Si j'avais

Chapitre 2

2230 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/04/2019 21:05


Immeuble de Ryô Saeba,

Quartier de Shinjuku, Tokyo,


L'eau était chaude, brûlante même, mais Kaori n'arrivait pas à se réchauffer. Elle tremblait comme une feuille et s'appuya sur le mur de la salle de bain de peur de perdre l'équilibre sous ses jambes chancelantes. Tout son être était en état de choc et la jeune femme éprouvait une vive souffrance à chaque mouvement qu'elle entreprenait. Atterrée, elle découvrit, sous la mousse savonneuse, son corps meurtri et marqué à jamais par la perversité de cet homme. Des égratignures, des ecchymoses, des griffures, des plaies. Elle éprouva une rage presque bestiale contre cet homme puis un indescriptible sentiment de honte. Ce sentiment était tellement fort qui lui coupait la respiration.


" Tout ça, c'est de ta faute !... Si tu avais sagement attendu ton taxi, rien de tout cela ne serait arrivé ! ... mais comme d'habitude tu n'as pas réfléchi et ..."


Kaori étouffa un sanglot. La douleur lancinante qui lui vrillait le bas du dos la fit gémir de douleur. Si seulement elle pouvait oublier ce que ce corps lui rappelait inlassablement ! D'un geste rageur, elle frictionna vigoureusement chaque parcelle de son être en prenant bien soin de frotter plus fort les zones bleuies et rougies sous la violence des mains de son agresseur. Sa peau commençait à s'irriter à certains endroits et surtout au niveau des articulations, mais elle, elle s'en fichait.


Kaori se sentait tellement sale. A jamais souillée. Douloureusement misérable.


Des larmes recommencèrent à couler sur ses joues et se mêlèrent à l'eau, tiède puis froide, qui dégoulinait de ses cheveux mouillés. Elle leva les yeux vers le pommeau de la douche. Il n'y avait plus d'eau chaude. L'eau était glacée. Comme son corps et son coeur à présent. Elle ne pouvait plus se laver. Alors du dos de la main, la jeune femme s'essuya les yeux, attrapa le peignoir qu'elle avait posé sur le bord de la baignoire et se drapa avec.


Étrangement, Kaori resta sous la douche.


Quelques minutes passèrent avant que Kaori ne réagisse et ne ferme le robinet. Sa sortie de bain était trempée mais cela n'avait pas d'importance. Plus rien n'avait d'importance.


Le corps toujours secoué de tremblements, la jeune femme posa un pied puis l'autre sur le tapis de bain et se dirigea vers le lavabo. La buée recouvrait le miroir et l'empêchait de se voir distinctement. Alors machinalement, elle essuya la glace à l'aide d'un mouchoir en papier mais hésita quelques instants avant de se regarder. Elle savait que quelque chose avait changé. Qu'elle était irrémédiablement différente. Qu'à l'instar des marques qui recouvraient son corps, cette blessure était plus profonde, irréversible, inguérissable même. Elle se sentait brisée de l'intérieur.


Kaori prit une profonde inspiration et plongea ses yeux dans son reflet. Ils étaient vides. Rouges d'avoir trop pleuré. Soulignés de cernes violacées. Son teint, aussi pâle qu'une page blanche, lui donnait l'impression d'être un fantôme. Elle n'avait plus cette petite lueur innocente, cette petite étincelle de joie qui brillait habituellement au fond de son regard. Elle n'arrivait plus à afficher ce magnifique sourire qu'elle arborait en toute circonstance. Elle n'avait plus que ce sentiment de vide et de désespoir qui la dévorait de l'intérieur.


Un coup à la porte et Kaori sursauta. Elle resserra machinalement les pans de son peignoir sur sa poitrine et attendit, figée comme une statue.


" Kaori ? "


La voix de son partenaire résonna à ces oreilles. Elle était froide, sans aucune chaleur mais à bien entendre elle reflétait un certain soulagement. Un moment de panique et de honte la submergea littéralement.


" Kaori, tout va bien ? "


Ryô paraissait énervé et Kaori ne put s'empêcher d'éprouver un sentiment de peur. Une animosité viscérale envahit tout son être sans qu'elle puisse se contrôler. Elle savait maintenant de quoi les hommes étaient capables pour assouvir leurs bas instincts. Elle en avait fait l'horrible expérience. Et Ryô était un homme. Un homme un peu trop porté sur les femmes... Atterrée par ces propres pensées, Kaori ferma violemment les yeux.


La jeune femme ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Machinalement, elle fit un pas en arrière quand un nouveau coup résonna contre la porte.


" Kaori ? Mais qu'est-ce que tu fous à la fin ?... Pourquoi tu ne réponds pas ? "


Kaori s'approcha de la porte et vérifia qu'elle était bien fermée à clef. Complètement paumée, elle s'y adossa et se laissa glisser sur le sol.


"Je... je suis sous la douche... Je ne peux pas te parler pour l'instant ", répondit-elle en pliant ses bras sur sa poitrine.


La jeune femme entendit son partenaire souffler et grommeler derrière la porte. Puis elle entendit des bruits de pas qui s'éloignaient lentement. Ryô était parti. Kaori ferma les yeux, tentant une fois de plus d'endiguer le flot de larmes qui menaçaient de couler. Elle ne voulait pas le voir. Elle ne pouvait plus le voir. Il la dégoûtait. Il la répugnait. Elle le haïssait. Comme tous les hommes de cette maudite terre, d'ailleurs !


Accablée, Kaori posa la tête sur ses genoux. Mauvaise idée. Des images s'imposèrent une fois de plus à son esprit. Des images violentes, cruelles, brutales. Elle se revoyait crier. Implorer. Pleurer. Kaori ne se souvenait plus du nombre de fois où elle avait appelé Ryô en silence. Où elle avait répété son nom. Mais, cette fois-ci, il n'était pas là pour la protéger. Il n'avait pas pu empêcher cet homme de la toucher. Il n'était pas venu la sauver.


Kaori se remit à sangloter. Comment un homme pouvait-il traiter une femme avec tant de cruauté et de brutalité ? Comment ? Aucune réponse ne vint à son esprit. Cet individu ne méritait même pas le terme d'être humain. C'était tout simplement un monstre. Un monstre d'apparence humaine.


Les joues noyées de larmes, Kaori tendit la main pour saisir une des serviettes rangées dans le bac à linge quand son regard se posa sur ses ongles cassés. Ils s'étaient abîmés pendant la lutte.

Une nouvelle vague de souvenirs lui traversa douloureusement l'esprit. La jeune femme ne put s'empêcher de frémir d'horreur en se remémorant la manière dont cet ordure l'avait violemment repoussée une fois qu'il avait terminé "sa besogne". Complètement brisée, elle s'était effondrée comme une vulgaire poupée, parmi des bouteilles vides et les déchets des restaurants avoisinants et, de ses mains tremblantes, avait tenté de recouvrir de sa robe déchirée son corps blessé . Elle n'avait pas osé regarder cet homme. Elle se rappelait simplement, qu'à cet instant précis, elle aurait voulu mourir. Elle aurait voulu qu'il l'achève.


Et lorsque sur le point de partir, l'homme avait remercié "la gente dame pour ses instants merveilleux", Kaori avait ressenti pour la première fois de sa vie l'envie de tuer. Incontrôlable et impitoyable, ce sentiment s'était imposé à elle avec une violence et une évidence effrayante.


Kaori souffla très fort pour calmer l'angoisse qui l'étreignait de nouveau quand elle repensa à ces dernières heures. La jeune femme était restée prostrée dans cette ruelle sordide pendant plus d'une heure quand la voix forte et rassurante de son partenaire résonna à ces oreilles.


Il était enfin venu. Elle l'avait tant attendu. Elle avait besoin de lui. De sa force. De son courage. De son amour.


Elle souhaitait simplement qu'il la prenne dans ses bras, la cajole, la rassure en lui promettant qu'aucun homme ne lui ferait plus jamais de mal. Plus jamais. Elle ne demandait que ça.


Mais la cruelle vérité l'avait frappé de plein fouet. Le cri d'une femme avait brisé le dernier espoir de la jeune femme. " Non, lâchez-moi ! ... ne vous approchez pas de moi espèce d'obsédé ! Noon! ". Cette phrase avait résonné encore et encore dans le silence de la petite ruelle. "NON !". Elle l'avait crié tellement de fois. Elle avait tellement supplié, elle-aussi. Mais son agresseur ne l'avait pas écouté. Au contraire, il avait ri. D'un rire fort et puissant. D'un rire à vous glacer d'effroi. Et maintenant, c'était Ryô qui n'écoutait pas. Il avait insisté encore et encore en espérant que cette fille accepte ses avances. Comme cette nuit...


Kaori bougea frénétiquement la tête et se porta ses mains froides à ces oreilles comme si ce geste l'aiderait à chasser ses pensées irréelles. Elle avait l'impression de vivre un cauchemar. Elle se sentait complètement terrorisée et désemparée. Son partenaire, son ami depuis près de huit ans, l'homme qu'elle aimait de tout son être n'était peut-être qu'un être pervers et insensible qui tentait de prendre par le force ce qu'il n'arrivait pas toujours à avoir par la douceur. ... Et si Ryô en arrivait vraiment à cette extrémité ? Et si un jour, il n'arrivait plus à se contrôler et à rester maître de ses envies et de ses désirs ? A quoi pensait-il vraiment quand il sautait sur toutes ces femmes ? Se pourrait-il qu'il devienne un jour ou l'autre aussi monstrueux que l'homme qui l'avait violée ? Mon dieu, où était la vérité ?

NON ! Ce n'était pas possible... Non ! Elle délirait complètement !


Kaori était dans un tel état psychologique et émotionnel qu'elle n'arrivait même plus à discerner le bien du mal. La jeune femme souffla. Comment pouvait-elle pensé à Ryô de cette manière ? Il était son partenaire, l'homme en qui elle avait le plus confiance. Un être incroyablement humain. Rien à voir avec l'homme qui l'avait violée cette nuit. Et même s'il avait la fâcheuse tendance à sauter sur tout ce qui portait des bas nylons, elle était persuadée qu'il ne franchirait jamais la limite du respectable.

Les minutes passèrent aussi longues que l'éternité.


Recroquevillée dans son peignoir mouillé, Kaori se mit à grelotter et à claquer des dents. Son regard se posa sur le tas que formaient ses vêtements déchirés et lui arracha une grimace intolérable. Plus que la douleur physique, c'était la douleur morale qui était le plus insupportable. Plus que les meurtrissures, c'était la perte de sa dignité, de son honneur, et de son âme qui l'accablait le plus. Cet homme lui avait volé sa vie et, maintenant, elle avait l'impression d'être morte de l'intérieur. Mais qu'allait-elle faire maintenant ?


La réponse était pourtant évidente. Bouleversante de cruauté. Elle devait reprendre le cours de sa vie et faire comme si rien ne s'était passée. Elle devait faire l'effort d' oublier. Kaori posa une main sur sa bouche pour s'empêcher de crier. C'était au-dessus de ses forces. Elle n'y arriverait pas. Elle se sentait totalement anéantie.


Pourtant avec une infinie précaution, Kaori se releva. Ses yeux tombèrent sur le bracelet qu'Eriko lui avait offert et qu'elle portait toujours à son poignet. Ses amis ? Miki, Eriko, Kasumi, Falcon, Mick... et Ryô... Oh mon dieu, ils ne devaient pas savoir. Elle ne le supporterait pas. Elle mourrait de honte s'ils se doutaient de quelque chose. Elle ne supporterait pas ces regards empreints de pitié, de peine. Il y auraient trop de questions, peut-être même des reproches...


Le sentiment de culpabilité qui la rongeait remonta une fois de plus à la surface. "Comment as-tu pu être aussi stupide ? Aussi naïve ? Aussi irresponsable ?" Kaori sentit les larmes lui monter aux yeux et souffla douloureusement. Elle devait se ressaisir. Elle n'avait pas le choix. Elle devait continuer. Continuer à vivre. Prendre sur soi et faire semblant d'être une jeune femme heureuse de vivre. Redevenir cette jeune femme innocente qu'elle était, il y a quelques heures encore.


La jeune femme tourna la tête vers la porte quand elle entendit de nouveaux le pas lourd de son partenaire. Son cœur se remit à battre très fort. Machinalement, elle s'arrêta de respirer. BANG ! BANG ! Trois coups sur la porte.


" Bon sang, Kaori ! Ça fait pratiquement une heure que tu es enfermée dans cette salle de bain. Mais qu'est-ce que tu fabriques ? "


Kaori écarquilla les yeux. 1 heure ? Elle ne s'en était pas rendue compte. De toute manière, elle s'en fichait. Cela n'avait pas d'importance. Plus rien n'avait d'importance d'ailleurs. Telle une automate, le jeune femme retira son peignoir dans lequel elle cacha ses vêtements déchirés et se drapa dans une serviette de bain propre.


" Je... je ne me sens pas très bien...", la voix était blanche et remplie d'appréhension.


Kaori se rapprocha doucement de la porte.


" Ne t'inquiète pas, Ryô... Je vais bien... J'ai... j'ai du avaler quelque chose que je n'ai pas bien digéré... tu devrais aller dormir maintenant", tout en parlant Kaori posa sa main sur la poignée de la porte mais se ravisa. Elle n'avait pas la force de lui faire face.


Au plus grand soulagement de Kaori, Ryô n'insista pas. La jeune femme attendit alors quelques minutes avant de quitter la salle de bain, et de rejoindre, d'un pas mal assuré, sa chambre.

Laisser un commentaire ?