Pour trouver les bonnes réponses...
Arrivé enfin à destination après un peu plus de trois heures de route, Ryo ralentit et jeta un regard à la maison. Il se trouvait à la périphérie de la ville, dans un quartier calme aux maisons bien entretenues. Il se gara un peu plus loin et sortit dans l’air frais de cette journée. Il déplia son corps engourdi par tous ces kilomètres avalés et s’étira. Puis, sans perdre une seconde, il se dirigea vers l’entrée et prit une profonde inspiration avant de frapper à la porte. On était dimanche, elle ne devait pas travailler aujourd’hui. Du moins, l’espérait-il.
Une petite cour parsemée de quelques fleurs décorait l’entrée de la maison dans un style qui mélangeait Japon traditionnel et modernité. Le toit était bas et la maison ne comportait qu’un rez-de-chaussée. Une grande véranda en bois courrait le long de la demeure et Ryo pouvait entendre le bruit d’un carillon accroché dans un arbre.
Il n’attendit que peu de temps avant que Sayuri n’ouvre la porte. Lorsqu’il l’aperçut, il eut le souffle coupé. S’était bien elle, il était bien à la bonne adresse. Ses longs cheveux aux reflets roux encadraient son visage et ses yeux noisette posés sur lui étaient les mêmes que ceux de sa sœur. La chance lui souriait enfin.
— Bonjour, je peux vous aider ? demanda-t-elle.
Ryo reprit rapidement ses esprits et se concentra sur ce qu’il avait prévu.
— Bonjour, je suis Ryo Saeba et je travaille en tant que journaliste pour le Weekly News à Tokyo. J’ai cru comprendre que vous y avez travaillé pendant quelque temps. On m’a dit que vous étiez une formidable rédactrice en chef et j’ai pensé que ça valait la peine de vous rencontrer.
— Oh, vous travaillez vraiment là-bas ? voulu-t-elle savoir, suspicieuse. Je peux voir votre carte de journaliste ?
— Euh… oui bien sûr.
Il fouilla dans ses poches et lui sortit la carte. La veille, il avait demandé à un spécialiste qui lui devait un service de lui en faire une fausse. Et le résultat était bluffant : on aurait dit une vraie. Sayuri contempla quelques instants la carte et la rendit ensuite à son propriétaire avec un petit sourire aimable.
— Excusez-moi de ces précautions, mais je préférais être sûre.
— Je ne vous en veux pas. Vous ne me connaissez pas, je ne vous connais pas… C’est normal après tout.
Un petit rire nerveux lui échappa en même temps qu’il se grattait l’arrière de la tête. « Continue comme ça Ryo et t’es cuit » se reprit-il.
Sayuri lui adressa un sourire mal assuré en le contemplant comme s’il était fou.
— Vous… Vous voulez entrer pour boire un café ? proposa-t-elle.
— Avec plaisir, se rattrapa Ryo avec plus de sérieux.
Elle ouvrit la porte en grand afin de le laisser passer. Elle le conduisit ensuite jusqu’à son salon où elle lui demanda de patienter pendant qu’elle préparait le café. Ryo observa la pièce. Un canapé et des fauteuils entouraient une table basse, un poste de télévision était posé dans un coin et une grande cheminée recouvrait une grande portion de mur. Tout était propre et bien rangé sauf… Sur un petit buffet, était posé un album et quelques photos éparpillées à côté, destinées à être rangées. Il s’approcha et saisit la première qui venait. C’était une photo de vacances, prise sur la plage avec un magnifique coucher de soleil sur la mer. Il passa à la suivante.
Une photo de Sayuri. Avec sa sœur. Il arrêta de respirer en reconnaissant Kaori. Les deux jeunes femmes étaient souriantes et se trouvaient devant la mer, probablement la même que précédemment. Elle n’avait pas changé. Elle avait les même cheveux courts, le même regard pétillant. Elle était restée la même.
Il passa rapidement en revu les autres clichés et tout au fond du paquet, il en trouva une de Kaori. Elle était seule sur la photo et elle paraissait plus jeune. Elle se tenait sous un énorme cerisier en fleur et un grand sourire illuminait tout son visage dirigé vers l’objectif. La lumière tombait par cascade sur elle, entrecoupée par les branches et les fleurs. Elle était magnifique sur cette photo. Elle respirait l’insouciance et la joie de vivre. Il savait qu’il ne devait, que ce n’était pas honnête, mais il ne put s’empêcher de glisser la photo dans sa poche.
Il fit le tour de la pièce, jeta un coup d’œil par la fenêtre qui donnait sur une petite cour bien entretenue et il aperçut un petit bassin au fond surmonté d’un petit pont japonais rouge. Apparemment, Sayuri ne manquait pas de moyens…
Il hésita à s’assoir mais il ne voulait pas se montrer impoli et il préféra rester debout. Au bout d’un moment, il se demanda sérieusement ce que Sayuri fabriquait. Elle en mettait du temps pour préparer du café ! Il retourna aux photos et les contempla distraitement pour s’occuper. Néanmoins, il préféra garder ses mains dans ses poches.
Enfin, deux minutes plus tard, Sayuri revint avec un plateau contenant deux tasses de cafés fumantes. Elle posa le tout sur la petite table basse et s’approcha de Ryo.
— Je faisais du tri dans les photos avant que vous n’arriviez, expliqua-t-elle.
— Excusez-moi de vous avoir dérangé, fit Ryo.
— Non ce n’est rien, ne vous en faîtes pas. C’est plutôt à moi de m’excuser. Je préparais le café lorsque j’ai reçu un appel d’un collègue. Ça m’a pris plus de temps que prévu.
Ils s’installèrent, lui sur le canapé, elle dans un fauteuil. Elle croisa ses jambes parfaites et se cala contre le dossier. Ryo aurait bien été tenté de lui sauter dessus mais s’il se mettait à faire l’imbécile, il n’obtiendrait pas ce qu’il voulait. Gardant son objectif en tête, il se concentra pour repousser toutes ses pensées d’obsédé et resta sérieux. D’autant plus que la tâche risquait de ne pas être facile : il allait devoir convaincre la jeune femme qu’il travaillait bien en tant que journaliste et devoir ainsi, l’air de rien, lui soutirer des informations sur sa sœur. Au moindre faux-pas il éveillerait les soupçons.
— Alors comme ça, vous avez fait tout ce chemin pour venir me voir ?
— Eh bien… je passais dans le coin alors je me suis dit que c’était l’occasion pour vous rencontrer.
Son hôtesse se pencha en avant et attrapa sa tasse qu’elle porta à ses lèvres, le dos bien droit. « Toujours très professionnelle, quoi qu’il arrive » songea Ryo en faisant de même.
— Depuis combien de temps travaillez-vous pour Weekly News ? demanda-t-elle.
Ça y est, la première question venait de tomber. Même si elle était assez simple, il devait faire attention maintenant.
— Ça va bientôt faire un an.
— Et qu’est-ce qui vous a poussé à devenir journaliste ? renchérit-elle.
— Euh… Eh bien, je crois que, si je fais ce métier c’est avant tout pour rencontrer des gens, leur parler, rassembler les informations pour diffuser la vérité.
Cette réponse n’était pas terrible mais elle ferait l’affaire. Il attendit patiemment la suite.
— Evidemment, c’est la base de tout journaliste qui se respecte, approuva Sayuri. Moi, je veux savoir ce qui vous motive vraiment. Je veux savoir quels sont vos aspirations profondes, ce qui vous pousse à vous lever le matin et à faire ce métier parfois incompris.
Ryo déglutit difficilement face à la passion que mettait Sayuri dans ses paroles. Il réfléchit un long instant. S’il voulait rendre son récit réaliste, il fallait qu’il s’inspire de son propre métier.
— Aucun jour ne se ressemble, commença-t-il prudemment. A vrai dire, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Ce qui me pousse à me lever le matin comme vous dîtes ce sont le regard de toutes ses personnes qui hurle la vérité. Une vérité qui parfois n’est jamais écoutée parce que personne ne prend le temps de s’intéresser à eux. Alors moi, je prends leur parole et je la couche sur le papier pour montrer cette vérité au monde entier. Parfois, il faut se battre pour l’obtenir, il faut côtoyer le danger pour mettre leur histoire en avant. Alors, la réussite n’en est que plus grande lorsque le soulagement d’avoir enfin été entendu se peint sur le visage toutes ces personnes.
Il se tut et but une gorgée de café bien mérité après un discours pareil. Sayuri semblait stupéfaite. Elle remua sur son siège comme si celui-ci était inconfortable et ses joues prirent une légère teinte rosé. Elle parut tout à coup plus si sûre d’elle.
— Bien… et que comptez-vous faire après ? se reprit-elle. Vous avez des projets ?
Sur sa lancée, il n’eut même pas besoin de trop réfléchir pour répondre :
— Pas vraiment non. Vous savez, je vais là où le vent me mène.
Mettre un peu de vrai dans le faux. Jusque-là il s’en sortait bien et il s’en félicitait intérieurement. Mais s’était à lui de poser des questions maintenant s’il voulait progresser dans son enquête.
— Et vous, pourquoi est-ce que vous avez refusé une place à New York pour vous installer dans une plus petite ville ? Une occasion pareille ne se présente qu’une fois dans une vie.
— Je sais, répondit-elle froidement, mais si je suis restée c’est pour des raisons familiales.
— Pour votre sœur ? enchaîna Ryo l’air de rien.
Elle le contempla, le regard dur sans rien dire, droite dans son fauteuil. Ryo soutint son regard sans ciller. Puis tout à coup, ses traits se radoucirent et elle lâcha :
— Elle est tout ce qui me reste au monde, je ne pouvais pas l’abandonner ici, elle avait besoin de moi.
Ryo ne trouva rien à redire à ça. Il sentait qu’il ne devait pas poser plus de questions pour ne pas éveiller ses soupçons même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Rapidement, Sayuri reprit son air professionnel, bien qu’une lueur de tendresse subsistait encore dans son regard.
— Dîtes moi, reprit-elle, qui vous a conseillé de venir me voir ?
Impossible de s’en sortir avec une question pareille. Il n’allait pas pouvoir inventer un nom et une personne en croisant les doigts pour qu’il tombe juste. Il sentit une goutte de sueur perler sur sa tempe. Ça sentait très mauvais pour lui.
— Je… C’est…
Devant le regard insistant de Sayuri, il préféra choisir l’ignorance. En partie en tout cas.
— J’ai une fâcheuse tendance à oublier les noms, alors comme je ne travaille pas dans son service, je ne me souviens plus de son prénom. Comment s’appelle cette personne déjà…
Il fit semblant de réfléchir, une main sur son menton, le pied tapotant légèrement le sol. Il se força également à respirer normalement. Il ne manquerait plus qu’il tombe dans les pommes à cause d’un manque d’oxygène.
— C’est une rédactrice très douée, tâtonna-t-il, vous disiez qu’elle ferait facilement une brillante carrière.
Il déglutit discrètement en faisant face à la journaliste. Ça passe ou ça casse. Elle ne répondit pas tout de suite, mettant Ryo au supplice. Puis elle finit par lâcher :
— Kumi Iwasagi ?
— C’est ça, c’est elle ! s’exclama Ryo soulagé.
Elle hocha la tête sans dire un mot de plus. Devant son silence, il prit le relais :
— Alors vous vivez avec votre sœur maintenant ?
— Qu’est-ce que vous lui voulez à ma sœur ? répliqua-t-elle sèchement.
A partir de cet instant, Ryo comprit qu’il avait perdu. Il ne répondit pas tout de suite et se contenta de fixer le visage devenu glacial de Sayuri.
— Excusez-moi, je voulais juste savoir…
— Sortez de chez moi, le coupa Sayuri.
— Quoi ? Non, attendez, je peux tout vous expliquer…
— Vous n’êtes pas journaliste pas plus que Kumi Iwasagi n’existe. J’ai appelé mes anciens collègues tout à l’heure et j’ai bien fait : aucun Ryo Saeba ne travaille pour le Weekly News à Tokyo ! Alors sortez de chez moi !
Ryo la contempla, incrédule, cherchant ses mots. Voilà l’un des risques que comportait un plan monté à la hâte : de s’écrouler facilement à la moindre vague. Comme Sayuri ne voyait toujours par Ryo bouger d’un pouce, elle asséna :
— De toute façon, j’ai appelé la police tout à l’heure et ils sont déjà en route. Si j’étais vous je partirais le plus rapidement possible.