Il était une fois... Pfff ... ça n'existe pas !
Chapitre 4 : Ca n'existe pas !... Et pourquoi pas ?
5028 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 28/02/2022 09:33
- "Tuez-le ! Tuez-le ! Tueeez-leee !"
Avant que les gardes ne fondent sur leur cible, le vitrail central explosa et une tête énorme apparut entre les éclats de verre. Ryo en eut le souffle coupé et tomba à la renverse : un dragon ! C'était bien un putain de dragon ! Comme on en voyait dans les livres, dans les films fantastiques ou au Nouvel An Chinois ... Sauf que celui-là n'était pas du tout en papier, qu'il avait des dents acérées, des écailles, des ailes et-tout-et-tout et qu'il boulotta sans attendre le Petit Nabot Grincheux rouge de colère. Il n'en fit qu'une bouchée ... Une toute petite bouchée.
Le silence tomba brutalement dans la cathédrale et Ryo entendit alors une voix familière :
- "Que personne ne bouge, j'ai un dragon et j'hésiterai pas à faire feu ! Est-ce que quelqu'un veut négocier ?"
Là, perché sur le crâne reptilien, l'Âne avait l'air d'une simple petite boule de poils insignifiante. Ryo sourit. Il n'y avait que lui pour faire une entrée pareille. Lui ou Mick Angel peut-être ...
Dans le silence pétrifié de l'église, le dragon rota bruyamment puis recracha la couronne qui heurta le sol en teintant d'un son cristallin.
- "Il vaut mieux que ça soit en dehors qu'en dedans, effectivement ..." dit Ryo en souriant à Shrek.
L'Âne ajouta avec humour :
- "Faute de mariage, on aura assisté au repas du roi ..."
L'assemblée éclata de rire, spontanément cette fois, et applaudit de joie, tant et si bien que le bruit couvrit presque les paroles suivantes de l'Âne :
- "Allez, déclare-toi, Shrek ..."
Ryo fit un pas en arrière, presque gêné. L'ogre prit une grande inspiration, attrapa doucement l'ogresse par le bras, hésita ... puis se lança :
- "Heuuu .. Fiona ..."
- "Oui, Shrek."
- "Je ... Je vous aime."
- "Pour de vrai ?"
- "De vrai de vrai."
- "Je vous aime aussi."
Et ils s'embrassèrent. Tout simplement.
Comme cela avait l'air tellement évident pour eux ! Ryo les envia presque. Et puis soudain, la même lumière pailletée s'enroula autour de la princesse, avec une telle force que Fiona fut soulevée de terre.
La force s'embrasa puis explosa, soufflant tout sur son passage et Ryo dut se protéger les yeux de son bras. Quand la vague de force fut passée, il découvrit que Fiona était tombée au sol, évanouie. Ryo sur ses talons, l'ogre se précipitait déjà vers elle :
- "Fiona ... Fiona .. Ça va Fiona ?"
L'ogresse se redressa puis regarda ses bras, ses mains, tristement surprise de les voir encore épais et verts :
- "Oui, mais je ne comprends pas, c'est étrange ... Ce baiser devait me rendre belle."
- "Mais vous êtes belle, Princesse !" Répondit Shrek, très sincère.
- "Ouais, ça dépend des points de vue, ça, parce que, perso, je trouve que ..." Souffla Ryo avant sentir une douleur presque familière envahir ses orteils : "Aïeuuu !"
L'âne était discrètement descendu de son perchoir et avait décidé de planter son sabot sur son pied. Feignant d'être surpris, Ryo grommela, en dégageant sa chaussure :
- "Oh ! T'es là, toi ?"
Le bourricot ne put s'empêcher de rire, visiblement ravi :
- "Et ouiii ! Et même que j'ai tout entendu ! C'est que j'ai l'ouïe fine !"
- "Oh ! Tu n'es pas dur de la feuille, tu m'en vois ravi." Répliqua Ryo, moqueur.
L'âne ne releva pas et poursuivit sur le même ton enjoué :
- "Hééé non ! Héhéhé ... Alors comme ça : ils ne vous paraissent pas parfaits mais ils le sont pour moi. Parce qu'ils ont quelque chose que vous n'avez pas : une âme."
- "Hein ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?"
- "Rien, rien ... c'est pas comme si tu avais dit ça dans une église pleine de monde."
Ryo tourna les talons en enfonçant les mains dans les poches :
- "Tu délires, l'Âne ! Un chasseur ne dirait jamais un truc pareil !"
- "Tu m'en diras tant ! Donc, serait-il enfin envisageable pour toi que les monstres puissent avoir une âme ?"
- "Hummm ..." Maugréa Ryo, en se dirigeant tranquillement vers la sortie, laissant les deux amoureux s'embrasser derrière lui.
- "Et si on considère que les monstres ont une âme, on peut en conclure qu'ils ont aussi un cœur, non ? Avec des sentiments et tout le toutim ? Et de ce fait, on peut aussi dire qu'ils peuvent avoir une âme sœur, comme tout le monde ?"
- "Oui, l'Âne, on va dire que c'est envisageable." Répondit Ryo, sentant bien que le bourricot n'abandonnerait pas si facilement.
L'âne lui emboîta le pas, guilleret :
- "Et je ne pense pas me tromper en disant que ça ne change rien qu'on soit un monstre intérieur ou extérieur."
- "Hum ... Je te vois venir, avec tes gros sabots, l'Âne."
L'Âne tressaillit et inspecta ses pattes :
- "Heuuu, mes sabots ne sont pas gros du tout ! Personnellement, je les trouve très fins et très élég ... Hey ! Tu cherches à détourner mon attention, c'est vilain ! Si tu crois que je vais tomber dans le panneau et changer de sujet, tu rêves ! Suis beaucoup plus malin que ça !"
Ryo soupira en levant les yeux au ciel :
- "Je vois ça !"
L'Âne s'ébroua de satisfaction :
- "Je reprends, si tu le permets. Donc, si on reste sur cette logique, qu'on soit un monstre ou pas, on a une âme, un cœur, et par là-même, une âme sœur ..."
- "Si tu veux ..." Admit Ryo alors que les invités commençaient à les entourer, se dirigeant eux aussi vers la porte centrale.
- "Alors ... Dis-moi, le Chasseur, pourrais-tu enfin envisager que tu puisses être l'âme sœur de quelqu'un ... De quelqu'un qui serait une princesse ressemblant à un dragon, par exemple ?"
Comme Ryo ne répondait pas, l'Âne insista :
- "Et est-ce que toi, tu pourrais t'accepter assez pour reconnaître que tu es la sienne, d'âme soeur ?"
- "C'est peut-être un peu tard pour ça, tu sais. Et encore faudrait-il que je sois chez moi."
- "Il n'est jamais trop tard pour comprendre certaines choses, le Chasseur. Regarde Shrek : il pensait que c'était foutu et en fin de compte, non ... Il a juste trouvé le courage de foncer et d'être sincère. Ça tient à pas grand chose parfois, tu sais ..."
Alors qu'ils venaient de passer le pas de la porte, Ryo s'arrêta net et regarda intensément le petit âne :
- "C'est bizarre ..."
- "Quoi donc ?" Demanda l'animal, interloqué par ce brusque arrêt.
- "C'est pas toi qui disais hier que tu n'étais pas têtu ?"
- "Je ..."
- "Non parce que là, tu ressembles à une mule, je t'assure !"
- "Quoiii ?"
Devant son air choqué, Ryo éclata de rire et suivit la foule qui se dirigeait vers la cour centrale du château. Vexé, le bourricot le rattrapa au petit trop en rouspétant :
- "Non mais ! Tu te rends compte que c'est vilain, ce que tu dis, là ? Comparer un âne de mon envergure à une mule, franchement !"
- "Bah, c'est la vérité, non ? T'es têtu ou pas ?"
- "Je suis déterminé, c'est différent ! Je ne suis pas obtu ou obstiné dans le mauvais sens du terme ! Y'a des nuances dans le vocabulaire, c'est pas pour rien !"
- "Bah, je vais t'dire, l'Âne, avec ou sans nuance, t'es une fichue tête de mule, y'a pas à dire !"
L'âne était vraiment fâché maintenant :
- "Mais tu vas arrêter ?" Et il frappa du sabot.
- "Aïeuuu ! Mais pourquoi tu t'en prends toujours à mes pieds, le bourricot ?"
L'âne le fusilla du regard :
- "Parce que ta tête de mule à toi est trop haut perchée et que je risquerais de te coller une commotion cérébrale, triple imbécile ! C'est que je suis costaud !"
- "Costaud, toi ? Non mais sais-tu seulement ce que ce mot veut dire, hein ? Se la jouer comme Rambo, c'est facile quand on a un dragon sous le sabot !" Se moqua Ryo.
Soudain amusé, l'Âne musa, secouant sa tête :
- "Tsss, tsss, tsss ... C'est vilain d'être jaloux, Chasseur, c'est très vilain ..."
Ryo s'exclama, fâché :
- "N'importe quoi ! Je ne suis pas jaloux du tout ! Moi aussi, j'ai un dragon à la maison !"
- "Ahhh, ça y est ! On y revient ! Je me disais aussi que ça faisait longtemps qu'on n'avait pas abordé le sujet Kaori ..."
Ryo se figea et ouvrit de grands yeux désespérés :
- "Non mais, je parlais pas de ..."
- "Si, si, si ... on va en causer encore un peu ..."
- "Je crois que j'ai perdu une occasion de me taire ..."
***
Quelques heures plus tard, la fête battait son plein. Le règne de Lord Farquaad avait pris fin de la plus brutale des façons mais cela rendait le peuple de Duloc particulièrement heureux. La succession serait assurée par intérim par le capitaine du Château qui semblait être un homme pragmatique et réfléchi.
Le banquet du mariage du Roi fut servi comme prévu dans la cour centrale et chacun put y participer, y compris les personnages magiques qui avaient été libérés des oubliettes. Nains barbus, loups à lunettes ou aux pattes pleines de farine, fées pas mal du tout mais beaucoup trop vêtues, lutins tous petits à chapeaux pointus ou à bottes énormes, marionnettes ou soldats de plomb vivants se mêlèrent joyeusement aux habitants de Duloc.
Pas très à l'aise au milieu de ces êtres étranges, ne trouvant plus ses amis qui s'étaient tous mystérieusement éclipsés, Ryo se mit en retrait. Il attrapa une grande pinte de bière et alla s'asseoir sur le muret dans le coin sombre, tout en tentant de repérer quelqu'un qui aurait pu avoir le profil d'une sorcière ou d'un magicien. Au bout de quelques instants, une grosse voix résonna derrière lui :
- "C'est là que tu te caches, Chasseur."
- "Comme tu peux le voir, l'Ogre."
- "Merci pour le coup de main, tout à l'heure. Tu es un combattant redoutable, je dois dire." Dit Shrek en lui tendant sa chope et ils trinquèrent.
- "Pas de quoi. C'était avec plaisir."
Après une longue gorgée de bière, Shrek ajouta :
- "Tu aurais pu y laisser ta peau. C'était courageux."
- "Toi aussi, tu as été courageux. Et pas qu'un peu."
- "Oh, moi, je savais que le dragon attendait en renfort. Je ne risquais pas grand chose à ruer dans les brancards ! Alors que toi ..." Admit l'ogre avant d'avaler une deuxième lampée de bière.
- "Je ne pensais pas à cet acte de courage là."
- "Ah ... Quoi d'autre ?" S'interrogea l'ogre, perplexe.
- "Dire ça à Fiona ... devant tout le monde ... Sans hésiter ... Sans bredouiller ... Non, franchement ... Je ... Comment t'as fait ?"
- "Ah, ça ? C'est comme tout, je crois : il vaut mieux que ça soit dehors que d'dans, ce genre de trucs, non ?" Puis, Shrek rota bruyamment et sourit, ravi.
Ryo ne put se retenir de rire et ils trinquèrent à nouveau. L'Âne s'avança vers eux, guilleret :
- "Alors, le Chasseur ? Tu as vu comment il convient de se comporter avec un dragon ?"
- "J'ai vu ça, oui ... Si j'ai bien compris, des félicitations sont de mises." Dit Ryo en riant tout en désignant du menton le dragon, qui s'avérait être une dragonne, et qui lui emboîtait le pas.
Crânement, le bourricot lui répondit:
- "Et oui ... Avec Pupuce, un peu de douceur, beaucoup d'honnêteté et ça roule !" Il se tourna vers le dragon et dit gentiment : "Je reviens ma Douce, attends moi là, on ira faire une petite balade en tête à tête sous la lune tout à l'heure."
La bête regarda l'Âne avec des yeux énamourés puis alla se rouler en boule dans le coin opposé de la cour et le bourricot lui envoya un baiser.
- "Tu vois ?" Annonça fièrement l'âne en se tournant vers Ryo. "De la douceur et de l'honnêteté. Pas plus compliqué qu'ça !"
Ryo soupira :
- "Pffff ... Pourquoi avec vous, c'est jamais compliqué ?"
- "Parce que ça ne l'est pas du tout ! Allez, te bile pas, Chasseur ... Ca va l'faire." Assura l'Âne pendant que Ryo terminait sa bière et la posait sur le muret.
- "Mouais ... Encore faudrait-il que j'arrive à rentrer chez moi avant qu'elle ne m'échappe définitivement."
- "En parlant de rentrer chez vous!" S'exclama Fiona en les rejoignant d'un pas vif. "J'ai enfin trouvé quelque chose pour vous aider, Monsieur le Chasseur."
Ryo regarda avec étonnement ce qu'elle lui tendait : des chaussures rouges et brillantes, avec un petit talon et une boucle à la cheville.
- "Heuuu ... et qu'est-ce que vous voulez que je fasse avec ça ? Allez danser au cabaret ?"
- "La sorcière de l'Est m'a affirmé que ces souliers de rubis sont très puissants. Il vous suffit de les enfiler, de claquer trois fois les talons l'un contre l'autre et de dire chez qui vous voulez vous trouver. Il faut bien préciser chez qui. Pas d'adresse ou de nom de ville. Ce doit être une personne que vous connaissez."
- "Ou que vous aimez ..." Ricana l'Âne.
- "C'est bon, l'Âne, je crois que tout le monde avait compris ..." Rouspéta Ryo.
- "Oh, c'est juste que j'apprécie particulièrement quand les choses sont bien explicitées. Sinon, on n'arrive plus à suivre et ..."
- "Tais-toi, l'Âne." Gronda Shrek.
- "Oh quoi ? J'ai raison, non ? Il ne veut pas aller chez la demoiselle qu'il connaît mais chez la demoiselle qu'il aime. Il me semble que la nuance est importante, pour ne pas dire fondamentale !"
Fiona s'approcha et caressa doucement la tête du bourricot en chuchotant :
- "L'Âne, tu as raison mais comme ce genre de propos met Monsieur le Chasseur mal à l'aise, il conviendrait de ne point trop souligner cet état de fait."
- "Rooo ... Quelle bande de rabat-joies vous êtes."
Après un petit silence gêné, Ryo toussota pour s'éclaircir la gorge puis désigna les souliers en disant :
- "Quand faut y aller ..."
Ryo retira ses chaussures et les posa soigneusement sur le muret à côté de sa chope vide.
- "J'ai rien à perdre de toute façon ..." Annonça-t-il avant de murmurer pour lui-même, observant les souliers : "À part ma dignité, ma virilité, ma crédibilité, mon sex-appeal et ... Nan mais c'qui faut pas faire, j'vous jure ... Si Erika me voyait, il se fendrait bien la poire !"
Il enfila les souliers rouges pailletés à talons sans peine puisqu'ils s'agrandirent miraculeusement, s'ajustant parfaitement à ses pieds, malgré ses chaussettes en coton blanc. Il se tordit un peu les chevilles en se levant et faillit perdre l'équilibre sous le regard goguenard de ses compagnons. Se sentant parfaitement ridicule, ainsi perché et chaussé, il gronda :
- "Pas la peine de rire, vous ! De toute façon, tout ça n'est qu'un rêve et j'aurai tout oublié en me réveillant."
- "Mais oui, mais oui ..." Concéda Shrek, avant de taper Ryo dans le dos, le déséquilibrant un peu plus.
Ryo vacilla, se redressa en jurant, provoquant l'hilarité de l'Âne et de l'Ogre. Le Chasseur ne resta pas longtemps vexé et rit avec eux. Faut dire que le tableau devait sacrément valoir le détour ... Puis, Ryo se tourna vers la Princesse :
- "Merci Fiona. Vous avez tenu parole. Enfin ... j'espère que ça va bien me renvoyer chez moi ! Et permettez-moi de vous dire ... vous avez fait le bon choix. Le Petit Nabot Grincheux ne vous méritait pas."
Fiona rougit derrière sa peau verte puis se serra contre son ogre qui tendit la main à Ryo :
- "Bonne chance, Chasseur. Au cas où, Fiona et moi, on se marie demain soir dans mon marais, si tu veux venir ..."
Ryo serra la grosse main de l'ogre, la secouant avec sincérité :
- "Le prends pas mal, Shrek, mais je vais avoir ma dose de mariage pour un moment. Même si la cérémonie de tout à l'heure était ... haute en couleurs si je peux dire ça comme ça ... En plus, un de mes amis doit se marier demain. Ou bien est-ce que ça serait hier ? Peut-être que cette petite escapade ici m'a permis d'y échapper ? Qui sait ? On verra bien ! Je suis sûr que le tien vaudra le détour mais ce n'est vraiment pas mon truc, tu sais. Les grandes déclarations, les promesses d'amour éternel, les serments de fidélité, tout ça, tout ça ..."
Il fut interrompu par une douleur fulgurante mais presque familière qui lui vrilla les orteils :
- "Aïeuuuu ! Abime pas mes souliers magiques, toi !"
- "Tsss, tsss, tsss ! Parle pas comme ça de l'amour, Chasseur, ou je te dégomme." Le menaça l'Âne en jetant un regard sur le dragon couché derrière lui. "N'oublie pas que j'ai une arme d'incendie massif avec moi et que, si je veux, je peux encore te retrouver à Tokihio !"
Ryo dégage son pied avant de répondre précautionneusement :
- "Ok, pigé, le bourricot, t'énerve pas, hein." Il se tourna à nouveau vers Shrek : "Merci pour l'invitation mais j'ai vraiment envie de rentrer chez moi."
- "Je comprends."
- "Adieu, l'Ogre."
- "Adieu, le Chasseur."
Ryo se pencha vers l'âne et lui ébourriffa la crinière :
- "L'Âne ..."
- "Ahhh, je m'étais promis de ne pas pleurer ..." Murmura-t-il en levant les yeux au ciel pour retenir les larmes qui envahissaient ses yeux.
- "Merci l'Âne. Ne change rien, continue de causer et prends soin de ta dragonne."
L'Âne fit claquer ses sabots sur les pavés et répondit fièrement :
- "Compte sur moi !"
- "Bon, c'est parti !"
Ryo prit une grande inspiration et maugréa :
- "Espérons que ces godasses fonctionnent correctement et que je ne vais pas me retrouver dans un endroit encore pire ..." Puis il claqua les talons des souliers de rubis trois fois de suite avant de prononcer distinctement : "Je veux retourner chez Kaori."
Immédiatement, il se sentit pris d'un étrange vertige qui le mena dans le noir le plus complet. Quand il reprit conscience, il se trouvait dans son lit, dans sa chambre, dans son appartement. Il reconnut même le son familier des voitures qui passaient dans la rue. Il se redressa, se palpa de haut en bas et de bas en haut et constata qu'il ne lui manquait rien et qu'il était même encore tout habillé :
- "Deux bras, deux jambes, la tête, le mokkori ... Tout va bien ! Ouf ! Mais quel putain de cauchemar !"
Soulagé et enjoué, il bondit dans le couloir. Il ouvrit la porte de la chambre de Kaori à la volée et resta pétrifié d'horreur : tout était vide. Il ne restait que les meubles. Ses habits, ses bibelots, la photo de son frère, ses livres ... Tout ... Elle était partie et elle avait tout emmené.
- "Non, non, non !"
Il dévala les escaliers et arriva dans le salon. Vide aussi. Tout comme la cuisine, la salle de bain et même les toilettes. Elle n'était pas là. Elle n'était nulle part.
Il nota rapidement que les cassettes vidéos de ses films préférés avaient également disparu ... De même que sa veste, ses chaussures et son parapluie. C'était trop tard. Elle était partie.
- "Meeeeerdeuuuu !"
Il jura encore et balança un coup de pied dans un coussin qui traînait par terre. Ce dernier vola à travers la pièce et alla renverser le petit pot de fleur que Samantha, leur dernière cliente, leur avait offert avant de partir. En s'approchant du rebord de fenêtre pour constater l'étendue des dégâts, il l'aperçut.
Il colla son nez à la fenêtre, retenant son souffle. C'était bien elle. C'était Kaori.
Elle portait un énorme sac de voyage en bandoulière et tirait une valise à roulette derrière elle. Il pouvait encore la rattraper, chargée comme elle était, il arriverait à la rejoindre s'il se dépêchait. Il se précipita dans l'entrée, cherchant ses chaussures :
- "Mais où elles sont, bordel ! Je les laisse toujours au même endroit pourtant ... et ..."
Il secoua la tête, fouillant partout :
- "Non, non, non ... Elles ne sont pas restées ... Non ... Ce n'était qu'un rêve ..."
Il scruta rapidement les coins du salon puis sous le canapé mais ses investigations restèrent infructueuses :
- "Et puis merde ! Tant pis !"
Il courut hors de l'appartement et dévala les escaliers de l'immeuble. En simple chaussettes de coton blanc, il dérapa sur le béton et glissa sur un demi-étage. Il n'avait jamais été aussi pressé de sa vie. Il devait sortir de là, le plus vite possible ... Les quatre étages ne lui avaient jamais paru aussi longs et aussi hauts. Il n'y avait jamais eu autant de marches ...
Il s'élança dans la rue, courant comme un dératé, sentant les petits cailloux du macadam lui mordre insidieusement la plante des pieds. Les quelques passants qu'il croisait le regardaient avec étonnement mais il ne les remarquait même pas. Tout ce qui lui importait à cet instant était cette silhouette familière, cette silhouette aux cheveux courts et roux, cette silhouette qui essayait de s'éloigner de lui.
Elle était devant lui, au bout de cette longue avenue, à quelques centaines de mètres. Il paniqua soudain quand il vit un taxi s'arrêter à sa hauteur et il ne put se retenir de hurler :
- "Kaori !"
Elle se figea mais ne se retourna pas. Il répéta tout en continuant à courir :
- "Kaori ! Kaoriiii !"
Cette fois, elle se tourna vers lui mais baissa vite le regard, les épaules basses, le dos crispé. Même à cette distance, il la connaissait assez pour deviner qu'elle avait beaucoup pleuré et qu'elle lui en voulait. Elle se pencha pour saisir la portière de la voiture pendant que le chauffeur ouvrait le coffre pour y mettre ses bagages :
- "Non, Kaori ! Nooooon ! Attends !"
Des images furtives lui revinrent en mémoire et il hurla tout en accélérant encore, sentant cette fois qu'une de ses chaussettes venait de se déchirer :
- "Je m'y oppose ! Je m'y oppooose !"
Avant qu'elle ne se soit engouffrée dans la voiture, il arriva enfin à sa hauteur et la tira par le bras, la ramenant sur le trottoir. A bout de souffle, il parvint à articuler :
- "Kaori ... Écoute ... écoute-moi ! Il faut ... Il faut ... que je te parle !"
- "Oh ! Tu veux me parler maintenant ? T'étais où pendant tout ce temps, hein ? On t'a cherché partout et tu n'es même pas venu au mariage de Falcon. J'y suis allée toute seule. Quelle honte ! Pas foutu de faire un effort pour un moment si important pour tes amis ! Tout ça parce que tu te la joues non-l'amour-c'est-pas-pour-moi, les-sentiments-c'est-pour-les-mauviettes ! Tu te fous de la gueule du monde ?”
- "Je ... Je peux tout t'expliquer, tu sais. C'est un peu plus compliqué que ça."
- "Ah oui ? Monsieur est tellement allergique au romantisme qu'il est pas foutu d'honorer une invitation à un mariage ?"
- "Alors, tu ne vas peut-être pas me croire, mais j'ai assisté à des noces dernièrement, des noces royales, même ... et, je vais te dire, ça c'est pas vraiment bien terminé pour le marié ... Y'a une dragonne qui ..."
Kaori leva les yeux au ciel et se retourna vers la voiture, prête à s'y engouffrer mais elle fut stoppée net par la poigne de Ryo qui la saisit à nouveau fermement par le bras :
- "Non, attends, Kaori ! Il faut ... Il faut vraiment que je te parle."
- "Tu veux me parler ? Me parler ? Je suis désolée mais c'est trop tard, mon cher. Si tu veux bien m'excuser ..."
- "Non ... Tu ne peux pas partir !" S'exclama-t-il en serrant un peu plus son bras.
Kaori se dégagea prestement de sa prise et lui lança fièrement :
- "Tiens donc ! Et pourquoi ?"
- "Parce que ... Parce que ..." Il soupira, baissant le regard, en se chuchotant à lui-même : "Comme disait l'ogre, il vaut mieux que ça soit dehors que dedans. Allez, Saeba, de la douceur et de l'honnêteté ..."
Ryo releva la tête, prit une grande goulée d'air pour retrouver son souffle puis il saisit Kaori par les épaules, l'incitant ainsi à le regarder dans les yeux et lui dit :
- "Tu ne peux pas partir parce que je t'aime."
Elle le dévisagea, abasourdie, les joues soudain toutes rouges :
- "Quoi ?"
- "Je t'aime." Répéta Ryo, un peu plus fort.
Comme elle restait toujours muette, il l'attira contre lui pour lui murmurer à l'oreille :
- "Je t'aime, Kaori Makimura."
Il s'éloigna un peu, guettant sa réaction, se demandant soudain si tout n'était pas trop tard finalement alors qu'elle le sondait du regard, abasourdie. Portant une main sur son coeur, elle demanda :
- "Pour de vrai ?"
Ryo sourit :
- "De vrai de vrai."
Il allait se pencher vers elle pour l'embrasser mais fut interrompu par le chauffeur de taxi qui reposait les bagages de Kaori sur le trottoir :
- "Vous pouviez pas le dire plus tôt, triple imbécile ?"
Ryo lui répondit, sans le regarder vraiment, les yeux toujours rivés à ceux de Kaori :
- "Oh, c'est bon ... Mieux vaut tard que jamais, non ?"
- "Mouais ... Il n'est jamais trop tard pour comprendre certaines choses. On va dire que vous n'êtes pas une tête de mule, au moins !"
A cet instant, sa voix ressemblait curieusement à celle de l'Âne mais Ryo se dit que ça devait être son imagination qui lui jouait des tours et il préféra ne pas lâcher Kaori des yeux. Il appréhendait sa réponse, le cœur battant.
L'homme remonta en voiture en maugréant :
- "De la douceur, de l'honnêteté et ça roule ! Depuis le temps que je le dis ... On ne m'écoute jamais quand je cause ... et Dieu sait que j'cause !"
Ryo sursauta et regarda enfin dans la direction du taxi, persuadé que le chauffeur aurait une tête de bourricot mais le véhicule démarrait déjà en trombe, les abandonnant tous les deux sur le trottoir, cernés par les bagages de Kaori.
- "Ryo ..." L'appela-t-elle dans un murmure.
Il se tourna vers elle. Elle lui souriait enfin, les joues définitivement écarlates. Elle balbutia :
- "Je t'aime aussi, Ryo."
Et ils s'embrassèrent. Tout simplement.
***
Ce matin là, dans un living pimpan d'une sage banlieue américaine, une jeune femme au brushing blond impeccable, regardait avec satisfaction la boule de cristal posée sur sa table basse. Soudain, dans son dos, une légère fumée violette apparut et se transforma en une cinquantenaire très élégante au chignon sophistiqué de boucles rousses :
- "Bonjour Samantha."
- "Bonjour Maman." Répondit la jeune femme sans détacher son regard de la boule de cristal.
De ses ongles manucurés, la nouvelle arrivée demanda :
- "Alors ? Il a fini par comprendre, le triple imbécile ?"
- "Je crois bien." Répondit Samantha, visiblement très satisfaite.
Endora se pencha vers la boule de cristal pour y observer le couple qui y apparaissait en miniature et qui s'embrassait langoureusement :
- "Oh !!! Bravo ! Ton plan a fonctionné !"
- "Oui, je suis plutôt satisfaite." Elle rit doucement : "Et ça fait une bonne dizaine de minutes qu'ils s'embrassent comme ça."
- "Alors, à quand la prochaine cérémonie de mariage ?"
Samantha se leva et se dirigea vers la cuisine pour y préparer du thé :
- "Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que ce sujet sera tout aussi épineux. Si ce n'est plus."
- "Oh ... Qu'est-ce que tu as prévu pour ça ?" Demanda Endora, curieuse et très excitée, tout en lui emboîtant le pas. "Et si on le faisait danser ? Ou parler en vers ? Ou si on le rendait totalement honnête ? Tu sais, ce sort avec lequel les hommes ne peuvent s'empêcher de dire leurs sentiments ? Ou s'il devenait hyper-sensible ?"
Samantha secoua négativement la tête et Endora poursuivit :
- "Bon alors ... Que dirais-tu d'une simple transformation canine ? Ou en singe ? Un sort tout simple mais tellement cocasse !"
- "Maman ! Tu en fais déjà bien assez avec Jean-Pierre, tu ne trouves pas ?" S'exclama Samantha sur le ton du reproche.
Endora leva les yeux au ciel et soupira, déçue :
- "Mais ... On ne peut jamais s'amuser ! Rabat-joie, va !"
- "Ça suffit, maman ! Et, en ce qui les concerne, je vais attendre un peu et les surveiller du coin de l'œil. Qui sait ? Il va peut-être se lancer tout seul ?"
- "Hummm ... C'est l'option la moins drôle mais, soit. Laissons-lui un peu de temps. Après tout, un humain peut encore nous surprendre ..." Concéda Endora avant d'ajouter, sarcastique : "Enfin bon, un humain qui arriverait à me surprendre, ça n'existe pas !"
- "Et pourquoi pas ?"
Endora ronchonna encore un peu tout en s'asseyant à la table de la cuisine. Samantha servit le thé et ajouta en se joignant à elle :
- "Maman ..."
- "Oui ..."
- "Promets-moi de ne pas les embêter !"
Endora leva à nouveau les yeux au ciel en riant, ironique :
- "Moi, les embêter ? Comment peux-tu imaginer une chose pareille ?"
- "Je ne sais pas ... Peut-être parce que je te connais ?"