Yes or No ?
Vous voici sur la dernière ligne droite de cette fiction.
Je pensais au départ que ce chapitre serait le dernier et puis ... il y avait encore deux ou trois petites choses à dire et à conclure, donc, vous voilà avec une trilogie de chapitres au goût d'épilogue.
J'espère que ce début de fin vous plaira … On commence par reprendre là où nous avions laissé nos héroïnes dans mon autre fiction “Pagne, Porte-Jarretelle et Magnum 357”, pour celles et ceux qui ont lu cette histoire, vous croiserez même un personnage OC de cette histoire … Celle ou celui qui le reconnaîtra en premier aura un bon point ;-)
***
PRESQUE UN AN PLUS TARD
Nous étions au mois de juin et j'étais sortie avec les filles au cinéma pour aller voir le dernier film avec le très sexy Itsuo Sato. "La véritable histoire de Tarzan" atteignait des records d'entrées, notamment à cause des rumeurs qui couraient sur le tournage de ce film.
En effet, un mystérieux couple de cascadeurs avait disparu sans laisser de trace et même leurs noms avaient été effacés du registre du personnel et des contrôles de sécurité. En plus, des événements étranges avaient eu lieu dans le studio et de nombreux costumes s'étaient volatilisés comme par magie. Certains journaux parlaient même d'esprits qui hanteraient le plateau de tournage ...
Depuis la sortie du film, chaque spectateur tentait de découvrir quelle scène avait été jouée par ces amoureux étranges et toute la ville avait son avis sur la question. Bref, tout ceci avait été un excellent prétexte pour organiser une sortie entre filles et même Saeko s'était libérée pour passer du temps avec nous.
J'adorais ma nouvelle bande copines et depuis quelques temps, nous essayions de nous retrouver une fois par semaine.
Le film avait été très divertissant et quand les lumières se rallumèrent, je ne pus retenir :
- "Ah, quel beau mec quand même, cet Itsuo Sato."
- "Oui" renchérit Reika en me lançant un clin d'œil. "Y'a pas à dire, il sait porter le pagne, celui-là !"
Reïka et moi avions fini par enterrer la hache de guerre car, plus j'avais appris à la connaître, plus cette elle m'avait touchée. Sous sa carapace de femme indépendante et manipulatrice, j'avais découvert une petite fille un peu perdue, cherchant à se construire dans l'ombre de sa sœur qu’elle adorait, restant tiraillée entre son désir d'autonomie et son indécrottable romantisme, rêvant de rencontrer, un jour, un véritable prince charmant, chevalier servant, fidèle, beau et courageux.
Je continuai :
- "Moi, je parie que la scène du plongeon, c'était pas lui ... Y'avait un truc différent ... dans les épaules peut-être ?" Et devant le regard dubitatif des filles, j'ajoutai plus modestement. "Regard de professionnelle médicale, les filles, je connais les bases de l'anatomie ..."
- "Rooooo, qu'est-ce qu'il m'a donné chaud !" s'exclama Miki, en caressant son ventre qui s'arrondissait.
Miki était enceinte de cinq mois et se portait à merveille. Elle était la première patiente de la consultation de gynécologie à me faire confiance pour assurer son suivi de grossesse. Pour l'occasion, j'avais ressorti tous mes manuels d'obstétrique que je relisais dès que j'en avais la possibilité et Mick avait râlé plus d'une fois en ramassant mes livres disant que je les laissais traîner n'importe où.
Ma consultation de gynécologie avait officiellement ouvert ses portes trois mois auparavant. Elle me tenait particulièrement à cœur d'autant plus qu'elle avait bien failli ne pas voir le jour. En effet, jusqu'à la dernière minute, j'avais eu toutes les difficultés du monde à boucler mon budget. J'avais fait le tour des chefs de clans mais les dons avaient été plutôt maigres. Sauf bien sûr, l'Obayun Ayako Serizawa, qui, en tant que femme, avait été sensible à ma démarche et m'avait remis une mallette chargée de billets, une petite fortune, certes, mais, tout juste suffisante pour me permettre d'acheter un fauteuil de gynécologie et un échographe digne de ce nom.
Et puis, quand j'avais été sur le point de baisser les bras, un petit miracle avait eu lieu juste avant mon anniversaire. Un jeune garçon était venu sonner à la porte de la Clinique et avait demandé à me voir en personne. Il m'avait remis un grand sac de voyage en me disant :
- "Le type qui m'a donné ça m'a dit que je ne devais pas vous répondre si vous demandiez de qui venait ce truc."
En l'ouvrant, j'avais failli m'évanouir : il était chargé de grosses coupures. Le Doc et moi avions mis plus d'une heure à faire le compte : il y avait plus de deux cents millions de yens, l'équivalent de deux millions de dollars américains.
- "Et bien, ma petite Kazue, avec tout ça, tu auras de quoi faire tourner ta consultation. Je me demande bien de qui peut venir tout cet argent. C'est dommage, nous ne pourrons même pas remercier ce monsieur."
- "Je pense qu'il ne veut pas de nos remerciements. Sinon, il serait venu nous l'apporter en personne. Ce doit être une ombre ..." Avais-je répondu pensive.
J'avais bien une petite idée sur la véritable identité de ce généreux donateur mais je gardais mes intuitions pour moi. S'il voulait rester anonyme et me dissimuler son geste, je respecterai sa volonté. Il y a des choses que je n'étais pas tenue de savoir. Il y a des choses qu'on ne partage pas, même avec l'amour de sa vie.
Le voix ironique de Saeko me tira de mes pensées :
- "Oh, ça va les filles. Faites pas non plus comme si vous aviez des laiderons à la maison ! Vous ne devez pas être particulièrement en manque ..."
- "Oh, toi !" répliqua vivement sa sœur, "Fais pas semblant d'être célibataire !"
- "Je vois pas de quoi tu parles ..." Glissa Saeko en se levant, impassible.
Je souris. J'avais l'impression de nous entendre, Makino et moi. Je renchéris, soutenant Reïka dans ses taquineries :
- "Ouais, ouais ... C'est simplement pour toi que tu as acheté cette jolie nuisette en satin rouge, quand je t'ai croisée à la boutique d'Eriko l'autre jour ..."
J'étais passée par hasard à sa boutique quelques jours plus tôt et Eriko m'avait dévoilé la superbe robe de soirée qu'elle avait faite avec mon ancienne robe de mariée :
- "Elle fera partie de la nouvelle collection que je vais intituler : "Rebirth", car elle sera faite avec des vêtements recyclés. Tu m'as donné une idée formidable, Kazue !" m'avait-elle confié avec une grande fierté. "Les femmes ont des tas de vieilles fringues dans leurs armoires qui ne demandent qu'à être transformées !"
A cet instant, Saeko était sortie d'une des cabines d'essayage tenant à la main une nuisette rouge vif en disant :
- "Merci. Je crois qu'elle sera parfaite."
J'avais pouffé de rire quand Nobuaki Sugimoto, le nouvel assistant d'Eriko était sorti à sa suite de la même cabine, tout aussi rouge que le tissu satiné.
En sortant de la salle, je regardai Saeko qui ne semblait pas prête à se laisser démonter par nos moqueries et Miki ajouta :
- "Ah, tu y es de nouveau retournée ? Avant ou après l’achat de l’ensemble en satin vert ? Dis, tu n'aurais pas craqué sur l'associé d'Eriko, des fois ?"
Reika explosa de rire, moqueuse :
- "Craquer ? Elle a complètement fondu, oui ! Ramollie, la Saeko ..."
- "Oh, ça va toi !" Gronda sa sœur tout lui lâchant la porte battante de la salle dans le nez.
- "Hééééé ! Mais ça fait mal ! Ça va pas la tête !!!"
Je ne pus m'empêcher de rire. Vraiment, ces deux-là me faisaient penser à Makino et moi.
Nous rions toujours quand nous nous retrouvâmes sur le trottoir.
- "Un de ces beaux petits culs, n'empêche ..." glissa Saeko. "Tu dis rien, Kaori ? Le film ne t'a pas plu ?"
- "Ah ? Heuuu, si, si, si ..."
- "Oh, alleeeez !" Insista Miki en la poussant du coude : "Depuis que tu partages ton box avec l'Étalon de Shinjuku, tu vois même plus les beaux mecs ! Incroyable ! Hey ... On fantasme toutes sur Tarzan, tu as le droit, toi aussi ! Fais pas comme si tu avais le roi de la jungle toutes les nuits dans ton lit ! "
Je vis Kaori rougir comme une tomate mais elle esquiva joliment la remarque de Miki en répliquant :
- "Tu imagines Ryo en train de se balancer au bout d'une corde ?"
Je poursuivis, ironique :
- "Saucissonné comme un maki dans son futon, pendouillant par-dessus votre balcon ? Ouiiiii, très bien ! Mais, il n'a pas vraiment la même classe !!!"
Depuis que Kaori était officiellement en couple avec Ryo, je la trouvais de plus en plus resplendissante mais cela n'empêchait pas notre Étalon de Shinjuku de dépasser de temps en temps les bornes et il se retrouvait parfois puni de la plus pendouillante des manières. Quand cela se produisait, je ne savais pas trop si je devais le plaindre ou en rire.
- "Quoique ..." poursuivit Reika sur la même thématique, car elle aussi avait droit de temps à autres à ce spectacle. "Je suis sûre que s'il était question de s'envoyer en l'air, il hésiterait pas, l'Etalon !"
- "Au grand galooooop !" renchérit Miki et toutes, nous éclatâmes à nouveau de rire, faisant se retourner quelques passants de mauvaise composition sur notre passage.
Et nous continuâmes ainsi jusqu'au Cat's Eye, prétextant avoir envie d'une glace pour poursuivre le plaisir de ce moment partagé. C'est quand j'attaquai mon banana split double dose de chocolat que Kaori me demanda :
- "Alors, vos bagages sont prêts ?"
- "Plus ou moins." Répondis-je, la bouche pleine de chantilly.
- "Vous partez quand ?" Me demanda Miki.
Mick et moi avions prévu un beau voyage en Europe. Mes villes préférées, Londres, Paris, Rome et aussi un détour pour assister au festival de Jazz de Montreux pour lequel Mick avait réussi à obtenir des billets : places VIP pour le concert de B.B. King le 15 juillet. J'en étais surexcitée d'avance !
- "Lundi. Mais demain soir, on va chez mes parents pour le week-end."
- "Oh ... "On" ... Alors tu as décidé d'emmener Mick finalement. C'est les présentations officielles, alors ?"
- "Oui." Répondis-je sans parvenir à cacher ma nervosité.
- "Ne t'inquiète pas." Me dit Kaori en me prenant la main. "Je suis sûre que tout va bien se passer ..."
Je ris doucement :
- "Alors, il a déjà ma sœur dans la poche puisqu'ils papotent derrière mon dos au téléphone et qu'elle l'appelle Mister Sexy Voice ..."
Reïka pouffa de rire et je l'invectivai gentiment :
- "Oh, ça va, toi, c'est pas drôle !"
- "Tu ne crois pas que tu t'inquiètes pour rien ?" Me demanda Miki. "Tes parents seront contents que tu sois heureuse et que tu refasses ta vie ..."
- "Mouais. Disons que Mick est loin de l'idéal de réussite professionnelle de ma mère mais, avec son bagout habituel, je suis sûre qu'il va l'embobiner avec un bouquet de fleurs et un baise-main. Par contre, en ce qui concerne mon patriarche, traditionaliste, pragmatique et matérialiste, ça risque d'être une autre paire de manches. Il faudra lui faire accepter que Mick n'a pas encore de travail fixe, qu'il est encore en formation et que, du coup, c'est moi qui fait bouillir la marmite en quelque sorte. En plus, on habite ensemble sans être mariés, tout ça, tout ça ..."
Je soupirai, déjà anxieuse en envisageant les discussions qui allaient avoir lieu dans quelques jours :
- "Mais bon, on y va prioritairement pour régler quelques formalités administratives, donc, ça devrait occuper mon père pendant un petit moment."
- "Des formalités de quel genre ?" Demanda Saeko. "Ne me dis pas que vous allez vous marier et qu'on est pas invitées ?"
Je sursautai :
- "Non, mais ça va pas la tête ! Non, rien de tout ça ... En fait, depuis que ma sœur a adopté ses enfants, mon père veut lui donner la maison. C'est devenu trop grand pour lui et ma mère. Mais comme je suis l'aînée, je dois renoncer à ma part d'héritage. Enfin, bon, le tout se résume à un tour de passe-passe chez le notaire mais mon père en fait toute une maladie."
- "Et comment ça se passe avec les enfants et ta sœur ? Elle s'en sort ?" Me demanda Kaori.
Je secouai la tête.
- "Oui et non. Il y a eu de belles avancées mais certaines choses restent difficiles. Surtout pour le plus grand, Daisuke. A sept ans, il comprend exactement ce qu'il se passe et refuse l'autorité de ma sœur et de son mari. Il n'arrête pas de lui hurler "t'es pas ma mère, tu n'as rien à me dire !" Donc, c'est dur pour elle. Irie s'impose mais ça ne fait qu'envenimer les choses alors, ils essaient de laisser couler maintenant. Ça se passe mieux avec ses deux petites sœurs et je me dis, qu'avec le temps, les choses devraient s'apaiser."
Depuis le mois de décembre de l'année dernière, Makino et Irie avaient enfin réussi à adopter. Ils avaient accepté de prendre sous leurs ailes une fratrie de trois enfants : Daisuke, sept ans, Akane, quatre ans et Orine, dix-huit mois. Leurs parents étaient morts dans un accident de la route quelques mois auparavant. Daisuke était devenu la terreur de l'orphelinat qui les accueillait et aucune famille ne s'était portée volontaire pour les adopter. Sauf … ma sœur et son mari.
- "Oui." Me rassura Kaori d'une voix douce. "Et puis, tu sais, quand on aime des enfants de manière sincère, généralement, ils savent le rendre ... tôt ou tard, le petit Daisuke finira par réaliser que ta sœur et son mari font ça pour eux. Je suis sûre que ça finira par s'arranger."
- "Je l'espère pour eux. Makino était tellement heureuse d'être enfin maman !"
Et je l'avais été pour elle. Sincèrement. Et aujourd'hui, je comprenais d'autant mieux ses blessures passées quand elle n'arrivait pas à tomber enceinte de son mari. Depuis quatre mois, j'avais arrêté ma contraception et depuis quatre mois, j'avais encaissé quatre échecs.
Cette décision avait été prise sur un coup de tête. Mais autant j'avais eu du mal à accepter l'idée de me marier avec Mick, autant décider de porter son enfant m'avait paru comme une évidence.
En rentrant un soir, j'avais trouvé Mick agenouillé à la table basse en train de dessiner. Il avait trouvé sa place préférée, installant une petite table traditionnelle devant la fenêtre du salon, profitant de la lumière de la rue. Souvent, quand il était concentré comme ça, il ne m'entendait pas, il ne percevait plus ma présence et je me faisais la plus discrète possible pour ne pas le déranger.
Cette fois-ci, je m'étais approchée à pas de loup et j'avais réussi à apercevoir ses croquis. Éberluée, j'avais attrapé une feuille malgré ses protestations indignées et j'avais dû m'assoir sur le coup de l'émotion.
Son dessin me représentait assise, nue, de trois quart de dos et j'étais en train de me relever les cheveux, révélant ainsi notre formule magique qu'il m'avait tatouée à la base de la nuque, moins-plus-moins-égal-plus, parfait miroir de ce qu'il s'était dessiné en dessous de sa clavicule gauche. Par contre, mes proportions avaient fortement augmenté, et mon regard de professionnelle mesura immédiatement qu'il m'avait représentée à la fin du septième mois de grossesse.
Je n'avais même pas eu besoin de demander quoique ce soit qu'il m'avait murmuré :
- "Oui, j'y pense. Et oui, j'en ai envie. "
Nos regards s'étaient croisés et il avait continué :
- "J'ai très envie de te voir comme ça. Et, j'aimerais aussi recevoir cet amour-là et pouvoir le donner, cet amour inconditionnel. Et entendre un petit être m'appeler papa. Je ne pensais pas que j'en aurais envie un jour mais oui. Peut-être pas tout de suite, hein, va pas commencer à paniquer. Mais oui."
Je n'avais rien trouvé à dire et je l'avais alors tout simplement embrassé. Curieusement, je n'avais pas paniqué. Je n'avais pas eu besoin de plus. Deux jours plus tard, je rendais visite à une amie gynécologue pour me faire retirer mon stérilet. J'avais toujours eu du mal à prendre certaines décisions et pourtant, même si celle-ci était fondamentale et allait complètement bouleverser notre vie, j'étais parfaitement sûre de ce que je faisais. Sans que je puisse dire pourquoi de façon rationnelle. J'en étais sûre, point. Tellement sûre que j'avais eu du mal à gérer mon impatience et ma déception face à ces quatre petits échecs.
Ce n'était pas grand chose comparé à ma sœur qui avait essayé pendant plus de six ans. Ce n'était pas grand chose et je savais pertinemment qu'à mon âge, tomber enceinte pourrait prendre plus de temps, d'autant plus que j'avais pris une contraception pendant plus de quinze ans.
Mais c'était la professionnelle qui réfléchissait ainsi et pas la femme amoureuse ... Et, quatre fois, j'avais senti la morsure de la déception blesser mon cœur. Mick avait bien sûr réussi à me faire rire, m'assurant qu'il faudrait essayer encore, qu'on devait simplement manquer d'entraînement tout en me promettant des nuits d'amour torrides. Promesse qu'il avait d'ailleurs tenue ...
La voix de Miki me sortit de mes pensées :
- "Et pour prendre l'avion, Mick a pu faire ce qu'il lui faut ?"
Je hochai la tête :
- "Oui. Il angoisse un peu de se faire prendre à la frontière mais si Ryo a pu prendre l'avion avec un faux passeport de sa fabrication, le sien devrait passer aussi ..."
Saeko plaqua ses mains sur ses oreilles :
- "Je n'ai rien entenduuuuuuuu !!!"
Et nous éclatâmes de rire.
Mick commençait à avoir une bonne réputation dans le milieu et même Saeko avait eu recours à ses services, de manière très officieuse, pour faire quitter provisoirement le pays à deux hommes, témoins-clefs dans des procès impliquant des membres des forces de l'ordre très haut placés. Quelques anciens yakusas étaient venus faire couvrir des tatouages ratés mais ceci ne représentait pas une source de revenus stables et Mick attendait avec impatience de pouvoir passer le diplôme qui lui permettrait d'être comptable.
J'avais découvert avec beaucoup d'émotion que le principal client de Mick était un de nos voisins, un garçon d'une dizaine d'années qui lui amenait son carnet de punitions que Mick signait à la place de sa maman. Mick avait accepté à la seule condition que le petit vienne faire ses devoirs avec lui et peu à peu, les punitions avaient été moins nombreuses.
Mais, la plus grande fierté de mon homme était son nouveau surnom parmi les clans et la pègre : on l'appelait "Yurei", Fantôme, ce qui le mettait presque sur le même plan que son mentor, Shadow et il en était très fier.
Miki reprit d'une voix un peu angoissée :
- "Et quand est-ce que vous serez de retour ?"
Elle m'avait posé la question au moins une centaine de fois :
- "Le dix-sept juillet. Le temps de se remettre du décalage horaire et j'ouvre la consultation le dix-huit. Et je n'ai pas oublié, Miki, tu seras le premier rendez-vous de ma journée."
Miki caressa une nouvelle fois son ventre qui s'arrondissait en souriant doucement et, pendant une fraction de seconde, j'aurais tout donné pour connaître cette sensation. Je poursuivis :
- "Et ne t'inquiète pas, Miki. Si tu sens le moindre truc bizarre, le Doc et Naoko s'occuperont très bien de toi."
- "Tu es sûre que le Doc sera dispo ? Il m'a l'air d'être très ... occupé en ce moment, non ?"
Je souris. En effet, depuis la crémaillère que nous avions organisée Mick et moi en septembre de l'année dernière, le Doc avait retrouvé une nouvelle jeunesse, admettons même qu'il l'ait perdue à un moment.
Reïka rit ouvertement en sortant une remarque de son cru :
- "C'est vrai, entre lui et Madame Sakamoto, ce n'était pas un coup de foudre mais un coup de canne !"
- "Reïka ! Un peu de respect pour les anciens !" S'exclama Saeko.
Et nous continuâmes à échanger ainsi de tout et rien avant de nous séparer et de rentrer chacune de notre côté.
***
Je me regardai dans le miroir de la salle de bain de notre chambre d'hôtel. Nous étions le douze Juillet 1993, il était 5h56 du matin. Le jour commençait à se lever sur les ruines du Colisée et sur celles du Forum, un peu plus loin.
Rome.
Une étape de notre voyage en amoureux en Europe.
Londres. Amsterdam. Paris. Rome. Puis bientôt Genève et Montreux.
5h57.
Je regardai à nouveau ma montre, impatiente et contrariée que le temps passe aussi lentement. Je n'avais quasiment pas réussi à fermer l'œil de la nuit ou alors si peu que je n'avais pas l'impression d'avoir dormi. Mick, à mes côtés, lui, avait ronflé comme un bienheureux. Ayant programmé ce réveil aux aurores depuis des semaines, j'avais tout fait pour que nous allions nous coucher tôt et je n'avais pas eu trop de difficulté à attirer Mick dans notre chambre. Tout était une question d'arguments.
5h58.
Dans une dizaine de minutes, un taxi allait arriver et se garer sur le trottoir en face, sans s'annoncer à la réception de l'hôtel. Ca aussi, je l'avais prévu depuis des semaines. Je me regardai encore dans le miroir et pris une grande inspiration pour me donner du courage. Ce n'était plus le moment de reculer. Ma décision était prise et mes derniers doutes venaient de se dissiper. Je n'allais pas reculer, je n'allais pas reculer, je n'allais pas reculer. Je le prononçai même à voix haute comme pour conjurer le mauvais sort :
- "Je ne reculerai pas."
6h00.
Je vérifiai un nouvelle fois le contenu des poches de ma veste en coton avant d'aller réveiller Mick. J'avais fait ce geste au moins une vingtaine de fois et la boîte était toujours à sa place mais la sentir dans la paume de ma main me rassurait. Je m'assis au bord du lit et le regardai dormir. Il paraissait si paisible. Je le trouvai si beau. Je caressai son dos du bout des doigts, suivant lentement les lignes de son tatouage jusqu'à ce que je l'entende soupirer :
- "Hummmm ... Déjà réveillée Docteur Natori ?"
6h03.
Il se tourna vers moi et se redressa d'un bond, ses yeux faisant l'inventaire de notre chambre :
- "Tu es habillée ? Qu'est-ce qu'il se passe ?"
- "Tout va bien." Dis-je en riant. "Il faut juste que tu t'habilles aussi."
Il se mit assis sur le lit et enfila rapidement ses vêtements :
- "C'est quoi ? Les flics ? Interpol ? C.I.A. ?"
J'éclatai de rire :
- "Mais non ! Qu'est-ce que tu vas chercher ! C'est juste une petite surprise !"
Il se détendit un peu mais répliqua, désignant sa montre sur la table de chevet :
- "Une surprise ? A six heures du mat' ? Alors qu'on est en vacances ?"
- "Oui, je sais, c'est tôt pour se lever mais fais-moi confiance. Ça va te plaire."
6h04.
Il termina de s'habiller, me sondant d'un air dubitatif. Je le regardai en souriant, tentant de dissimuler ma nervosité. Au moins, j'avais réussi à le convaincre qu'un jean et un t-shirt, même à manches longues, étaient plus appropriés pour des touristes et il avait abandonné son éternel costume trois pièces et ses cravates à la maison. Je dois dire que j'étais ravie de sa transformation et son joli postérieur dans un jean valait bien tous les voyages du monde.
- "Arrête de mater comme ça, Docteur Natori, tu vas trouer mon pantalon à force ..." me lança-t-il, amusé, en se dirigeant vers la salle de bain.
6h12.
Le taxi démarra. Seulement deux minutes de retard sur mon programme, j'étais plutôt soulagée. Je respirai profondément. Finalement, tout se passait bien. Les rues étaient quasiment vides et notre chauffeur circulait à vive allure. Il m'avait lancé un drôle de regard quand je lui avais tendu le bout de papier sur lequel était griffonnée l'adresse de notre destination mais, quand j'avais posé un index sur ma bouche, il avait hoché la tête et n'avait pas soufflé un mot.
6h20
Le taxi s'arrêta pile à l'heure. Je payai rapidement la course et nous sortîmes de la voiture dans la lumière du petit matin. Je regardai nerveusement aux alentours alors que la voiture démarrait dans un nuage de poussière. Un grand mur d'enceinte de couleur ocre s'étendait devant mes yeux et je trouvais rapidement la porte dérobée que mon contact m'avait indiquée.
Je n'eus pas besoin de toquer car la porte s'ouvrit presque immédiatement révélant une silhouette sombre munie d'une lampe torche.
- "Docteur Natori ?"
- "C'est moi. Bonjour Frère Raphaël. Je suis ravie de vous rencontrer enfin." Répondis-je avec mon italien approximatif. "Je vous présente Monsieur Angel."
Je m'étais tellement préparée à cette rencontre que je connaissais ces phrases par cœur à force de les avoir répétées dans ma tête. Je m'étais imaginé frère Raphaël plus jeune, au cours de nos conversations téléphoniques mais j'avais oublié qu'il avait connu le Doc en Amérique du Sud et que leur rencontre remontait presque à une trentaine d'années. Il était grand et mince, le visage taillé au couteau et ses yeux sombres semblaient enfoncés dans leurs orbites. Pour un peu, habillé ainsi en manteau noir et avec un capuchon sur la tête, il m'aurait presque fait peur. Il murmura :
- "Bonjour. Venez. Ne restez pas trop longtemps dehors, nous risquons de nous faire repérer." Et il s'effaça pour nous laisser entrer dans une sorte de souterrain.
La seule source lumineuse était celle de la lampe torche de frère Raphaël et j'entendis Mick bougonner derrière moi :
- "Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire, Kazue ?"
- "Fais-moi confiance." répondis-je simplement.
Frère Raphaël nous fit signe de le suivre et nous guida dans un dédale de couloirs et de tunnels, sombres et humides.
- "Mais merde, Kazue ! On fait quoi, là ?" s'énerva Mick derrière moi en me tirant par la manche.
- "Chuuuuuut !" glissai-je avant que frère Raphaël ajoute d'un ton sec, en anglais cette fois :
- "Pas de gros mots ici, jeune homme."
- "Ah mais, je veux bien mais on est où, ici ?"
Le frère Raphaël fit encore quelques pas et s'arrêta devant une porte qu'il déverrouilla avant de se tourner vers Mick :
- "Vous êtes au Vatican, jeune homme, alors un peu de tenue."
- "Au quoi ?"
- "Au Vatican." Répétai-je en m'engouffrant par la porte ouverte avant de me retourner vers Mick pour lui tendre la main. Il s'avança vers moi, dédaignant ma main tendue en répliquant :
- "J'avais compris, merci, je suis pas sourd. Ce que je demande ..."
Je l'interrompis en posant mon index sur sa bouche. Il hésita un instant, me regardant avec des yeux écarquillés mais finit par me suivre. Nous nous retrouvâmes dans un couloir tout de marbre et de dorures. Au bout de quelques mètres, le frère Raphaël s'arrêta à nouveau devant une petite porte dissimulée derrière un rideau de velours vert et la déverrouilla avec son énorme trousseau. Il prit bien soin de détacher chaque mot, parlant lentement pour que je comprenne bien :
- "J'ai désactivé les caméras à l'intérieur et allumé les lumières. Vous serez tranquilles jusqu'à 8h30, heure à laquelle les gardiens reviennent. Je vous retrouve ici à 8h27 précises et nous passerons par les mêmes tunnels."
Il ouvrit la porte et s'en alla doucement :
- "Merci infiniment, frère Raphaël. Je ne sais comment vous remercier pour votre aide." Dis-je en m'inclinant.
Sans se retourner, il prononça :
- "Rendre service à la protégée de mon vieil ami me réchauffe l’âme, Docteur Natori. Je le fais avec plaisir. A tout à l'heure."
Mick se tourna vers moi :
- "Tu m'expliques ? Qu'est-ce qu'on fout au Vatican à 6h30 du mat ? Et pourquoi est-ce qu'on passe par une porte secrète ouverte par un curé ?"
- "Un Jésuite. Frère Raphaël est Jésuite. Il était aumônier en Amérique du Sud avec le Doc." Précisai-je à Mick qui ne comprenait pas bien l'Italien. "Et on est simplement venus en dehors des heures d'ouverture pour être seuls ici."
- "Et c'est quoi, ici ?" Demanda-t-il en désignant la porte du menton.
- "Va et tu verras."
Il passa devant moi et ouvrit la porte, une toute petite porte en bois et Mick dut se pencher pour la franchir. Je le suivis. Il tourna dans un petit couloir un peu sombre et soudain, la lumière nous frappa de plein fouet. Je clignai des yeux. Au bout d'un instant, je perçus ce qui m'entourait : je me trouvai dans une salle immense, avec des plafonds hauts couverts de peintures, de dorures et d'arabesques. Je cherchai immédiatement Mick des yeux.
Il était en plein milieu de la salle, il marchait, tout doucement, le nez en l'air, tournant parfois sur lui-même tout en marmonnant :
- "No, no, no ... I'm dreaming ... no ... Unbelievable ... Je ..."(Je rêve … incroyable)
- "Mick ?"
Il sursauta et se tourna vers moi :
- "Je croyais qu'on ne pourrait pas la visiter. Que la Chapelle Sixtine était fermée au public pour travaux."
- "Je ... je t'ai un peu menti, en fait. Je me suis dit que ce serait mieux de la voir comme ça. Rien que nous deux. Sans une foule de touristes idiots."
Il vint m'embrasser et me serrer dans ses bras avant de me lâcher en disant :
- "Merci, Kazue. C'est ... Oh My Godness, j'aimerais tellement que Shadow puisse voir ça. C'est ... waouw ... I do'nt know what to say ... (Je ne sais pas quoi dire)"
- "Ne dis rien alors et profite ..."
Il m'embrassa sur la tempe et fila entre les poteaux, escaladant d'un côté, de l'autre en me montrant des détails, m'expliquant des techniques, me racontant les différents passages de la Bible que Michel Ange avait représentés. Moi, je n'écoutais que d'une oreille, me réjouissant de sa joie, riant de le voir si enthousiaste et heureux, tentant de mémoriser chaque regard émerveillé, chaque cri de joie, chaque sursaut :
- "Et là ... et là ... et là ..."
Au bout d'un moment, je m'assis en tailleur au milieu de cette grande pièce majestueuse et je restai immobile à le regarder. Il finit par me rejoindre et s'allongea à même le sol, posant sa tête sur ma cuisse et entreprit de me décrire le plafond pendant de longues minutes, puis, il soupira :
- "Pffff ... tu ne regardes même pas."
J'éclatai de rire :
- "Disons qu'il y a quelque chose de plus beau à regarder que tes peintures."
- "N'importe quoi ..." Il se redressa et regarda sa montre. "8h02. Je fais encore le tour une dernière fois ?"
- "Bien sûr." Dis-je tout en passant la main dans la poche de ma veste pour vérifier pour la millième fois si la petite boîte en velours était toujours à sa place.
Le moment était venu. J'avais préparé mon dialogue avec frère Raphaël, j'avais anticipé chaque minute de notre escapade mais, arrivée devant le moment le plus important de ma vie, je ne trouvais plus les mots. Je sentais mon cœur battre de plus en vite pendant que je me relevai tout en époussetant méticuleusement mon pantalon.
Je sortis ma boîte en velours rouge et, en la regardant ainsi posée dans ma main, elle me fit penser à une de ces petites balles rouges de rééducation que Mick avait utilisées pendant des mois, une de ces petites balles qu'il m'avait envoyée un jour, alors que nous étions dans la chambre numéro trois de la Clinique. Il me l'avait lancée en disant :
- "Tiens, Natori, attrape !"
Et quand je l'avais attrapée, il avait ajouté avec un rire chargé de sous-entendus :
- "Mmmmm, tu as de beaux réflexes ! Tu peux la garder ... Les mains ont toujours besoin d'un petit entraînement et tu en auras besoin bientôt ..."
Je m'éclaircis la gorge et Mick se tourna vers moi. Je l'interpellai :
- "Hey, Carpenter ! Attrape !" Et je lui lançai ma petite boîte rouge qu'il attrapa sans aucune difficulté entre ses mains gantées.
Il regarda la boîte et ses yeux s'agrandir de surprise quand il l'ouvrit et qu'il vit ce qu'elle contenait : deux anneaux en argent tous simples que j'avais achetés en revendant la bague de Kitagawa.
Comme il restait parfaitement immobile, les yeux baissés, je prononçai d'une voix tendue :
- "Alors ? Yes or No ?"