Yes or No ?
Chapitre 40 : James Mickael William Carpenter
5556 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 23/08/2022 14:53
Et voici le dernier chapitre de cette histoire. Merci à celles et ceux qui m’ont lue, voire même RE-lue ! J’espère que cette fin vous plaira.
Une lectrice fort fidèle et enthousiaste aime particulièrement les musiques et les BO (n'est-ce pas Elane67 ?), je ne pouvais donc pas laisser cette fin sans générique. Il s'agit d'une reprise (pour une fois je préfère la reprise à l'original) de "Forever Young" version youth people. Pour ceux qui aiment aussi : https://www.youtube.com/watch?v=rQi8wEHMm5Y
***
15h10
Je me retournai à nouveau vers l'intérieur de l'aéroport et je la vis qui étudiait avec minutie un tableau rempli de cravates. Pas de cravate dans ma valise. Interdites par Mademoiselle Natori. Ma tête de mule avait encore frappé et n'avait toléré que des jeans, des t-shirts à manches longues et des polos ... J'avais cédé. Comme toujours. Elle tenait de son père finalement ...
- "Venez." M'avait-il dit.
Le ton employé ne m'avait laissé aucune alternative et j'étais allé m'assoir à ses côtés avant de prendre le verre d'alcool qu'il m'avait tendu :
- "Vous pensez que c'était simplement ça, son problème, au petit diable, là ?"
- "Possible."
- "J'ai failli perdre patience tout à l'heure. Moi, j'aurais eu une fessée si j'avais répondu comme ça à ma mère."
- "C'est là le problème. Makino n'est pas sa mère. Ou du moins, pas encore ..."
- "Vous êtes orphelin, vous aussi."
Il s'agissait d'une constatation et non d'une question mais j'avais quand même répondu :
- "Oui."
- "Et vous n'êtes pas comptable." Nouvelle constatation, mais j’avais quand même balbutié une réponse :
- "Pas encore. Mais je le serai bientôt et ..."
Il avait levé le bras pour m'interrompre :
- "Vos mains ... Je suppose que vous êtes un des ses anciens patients." Toujours ce ton neutre.
J'avais commencé à me sentir mal à l'aise. Mon beau-père était venu me tester et je n'avais pas le droit à l'erreur :
- "Oui."
- "Je sais où elle travaille, Monsieur Angel et quel genre de personnes elle soigne. Ce n'est pas elle qui me l'a dit mais sa sœur. J'ai donc une première question pour vous. Comme vous êtes américain, vous n'êtes pas un yakusa ... Alors … Vous êtes de quelle mafia ?"
- "Aucune. Je les ai côtoyé, c'est vrai. Mais, j'ai toujours travaillé de manière ... indépendante. C'est fini aujourd'hui."
Il était resté silencieux et je m'étais senti obligé de me justifier face à cet homme qui, mine de rien m'avait fait forte impression :
- "Monsieur Natori, j'ai changé de ..."
- "Non. Pas de ça. Je ne veux pas savoir."
Il m'avait fait signe de boire mon verre et je m'étais exécuté.
- "Alors maintenant, je vais vous poser les mêmes questions que celles que j'ai posées à son ancien fiancé et à Irie quand Makino nous l'a présenté."
J'avais pris une grande inspiration et bu mon verre cul-sec. Qu'est-ce que je préférais le whisky ... Il m'avait resservi tout en me demandant :
- "D'abord : êtes-vous capable de la défendre ? Je veux dire, de vous battre pour de vrai ... Bon, si vous avez fréquenté la mafia, ma question est peut-être inutile mais mon beau-père me l'a posée, je l'ai posée aux deux autres et j'y tiens ..."
Je lui avais souri :
- "Je dirais que c'est même une de mes spécialités."
- "Et vos mains ?"
- "Pas besoin de mains pour ce genre de choses, ça, croyez-moi."
Je n'avais pu retenir un petit sourire en coin et j'avais laissé mon assurance de professionnel transparaître quand j'avais prononcé cette phrase et, en toute logique, il m'avait sondé en retour :
- "Je suis tenté de vous croire."
Il m'avait fait signe de boire mon verre et quand je l’eus avalé d'une traite, il m'avait à nouveau resservi. A ce rythme là, nous allions finir la bouteille.
-"Deuxième question : Pourquoi elle ? Pourquoi êtes-vous amoureux d'elle ?"
J'avais contemplé mon verre en réfléchissant à ma réponse :
- "Si je vous dis que c'est parce qu'elle est belle et intelligente, ça ne vous suffira pas, je suppose ?"
- "Effectivement. Un idiot aveugle pourrait me répondre cette banalité."
J'avais pris une grande inspiration et je m'étais lancé. J'avais avoué ce que je n'avais avoué à personne, même pas à Ryo, encore moins à Kazue et j'étais sûr que mes paroles resteraient entre lui et moi. Par acquis de conscience, je m'étais tourné vers l'intérieur du bureau pour vérifier que Daisuke dormait toujours paisiblement.
- "Vous aviez raison. Elle était mon médecin et c'est arrivé petit à petit. Au début ... Au début, elle était une belle femme que je draguais pour passer le temps. Par habitude aussi, je ne vais pas vous cacher que j'ai charmé de nombreuses femmes avant elle. Et puis, elle m'a tenu tête. Elle s'est démenée pour me soigner, elle m'a redonné envie de vivre, de me battre, d'être un homme. Par de petites choses, des attentions, des regards, de simples gestes. Sa compassion, son intransigeance face à mes faiblesses, la confiance qu'elle a eue en moi, son rire quand j'essayais d'être drôle alors que je ne l'étais pas ... Elle est ensuite devenue un objectif à atteindre. La conquérir a été un vrai défi personnel et puis, c'est devenu ... une véritable obsession."
J'avais alors avalé mon verre, sentant ma bouche devenir pâteuse mais l'alcool l'avait encore plus desséchée. Monsieur Natori était resté silencieux et avait à nouveau rempli mon verre.
- "Et puis, quand j'ai pu ... enfin, quand c'est devenu sérieux et réciproque, je n'ai plus réussi à me passer d'elle. J'ai essayé de redevenir celui que j'étais avant mon accident mais j'ai échoué. Je l'ai blessée en faisant ça et aussi en ayant eu des doutes idiots mais elle est revenue vers moi. Quand je l'ai vue entrer dans ma chambre d'hôpital ... J'ai ..."
Je m’étais interrompu, décidant de ne pas m'étendre plus sur cet épisode :
- "J'ai décidé alors qu’il était temps pour moi de changer de vie parce que je me suis rendu compte que je me sens bien quand elle est là. Donc, voilà, je me range et je serai bientôt comptable. A cause d'elle, grâce à elle et pour elle."
Enfin comptable ... Oui, mais … pas que ... J’avais bien entendu tû mes deux autres activités.
J'avais à nouveau bu mon verre et cette fois, je n'en avais même plus perçu le mauvais goût. J'avais continué à déverser mes pensées à cet homme qui était pourtant un parfait inconnu pour moi :
- "On a eu quelques difficultés à s'accorder sur certains points, je me suis interrogé sur mes sentiments pour une autre jeune femme, j'ai trouvé mes réponses, elle, elle a dû faire son deuil, j'ai essayé de faire ma place face à un fantôme ... Nous avons fait notre chemin, un peu trop vite peut-être mais voilà. Nous avons certainement brûlé certaines étapes, nous avons stagné sur d'autres mais je ne suis pas un spécialiste question vie de couple ... Vous savez, elle n'est pas comme les autres, votre fille. Elle voit au-delà des apparences, elle va toujours à contre-courant. Elle m'a accepté comme je suis."
Je m'étais retenu d'ajouter : comme je suis, c'est-à-dire un étranger, un tueur, un homme tatoué, repris de justice et orphelin, un ancien drogué, involontaire, certes, mais drogué quand même, aux mains étranges et au corps affaibli ...
J'avais ensuite conclu :
- "Vous avez bien nommé votre fille, Monsieur Natori. Elle m'a porté chance. Mais, je ne sais pas si ça répond à votre question ..."
Il m'avait resservi en silence et j'avais vu avec soulagement que la bouteille était presque vide.
- "Vous comptez régulariser votre relation ?"
J'avais ri doucement :
- "Vous me croyez si je vous dit que j'ai déjà fait ma demande et qu'elle a refusé ?"
Il m'avait dévisagé puis il m'avait souri :
- "Oui. Ça ne m'étonne pas de ma fille, ça."
Il avait bu son verre avant de me demander :
- "Vous êtes resté avec elle alors qu'elle a refusé de vous épouser ?"
- "Oui."
- "Pourquoi ? Je veux dire ... C'est très humiliant comme situation."
- "Je ne vous le fais pas dire ... Très certainement pour la même raison qui vous a poussé à me poser toutes ces questions." Avais-je répliqué avec un sourire.
Et nos regards s'étaient croisés et, à ma grande surprise, il m'avait rendu mon sourire.
- "Hummm ... Certes ... Ca doit être ça ..." avait-il murmuré. "Si Kazue vous a choisi et qu'elle vous a amené ici, c'est qu'elle a pris sa décision. Et je ne serai jamais de taille à la contester. Je connais ma fille."
Je m'étais attendu à tout sauf à ça. Il poursuivit en remplissant à nouveau mon verre puis le sien :
- "De mon temps, j'ai l'impression qu'être heureux était plus simple. En tous cas, ça l'a été pour moi. J'ai fait mes études, je suis tombé amoureux d'une jeune femme que j'ai épousée, elle m'a donné des enfants, nous avons vécu ici ... Que demander de plus ? Mais avec Kazue, ça a toujours été différent. Elle a toujours tout voulu comprendre, décortiquer, être autonome. Je me rappellerai toujours, elle devait avoir à peine deux ans et elle apprenait à mettre ses chaussures. J'ai voulu l'aider et elle m'a simplement regardé en me disant : "Non. Seule." Ca lui a pris une bonne dizaine de minutes mais elle a réussi à enfiler ses chaussures et à les fermer."
Il avait bu son verre et avait continué, le regard perdu au loin et d'un coup, son visage m'avait paru plus doux, plus calme.
- "Bon Dieu." Pensais-je. "Si seulement tu entendais ça, Kazue, si seulement tu entendais ce qu'il dit de toi ... Pourquoi vous n'arrivez pas à vous parler tout simplement ?"
Monsieur Natori avait continué :
- "Et ça a été pire quand elle a appris à lire. Un jour, elle a trouvé un livre d'anatomie sur une de mes étagères et, ensuite, elle a éventré toutes ses poupées avant de les jeter à la poubelle en disant qu'elles n'étaient pas vraies. Sa mère et moi avions passé toute une journée à lui expliquer le fonctionnement du corps humain. Enfin autant que nous pouvions le faire. Je n'ai pas été surpris quand elle a annoncé, du haut de ses dix ans qu'elle voulait faire médecine."
Il avait poussé un profond soupir :
- "J'ai essayé de l'en dissuader mais, c'était peine perdue. Je voulais simplement lui éviter de vivre dans un monde où les femmes ne sont pas reconnues, un monde de machos où on côtoie la maladie, la mort et la violence, tout ça ... Je pensais qu'elle serait heureuse avec un mari qui subviendrait à ses besoins, une famille, une vie toute simple ... Ce qui m'avait rendu heureux moi ..."
Il avait terminé son verre, se callant un peu plus dans son fauteuil, le regard toujours porté droit devant lui.
- "Je n'ai jamais réussi à lui faire changer d'avis sur quoique ce soit alors ... Ses études, son fiancé, son emploi ... Elle n'en a toujours fait qu'à sa tête. Depuis qu'elle est toute petite. C'est une vraie ..."
- "... Tête de mule ..." Avais-je terminé.
- "Oui." Il s'était alors enfin tourné vers moi et m'avait à nouveau souri, avant de se lever sans plus d'explication et de me laisser avec le petit Daisuke endormi. D'un coup, je m'étais retrouvé seul sur la terrasse, un peu abasourdi par sa sortie impromptue.
J'étais rentré et j'avais encore tenté de peaufiner mon dessin, ne sachant pas trop quoi penser de la conversation que j'avais eu avec mon beau-père mais ma vue s'était légèrement brouillée à cause du saké et j'avais abandonné. J'étais alors allé m'allonger sur le sofa, serrant ma veste autour de moi, réalisant combien ce bureau ressemblait à celui de Kazue et je m'étais endormi, l'esprit un peu embrumé par l'alcool, et tellement épuisé par cette journée étrange que je n'avais même pas songé à manger ce que Kazue m'avait apporté.
15h15
Je regardai à nouveau par les baies vitrées de l'aéroport et je la cherchai du regard. Comme pendant le reste de notre week-end chez ses parents où nous nous sommes souvent observés de loin.
Nous avions passé peu de temps ensemble finalement. Elle avait été accaparée par sa sœur et moi par le jeune Daisuke qui voulait absolument que je lui apprenne à dessiner dès son réveil le samedi matin. Ensuite, toute la famille Natori était partie chez le notaire et j'étais resté avec Irie et les enfants. Ma première impression sur mon beau-frère s'était confirmée et nous avions bien discuté.
Enfin, autant que possible ... si Ryo m'avait vu en train de jouer les baby-sitter ...
L'après-midi, tout le monde avait voulu aller à la plage et j'avais décliné l'invitation. Entre mes tatouages, mes cicatrices et mes mains zébrées ... Non, je n'étais pas prêt à affronter le regard de toute ma belle famille sur ces traces de mon passé. Et je n'avais pas envie de répondre aux questions qui allaient en découler.
J'en avais profité pour faire une petite sieste sur la terrasse et ensuite Monsieur Natori m'avait rejoint et nous avions entamé une partie de go en silence. Après le temps était passé très vite et il était très tard quand j'avais enfin retrouvé Kazue dans sa chambre de jeune fille qui allait bientôt devenir celle de Daisuke. Nous avions discuté un peu et nous nous étions endormis ... sagement. Enfin ... presque.
Au moment du départ le lendemain, Monsieur Natori m'avait fait l'honneur de me serrer la main. J'avais été surpris par l'absence de Daisuke mais ce petit sauvage était encore très imprévisible. Et puis soudain, il était arrivé en courant et m'avait tendu une feuille de papier :
- "Regaaaaarde ! J'ai finiiii !"
Il avait dessiné le jardin et j'avais reconnu le cerisier. Enfin surtout parce qu'un petit bonhomme était assis sur une branche les pieds dans le vide et un autre, tout habillé de gris, assis au sol contre le tronc.
- "Pas mal, gamin !"
- "Je suis pas un gamin !" S'était-il exclamé en croisant les bras.
- "Ah, bon ?" Avais-je répliqué, amusé par sa contrariété exacerbée.
- "Je suis Daisuke Tanaka-Kodama ..."
J'avais vu Makino plaquer une main sur sa bouche et échanger avec Irie un regard plein de larmes contenues. J'avais remarqué, la veille, au dos de la photo froissée, que Tanaka était le nom des parents de Daisuke. Kodama était donc celui d'Irie.
Le petit m'avait regardé avec un air de défi et avait ajouté :
- "Maintenant, tu sais qui je suis, MOI, et je ne suis PAS un gamin. Et je sais qui tu es, TOI."
Il m'avait fait signe d'approcher et m'avait chuchoté à l'oreille :
- "Tu es tonton Mick." Et il avait passé ses petits bras autour de mon cou avant de se serrer contre moi.
Tonton ...
Si un jour on m'avait dit que deux petites syllabes pouvaient signifier tant de choses ... Je l'avais serré aussi entre mes bras, ne sachant pas comment lui montrer autrement combien il m'avait touché. Et combien j'étais heureux. Quand il s'était écarté de moi, je lui avais frotté vigoureusement le crâne :
- "Allez, file, Daisuke Tanaka-Kodama ..."
16h10
Finalement, mon passage à la douane avait été une formalité et nous avions pris place dans notre avion, à destination de Londres. J'étais nerveux, mais cette fois, parce que mes souvenirs avaient refait surface, et j'avais revécu plusieurs fois la scène qui avait bouleversé ma vie : un fou qui criait "mort aux traîtres" et qui faisait tout exploser ... ma vie et moi avec.
Les doigts de Kazue vinrent s'enrouler dans les miens et, malgré la barrière de tissu de mes gants, je sentis sa chaleur et sa douceur et je me détendis peu à peu.
***
Je sens de délicieux frissons qui me parcourent le dos et me tirent lentement de mon sommeil :
- "Hummmm ... Déjà réveillée Docteur Natori ?"
Je me tourne vers elle mais quelque chose m'interpelle, quelque chose ne tourne pas rond.
- "Tu es habillée ? Qu'est-ce qu'il se passe ?"
- "Tout va bien. Il faut juste que tu t'habilles aussi."
Je saisis rapidement mes habits tout en regardant autour de moi. J'ai failli passer la main sous mon oreiller à la recherche de mon revolver mais ça longtemps qu'il n'y a plus d'arme à cet endroit et pourtant ... J'ai l'impression que mes cauchemars se réalisent et toute mon âme me crie :
- "Not yet ! Not yet ! Fucking shit, not yet ! Why ? What did I do wrong ? ... (Pas maintenant, pas maintenant ! Putain de merde, pas maintenant ! Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait de travers ? ....)"
Je prononce, anxieux :
- "C'est quoi ? Les flics ? Interpol ? C.I.A. ?"
Elle me répond en riant :
- "Mais non ! Qu'est-ce que tu vas chercher ! C'est juste une petite surprise !"
Je n'aime pas les surprises et je lorgne ma montre sur la table de chevet :
- "Une surprise ? A six heures du mat' ? Alors qu'on est en vacances ?"
- "Oui, je sais, c'est tôt pour se lever mais fais-moi confiance. Ça va te plaire."
J'essaie de me détendre et, histoire de dissimuler mon inquiétude, je lance une de mes petites remarques habituelles pendant que je passe dans la salle de bain. Mais, même s'il est tôt, pas question de sortir sans m'être rasé et je vais respecter mes habitudes. Pendant que je regarde mon reflet dans le miroir, je m'interroge en faisant passer la lame du rasoir sur mes joues.
- "Mais qu'est-ce qu'elle est en train de me faire ? Est-ce que je dois m'inquiéter ? Mon passé est-il en train de me rattraper ? Non, elle avait l'air souriante ... Nerveuse mais heureuse ..."
Je caresse de mes mains zébrées d'écarlate mes joues fraîchement rasées de près pour en apprécier la douceur. Je savoure particulièrement ce geste matinal. Il faut dire que j'ai bien failli ne plus pouvoir le faire.
Avant de sortir de la salle de bain, je vérifie que ma petite boîte rouge contenant une paire de boucles d'oreilles en diamant est toujours bien dissimulée dans ma trousse de toilette.
Demain.
Demain, nous serons le douze juillet 1993 et j'aurai une question à poser.
En attendant demain, il va falloir la suivre. Je me suis douté que, dans cette ville chargée d'Histoire avec un grand H, je me retrouverais traîné de visites culturelles en visites culturelles, mais de là à nous réveiller à six heures du matin, je trouve qu'elle pousse un peu le bouchon ! Mais, elle m'a demandé de lui faire confiance. Alors ...
Je respire un grand coup tout en regardant mon reflet une dernière fois dans le miroir, enfile mes gants et la rejoins dans la chambre. Kazue m'entraîne à l'extérieur de l'hôtel où un taxi nous attend. Elle semble gérer parfaitement la situation, même si je la trouve toujours étrangement nerveuse et elle reste silencieuse pendant tout le trajet, me transmettant ainsi son anxiété.
Le taxi s'arrête au bout d'une dizaine de minutes près d'un très haut mur. En sortant de la voiture, je trouve que ce mur ressemble à un rempart. Soudain, une petite porte s'ouvre et je distingue une silhouette sombre :
- "Docteur Natori ?"
Kazue répond en italien mais je comprends quelques mots : "Moi ... Bonjour ... Raphaël ... Monsieur Angel." Bien. Elle a fait les présentations, rien de bien inquiétant pour le moment.
J'observe un peu mieux le fameux Raphaël qui me salue d'un signe de tête. Une cinquantaine d'années, grand, mince, le visage dur et creusé. Ce qui m'interpelle le plus est sa tenue. Un curé. Elle m'a réveillé à six heures du matin pour rencontrer un curé. Pourtant, elle n'est pas catholique. Je suis de plus en plus perdu et je recommence à m'imaginer un tas de choses les plus abracadabrantes les unes que les autres.
L'homme prononce encore quelques mots que je ne comprends pas et nous invite à le suivre d'un geste de la main. Je suis Kazue dans une sorte de souterrain sombre et seule la lampe torche du curé nous éclaire et je me cogne plusieurs fois la tête au plafond trop bas pour mon mètre quatre-vingt-huit.
- "Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire, Kazue ?"
- "Fais-moi confiance." Me répond-elle.
Je soupire et lui emboîte le pas encore un moment mais soudain, je n'en peux plus. J'en ai ras-le-bol de marcher courbé pour éviter le plafond, de ne rien voir, de ne rien comprendre et de me laisser mener par un curé avec une lampe de poche ... J'attrape le bras de Kazue et lui lance en anglais :
- "Mais merde, Kazue ! On fait quoi, là ?"
- "Chuuuuuut !" me répond-elle simplement sans même se retourner.
- "Pas de gros mots ici, jeune homme." M'adresse le curé d'un ton sec dans un anglais maladroit mais parfaitement compréhensible.
- "Ah mais, je veux bien mais on est où, ici ?" Dis-je pendant qu'il ouvre une porte.
- "Vous êtes au Vatican, jeune homme, alors un peu de tenue."
- "Au quoi ?"
- "Au Vatican." répète Kazue et elle se retourne pour me tendre la main que je refuse de prendre, vexé.
- "J'avais compris, merci, je suis pas sourd. Ce que je demande ..."
Elle plaque son index sur ma bouche, m'intimant ainsi le silence. Toute cette histoire ne me plait pas mais je les suis dans un couloir recouvert de marbre et de dorures, tout en continuant de jurer dans ma tête. Je suis de mauvaise humeur parce que je n'ai pas envie de suivre un curé dans un couloir du Vatican alors que je devrais être en train de profiter du corps de Kazue et elle du mien et parce que j'avais d'autres projets pour cette journée. Le curé s'arrête et soulève un rideau. Une nouvelle porte.
Allons bon. Un nouveau voyage sous terre dans le noir ?
Il donne des indications à Kazue que je ne comprends pas puis déverrouille la porte et s'en va tranquillement.
Maintenant, je demande, espérant ne pas être encore réduit au silence :
- "Tu m'expliques ? Qu'est-ce qu'on fout au Vatican à six heures trente du mat ? Et pourquoi est-ce qu'on passe par une porte secrète ouverte par un curé ?"
- "Un Jésuite. Frère Raphaël est Jésuite. Il était aumônier en Amérique du Sud avec le Doc. Et on est simplement venus en dehors des heures d'ouverture pour être seuls ici."
- "Et c'est où, ici ?"
- "Va et tu verras."
J'en ai assez de ses cachotteries mais je franchis quand même la porte sans manquer de me pencher pour ne pas me cogner à nouveau. Et puis, pendant que je passe un couloir un peu sombre, je réalise où je suis.
Le Vatican. Je suis au Vatican. Je passe par une porte dérobée pour entrer en douce au Vatican à l'aube ... Je retiens mon souffle tellement ça me semble improbable et complètement fou. Ce pourrait-il que ... ? Elle n'aurait pas oublié ce détail de ma vie ?
La lumière m'aveugle d'un coup et je dois cligner des yeux pour m'habituer mais déjà les couleurs me happent et me font tournoyer. J'ai le vertige et j'ai l'impression de flotter au milieu de couleurs, de nuages et de personnages que je connais par cœur.
Je n'en crois pas mes yeux.
J'y suis ...
Putain de merde, Shadow, j'y suis !
Je murmure :
- "No, no, no ... I'm dreaming ... no ... Unbelievable ... Je ... (Non, non, non, je rêve ... Non, Incroyable.) "
- "Mick ?"
Sa voix inquiète me tire brusquement de mes pensées et je lui demande :
- "Je croyais qu'on ne pourrait pas la visiter. Que la Chapelle Sixtine était fermée au public pour travaux."
- "Je ... je t'ai un peu menti, en fait. Je me suis dit que ce serait mieux de la voir comme ça. Rien que nous deux. Sans une foule de touristes idiots."
Je flotte sur un nuage quand je l'embrasse et la serre contre moi. Je ne sais pas quoi dire tellement ce cadeau est ...
- "Merci, Kazue. C'est ... Oh My Godness, j'aimerais tellement que Shadow puisse voir ça. C'est ... waouw ... I do'nt know what to say ...(Je ne sais pas quoi dire)."
- "Ne dis rien alors et profite ..."
Je pars explorer ce monde que je connais déjà. C'est étrange, je connais tout ça sans le connaître car certains éléments ne sont pas là où je pensais qu'ils étaient. Je m'étais longtemps représenté la Chapelle Sixtine plus petite, certainement parce que, pendant longtemps, les scènes que je vois maintenant ornaient les murs de notre minuscule cellule.
Comme j'aimerais que Shadow soit là avec moi. J'ai presque l'impression de sentir sa présence derrière mon épaule, comme quand il surveillait mes exercices ou quand il me donnait des indications quand je tenais le pistolet à encre. Cette sensation me plait.
J'entends presque distinctement sa voix calme et grave qui m'explique différents détails, et je raconte tout à Kazue sans même la regarder. Je suis euphorique. Je flotte, je cours d'un point à l'autre, je rêve en admirant le plafond, je regarde de plus près, cherchant le coup de pinceau du maître ...
Puis, soudain, je réalise que Kazue s'est assise en tailleur en plein milieu de cette grande salle et je ne résiste pas. Je me dirige vers elle, m'allonge sur le sol sans me soucier du froid et pose ma tête sur sa cuisse pour admirer le plafond.
Je sens qu'elle m'observe depuis un moment, et, même si elle la dissimule très bien, je perçois très nettement sa nervosité. Je ne comprends pas pourquoi elle ne profite pas des lieux :
- "Pffff ... tu ne regardes même pas."
- "Disons qu'il y a quelque chose de plus beau à regarder que tes peintures."
- "N'importe quoi."
Elle m'a dit quelques instants plus tôt que nous pouvions rester jusqu'à huit heures vingt-sept précises. Je regarde ma montre et me lève :
- "Huit heures deux. Je fais encore le tour une dernière fois ?"
J'essaie de mémoriser chaque détail et soudain, je l'entends s'éclaircir la gorge avant de m'interpeller. Elle m'a appelé par mon nom, mon véritable nom. Et ce nom prononcé avec sa voix douce me fait un drôle d'effet.
- "Hey, Carpenter ! Attrape !"
Je vois un petit objet rouge voler vers moi et je le réceptionne entre mes mains gantées. J'observe la boîte et mon cœur se serre. Je pense immédiatement :
- "Merde, mais comment elle a réussi à la prendre ?"
Mais en l'observant bien, cet écrin n'est pas tout à fait comme le mien. Intrigué, je l'ouvre. Pas de boucles d'oreilles. Non. Ce n'est définitivement pas mon écrin. Il contient deux anneaux en argent tous simples. Deux anneaux. Un plus grand que l'autre. Je reste sans voix et je ne peux plus bouger. Je ne m'attendais pas à ça.
Et puis, j'entends à nouveau sa voix qui me lance :
- "Alors ? Yes or No ?"
Je ne sais pas comment j'ai parcouru les quelques mètres qui nous séparaient. Est-ce que j'ai couru ou marché tranquillement ? Aucune idée. Je sais juste qu'elle se retrouve dans mes bras et que je l'embrasse. Doucement d'abord et puis de manière beaucoup plus appuyée. J'ai envie d'elle tout à coup. Elle me rend mon baiser puis s'écarte de moi en posant les deux mains sur mon torse.
- "Alors ? Monsieur Angel ? Yes or no ? Toi qui dis tout le temps que répondre à une question n'a rien de compliqué ..."
Je cherche ses lèvres, elle m'évite, je plonge dans son cou, le mordille, je sens son souffle devenir court et ses mains qui viennent caresser mes fesses. Je lui murmure à l'oreille :
- "Et je trouve que Docteur Carpenter, c'est encore plus sexy que Docteur Natori ..."
- "Docteur Carpenter ? Pas Madame Angel ?" Me répond-elle, mutine.
J'adore quand elle me répond comme ça. Je passe les mains sous sa jupe et joue directement avec l'élastique de son sous-vêtement :
- "Ça dépend ... ça te dit un petit voyage en Alaska ?"
- "En Alaska ?"
- "Oui ... histoire de régler quelques formalités administratives."
- "Hummm, il fait froid là-bas, non ?"
- "Compte sur moi pour te tenir chaud."
Elle attrape ma main avant qu'elle ne franchisse la frontière de tissu de sa culotte.
- "Stop. Pas ici ..."
Je grogne. Frustré de lui obéir, je ne peux me retenir de l'embrasser dans le cou, cherchant à la faire soupirer de plaisir. Je dégage ma main de la sienne et cherche cette fois sa poitrine. Je sens les pointes de ses seins durcir sous mes caresses. Cette sensation m'électrise à chaque fois.
- "Arrête." Dit-elle en me tapant sur les doigts.
- "Pfffffff ! T'es pas drôle !" Je croise les bras, déterminé à montrer ma contrariété. "Déjà que tu m'as tiré du lit à l'aube, que je n'ai pas eu mon café ... Et làààà, paf ? C'est pas juste !"
- "On est au Vatican quand même ! C'est pas sacré pour vous, les Catholiques ?"
Vaincu, je cède, levant théâtralement mes mains en signe de reddition et je murmure, accentuant mon dépit par une moue enfantine :
- "Comme toujours, Docteur Natori, tes désirs sont des ordres ..."
Elle passe ses mains autour de mon cou et joue avec mes cheveux pour me consoler :
- "On peut rentrer si tu veux ?"
- "Hummmmouais ... Mais, tu sais, on a encore un peu le temps. Je suis sûr que ton Jésuite là, il verra rien ..."
Je l'embrasse à nouveau et glisse mes lèvres dans son cou en lui murmurant :
- "Qu'est-ce que tu me proposes de mieux que ce que j'ai ici ?"
- "Petit déjeuner avec sirop d'érable et bain ? "
Je suis frustré et je ne le cache pas. Mais sa proposition est tentante et, mine de rien, je sais bien que je n'aurais pas été plus loin ici. Mais je surjoue et j'aime voir son regard en biais, accusatrice.
Je ris et la prends par la main pour l'emmener à l'extérieur.
- "Bon alors, dépêche toi, Docteur Natori, y'a un petit déj qui nous attend ... J'ai faim, moi !"
- "Miiiick !"
Je sais qu'il est bientôt l'heure pour nous de quitter les lieux. Arrivé au petit couloir, je me retourne une dernière fois pour graver cet endroit dans ma mémoire. J'attrape Kazue dans mes bras et plaque son dos contre mon torse pour lui murmurer :
- "Merci. Je ne sais pas ce que j'aime le plus. L'avoir enfin vu, l'avoir vu avec toi ou que tu m'aies posé cette question ici ..." Je fais une petite pause avant d'ajouter : "Quand même, tu ne m'enlèveras pas de l'idée que c'est dommage ..."
Elle se dégage de mon étreinte et se tourne vers moi :
- "Qu'est-ce qui est dommage ?"
Je lève le nez au plafond :
- "Tu es à ton douzième jour, c'est le bon moment, non ? Et en plus, avec une maman qui s'appelle "bénédiction", un papa dont le surnom fait référence à l'artiste qui a peint tout ça, c'est l'endroit parfait pour être conçu, tu ne crois pas ? Juste en dessous de Dieu qui donne la vie à Adam ..."
- "Miiiiiick !"
Elle me tape sur l'épaule pendant que j'éclate de rire devant son regard noir. Elle met ses mains sur les hanches et me lance, les yeux emplis de défi :
- "Et tu n'as pas répondu à ma question, Monsieur Angel ... Yes or no ?"
J'arrête de rire. Je la prends dans mes bras et plonge mon regard dans ses yeux sombres comme la nuit au fond desquels j'aime tellement me perdre. Elle me sourit. Je pose mon front contre le sien. Je n'ai pas besoin de prononcer cette réponse.
Elle la connaît déjà.
** THE END **
(Enfin presque … Une suite est en cours de préparation. Très embryonnaire pour le moment mais je garde espoir d’avoir le temps et le courage de m’y atteler)