C.H.C.H. ou Courtes Histoires de City Hunter
Chapitre 4 : Princesse un jour, princesse toujours
2602 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 01/07/2022 09:51
Ce chapitre participe en deuxième chance au défi d’écriture de mai-juin 2022 : retour en enfance.
A ma princesse coquette et à son grand frère,
ce valeureux chevalier qui "scrabouille" les mouches qui la terrorisent tant.
Princesse un jour, princesse toujours
- "Kaori ! Viens ici !"
- "Non, j'veux pas !"
- "Kaori ! C'est le seul moyen !"
- "Non, j'veux pas !"
- "Ecoute, sois raisonnable ..."
- "Non, j'veux paaas être raizzonnableueueue !"
- "Kaori, tu peux pas garder ce truc, c'est sale !"
- "Si, j'peux."
- "Non."
- "Et pourquoi j'peux pas ?"
- "Parce que c'est dégueu ! Toutes les mouches vont se poser dessus et rester collées."
Horrifiée à l'idée d'avoir des insectes accrochés dans les cheveux, la petite fille avait blêmi avant d'agiter nerveusement ses doigts au-dessus de sa tête, pour éventuellement faire fuir les indésirables ... Juste histoire d'être sûre ... puis elle avait clamé haut et fort :
- "C'est pas vrai !"
Son grand frère, ironique, l'avait encore un peu plus taquinée en affirmant :
- "Siii ! Les mouches adorent le chewing-gum à la fraise."
La petite fille s'était réfugiée derrière le canapé en piaillant :
- "J'aurais pas ces sales tessbiôles sur la tête !"
- "Si. Ça va arriver."
- "Non !"
- "Si !"
Kaori avait surgi de sa cachette puis avait serré les poings, hurlant, rouge de colère, de révolte et d'angoisse :
- "Naaaaaaaaaan !!!"
- "Je ne peux pas faire autrement, je t'assure !" Avait répliqué son frère, tenant devant lui sa paire de ciseaux bleue. "Il faut couper. On n'arrivera jamais à décoller ce truc."
- "T'es un menteur !"
- "Non, je mens pas. Quand c'est tellement collé, on peut pas faire autrement."
Kaori avait crié tout en croisant les bras, déterminée :
- "Moi, j'veux papa ! Papa, il arrivera, j'suis sûre ! Papa, il est plus fort que toi !"
- "Peut-être ... Oui. Papa est certainement plus fort que moi. Mais papa est pas là. Il est au travail et il est policier, j'te rappelle ! Il arrête des voleurs et des méchants et ... et quand il rentre, il a autre chose à faire que d'enlever le chewing-gum collé dans tes cheveux !"
- "C'est pas vrai ! Papa, il aime être avec moi !"
- "C'est pas ce que j'ai dit ..."
- "T'es nuuul !"
Hideyuki avait sursauté :
- "Quoi ?"
- "Oui, t'es nul ! "
L'adolescent avait respiré un grand coup, pour maîtriser sa colère et très certainement sa peine :
- "Non, je suis pas nul !"
- "Si, c'est nul parce que c'est toujours toi qui me gardes !"
Hideyuki était devenu pâle et avait tapé violemment du pied en hurlant :
- "Stooop ! Ça suffiiit ! On n'a pas le choix, figure-toi ! On est que toi et moi quand papa est au travail ! C'est moi qui dois m'occuper de toi parce que ..."
Devant l’expression interloquée de sa soeur, il s'était figé, suspendant ses mots avant de soupirer profondément pour murmurer, les yeux tournés vers le sol :
- "Je voudrais tellement que maman soit encore là."
La petite fille s'était calmée définitivement, inquiète de ne plus croiser le regard de son frère. Ces derniers temps, ils avaient peu vu leur père. Il rentrait de plus en plus tard, était de plus en plus soucieux, fermé et triste. Sa femme lui manquait terriblement et si Hideyuki, partageait le chagrin et le deuil de son père depuis plus de cinq ans, Kaori, elle, n'avait jamais connu leur mère, elle était trop petite quand cette dernière était morte brutalement. Comme souvent, quand il était question de ce fantôme, elle se sentait exclue, n'ayant aucun souvenir d'elle, ni de sa voix, ni de son sourire. Elle ne connaissait son visage que par les sept clichés collés dans l'album de famille.
Elle avait tourné le dos et croisé fermement les bras sur sa poitrine avant d'ajouter sans crier cette fois :
- "Quand même. Je veux pas que tu coupes mes cheveux."
- "Kaori ... Je ..."
Soudain, elle n'avait pu retenir ses larmes :
- "Tu l'as déjà fait et c'est moche comme tu fais ! Je veux plus être moche !"
En effet, quelques mois auparavant, il avait complètement raté la coupe de la pauvre petite. Sa frange était devenue tellement courte que Kaori en avait pleuré et avait dessiné des cheveux au feutre sur son front "tout vide", comme elle disait. Hideyuki avait donc été forcé de reconnaître :
- "Oui, c'est vrai. Ta frange était bien trop petite et bien trop droite. Mais je regarde de temps en temps comment Madame Tanaka fait en passant devant son salon ... je suis sûr de pouvoir faire mieux aujourd'hui."
Kaori s'était alors retournée vers son frère, en souriant, pleine d'espoir mais les joues encore humides de larmes :
- "Je sais ! Et si on d'mandait à M'dame Tanaka ? Elle pourra p't'être décoller ça ?"
- "C'est fermé aujourd'hui. On n'a pas d'autre choix, Kaori, il faut couper."
La petite s'était rembrunie immédiatement tout en essuyant ses yeux d'un geste rageur. Elle lui avait répondu d'un ton déterminé :
- "C'est nul d'avoir les cheveux courts. C'est les garçons qu'ont les cheveux courts. Je veux pas être un garçon. J'suis une fille."
- "C'est certainement pas la longueur des cheveux qui change ça." Avait négocié Hideyuki. "P'is, tu sais, dans mon collège, il y a des filles qui ont les cheveux courts et des garçons qui ont les cheveux longs. Même avec les cheveux coupés, tu resteras toujours une fille."
- "Pas si j'ai les ch'veux tout p'tits. Les princesses, elles ont des cheveux yusque là." Avait soutenu Kaori en mettant ses mains en dessous de son ventre.
Hideyuki s'était approché puis agenouillé devant la petite fille. Il avait beau être de presque huit ans son aîné, parfois, il était totalement démuni devant cette petite sœur au caractère si explosif. Jamais il n’aurait imaginé qu’un chewing-gum à la fraise lui aurait donné autant de fil à retordre. Malheureusement, il ne voyait pas d'autre solution que de couper sa tignasse rousse.
Il avait regardé Kaori un petit moment avant de l'interroger :
- "Alors si je comprends bien, c’est important pour toi d’être une princesse ?"
La petite avait vigoureusement hoché la tête.
- "Bah tu sais quoi, Kaori ?"
- "Nooon." Avait répondu la fillette, les yeux et la bouche ronde, les bras fermement croisés, déterminée à ne rien lâcher.
- "Pour moi, tu seras toujours une princesse."
Elle avait regardé son frère en coin. Réalisant qu'il avait été tout à fait honnête puisqu'il lui souriait doucement, elle avait quand même demandé :
- "C'est vrai ?"
- "Bien sûr que c'est vrai !"
- "Pfff, ça compte pas, t'es yuste mon frère." Avait-elle conclu en faisant la moue mais décroisant néanmoins les bras.
- "Juste. On dit Juste." Corrigea l'adolescent en accentuant le J, avant de murmurer : "C'est pas très gentil de dire ça ..."
Ils s'étaient regardés en silence pendant quelques secondes puis Hideyuki avait tapoté le haut de la tête de sa soeur avant de se redresser :
- "Bouge pas, j'ai une idée."
Quelques instants plus tard, il était revenu avec une de ses cravates d'écolier et un chemisier rose, dont le tissu satiné était entrelacé de fils argentés.
- "C'est quoi, ça ?" Demanda la petite fille.
- "Un chemisier de maman. Un de ses préférés. Ça fait trop longtemps qu'il reste dans l'armoire comme une relique."
- "Une quoi ?"
Hideyuki avait ignoré la question :
- "J'expliquerai tout à papa. T'inquiète pas ... Là ... Regarde ça : avec ses manches bouffantes et ce beau tissu, ça sera nickel. Et en utilisant ma cravate comme ceinture, on va te faire une super robe de princesse. On pourra même bricoler une couronne en papier alu, parce qu'une princesse sans couronne, c'est pas une vraie princesse. En fait, ce que tu sais pas, c'est qu'on s'en fout de la taille des cheveux, ce qui compte, c'est la couronne !"
Et en moins de temps qu'il en avait fallu pour le dire, Kaori avait revêtu la plus belles des robes de bal et une couronne étincelante comme les étoiles. Soudain rayonnante de joie, elle avait finalement accepté que son frère passe les ciseaux dans ses cheveux. Ce qu'il avait fait avec beaucoup de délicatesse, prenant garde à ne pas couper aussi court que la dernière fois.
A genoux sur le balcon de l'appartement, Kaori avait récupéré entre ses mains ouvertes les mèches rousses éparses avant qu'elles ne s'éparpillent dans la brise printanière. Elle était encore triste et en colère mais elle l'était moins en regardant sa jolie robe brillante et sa couronne, posée au sol devant elle. Le bruit des ciseaux était même devenu plus supportable, presque mélodieux.
- "Tu penses vraiment que je s'rai toujours une princesse ?"
- "Bien sûr !"
- "Pas seulement parce que t'es mon frère ?"
- "Surtout parce que je suis ton frère."
Plus de vingt ans plus tard, le même bruit des ciseaux lui rappelait toujours ce moment. Debout devant son miroir, Kaori regardait son reflet pendant qu'elle coupait ses cheveux. Depuis des années, elle faisait ça elle-même et elle s'en sortait plutôt bien maintenant. Elle appréciait même particulièrement cet instant où, accompagnée par la musique des ciseaux, elle redevenait peu à peu elle-même : une princesse aux cheveux courts.
Elle se pencha vers les mèches rousses qui étaient tombées sur la céramique blanche et sourit en repensant aux cheveux qui s'étaient envolés ce jour-là, par-dessus la rambarde du balcon de leur modeste appartement. Kaori se rappelait bien comment Hideyuki n'avait pas manqué de lui faire la leçon pendant qu'il lui coupait les cheveux :
- "Et encore un truc, Kaori. La prochaine fois que ce garçon t'embête, tu te défends, OK ? Plus question de te laisser faire par ce petit con. Heuuu ... par cet imbécile vilain."
- "Pfff et je fais comment ? Je suis plus petite que lui. J'suis pas forte comme toi, moi."
- "Ce n'est pas parce que tu es plus petite que lui que tu es faible. Tu cries, tu tapes, tu le pousses ... N'importe quoi mais tu fais quelque chose. Y'a eu l'anorak déchiré le mois dernier, le pull barbouillé au feutre, tes crayons cassés ... Là, c'était juste un chewing-gum mais ça sera quoi la prochaine fois ? Faut que ça s'arrête. T'es pas son bouc émissaire."
- "Son bouquin quoi ?"
- "Laisse tomber. Pas important. Par contre, tu ne dois plus jamais te laisser faire, ok ?"
- "Ouiii ..." Avait-elle soupiré.
- "Surtout que, quand tu seras grande, je s'rai pas toujours là pour veiller sur toi."
- "Oui, mais c'est dans longtemps, ça."
- "Pas vraiment. Tu vas déjà à l'école et tu sais presque lire."
- "J'aurai quel âge quand je s'rai grande ?"
- "Je sais pas exactement."
- "Quand je s'rai aussi grande que toi ?"
- "Ouais, p't-être. Mais quand tu seras grande comme moi, moi je serai encore plus grand. Tu seras toujours petite, frangine."
- "Bah … J's'rai grande ou p'tite alors ?"
Hideyuki avait ri :
- "Grande ou petite, il faut quand même te défendre toute seule. Tu te laisses plus faire, promis ?"
- "Hummm ..." Avait concédé la petite fille, somme toute, pas très sûre d'elle.
Puis, sa nouvelle coupe terminée, Kaori avait aperçu, en se relevant, un jouet qui traînait là sur le balcon, depuis des lustres. Ses couleurs étaient délavées par la pluie et le soleil mais elle le connaissait bien. Il avait été son jouet préféré pendant des mois. Une petite voix lui avait chuchoté qu'il allait à nouveau être son jouet préféré ... et pour un moment.
- "Tu crois que, ça, ça peut servir ?" Avait-t-elle demandé à Hideyuki. "T’sais … Pour le p'tit con." Devant le froncement de sourcils réprobateur de son frère, elle s'était vivement corrigée : "L'imbécile vilain."
L'adolescent avait observé le vieux tape-taupe en bois que sa soeur lui tendait puis avait souri :
- "Oui, ça peut le faire ... Même si c'est un peu petit comme marteau."
- "Hummm ... On peut en faire un plus grand, tu crois ?"
- "Heuuu ... Grand comment ?" Avait demandé Hideyuki, les yeux écarquillés.
Deux jours plus tard, son père avait été convoqué chez la directrice de l'école primaire : sa fille, Mademoiselle Kaori Makimura, six ans, avait été punie pour "utilisation inappropriée d'un outil potentiellement dangereux". Durant le chemin du retour, son père était resté silencieux et c'était seulement en arrivant à l'appartement, qu'il l'avait enfin grondée :
- "On ne répond pas à la violence par la violence. Je ne peux encourager un tel comportement, Kaori, même si je le comprends. Tu seras consignée dans ta chambre jusqu'à nouvel ordre."
Contrite, elle était allée bouder sur son lit, croisant les bras, tentant de retenir ses larmes. Au bout de quelques secondes à peine, la porte s'était entrouverte et la tête d'Hideyuki avait franchi l'embrasure. Il lui avait envoyé un pouce victorieux avec un clin d'oeil :
- "T'es trop forte, P’tite Frangine ... Une Princesse-à-la-Massue, c'est super classe ! Vraiment !"
- "Hideyukiii ! Viens par ici !" Avait tonné leur père. "Elle est punie, ça veut dire qu'elle ne reçoit aucune visite !"
Kaori termina de nettoyer les cheveux éparses en souriant à ce souvenir et fila prendre une douche succincte. C'était son anniversaire aujourd'hui et ses amis lui avaient organisé une petite fête pour arroser ses vingt-sept printemps, une petite fête pour adoucir le fait qu'aujourd'hui était aussi l'anniversaire de la mort de son frère Hideyuki. Sept ans déjà. La douleur s'estompait mais le manque était toujours là.
Quand elle eut fini ses rapides préparatifs, elle examina à nouveau son reflet dans le miroir et se sourit à elle-même, satisfaite du résultat. Elle entendit alors Ryo l'appeler depuis le salon :
- "Kaori, t'es prête ? C'est l'heure !"
- "Oui, oui, j'arrive !" S'exclama-t-elle en passant une dernière main dans ses cheveux pour les ébouriffer avant de s'élancer dans le couloir.
- "On va être à la bourre !"
- "Et c'est toi qui me dis ça ? Toi, Môsieur-Toujours-en-Retard ?" Rit-elle.
Quand il l'aperçut enfin dans les escaliers, Ryo la taquina en minaudant la bouche en coeur :
- "Allez, allez, on se dépêche, Mademoiselle ! Si t'arrêtais de jouer ta princesse devant ton miroir, là ..."
Elle le dépassa rapidement et, tout en enfilant ses chaussures, elle lui lança par dessus son épaule :
- "Que veux-tu ? Princesse un jour, princesse toujours."
- "Toi ? Princesse un jour ? Laisse-moi rire ! Tu n'as jamais été une princesse !
- "Pfff ... Comme si tu y connaissais quelque chose en Princesses !"
- "Du peu de ce que j'en sais, en général, les princesses n'assomment pas les gens sous des massues de cent tonnes."
Elle éclata de rire en lui envoyant un clin d'oeil, accompagné d'un pouce levé victorieux :
- "Détrompe-toi. Les Princesses-à-la-Massue, ça existe. Et c'est vraiment super classe, il paraît !"