La moitié de City Hunter

Chapitre 3 : Une autre solution

4293 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/09/2022 08:52



*** 24 Juin 1983 - 09h55 ***


Après plus de deux heures d'entretien "au sommet" avec le Commissaire Sozen, le Préfet Nogami, le Sergent Shiki et le Ministre de la Justice au téléphone, l'Inspecteur Hideyuki Makimura sortit furieux de la camionnette en claquant violemment la porte. Il se dirigea d'un pas vif vers une ruelle adjacente dans laquelle il s'enfonça sans ralentir la cadence jusqu'à ce qu'il s'arrête devant Saeko qui l'attendait là avec une connaissance commune.

- "Alors ?" Demanda sa coéquipière d'une voix tendue.

- "Alors ? Bah, c'est la merde." Répliqua Hideyuki en s'adossant à côté de Ryo Saeba contre le mur de la ruelle.

- "A ce point ?"


Hideyuki hocha la tête et tendit la main vers Ryo qui y glissa sa cigarette fumante entre les doigts nerveux du policier :

- "Oh oui. Les trois hommes de Shiki qui manquent ont été retrouvés ... Enfin, retrouvés, ce n'est pas vraiment le bon terme."


L'inspecteur tira fortement sur la cigarette, inspira la fumée en fermant les yeux et soupira de soulagement en la propulsant vers le ciel.

- "Ils sont morts ?" Chuchota Saeko, la gorge nouée.

- "Non ..." Répondit Hideyuki en secouant négativement la tête. "Mais ils ont été pris en otage avec le reste des civils."

- "Oh merde !" Laissa échapper Saeko dans un souffle en s'appuyant lourdement contre le mur, à côté d'Hideyuki.


Elle tendit alors la main vers son coéquipier et il y déposa la cigarette presque terminée. Ce n'était pas dans ses habitudes. Mais là, elle en avait bien besoin.


Hideyuki poursuivit :

- "Donc, on a peut-être libéré quatre enfants et sept femmes mais maintenant on a une dizaine d’hommes et trois flics à récupérer. J'ai l'impression qu'on ne s’en sortira jamais. En plus, ils veulent à tout prix le nom du responsable du merdier de ce matin."

- "Qui ça, "ils" ?" Demanda Ryo en se rallumant une cigarette.


Hideyuki sourit tristement :

- "Tous, ils veulent tous LE responsable. Pour ce cinglé de "Grand Pacificateur"-de-mes-deux à l'intérieur et pour cet idiot de Commissaire Sozen : c'est moi. Pour le Ministre : c'est le sergent Shiki mais Nogami ne comprend pas pourquoi Shiki aurait mis en danger ses hommes. Et moi, je pense que c'est Sozen ... Et toi, Ryo ? Tu en penses quoi ?"

- "Je pense que ton intuition est bonne." Répondit simplement l'homme dans l'ombre. 

- "Comment ça ?" Demanda Hideyuki.


Ryo se redressa et regarda Saeko qui hocha la tête : 

- "Votre commissaire Sozen a discuté avec un homme armé. J'ai pensé à un sniper de sécurité. Un truc que tu aurais mis en place au cas où ..."


Hideyuki secoua la tête.

- "Non, non, je n'ai pas demandé ça. Je savais que tu étais là pour ce genre de cas."

- "Comment pouvais-tu savoir que j'étais là ?"

- "T'es toujours là." Répliqua simplement Hideyuki, comme s'il s'agissait là d'une parfaite évidence, puis il retira ses lunettes et entrepris de les nettoyer nerveusement : "Donc Sozen aurait sciemment tout fait capoter. Pourquoi ?"

- "Tu penses qu'il serait de mèche avec ce "Syndicat de l'Ombre" ?" Demanda Ryo.

- "Non." Répondit très sérieusement Saeko après avoir réfléchi quelques secondes. "Senzo est con mais pas à ce point. Je pense qu'il veut juste briller aux yeux de son beau-père de Ministre et faire croire au monde entier qu'il a des couilles."


Hideyuki ne put se retenir de sourire doucement en regardant Saeko puis il hocha la tête et s'adressa à Ryo :

- "Oui. Pour lui, on ne négocie pas avec les terroristes, on ne discute pas, on ne se fatigue pas à réfléchir, on n'essaie pas de les comprendre, même pour anticiper leurs actes. On fonce dans le tas et on nettoie."


Ryo sourit :

- "Ça peut être efficace comme méthode parfois ..."

- "Pas quand il y a en jeu plus d'une vingtaine de vies de civils qui n'ont rien demandé à personne." Répliqua sèchement Hideyuki tout en essuyant toujours ses lunettes. "Les familles d'une guichetière de banque ou d'un conseiller financier n'ont pas à pleurer parce qu'un gros con à l'esprit étriqué a décidé qu'il était trop bien pour négocier avec des illuminés du bulbe."


Les trois compagnons restèrent silencieux, regardant Hideyuki polir ses verres jusqu'à ce que Ryo demande :

- "Alors ? C'est quoi la solution ?"

- "Le type à l'intérieur ne libérera le reste des otages qu'à une seule condition."

- "Laquelle ?" Demanda Saeko d'une voix tendue.


Hideyuki la regarda dans les yeux en rechaussant ses lunettes parfaitement lustrées :

- "Comme il me considère comme responsable, c’est moi qu’il veut. Il exige que je vienne. Seul. Sans arme."

- "C'est du suicide." Répliqua-t-elle immédiatement.

- "J'y vais à ta place." Ajouta alors Ryo.


Hideyuki se tourna vers lui, lui vola la cigarette que Ryo tenait entre ses doigts et répondit simplement :

- "Non." 


Ryo observa sa main vide, surpris, dévisagea Makimura avant de reprendre :  

- "Pourquoi ? J'enfile ton imper, je mets tes lunettes sur le nez, et, de loin, personne n'y verra que du feu."


Hideyuki secoua calmement la tête :

- "C'est à moi que ce cinglé parle depuis le début, il me veut moi, et on n'a pas le temps de faire un topo complet sur ce type et s'il réalise que tu n'es pas moi, il tuera certainement tout le monde ... Et ça ..." Les mots de Hideyuki moururent dans sa gorge et son visage se ferma soudain alors que ses yeux se perdaient dans le vide.


Saeko secoua la tête :

- "Non, non, non ... Makimura ... Ce type va te descendre dès que tu auras franchi la porte principale."

- "Je peux toujours dire que je n'entrerai que quand les otages seront tous dehors."

- "La blague !" S'exclama Saeko en allant faire les cents pas vers le fond de la ruelle pour faire volte-face et revenir droit sur Hideyuki. "Et admettons qu’il soit d’accord l’autre taré, il se passera quoi, à ton avis ?"

- "Il a encore besoin d'une monnaie d'échange pour s'en tirer lui et ses hommes."

- "Et tu comptes sur cet imbécile Sozen pour te sortir de ce traquenard, c’est ça ?" S'écria Saeko.  "Tu oublies qu'il sera du genre à ordonner l'assaut et toi, tu te retrouveras entre deux feux, seul et sans arme ! Donc, c'est bien ce que je dis, c'est du suicide !"


Hideyuki la regarda tranquillement à travers ses lunettes et murmura :

- "Y'a pas d'autre solution."

- "Il y a toujours une autre solution !" S'écria de plus belle la policière. "Il suffit juste de prendre le temps de se creuser un peu la cervelle, c'est tout !"


Elle ponctua sa dernière réplique en cognant le front de Hideyuki d'une pichenette. Il la regarda, sourit devant la sincérité de sa colère, lança sa clope au loin et lui murmura :

- "Nogami, ça fait des heures que je me la creuse, ma cervelle et y'a pas d'autre solution."


Ryo s'avança et répéta :

- "J'y vais."


Hideyuki soupira, secouant à nouveau la tête :

- "Je t'ai déjà expliqué ..."


Ryo l'interrompit :

- "Tu me files un uniforme de flic et tu dis que je suis celui à qui tu as ordonné d'appuyer sur la détente. Comme ça, ton gars aura les deux responsables sous la main. Et je te parie tout ce que tu veux qu'il sera trop aveuglé par sa colère pour se rendre compte que tu le baratines." Et il ajouta avec un sourire en coin, les yeux pétillants d'excitation : "Comme ça, tu entres comme prévu dans la Banque. Sans arme. Mais pas totalement seul."


Un silence lui répondit et Ryo regarda les deux policiers tour à tour :

- "Quoi ? Il est pas bien ce plan ?"


Saeko croisa les bras et lui lança , ironique :

- "Super génial ! Se suicider à deux, c'est vrai que c'est vachement mieux !"

- "Meuhhh nan ! C'est pas six ou sept types armés jusqu'aux dents qui vont nous avoir !"

- "Mouais ... Et une fois à l'intérieur, vous ferez quoi, hein ?"


Ryo haussa les épaules et répondit joyeusement :

- "On improvise ! Ce ne serait pas la première fois qu'on le fait ! On s'en est toujours bien sortis, pas vrai Maki ?"


Il se pencha légèrement vers Hideyuki, guettant une réaction qui ne venait pas :

- "Et bah ! Cache ta joie, Makimura !" Il lui tapa dans le dos en éclatant de rire et en bombant le torse : "Je t'assure que ça vaudra le détour : je suis encore plus hyper méga sexy en uniforme ! Si, si, si ... vous verrez !"


Sans prêter la moindre attention à Ryo, Hideyuki se tourna vers sa coéquipière :  

-"C'est pas si con, comme idée, tu sais."


*** 31 Mai 1995 - 02h07 ***


- "Vous savez quoi ? Il veut un Makimura ? Et bah, il va l'avoir !"


Ryo s'était brusquement tourné pour dévisager sa partenaire, sidéré. Constatant que cette dernière était parfaitement déterminée, il s'exclama en la fusillant du regard :

- "Non mais ça va pas la tête, Kaori !"

- "C'est ce qu'il y a de mieux à faire, Ryo !"

- "Ah, non certainement pas !"

- "Mais si !"

- "Mais non !"

- "Mais si !"

- "Hors de question !"

- "Ryo, arrête de me surprotéger !"


Le Nettoyeur Numéro Un du Japon manqua de s'étrangler : 

- "Te surprotéger ? Te surprotéger ? Tu te fous de moi, là ?"

- "Non." Répondit fermement Kaori. "Je n'ai plus seize ans et on est partenaires depuis un moment maintenant, on s'en est toujours sortis ensemble, j'ai fait mes preuves en tant que City Hunter et je ne suis plus une jeune fille innocente ..."

- "Ah, ça !!! Je confirme !" La coupa Ryo, les yeux brillants et le sourire rêveur avant d'écarquiller les yeux, surpris d'avoir dévoilé une telle information ; Kaori rougit violemment et Saeko ne parvint pas à réprimer son sourire.


La policière ouvrit même la bouche pour poser la question qu'elle posait régulièrement et qui demeurait sans réponse depuis quelques semaines mais le regard noir de Ryo la figea net et il reprit d'un ton sec :

- "Saeko, pas maintenant, s'il-te-plait." Il se tourna vers sa partenaire : "Quant à toi, jeune fille, ce n'est pas une question de surprotection ou de confiance ou de répartition des tâches ou de je-ne-sais-pas-encore-ce-que-tu-vas-m'inventer ..."


Kaori se fâcha elle aussi et se redressa pour élever encore la voix :

- "Non, mais tu t'entends, Ryo ? "Jeune fille" ? "Jeune fille" ? T'es pas mon père, ni mon frère !"

- "Ah non ! Et heureusement, je dois dire !"

- "Quoi ?!?! Comment oses-tu ?" Gronda-t-elle.

- "Bah ... ça me paraît évident, non ?"

- "Alors tu aurais honte d'être de ma famille ?"


Ryo leva les yeux au ciel et grommela :

- "Tu nous enfonces là ..."

- "Hein ?"

- "Oui ... tu ne comprends donc pas que ça n'a rien à voir ?"

- "Mais ..."


Saeko tenta de prendre la parole mais Ryo la coupa d'un ton sec :

- "Saeko, pas maintenant, s'il-te-plait ! 


Il se tourna ensuite vers Kaori et ajouta d'un air entendu, empruntant un ton didactique, articulant chaque syllabe :

- "En famille ... Il y a certaines choses ... tu vois, quoi ..." 


Kaori fronça les sourcils, ne comprenant toujours pas, au grand désespoir de Ryo qui leva à nouveau les yeux au ciel avant de poursuivre son explication sous le regard médusé, scrutateur et écarquillé de Saeko : 

- "... entre les membres d'une même famille ... certaines choses qui ne se font pas ?"


Kaori se raidit brusquement et son visage prit une teinte rouge vif, avec quelques nuances violettes :

- "Oh ... Je ... hum hum hum ..." Bredouilla-t-elle, tentant de chasser un gros chat qui venait apparemment d'élire domicile dans sa gorge et qui l'empêchait de respirer.


Saeko voulut à nouveau poser sa question mais Ryo leva un index autoritaire devant le visage de la policière et sans lâcher Kaori des yeux il répéta à l'intention de son amie :

- "Oui, Saeko, c'est bon ... Oui. Oui, ça fait un moment et non, ça ne te regarde pas ... Enfin pour l'instant, tu es la seule à savoir, alors, pas un mot à quiconque. Quant à toi, jeune fille ..." Dit-il en insistant sur les deux derniers mots : "... comme tu le dis si bien, nous sommes une équipe. Deux moitiés d'un tout. Et quand je dis que je m'oppose à un truc, j'ai le droit de m'y opposer, point. Ma voix compte autant que la tienne."

- "Pffff, c'est facile ça !" Répliqua Kaori en croisant les bras. "A chaque fois qu'il faut prendre des petits risques, là, tu me fais les gros yeux et tu me dis : non, c'est trop dangereux, t'imagines si, t’imagines ça ou gna gna gna ... Faut arrêter ! Ça devient vraiment de la surprotection !"

- "Ah parce que t'empêcher d'aller taper la causette à un psychopathe qui veut faire péter la ville en échange de ton frère décédé, dire non quand tu t’apprêtes à traverser un champ de mines pour le rejoindre, t'appelles ça de la surprotection ???" Il se tourna vers Saeko, cherchant un soutien : "Nan mais j'hallucine ou bien ?"

- "Je t'avais bien dit de ne pas rester ici. J'ai insisté pour que vous rentriez chez vous. Vous ne m'avez pas écoutée et voilà ... Je savais que la tête brûlée là-derrière ne ..."

- "Oh, ça va !!!" S'exclamèrent Kaori et Ryo en même temps. 


Saeko, vexée, souffla sur sa mèche avant de répondre :

- "Ohhhh !!! Mais c'est pas bientôt fini, les têtes de mules !!! Vous laverez votre linge sale plus tard, OK ?"

- "Non mais …Saeko ? Tu l'as entendu, l'autre mâle dominant du siècle dernier : "Jeune fille", "Jeune fille" ..." Singea Kaori encore verte de rage.

- "Quoi !!! Mais dis-lui, Saeko ! Dis-lui qu'elle est complètement à côté de ses pompes avec ses : "j'y vais toute seule", "suis assez grande" !" Répliqua Ryo d'une voix suraiguë, sensée imiter celle de sa partenaire. "Mais c'est pas la question ! Elle, elle fonce, elle rentre dans le lard et seulement ensuite, elle pense à réflé..."

- "Sileeeeeence !!!"

- "Et Saeko, tu ne peux pas laisser ce gros macho dire des choses pareilles ..."

- "C'est toi qui dis n'importe quoi !" Répliqua Ryo.

- "Ohhh !!!!" Excédée, Saeko frappa de la main sur le haut du volant  et tonna d'un ton sec, pointant un index sévère sur les deux acolytes : "Fermez-là ! J'ai déjà assez d'emmerdes comme ça ! Je vous rappelle que vous êtes dans Ma voiture ! Donc, je résume : Ma voiture, Mon affaire, Mes règles ! OK ? Tsss, tsss, tsss, Ryo, tais-toi. Elle a raison : tes propos font un peu vieux-con-sur-le-retour, si tu veux mon avis ! Et non, tu n'as pas voix au chapitre." Gronda-t-elle à l'intention du nettoyeur avant de se retourner vers Kaori : "C'est valable pour toi aussi, la tête brûlée ! Parce qu'il n'a pas tort non plus : ce n'est pas à toi de te mettre inconsidérément en danger ! Résoudre une affaire, ce n'est pas foncer dans le tas mais mesurer les risques. Alors, on va prendre le temps de Ré-Flé-Chir, OK ?"


Les deux fortes-têtes croisèrent les bras, montrant ainsi leur refus de répondre. Au moins, ils restaient silencieux, c'était déjà ça. Saeko se rassit alors confortablement avant de poursuivre plus calmement :

- "Je vous signale que vous êtes venus ici de votre plein gré, que je vous ai recommandé plusieurs fois de faire demi-tour, que vous avez insisté pour que nous ayons cette conversation et que maintenant, vous êtes en possession d'informations hautement confidentielles. Je considère donc que vous êtes sous Ma responsabilité, ce qui implique que vous êtes sous Mes ordres."


Elle se tourna vers eux, les sondant tour à tour :

- "Est-ce que j'ai été claire, Madame et Monsieur City Hunter ?"


Les deux hochèrent la tête simultanément en guise de réponse et Saeko reprit :

- "Kaori ... explique-nous calmement ton plan. Et toi Ryo, ne l'interromps pas. Pars du principe que c'est ta partenaire qui s'exprime et pas ta femme."

- "Hein ! Non mais ça va pas la tête ! Elle ? Ma ... femme ..." S'offusqua exagérément le nettoyeur. 


Saeko éclata de rire en voyant Kaori devenir rouge comme une pivoine, manifestement gênée :

- "Mouais ... Pas le moment d'en parler, c'est ça ? Comme d’hab en fait …"


Quelques instants plus tard, ils terminaient la mise au point de leur stratégie, partageant le thermos de café de Saeko.

- "Bien, alors on est d'accord ... Le but est uniquement de récupérer les coordonnées et le code de désamorçage de la bombe, rien de plus. Pas de tentative pour le neutraliser ou quoique ce soit d'autre." Finissait de résumer Ryo en regardant son gobelet à moitié vide.

- "Oui, bien sûr." Confirma Kaori. "Il y a trop de vies en jeu ... Quelles sont les conditions exactes de l'échange ?"

- "Que City Hunter vienne seul et sans arme."

- "Evidemment."

- "Evidemment."

- "J'aimerai quand même qu'on pense à une autre option ..." suggéra pour la troisième fois Ryo.

- "Y'a pas d'autre option." Répliqua Kaori, très sûre d'elle en tendant sa tasse en plastique rose.


Ryo se tourna vers sa partenaire et lui resservit du café en répondant sur le ton de la conversation :

- "Il y a toujours une autre solution. Il suffit juste de prendre le temps de se creuser un peu la cervelle, c'est tout !"


Saeko sursauta, reconnaissant ses propres mots, prononcés des années plus tôt. Elle resta cependant silencieuse, évitant de laisser transparaître son amertume et ses regrets. Comme Hideyuki lui manquait ! Elle aurait tellement aimé qu'il soit là, croiser son regard, sentir sa main sur son épaule, son souffle sur ses cheveux ...


Kaori prit une grande gorgée de café chaud avant de répondre : 

- "Ryo, ça fait vingt minutes qu'on se la creuse, la cervelle et y'a pas d'autre solution."

- "Et comment tu feras une fois à l'intérieur ?"


Elle haussa les épaules et répondit en souriant :

- "J'improvise ! Ce ne sera pas la première fois que je le ferais ! On s'en est toujours bien sortis, pas vrai Ryo ?"

- "Mouais ..."

- "C'est bizarre ..." 

- "Quoi donc ? Qu'est-ce qu'il y a Kaori ?" Demanda Saeko en jetant un oeil à la jeune femme sur la banquette arrière. "Tu es toute pâle ..."

- "Je ne sais pas. Je ne me sens pas très bien ..."

- "Nerveuse ?" Demanda Ryo.

- "Non ... Nauséeuse ... et très fatiguée ..."

- "Ah ..."

- "Ça tangue."

-"Tu devrais reprendre du café ça te fera du bien ..." Répondit Ryo en lui remplissant à nouveau sa tasse jusqu'à ras-bord. "Tiens, je t'ajoute encore un peu de sucre, il m'en reste ..."


Saeko le lorgna intriguée par cette soudaine sollicitude mais ne dit rien, observant Kaori qui devenait étrangement pâle, apathique et nonchalante alors qu'elle buvait consciencieusement son café.

- "Tu devrais peut-être t'allonger ..." Suggèra Ryo.


Pour toute réponse, Kaori posa sa tasse vide sur le sol de la voiture, bailla à s'en décrocher la mâchoire et s'installa comme elle put sur la petite banquette arrière, ramenant les genoux jusque sous son menton. Elle plia lentement son bras en guise d'oreiller et s'endormit sans plus de cérémonie. Saeko l'observa, incrédule, pendant quelques secondes puis se tourna vers Ryo et demanda d'une petite voix tendue :

- "Elle est ... elle est enceinte ?"


Ryo sursauta :

- "Non mais ça va pas ! Quelle idée !"

- "Bah, je sais pas ... Fatiguée au point de s'endormir comme ça ..."


Devant les yeux ébaillis de Saeko, Ryo ouvrit la portière en lançant :

- "Très bonne idée, ton café, Commissaire de Mon Coeur ... Viens, allons parler dehors. Le sédatif est plutôt léger et elle n'en a pas avalé beaucoup. Nous n'avons qu'une demi-heure, tout au plus."

- "Quoi ?"


Arrivés à l'extérieur, Saeko l'invectiva :

- "Tu l'as droguée ?!"

- "Endormie, serait plus juste."


Elle se frappa le front du plat de la main : 

- "Mais ... Mais ... Mais tu es complètement taré, ma parole !"

- "Crie pas comme ça ! Tu veux que les militaires me trouent la peau ou quoi ?" Il se pencha vers elle, souriant, espiègle : "Et n'oublie pas ... S'énerver, ça vieillit prématurément." 


Saeko croisa les bras sur sa poitrine, fusillant Ryo du regard :

- "Pourquoi ? Son plan était bon, non ?"

- "Il est même très bon. Mais, elle n'acceptera jamais de ne pas en faire partie et de rester en arrière. Je commence à connaître mon Dragon ..."

- "Comment ça ? De ne pas en faire partie ?"

- "Parce que j'y vais à sa place." Répondit alors Ryo.

- "Quoi ?"

- "Oui. Ce type s'attend à voir deux hommes, pas un petit bout de femme gentil comme tout pendant que je me charge de la bombe. Elle est courageuse et efficace mais si ce type est le même fou furieux que son paternel, il va essayer de la jouer à l'envers, j'en suis persuadé."

- "Elle est capable de négocier, j'en suis convaincue !"


Ryo s'appuya sur le capot de la Porsche rouge et s'alluma lentement une cigarette :

- "Peut-être ... Mais je prendrais ce risque avec un type moins dangereux et une affaire moins délicate, si tu le permets. Des millions de vies sont en jeu. En plus, j'ai déjà perdu des partenaires, je ne tiens pas à revivre l'expérience, surtout pas avec elle."

- "Mais ..."

- "Ne viens pas me faire la leçon. Toi non plus tu n'as travaillé avec personne depuis la mort de Hideyuki. Tu sais mieux que quiconque ce que ça fait de perdre son autre moitié."


Saeko resta silencieuse pendant que Ryo envoyait sa fumée de cigarette vers les étoiles nocturnes :

- "Et il n'y a aucune raison à ce que la petite sœur d'un flic courageux paie pour les risques que nous avons pris ce jour-là. C'est notre passé, notre affaire, notre responsabilité ... J'assume mes actes et ceux de Hideyuki, car c'était ce qu'il y avait de mieux à faire."

- "Oui mais ..."


Ryo leva la main pour l'interrompre et poursuivit calmement, en se penchant un peu pour la regarder dans les yeux :

- "Et, à mon avis, si je laisse Kaori prendre de tels risques à sa place, Makimura va revenir des Enfers et m'y entraîner avec lui pour me faire payer ce manquement à ma parole ..."


Saeko finit par sourire et concéda avant de désigner l'intérieur de sa voiture :

- "Oui, il y a des chances ... Mais quand elle, elle va se réveiller, c'est elle qui t'y enverra, en Enfer !"


Ryo lui rendit son sourire :

- "Rien ne me ferait plus plaisir ... Elle pourra bien m'envoyer où ça lui chante, ça voudra dire qu'elle est encore en vie."


Saeko se retourna et se dirigea vers un des camions techniques qui se trouvaient garé derrière eux :

- "Bien, j'appelle mon père. Mais, en attendant, ne bouge pas."

- "D'accord."


Elle revint sur ses pas et menaça Ryo :

- "Pas d'entourloupe, Saeba ! Si tu te barres avant que je ne revienne ..."


Ryo mit les mains en l'air en riant : 

- "Promis, Commissaire de Mon Coeur, je ne bouge pas d'un poil."


Saeko acquiesça, mais, pas dupe pour autant, elle s'adressa aux militaires alentours : 

- "Et vous, là-bas !" Les cinq hommes se tournèrent vers elle. "S'il essaie de se carapater, vous me le descendez sur le champ, compris."

- "A vos ordres !" Répliquèrent en cœur les hommes en braquant leurs armes sur Ryo.


Quelques instants plus tard, Saeko revint. Ryo était toujours au même endroit et fumait tranquillement une cigarette sous les canons des militaires :

- "Tu vois ? Sage comme une image, je suis !"


Saeko ignora la remarque et signifia d'un geste à ses hommes de baisser leurs armes, ce qu'ils firent d'un mouvement parfaitement synchronisé. Quand la policière fut à la hauteur de Ryo, elle lui murmura, tout en tournant le dos aux hommes alentours :

- "Papa a fini par accepter que tu partes négocier. J'ai dû lui avouer au passage que tu accompagnais Hideyuki dans la Banque il y a douze ans. C'est ce qui a fait pencher la balance."

- "Parfait." Répondit Ryo en tournant le dos à Saeko, pour regarder le bâtiment en contrebas tout en terminant sa cigarette. 


La voix de la policière claqua derrière lui :

- "C'est du suicide."


Ryo sourit dans la pénombre et murmura :

- "Mais non. N'importe quoi."

- "Non, c'est pas n'importe quoi. C'est du suicide, je viens de m'en rendre compte. Il va te descendre dès que tu seras à sa portée."

- "Mais non."

- "Si."

- "Je n'ai aucune raison de vouloir mourir. Ne t'inquiète pas, j'ai pour habitude de survivre par tous les moyens."

- "Mouais ..."

- "Si tu penses que Kaori sait négocier, sache que je ne suis pas une bille non plus ... Je peux le faire sans elle, tu sais."

- "Peut-être ..."

- "Fais-moi confiance."



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