'étais seul et tu t'es attachée à moi pour je ne sais quelle raison et par je ne sais quel miracle. Aujourd'hui, c'est moi qui suis attaché à toi. Mais je sais pour quelle raison et ça n'a rien d'un miracle. Mais suis-je prêt à m'attacher à toi jusqu'à ce que la mort nous sépare ?
Ça y est ... Les cloches se sont enfin arrêtées.
J'entends les glissements de chaussures d'un homme qui s'impatiente, passant d'un pied sur l'autre. Saeba, sans doute. Angel sait bien mieux se tenir. Je sens d'ailleurs le parfum de son after-shave un peu plus loin.
Les petits bruits me racontent ce qu'il se passe dans mon dos : Kaori retient son souffle, Saeko reste calme et maîtresse d'elle-même, alors que sa petite soeur s'impatiente. Le Docteur Kazue Natori se retourne sans cesse pendant que Mick Angel entrelace délicatement ses doigts dans les siens en l'attirant contre lui, le Professeur replace pour la centième fois ses lunettes sur le nez et se racle la gorge discrètement ... Eux aussi t'attendent …
Faut-il que je songe enfin à me brûler les ailes ?
Ne croyez surtout pas que j'en ai la flemme
C'est sans doute par crainte que je chasse le naturel
Mais il tombe dans vos bras. C'est commun, les mortels…
Bientôt je serai prêt, je serai l'homme le plus formel.
Une information à mettre au conditionnel,
Mais il semblerait bien que je vous aime.
Il serait temps d'être sûr de moi mais les mots qu'a prononcés Ryo tout à l'heure viennent résonner sous mon crâne brûlant :
- "Tu es incroyable ... Prendre une telle décision dans le monde dans lequel nous vivons."
Est-ce que je serais en train de te mettre en danger ? Pendant un instant, j'y ai pensé. Et puis, je me suis rappelé de la détermination de ta voix à toi, et son souvenir est venu chasser mes inquiétudes :
-"Je veux être ta partenaire et rester auprès de toi et je le ferai. Point final."
Et puis ... Il faut bien reconnaître que tu as fait tes preuves quand tu as débarqué ici à Tokyo, il y a quatre ans. Tu n'as pas hésité à affronter Saeba quand je t'ai mise au défi de le faire. Sans douter et sans trembler. Et même si je sais qu'il a fomenté le piège qui m'a fait perdre mon pari, j'ai bien compris aujourd'hui que je suis apte à te protéger, que tu es apte à te protéger et que tu ne reculeras devant rien ...
Contrairement à Ryo qui tremble sans arrêt pour Kaori et qui s'imagine être incapable de veiller sur elle, je ne crains pas de vivre avec toi dans notre monde, car, de notre monde, tu en connais les risques, les dangers et les règles du jeu ... Toi aussi, tu as été soldat. Tout comme moi.
Et là, alors que je reste pétrifié de nervosité devant le curé, je repense à nouveau à ce qu'a dit Saeba :
- "Tu es incroyable ... Prendre une telle décision dans le monde dans lequel nous vivons."
J'espère que l'imbécile finira par comprendre qu'il prend le problème par le mauvais bout, comme toujours. C'est justement parce que nous vivons dans un monde dangereux, que nos lendemains sont incertains et que nos existences sont si fugaces que je prends cette décision et que je vais te promettre de rester avec toi : “jusqu'à ce que la mort nous sépare”. Tant pis s'il me faut prononcer cette phrase idiote.
Mais si je ne peux te refuser cette promesse, serais-je capable de la tenir ? Je ne connais pas grand-chose à ce monde "normal" dans lequel nous allons vivre. Je ne suis qu'un ancien soldat, un vétéran, aujourd'hui aveugle et beaucoup plus habile avec un bazooka qu'avec un chiffon ou un plateau. Mais est-ce que je vais vraiment rester planqué derrière un comptoir de café et jouer les bons gérants “jusqu'à ... ma mort” ?
J'ai été un des meilleurs pisteurs, un des guerriers les plus craints de la guérilla sud-américaine, un stratège émérite, n'ayant pas son pareil pour échafauder les pièges les plus pernicieux qu'il soit, un compagnon d'armes loyal, n'abandonnant jamais un allié derrière moi. De retour au Japon, j'ai eu la réputation d'être un professionnel efficace, sachant mieux que personne poser des explosifs, un spécialiste sans merci et pointilleux, j'ai même été considéré comme un criminel ... Oui, j'ai été tout ça. Et, en un sens, malgré mes yeux qui m'ont abandonné, je le suis encore.
Suis-je un tueur ? Oui.
Mais suis-je un mari ? Comment le savoir ?
Je me demande souvent qui nous trompons, tous les deux, quand nous nettoyons le comptoir de notre petit café, faisant briller les tasses et les verres, comptant la monnaie dans la caisse et les sacs de grains de café à commander en souriant pour accueillir le peu de clients qui fréquentent notre petit troquet. Les gens voient-ils notre nature profonde à toi et moi ? Voient-ils que nous avons été des mercenaires, que nous demeurerons des soldats et qu'un jour ou l'autre, les guerriers que nous sommes reprendront les armes ? Même si, en ce qui te concerne, cela restera mon plus grand regret. Rappelle-toi, cette fois où nous avons investi le bateau maudit de Kaïbara pour aider Ryo. Oui, nous restons prêts à le refaire s'il le faut parce que j'entends comme ta voix change, comme ton souffle s'accélère, je sens comme ton attention est accaparée quand Kaori et Ryo viennent conter leurs aventures ... Tu n'en loupes pas une miette à chaque fois.
Soldat.
C'est ce que je suis.
C'est que tu es.
C'est ce que nous sommes.
Aujourd'hui, alors que je me sens déguisé dans mes habits si élégants, aujourd'hui, plus que tous les autres jours, je le réalise : nous resterons des soldats. Des soldats peuvent-ils s'aimer et se marier, se promettre d'être mari et femme ... jusqu'à ce que la mort nous sépare ? Je me demande si cela est vraiment possible pour nous.
Mais je me dis aussi que, même si notre âme reste celle des combattants, nous ne sommes plus des numéros, des uniformes ou de simples armes. Non, nous ne le sommes plus. Depuis que tu es entrée dans ma vie, je ne me sens plus remplaçable, anonyme ou sacrifiable. Depuis que tu m'as rejoins ici, certaines choses comptent plus pour moi que mes missions, mes contrats, mes ennemis ou mes alliés.
Malgré cela, pourrons-nous ? Saurons-nous être des époux ? Suis-je capable d'être autre chose qu'un combattant ? Pourrai-je le faire : jusqu'à ce que la mort nous sépare ?
Il serait temps que tu arrives parce que je n'en peux plus de sentir mon esprit tourner et se retourner dans tous les sens. Mais déjà, mes pensées se reposent sur ce mot qui ne cesse de revenir me hanter : la mort et cette promesse de t'aimer jusqu'à ce qu'elle nous sépare.
La mort ... C'est donc elle seule qui pourrait nous séparer ? La mort ? Vraiment ? Moi qui l'ai donnée tant de fois, je crains aujourd'hui de la rencontrer. Car, depuis que tu es avec moi, je sais que, quand la mort viendra, ça sera nécessairement trop tôt, quoiqu'il arrive. Moi qui l'avais plus ou moins adoptée, domptée, maîtrisée, en faisant ma compagne de vie, je m'efforce aujourd'hui de l'ignorer, de la repousser, d'en nier même l'existence, au point de m'imaginer qu'elle se tiendra loin de nous. De toi. De moi. Pour toujours ? Comme j'aimerais ...
Et puis soudain, je réalise que j'aurais dû être plus prévoyant. J'aurais dû anticiper le truc. C'était à moi de te faire ma demande en mariage en non l'inverse. Je n'aurais jamais pensé que tu aurais envie de te lier officiellement et pour toujours à un homme comme moi. Se marier avec Hayato Ijuin, l'ancien Falcon, le pataud Umibozu, le rougissant "Poulpe des Mers" ... C'est quand même inattendu de la part d'une jeune femme comme toi, non ? Surtout que je sais parfaitement ce que ce serment prononcé à l'église signifie pour toi, toi qui as été élevée dans la foi catholique jusqu'à tes quatorze ans.
Je me surprends moi-même à retenir mon souffle quand j'entends enfin tes pas qui remontent lentement l'allée, à moitié couverts par le bruissement de ta robe qui frôle le sol.
Je me tourne vers toi et même si mes yeux ne te voient pas, moi, je te vois. Je sens ta nervosité et ton émotion. Je sais que tu marches la tête haute et je parierais mon bazooka que tu serres tellement fort ton bouquet que tes paumes en garderont certainement les stigmates pendant un ou deux jours.
Toute l'assistance murmure sur ton passage, complimentant ta beauté, l'élégance de ta robe, la signification de ton bouquet ... Les invités ne relèvent pas que tu as choisi de te rendre seule à l'autel, une symbolique à laquelle tu tenais particulièrement. Le Doc a bien proposé de t'accompagner mais tu as poliment refusé son offre tout à l'heure.
- "Merci Professeur. Ça aurait été un honneur mais je tiens à le faire seule."
Tu montres ainsi que tu es indépendante et autonome. Tu définis les choses comme tu le dis si bien. Tu affirmes ainsi que t'unir à moi est une décision mûrement réfléchie, un acte de femme libre en quelque sorte.
Il ne te reste plus que quelques pas et tu seras tout près de moi. Je sens mon estomac se nouer et mon crâne s'embraser de plus belle alors que toute l'assistance soupire d'impatience. Plus que quelques secondes et ça y est ... Je sens ton épaule qui frôle mon bras.
Enfin ! Tu es là.
J'entends les deux gugus qui se bidonnent nerveusement derrière nous. Ils peuvent bien rire. Je m'en fous de leurs moqueries. Kaori renifle discrètement et je la soupçonne d'essuyer rapidement une larme sur sa joue.
J'aimerais tellement te voir, pour constater comme tu es belle et découvrir ta robe, dont je ne peux malheureusement qu'imaginer les broderies dont j'ai suivi le dessin sous la pulpe de mes gros doigts calleux. Comme j'aurais aimé croiser ton regard, ton regard sans aucune peur ...
Je prends une grande inspiration pour repenser à toutes les fois où j'ai eu la chance de t'observer. Avant de plonger dans l'obscurité, j'ai gravé dans ma mémoire tous les détails de ton visage et de tes yeux. Et même si j'arrive parfaitement à te visualiser, debout à mes côtés, tendue mais parfaitement déterminée, mon seul regret est bien de ne pas te voir. Je sens l'odeur qui monte depuis ton bouquet, j'identifie un lys blanc dont le parfum masque presque celui, plus discret des lys à crapaud. Les lys à crapauds ... ces petites fleurs discrètes qui signifient : A toi pour toujours ...
Le silence se fait dans la petite chapelle.
Le prêtre s'éclaircit la gorge et commence son discours :
- "Nous sommes réunis aujourd'hui ..."
J'ai de plus en plus de mal à respirer, mon cœur martèle un rythme effréné dans ma poitrine, mon costume me serre toujours autant, ma chemise me gratte et ce col trop proche de mon cou m'agace de plus en plus. Je rêve d'enlever mes chaussures grotesques, j'ai la gorge sèche et je n'ai jamais été aussi nerveux de toute ma chienne de vie. Je soupire, tentant de retrouver mon calme et je tire sur ce nœud papillon débile qui me gêne et que j'aimerais tant retirer de ma gorge pour le jeter au sol et le piétiner.
En faisant ça, j'attire ton attention sans le vouloir. J'espère ne pas t'avoir embarrassée. Je retiens mon souffle. Mais la douceur de ton aura m'indique que tu souris et je respire. Je sens que tu appuies un peu ton épaule contre mon bras. Une pression douce, légère et rassurante. C'est comme si tu me disais :
- "Tu n'es plus seul, Falcon, tu m'as moi. Et je t'ai, toi ..."
Et puis soudain, je suis prêt.
Je crève de chaud mais je suis prêt.
Enfin, je crois ...
Nous allons bientôt prêter serment, échanger nos alliances. Par ces quelques gestes, je pourrai enfin te répondre :
- "Tu n'es plus seule, Mikaela, tu m'as, moi. Et je t'ai, toi ..."
Tu m'as déjà appris à faire un vrai café ... Je devrais réussir à apprendre le reste, non ? Je le ferai pour toi. Uniquement pour toi, parce que je sais que ça te rendra heureuse, heureuse avec moi ... jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Une information à mettre au conditionnel,
Mais il semblerait bien que je vous aime.